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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 94

  • Marinette Seguy fusillée par les nazis au Bousquet (Aude) le 4 mai 1944

    A la suite d’une dénonciation dans les locaux de la police secrète allemande (Gestapo) de Carcassonne par une femme prénommée Thérèse résidant à Quérigut dans l’Aude, une opération contre de supposés réfractaires au S.T.O est organisée le 4 mai 1944. Dans la nuit, deux camions chargés d’une quarantaine d’hommes de la 5e compagnie du Landeschützen régiment der Luftwaffe Lisieux placés sous le commandement du capitaine Josef Nordstern, accompagnés par le lieutenant Heinz Bernhard Matthäus, l’adjudant chef Alfred Schmidt et le caporal Goswin Palm, partent de la caserne de la Justice vers le Bousquet près d’Axat. Cette compagnie spécialement destinée pour combattre les maquisards mènera régulièrement des actions en collaboration avec la Gestapo ; elle s’illustrera dans les mois qui suivront à Villebazy, Ribaute, Chalabre, Trassanel…. Cette nuit là, un véhicule du SD l’attend dans lequel a pris place l’interprète alsacien René Bach, Oskar Schiffner et l’inspecteur Janeke. Toute cette cohorte d’assassins et de pilleurs s’élance donc en direction de la haute-vallée de l’Aude.

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    © Un village français 

    Lorsqu’elle arrive vers les 5 heures du matin au Bousquet, l’ordre est immédiatement donné à la troupe d’encercler le village et d’en interdire les sorties. Tout fuyard devra être exécuté sur place. Un à un, tous les hommes de 13 à 84 ans doivent être rassemblés sur la place et ceux qui ne se trouvent pas dehors à cette heure, sont tirés manu-militari de leurs lits. Ainsi, Joseph Bourrel, le maire de la commune, est réveillé par des soldats allemands :

    « Ils sont montés chez moi. Ils m’ont fait habiller et m’ont fait descendre dans la rue. Ils m’ont demandé où étaient les réfractaires et qui encore pouvait les ravitailler. Ayant répondu que je savais pas où trouver les réfractaires, ils ont fait savoir à ma belle-fille qu’ils allaient me fusiller, si je ne disais pas la vérité. Sur mes réponses, ils m’ont conduit en dehors du village ; aux alentours de la batteuse. J’ai trouvé plusieurs hommes du village rassemblés à cet endroit. Je suis resté de cinq heures du matin à seize heures avec tous mes administrés. »

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    © ADA 11

    Bach, interprète alsacien de la Gestapo de Carcassonne

    A l’appel de leurs noms énumérés par René Bach et figurant sur une liste pré-établie par le SS-Unterscharführer Schiffner, les dénommés Bousquet Louis, Baychelier François, Pérarnaud Fernand, Paycha Pierre, Bousquet Emile, Seguy Georges, Mortès Antoine, Tristiani Gaetan et Seguy Baptiste doivent sortir des rangs. On les interroge chacun individuellement dans une classe de l’école communale. Tous témoigneront de l’extrême brutalité avec laquelle on tenta de leur faire dire où se trouvaient les réfractaires. Les blessures qu’il reçurent entrainèrent une incapacité de travail de huit à dix jours. Pour exemple, Pierre Paycha raconte comment il fut torturé ce jour-là :

    « Aussitôt rentré, un civil que j’ai su s’appeler Bach, s’est précipité sur moi, m’a frappé à coups de pieds dans le ventre et de coups de cravache sur la tête, me demandant si je ravitaillais les réfractaires. N’ayant pas répondu, ils m’ont pris à quatre et porté sur un table d’élève. Deux me tenaient le ventre sur la table, la tête sur le banc et deux autres me tapaient avec une matraque, genre nerf de bœuf, et avec une grosse corde ferrée aux deux bouts. Ceci a duré un demi-heure environ. Puis ils m’ont mis dehors, face au mur de la mairie, défense de bouger, me disant qu’avant la fin du jour je serais fusillé. Je suis resté demi-heure dans cette position, après quoi, ils nous ont réunis à nouveau en colonne par deux. Ils nous ont considéré comme otages et séparés des autres hommes valides de la localité. »

