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Fêtes et traditions

  • Les chevaliers de la Désœuvrance, d'Honoré de Balzac à Carcassonne...

    Avant la Révolution nul ne pouvait aller chercher sa fiancée au-delà du Pont vieux sans avoir, au préalable, indemnisé les jeunes gens de ce faubourg de la perte qu’ils allaient faire. Cette indemnité une fois payée vous donnait le droit d’aller fringuer, c’est-à-dire fréquenter des filles, à la Barbacane et à la Cité. La Trivalle était donc un lieu consacré par l’usage, elle était une limite qui ne pouvait se franchir qu’au son de quelques pistoles. En 1780, de jeunes et nobles officiers du régiment de Vermandois tenaient garnison à Carcassonne. Pensant que les filles de la Trivalle étaient gens taillable et corvéable à merci, franchirent un jour la zone sans payer le droit et firent admirer, dans la large rue Trivalle, leurs moustaches et leurs éperons. Injonction de payer d’une part, refus de l’autre ; les officiers voulurent s’affranchir de cet ordre arbitraire.

    Les jeunes gens de la Trivalle plantèrent à l’extrémité du pont un des leurs, qui, bâton à la main, barra le passage aux galants. Ces derniers tentèrent de forcer la barricade, mais le colosse la défendit si bien qu’il blessa les plus hardis. Sans l’intervention du colonel et du premier consul, l’issue aurait pu devenir sanglante. Quel colosse avait pu ainsi s’opposer à toute une armée ? C’était un jeune homme de 18 ans, ratineur de draps de son état, futur dignitaire de l’Empire : Le général Gros. Cet illustre militaire est un enfant du pays ; il a été l’un des plus fameux soldats de Napoléon 1er. Il a combattu à Eylau et fut blessé à de nombreuses reprises avec les grenadiers de la Garde à cheval. Gros savait à peine lire et parlait mal le français. « C’est à coup de sabre qu’il parle bien à l’ennemi, disait de lui Napoléon. » A 15 ans, il se mouchait encore avec la manche.

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    Portrait du général Jean-Louis Gros

    Au début de la Restauration, quelques jeunes gens, retirés du service, voulurent rééditer le tribut en question et donnèrent, sous le nom de Désœuvrance, bien du fil à retordre aux régiments en garnison à Carcassonne. Ce tribut est fort heureusement tombé en désuétude, mais il alla de pair avec les querelles entre habitants de la Trivalle et militaires à propos des jeunes filles délaissées. C’est l’histoire des duels…

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    Le tir Vidal sur des terrains en friche, face à la statue Barbès

    Il y avait dans le collège un professeur spécial qui apprenait, disait-il, à tuer proprement. Le terrain vague qui se trouvait au sud de l’emplacement de la statue Barbès était une école. Une bicoque en planches la figurait, une cible l’ornementait, partout des fusils et des mousquets. C’était le tir Vidal. Cet homme, surnommé Parpaillol, était très adroit au pistolet. A dix pas, il faisait sauter une pipe de la bouche d’un fumeur, et la confiance qu’il inspirait était si grande que l'on voyait des amis vouloir lui servir de cible. Un Carcassonnais raconte que c’est chez lui qu’il connut Vassal, vers 1830 :

    « Béteille et Daressy, deux noms connus en escrime, complétaient notre éducation des armes et nous mettaient à même, sans nous rendre querelleurs, de ne jamais refuser une partie d’honneur ; je dis honneur, parce que je suis convaincu que les duels ont contribué à la civilisation et au respect des convenances. Ce fut le cas de Marcou. Au début de sa carrière, il se mesura avec un autre journaliste, à l’épée, et le blessa. Un peu plus tard, vers 1848, il cassa la jambe à un adversaire qui lui faisait des misères. 

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    En 1825, le 17e régiment de chasseurs tenait garnison à Carcassonne. Alors régnait aussi en maîtresse dans la ville cette Désœuvrance qui n’ayant pu, grâce à la paix, jeter son ardeur sur les champs de bataille, s’entretenait la main par des duels. C’étaient des rencontres journalières avec les maîtres ou prévôts dudit régiment et toujours nos compatriotes avaient le dessus ; de là, cette réputation à l’adresse des Carcassonnais, d’avoir mauvaise tête et bon poignet. L’oeil faisait aussi son office, comme vous allez le voir. Parmi les jeunes gens de la Désœuvrance se faisait remarquer un officier licencié, nommé Vassal, celui-là même que j’avais remarqué chez Vidal. Il était beau garçon, généreux, plein de qualités et n’avait d’autres défauts que ceux d’aimer bien sa famille et de faire sauter au tir le grenadier douze fois sur douze. Un brillant officier du 17e, le capitaine-adjudant-major de Cernay, issu d’une aristocratique famille du Nord, fit la cour à la sœur aînée de Vassal et la rendit mère. Désespoir des parents, intervention de Vassal, arrangement impossible, duel, duel au pistolet. Le capitaine était de première force à cette arme. Le lieu du combat fut l’Île, alors en friche et plantée seulement d’arbres séculaires. Le sort favorisa de Cernay qui tira le premier, Vassal eut son chapeau emporté par la balle.