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    SS-Unterscharführer Oskar Schiffner

    Deux jeunes hommes du village qui furent interrogés, durent sans doute vouloir indiquer un emplacement où pourraient se trouver des réfractaires. Fernand Pérarnaud et Antoine Mortès furent amenés en dehors du Bousquet :

    « Ils m’ont ensuite fait monter et emmené avec mon camarade Mortès Antoine, au col de la Malayrède. De là, nous avons poursuivi à pied et encadrés de militaires, jusqu’à Salvezines. S’ils nous ont conduits vers ces emplacements, ce n’est pas sur mes indications et ils savaient à l’avance que le maquis stationnait dans cette région. Après qu’ils eurent fait une reconnaissance dans les bois, nous redescendîmes au village. Ils m’ont placé avec le restant des hommes et à 18 heures nous fumes libérés.»

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    © La résistance audoise

    Marinette Seguy avant 28 ans

    Au cours de cette triste journée, une jeune femme de 28 ans a perdu la vie. Marie-Madeleine Seguy dit Marinette, fille de Baptiste et de Cécile Pons, née le 16 janvier 1916 à Maury (Pyrénées-Orientales), fut lâchement exécutée par un soldat allemand. La pauvre femme craignant pour son père qui venait d’être arrêté, alla chercher le fusil de chasse qu’il détenait illégalement pour le jeter dans un ravin. Surprise dans sa tentative, elle reçut un décharge de mitraillette dans le bras puis dans la tête. Le docteur Beille note les impacts de trois balles tirées à 150 mètres de distance, dans le bras, au-dessous de l’oreille et dans le crâne de la victime. Le père de Marinette en fut averti de la sorte :

    « J’ai été appelé près d’une voiture où se trouvait le nommé Bach qui m’avait arrêté. Il y avait également à côté de la voiture, un officier allemand et un civil. Il m’a demandé si j’étais le père de la victime, j’ai répondu affirmativement, et Bach m’a dit que ma fille avait payé, et que c’était bien fait. Il a ajouté que si ma fille n’avait pas été tuée, et si le fusil avait été trouvé chez moi, j’aurais été fusillé de suite. »

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    © Genweb

    Le monument dans la commune Le Bousquet

    Nous avons trouvé dans les archives fédérales allemandes, les témoignage d’anciens soldats qui ont participé à cette opération. Il faut savoir que l’Allemagne de l’Ouest a interrogé et cherché à condamner les responsables des crimes de guerre dans l’Aude dans les années 1960 :

    « Dans une autre opération, un village a été fouillé pour trouver des résistants cachés. Les témoins étaient le Dr.Eichberger et Höb. Les hommes ont été rassemblés sur la place et interrogés séparément dans l’école. Au cours de ces opérations menées par le capitaine Nordstern, la fille du maire a tenté de quitter le village avec un fusil de chasse de son père. Elle a été blessée par une mitrailleuse. Elle n’était pas morte sur le coup et a reçu le coup de grâce. Le témoin Eichberger ne se souvient pas qui a exécuté l’ordre. Il ne connaît pas le nom du tireur. Le témoin Berg se souvient que le tireur a ensuite été qualifié de « tueur de femmes » dans la compagnie. Le témoin Van de Camp a dit qu’il s’agissait d’un jeune soldat. »

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    © Martial Andrieu

    La commune du Bousquet a érigé un monument en mémoire de Marinette Seguy. Elle repose depuis 1944 dans le cimetière du hameau de Villalbe près de Carcassonne, dans le caveau de la famille Salsignac.

    Sources

    Archives de Justice militaire / Le Blanc

    Procès de René Bach / ADA 11

    Archives du Bundesarchiv

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  • Transformations et restaurations à la cathédrale Saint-Michel en 1949

    Jusqu’au début des années 1950, la cathédrale Saint-Michel était entourée d’un mur de clôture au Nord et au Sud de celle-ci. On accédait de la rue Voltaire au boulevard Barbès et vice-versa en passant par la rue de la lune devant l’entrée de la cathédrale, en longeant ensuite l’enclos d’un jardin désaffecté. Tout projet de démolition de ces murs s’était heurté, depuis que Viollet-le-duc avait achevé le plus gros œuvre de restauration de Saint-Michel, aux désaccords entre les Beaux-arts, la ville et la préfecture. La cathédrale privée de parvis et d’une porte monumentale digne de son prestige, n’avait pas réussi à s’émanciper de tout ce qui la défigurait.

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    La rue de la lune et l'enclos en 1945

    Le 12 avril 1949, l’architecte en chef des Monuments historiques M. Naudet avait visité la cathédrale et estimé fondées les observations faites sur son état. M. Bourély dressa un rapport à la Commission des travaux du conseil municipal qui reçut un avis favorable. La ville décidait que les baraques contre le mur du boulevard seraient détruites dès que l’on pourrait reloger les personnes qui les occupent.

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    Le 22 juin 1949, sonna l’heure du changement. Le maire Philippe Soum donna le premier coup de pioche symbolique aux murs de Saint-Michel, en présence de Mgr l’évêque, de Mgr Rivière et du préfet de l’Aude. Après le rappel historique de Pierre Embry, le maire rappelle qu’une telle action lui aurait valu autrefois d’être excommunié, au moment la cathédrale va être consacrée. Plusieurs personnes se rendent ensuite dans la sacristie avec Mgr l’évêque et M. Bourely qui a porté un plan du futur square. Où trouver l’argent ? Mgr Rivière voudrait faire transporter les piliers qui sont sur la rue Voltaire comme amorce de la porte de l’Ouest. Le chanoine Sarraute fait observer qu’ils n’ont pas de valeur artistique et que la pierre s’effrite. De plus, ils obligeront à faire une porte démesurée que personne n’a les moyens financiers de bâtir. L’idée de Mgr Rivière consiste à réaliser une porte comme à Saint-Vincent, mais d’abandonner l’ouverture d’une porte au Nord. Il donne volontiers sa sacristie pour y faire les toilettes à la place de celles qui doivent être démolies.

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    Nous apercevons les piliers sculptés dont parlait Mgr Rivière

    En fait, la cathédrale n’a pas de porte. Elle était placée initialement au Nord (rue Voltaire) pour éviter le vent de Cers, mais a été murée par le chapitre au début du XIXe siècle. La petite porte du côté de l’ancienne tour près du commissariat n’était pas suffisante pour les cérémonies comme les sépultures. Quant à celle percée par Viollet-le-duc en attendant un porche fastueux, certains la comparent à l’entrée d’un garage automobile.

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    L'intérieur après le déplacement de la chaire pour permettre l'ouverture de la porte Nord

    La direction des Beaux-arts approuve la réouverture de la porte Nord, avec le déplacement de la chaire, conséquence de  l’aménagement de la Sainte table et la construction à l’Ouest d’une porte digne de la cathédrale. Toutefois, elle ne financera rien car débordée par la reconstruction de nombreux édifices sinistrés par la guerre. Elle promet simplement de rétablir à ses frais, le vitrail des Anges en même temps que les vitraux de Saint-Nazaire à la Cité.

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    © Ministère de la culture

    Détail du vitrail des Anges

    Au mois de septembre, M. Bourély présente le plan d’une porte plus modeste dont le prix n’excède pas 500 000 francs ; le vitrail des Anges est replacé à la fin du mois après avoir retiré trois millimètres de crasse à l’intérieur. Au début du mois d’octobre, la sainte table est déposée et le marbrier commence à daller le sanctuaire. Le roi Carol de Roumanie en visite à la Cité, assiste le 9 octobre 1949 à la messe dans une cathédrale en chantier. Le lendemain, débutent les travaux de la porte et la démolition de la réserve des diacres et des toilettes du chapitre. La porte ne sera pas achevée à temps pour la consécration de la cathédrale le 7 novembre. 