    • Capitaine, cria Vassal, sans être ému voulez-vous épouser ma sœur ?
    • Non, répondit le capitaine.
    • Voyez-vous cette feuille de platane, reprit Vassal, elle va tomber sous ma balle. Voulez-vous épouser ma sœur ?
    • Non
    • Alors vous êtes mort, mugit Vassal en prenant un autre pistolet des mains d’un témoin, et le malheureux de Cernay tomba foudroyé par une balle en plein front.

    Ce duel fit grand bruit et occasionna beaucoup de rencontres, on fut obligé de faire partir le régiment dont la Désœuvrance décimait les officiers.

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    « Les chevaliers de la Désœuvrance » se retrouvent dans le roman de Balzac La Rabouilleuse. L’auteur évoque le cas de jeunes désœuvrés dont la déchéance est le fruit de la Révolution et des guerres bonapartistes. En 1816, après la fin de l’Empire, ces jeunes oisifs formèrent une bande réalisant des farces plus ou moins douteuses. A Carcassonne, cette Désœuvrance exista donc et amena dans la ville bien des tracas avec les militaires. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’un ancien bonapartiste ait exécuté un aristocrate au pistolet. C’est l’absence de perspectives et de valeurs qui entraînaient ces gens vers « la somnolence sociale », telle que la définit Honoré de Balzac. Les époques changent, les mœurs demeurent.

  • La visite du poète provençal Frédéric Mistral à Carcassonne

    La première fois que le célèbre poète provençal vint à Carcassonne ce fut le 11 mai 1893 à l’occasion de la Sainte-Estelle. Frédéric Mistal avait mis le mouvement félibrige sous le patronage de la sainte dont il avait latinisé le nom. D’après lui, « tels les rois mages reconnaissant par là l’influx mystérieux de quelque haute conjoncture, nous saluâmes l’Etoile qui présidait au berceau de notre rédemption. (Mémoires et récits, 1919) »

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    Sous les vivats de la foule massée depuis la mairie jusqu’au pont Marengo, apparurent à 14h45 Frédéric Mistral et Félix Gras, fraîchement descendus du train. La délégation qui accompagnait le Grand-maître du félibrige et le Capoulié n’en était pas moins impressionnante : Paul Mariéton (Grand Chancelier), Amairetti, Valère Bernard, Huot, Joseph Gauthier, Jean Mouné, Charles André, Marius André, Alexis Mouzin, Bouvet, de Baroncelli, Jouveau, Rochetin, Mlle Marie Girard, Marius Girard, Chausroux, Blavet, Chabrier, Sarran, d’Alard, Henri Bigot, Rémy Marcelin, de Valette, Redonnel, Augé, Mlle Fournel, Messine, Fernand Troubat, Georges Troubat, Bécanne, Marsal, Fournel, Dezeuze, Combalat, Roche, Carlier, Aymar, Pourquier, Loubet, Mme Redonnel, Mme Souques, Clément Auzière, Artozoul, Chabal, Hilarion de Roux, Pascal Borel, Constans, Rodolphe Martin, Xavier de Fourvières, Mme Périer, Gabriel Perrier, Maurice Raimbault, Joseph de Valette, Euclide de Carli, Joseph Soulet, Rottner, Brissaut, Court, de Malafosse, Jean Castelar, Prospère L’Eté, Junior Sans, Donadieu, Antonin Perbosc, Charles Ratier, Damton, Cazelles.

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    La gare et le pont Marengo

    Parmi ces personnes, il faut ajouter la présence de Charles Maurras qui à cette époque ne faisait pas encore de politique sous la bannière de son journal royaliste « L’Action française ». Si parmi les félibres, quelques exceptions républicaines comme Félix Gras émergeaient, une majorité vouait une certaine nostalgie - pour ne pas dire plus - en faveur de la monarchie. Beaucoup de ces familles se rangeront, au moins au début, derrière le maréchal Pétain, sa Révolution nationale et le rétablissement des anciennes provinces d’avant 1789. Tout ceci avec comme carotte, la reconnaissance de la langue et des coutumes languedociennes. Ceci est un autre débat…

    Les représentants des associations savantes de Carcassonne furent les premières à saluer Mistral : Germain Sicard, président de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude ; MM. Desmarest et Coste pour la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne et enfin, l’Escola Audenca avec MM. Jourdanne et Gourdon, pharmacien à Alzonne.