    "Les reliques (St-Nazaire et Celle, St-Paul de Narbonne et Ste-Thérèse) dans un reliquaire entre quatre cierges allumés. L’évêque de Perpignan arrive pour le début de la cérémonie. Un peu de pluie pendant que nous tournions autour de la cathédrale. Moment émouvant : l’onction de la croix à droite du portail qui arrive à hauteur d’homme. La procession des reliques se fait en silence. Monseigneur notre évêque fait la consécration de l’autel. Pendant l’onction de la croix, Mgr fait le geste large d’Urbain II dans la toile de Rivalz. La messe qui suit devait être basse, mais sur la protestation du chapitre elle est chantée, puis sonnent les cloches. Le peuple rapproche du sanctuaire, communions nombreuses. Il est 11h30 ; cela finit en beauté. […] Le soir cérémonie trop grandiose. Avec Monseigneur, les évêques de Perpignan à Montpellier, l’archevêque de Marseille. Torrents de lumière, orgue, trompettes. Le préfet, le maire, les adjoints, onze conseillers municipaux, le colonel, etc. Sermon de Mgr Bernard."

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    La cathédrale après les travaux

    Il faudra attendre le 18 décembre 1949 pour enfin voir la porte de la cathédrale achevée. Six jours plus tard, les portes en bois sont placées avec les ferrures. Quant au futur square (actuel parvis), sa construction sera décidée en conseil municipal le 3 novembre 1950. C’est le 17 janvier 1951 qu’est abattu le mur d’enceinte de Saint-Michel du côté du boulevard ; les travaux du nouveau square débuteront au mois de mars. Le chanoine Sarraute recommande aux ouvriers de mettre de côté toute pierre un tant soit peu moulée. Parmi les vestiges trouvés dans le mur, un chapiteau. Le chanoine Sarraute raconte que le 12 avril :

    « L’électricien qui fait des travaux devant Saint-Michel vient me signaler qu’un bénitier de marbre rouge retrouvé dans les fouilles est en danger. Je le fais savoir à M. Bourély qui ordonne de le mettre de côté. J’y vais moi-même. Ce bénitier a été mis dans le passage au pied de l’église. A midi et demi, M. Bourély vient me voir. Un autre bénitier a été enlevé… par un conseiller municipal. Une pierre portant des armoiries a été mise le long de la rue Voltaire et a disparu ! »

    Ceci témoigne des conditions dans lesquelles furent entreprises les fouilles sur ce secteur à cette époque. Et plus tragiquement, ce qu'il en est advenu...

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    La porte Ouest construite en 1949

    Sources

    Le Républicain / 25 octobre 1949

    Archives manuscrites du Chanoine Sarraute

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  • Jean Cau (1925-1993), le seul Audois a avoir eu le Prix Goncourt !

    Pouvait-on prêter à Claude Lanzmann des idées de la droite nationaliste, lorsqu’il déclara à Laure Adler sur France culture le 28 décembre 2005, que Jean Cau était oublié à tort et que son talent était extrême ? Lorsque le réalisateur de Shoah ne tarit pas d’éloges, celui qui fut écarté des cercles dit « vertueux » des intellectuels parisien après avoir pris ses distances avec la gauche marxiste, c’est sans doute pour d’autres raisons. Des raisons pour dénoncer peut-être l’injustice d’un ostracisme politique, visant à cataloguer une excellente plume en pamphlétaire misogyne et nationaliste. Quel autre totalitarisme idéologique que celui qui sévit encore dans bon nombre de partis, où la brebis au bercail devient une bête féroce lorsqu’il le quitte ! On oublie à dessein le talent et l’on fustige en procès d’intention réactionnaires, la réputation de celui qui a repris avec sa liberté, l’inventaire idéologique de son ancienne chapelle. Jean Cau fit le grand saut…

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    © Jean Loup Sieff

    Né le 8 juillet 1925 à Bram d’un père ouvrier agricole (Etienne) et d’une mère (Rose) femme de ménage, le jeune Cau mène néanmoins l’existence heureuse d’un gamin de sa génération. Chez cette famille laborieuse, on écoute religieusement les discours politiques en faveur de la victoire du prolétariat, relayés par la tante Gilberte Rocca-Cau, député communiste du Gard. Etienne amène son fils dans les meetings de soutien à la cause des républicains espagnols, émigrés dans l’Aude à cause de la guerre civile. A l’école primaire, l’instituteur M. Castel décèle chez Jean Cau de grandes facultés intellectuelles ; il pense que son élève doit poursuivre ses études au lycée et décide d’en parler à son père. « Au lycée ? Cela va me coûter des sous. Il pourrait aller jusqu’à être instituteur mais à part ça, je ne pourrai pas faire l’effort, dit-il. » L’instituteur cherchant à le convaincre, lui fait entrevoir la possibilité d’obtenir des bourses et d’apprendre le latin. « Le latin ? C’est pour devenir curé, renchérit-il. » Finalement, Jean Cau ira au lycée de Carcassonne. Il y fait la connaissance de jeunes de son âge qui deviendront ses amis, comme le futur bâtonnier Clément Cartier.

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    Clément Cartier et Jean Cau, rue de la gare

    Après une licence de philosophie, il monte à Paris et prépare l’Ecole Normale Supérieure au lycée Louis-le-Grand. C’est là que Claude Lanzmann fit la connaissance de Jean Cau qui était, d’après lui, persuadé que pour réussir dans le monde littéraire et intellectuel parisien, il fallait être le secrétaire d’un grand auteur. Alors qu’ils se trouvent tous les deux dans la salle d’étude de Khâgne, Cau écrit devant lui à Camus, Benda, Paulhan, Genet, Cocteau et Sartre. Ce dernier fut le seul à lui répondre ; il lui donna rendez-vous au café de Flore à Saint-Germain-des-près. Sartre sortit un paquet de papiers de sa poche et dit à Cau : « Débrouillez-vous avec ça. » Pendant neuf années (1947-1956), Jean Cau restera au service de Sartre et lui servira bien de souvent de nègre. On pourra lire le portrait délicieux qu’il dresse de l’auteur de Huis clos, dans « Croquis de mémoire » paru en 1985. Au milieu des intellectuels de gauche de ce Saint-Germain-des-près, Jean Cau se trouve un peu décontenancé :

    « Je découvre que tous ces intellectuels étaient tous d’origine bourgeoise, mais qu’ils adoraient le peuple et qu’ils adoraient la gauche. Ils n’ont jamais vu un ouvrier de leur vie, ils ont des domestiques, ils ont des bonnes, mais ils sont de gauche. Ils allaient au peuple parce qu’ils n’en sortaient pas. »

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    Jean-Paul Sartre

    Après avoir quitté Sartre, Jean Cau se désolidarisera progressivement de la gauche. Pas parce qu’elle était archaïque, mais car elle avait trahi ses origines. Il entre dans le journalisme à l’Express aux côtés de Servan-Schreiber et François Giroud où il rédige avec talents des articles sur l’actualité. En 1961, il dénonce les violences contre les manifestants algériens ordonnées par le préfet Maurice Papon, dont on sait aujourd’hui quel fut son rôle dans la déportation des juifs Bordelais. L’année suivante, son enquête sur « L’OAS au lycée » choque une partie des lecteurs. En février 1962, il écrit que les manifestants du métro Charonne sont morts pour rien ; quelques mois plus tard, il signe un papier dans lequel il indique que l’Algérie est ruinée. Cela lui vaudra les désaccords venant de la gauche. Ce sens de la vérité et de la franchise, que selon lui les politiques n’ont pas, il va le payer bientôt. Auparavant, il obtient le Prix Goncourt en 1961 pour son roman « La pitié de Dieu » - écrit en Andalousie - au troisième tour de scrutin à six voix contre deux à Jean-Pierre Chabrol.

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    « La pitié de Dieu ressemblait fort un Huis clos. Jusqu’à l’angoisse qui y prenait la forme toute sartrienne d’une araignée dans le plexus. Le soir, je me souviens, Cau était gai comme rarement. La revanche était belle. Il n’était pas que farouche, évidemment. Ni aussi misogyne que l’ont cru les féministes, qu’il s’ingéniait à irriter. Il poussait le plaisir de déplaire jusqu’à la joie de se faire détester. Ce fut particulièrement vrai avec les intellectuels de gauche, empressés de classer à l’extrême droite fascinante ce traitre qui ne trahissait rien que les mensonges et les ridicules du moment. […] On ne nait pas impunément à quelques kilomètres de la frontière espagnole. Cau est un des grands écrivains andalous de langue française, à la suite de Mérimée, Gautier, Barrès, Montherlant. Il l’a prouvé avec Sévillanes, ses nombreux écrits sur la tauromachie et un de ses derniers livres publiés, Le roman de Carmen. » (Le Monde / 20 juin 1993)

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    Nous l’avons dit, Jean Cau prend ses distances avec la gauche au début des années 1960. Toutefois, le divorce semble vraiment prononcé lors de l’élection présidentielle de 1965 au cours de laquelle il soutient ouvertement le général de Gaulle contre Mitterrand. L’homme du 18 juin le fascinait ; il dressera un portrait de lui dans Croquis de mémoire : « Il m’a plu parce qu’il disait : quand vous avez des problèmes, montez vers les sommets. » On s’aperçoit quand même qu’il ne s’agit pas du refus des idées de la gauche, mais de ceux qui les incarnent car, si Mendès-France avait été candidat de la gauche, il avoue qu’il aurait voté pour lui :

    « Car j’aurais su que je donnais ma voix à un homme qui, avant d’être le candidat de cette gauche, aurait exigé de celle-ci non point des embrassades démagogiques, mais des engagements catégoriques. Je vois l’ombre de Guy Mollet se profiler derrière Mitterrand comme celle d’une vieille sorcière de Goya derrière la mantille de la jeune fiancée. (Le Monde / 4 décembre 1965)

    Jean Cau ne donne absolument pas sa confiance à François Mitterrand « le candidat de la onzième heure rapetassé avec du sparadrap » ou encore dans Lettres ouvertes aux têtes de chiens : « De Gaulle n’aurait pas fait le coup de l’Observatoire »

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    En cette année 1965 sort « Le meurtre d’un enfant ». Cau y évoque un souvenir de l’Occupation ; il y décrit un jeune tankiste SS beurrant sa tartine avec un poignard. La critique aussitôt lui reproche une fascination suspecte. C’est précisément l’époque où le romancier s’est complément affranchi de son passé idéologique : « Il y a des gens qui me demandent si je suis de gauche ou de droite. Je leur réponds que je suis en liberté. Je ne suis pas un militant, mais un aventurier, un voltigeur, un flanc-garde. » En quittant la gauche, Cau était sensé avoir perdu son talent… Peut-être le renvoyait-on à ses origines modestes issu de la province, quand ce Paris parfois se fait plus intelligent qu’il ne l’est au fond de ses bistrots : « Mes ancêtres sont paysans depuis la nuit des temps, et c’est la noblesse de ma lignée et de ma race que nous n’ayons jamais rien acheté et rien vendu. » Il persiste à en vouloir à ses anciens amis de n’avoir pas voulu ouvrir les yeux sur ce qui se passait en Union soviétique : « Je crois que, vraiment, le socialisme et le communisme, de même que le renard la rage, véhiculent le totalitarisme et véhiculent la terreur. » Le divorce allait-il tourner à l’affrontement sur fond de droit d’inventaire ?

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    Marie Bell et Alain Delon dans "Les yeux crevés"

    A la fin de 1967, les représentations de sa pièce de théâtre « Les yeux crevés » qui devait être jouée au théâtre du gymnase doivent être annulée. La comédienne Marie Bell venait de se fracturer le fémur. Elles seront finalement données au mois d’avril 1968 avant que les évènements de mai n’y mettent définitivement fin. Outre Marie Bell et Jacques Dacqmine, son ami Alain Delon faisait aussi partie de la distribution. Dans cette pièce, un ancien pilote de course allemand tue son petit ami italien parce qu’il n’ose pas supprimer avec une drogue, la vieille milliardaire à qui ils servent pour vivre de mari platonique et d’amant œdipien. « Dans les yeux crevés, je dégorge une de mes obsessions de fond et que je suis à la trace dans tout ce que j’ai écrit, que ce soit Les oreilles et la queue, le Meurtre d’un enfant ou le Spectre de l’amour : c’est l’exaltation du rapport entre hommes, face à cette merveille et à ce démon qu’est la femme. C’est l’amitié face à l’amour. L’amitié entre hommes avec tout ce que cela implique de liberté, de richesse de cœur, d’adolescence perdue, de tendresse virile et de cruauté, de fidélité qui, lorsqu’elle est trahie, fait s’écrouler le monde. » Dans Le monde, les critiques de Bertrand Poirot-Delpech se font de plus en plus acerbes à chaque production littéraire de Jean Cau, qui à partir de 1970 se lance des écrits pamphlétaires.

    https://www.youtube.com/watch?v=H44YLQTwcaE

    C’est aussi le moment où il commence à collaborer avec Paris-Match et à s’approcher du G.R.E.C.E ; un mouvement jugé nationaliste dans le style du club de l’horloge mais où l’on rencontre des personnes venues d’univers politiques différents. A partir de cette époque, la pensée de Jean Cau combat l’égalitarisme, qui est responsable, selon lui, du nivellement vers le bas et contraire aux lois de la nature. Pour avoir étudié les archives de la Seconde guerre mondiale, on retrouve exactement cette pensée dans les documents de propagande insufflés aux Franc-gardes de la Milice. Les idées de la Révolution française sont responsables des maux du monde contemporain et de sa décadence. Le Discours de la décadence de Jean Cau sort en librairie en 1978 ; une contradiction à une année près… Une passion pour Che Guevara sort l’année suivante. Cau avait rompu depuis longtemps avec les idées de Sartre et proclamait son admiration à Ernesto Guevara, révolutionnaire marxiste. Son livre se fit immédiatement découper par la critique.

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    « Voir le chantre des bien-pensants s’éprendre du Che Guevara, c’est un peu imaginer Maurras internationaliste ou le pape phonographique. (Le Matin / Christian Deschamps)

    «  Jean Cau aime Che Guevara à sa manière : celle d’un violeur de tombeaux, profanateur de sépultures. (Benoît Rayski / France soir)

    « Jean Cau a voulu rendre le sacrifice du Che acceptable pour un anti-révolutionnaire en le dépouillant de ses intentions et de sa signification politiques, au profit de ses seuls aspects humains. (Poirot-Delpech / Le monde) »

    Poussé par ses amis, Jean Cau entrepris en 1989 de briguer le fauteuil d’Edgar Faure à l’Académie française. A contre emploi, son aventure est racontée dans Le candidat, un ouvrage posthume préfacé par Alain Delon. C’est Michel Serres qui fut élu le 29 mars 1990 ; Jean Cau s’était certainement fait suffisamment d’ennemis pour ne pas être autorisé à entrer sous la coupole. A commencer sans doute dans les alcôves par le président Mitterrand et plus certainement par Bertrand Poirot-Delpech, le journaliste du Monde devenu académicien en 1986.

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    La tombe de Jean Cau à Carcassonne

    Le vendredi 18 juin 1993, Jean Cau s’éteignit à Paris des suites d’un cancer. A ses obsèques à la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne, on comptait une cinquantaine de personnes dont le maire Raymond Chésa. Il fut ensuite inhumé au cimetière de La conte, où il repose depuis maintenant vingt-sept ans. Le 30 juin 1994, le conseil municipal donnait son nom à l’emplacement de l’ancien abattoir, où Raymond Chésa comptait bien construire des arènes. Aujourd’hui, l’espace Jean Cau accueille notamment les spectacles taurins auxquels le romancier vouait une grande passion.

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    Dernièrement Fabrice Lucchini reprenait des textes de Jean Cau dans son spectacle Des écrivains parlent d'argent. Un monologue arrêté par la crise sanitaire actuelle. Dans l'Aude, Jean Cau reste une bête immonde qu'il faut tenir absolument à l'abri des lectures. Ce fils de paysan audois ramena pourtant le seul prix Goncourt du département, mais de cela on n'en a cure ici.

    On pourra entendre ci-dessous Jean-Pierre Daroussin

    https://www.lairedu.fr/media/video/conference/extrait-dun-portrait-de-de-gaulle-par-jean-cau-lu-par-jean-pierre-darroussin/

    Distinctions

    Prix Goncourt 1961 / La pitié de Dieu

    Prix de l'Académie 1980 / Nouvelles du paradis

    Prix Gustave Le Métais-Larivière 1985 / Croquis de mémoire

    Sources

    A voix nue / France culture / 28 décembre 2005

    Alain de Benoist / Ce que penser veut dire / Ed. du Rocher

    Archives du journal Le Monde

    Ina / Radioscopie / Jacques Chancel

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