    Tout ce monde défila derrière une bannière au son de la musique du 15e de ligne vers l’Hôtel de ville, où devaient être rendus les honneurs à Mistral et à sa délégation. En l’absence du maire Antoine Durand retenu chez lui par la maladie, c’est son premier adjoint M. Maure qui prit la parole. Un vin d’honneur arrosé de Blanquette de Limoux clôtura les discours.

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    Ancien café Maymou, aujourd'hui Brasserie Putelat

    Un premier concert donné par la musique du 15e régiment de ligne fut exécuté en présence de Mistral à la terrasse du café Maymou, près du portail des Jacobins. On joua la Marche Chinoise du compositeur Carcassonnais Armand Raynaud, alors chef d’orchestre au Capitole de Toulouse. 

    Le soir à 20h30 c’est l’Harmonie Sainte-Cécile qui interpréta au kiosque du square Gambetta, des extraits de Mireille de l’opéra Charles Gounod, d’après l’œuvre de Frédéric Mistral.

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    Gaston Jourdanne

    Une conférence sur l’histoire de la Cité depuis sa fondation jusqu’à aujourd’hui attira un grand nombre de personnes de la belle société aristocratique. C’est l’ancien maire Gaston Jourdanne devenu historien qui officia avec grand talent. La rappel de l’Aude regratta néanmoins que l’érudit « ait dû pour se concilier les sympathies des organistes et des réactionnaires des deux sexes fort nombreux dans la salle, a cru devoir faire une incursion politique et exprimer quelques regrets à la louange de l’Ancien Régime ; il a même essayé d’innocenter le pauvre Innocent III des massacres de l’Inquisition ! »

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    Vestige de l'ancien cloître

    Dans l’ancien cloître attenant à l’actuel Grand théâtre, sous une immense tente richement décorée, se tint le banquet auquel prirent place 150 convives. Tout à la gloire du félibrige et de son éminent représentant, des écussons entouraient des inscriptions comme celle-ci, au milieu du buste de Mistral.

    Un pople que laisse toumba

    La lego et les us de si paire

    Nous merito que de creba

    Drin-drin coumo los reirès

    Lou soulel nous fa canta

    (Un peuple qui laisse tomber la langue, ne mérite que de crever. Drin-drin comme les rires, le soleil nous fait chanter)

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    Mistral par Charpentier

    Plus loin, une inscription patriotique disait ceci :

    Ame moun vilage mai que tout vilage

    Ame ma proubenço mai que ta provinço

    Ame la Franço mai que tout

    (Aime mon village plus que ton village. Aime ma Provence plus que ta province. Aime la France plus que tout.)

    Cette manifestation culturelle se termina par la représentation de l’opéra Mireille de Gounod au théâtre de la Cité, comble pour l’occasion. Au lever du rideau, on entendit M. Noé Cadeau chanter « Lé poutou », chanson languedocienne bien connue en son temps. Madame Vaillant-Couturier et M. Bellordre, furent très convaincant dans le rôle de Mireille et de Vincent. Ainsi se termina cette journée de la fête annuelle de Sainte-Estelle.

    Frédéric Mistral reviendra à Carcassonne incognito les 18 et 19 octobre 1893 pour visiter son ami Achille Mir chez lui, à la Manufacture de la Trivalle. La rue Frédéric Mistral fut dénommée ainsi en 1934, après l'ouverture d'une voie entre les rues Clémenceau et Armagnac. C'est à M. Toulzet père que nous devons cette idée.

    Sources

    Le rappel de l'Aude / 12 mai 1893

    Autour du centenaire Mistral / Jean d'Atax (J. Amiel)

    La revue méridionale / Novembre 1893

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  • Le carnaval qui ne s'était pas mis sur son 31

    En 1931, les Carcassonnais si prompts à faire la fête n'avaient pas tout à fait le cœur à l'ouvrage... Le pays ressentait vivement les conséquences de la crise économique de 1929 engendrée par l'énorme crack boursier. Alors, les organisateurs allaient jouer sur cette thématique pour tenter de conjurer le mauvais sort. Le propre d'un carnaval n'est-il pas de rire des malheurs de l'actualité politique ? Déjà, avaient-ils changé l'intitulé du comité des fêtes en "Fêtes de charité". Tout un programme... Néanmoins, sous la présidence de Faustin Farges et Louis Rigaud, la "Société de bienfaisance et de charité" mettait un point d'honneur à organiser un mois de réjouissances, du 14 février au 15 mars. Tout n'était durant cette période que Corso fleuri, défilé carnavalesque à Saint-Gimer, bals, concerts... Que de concours ! Celui des chars et des voitures fleuries pouvait faire gagner jusqu'à 8000 francs de prix. Celui des plus beaux travestis jusqu'à 1500 francs et de nombreux lots offerts par les commerçants locaux. Ne nous y trompons pas ; tous les commerces jouaient le jeu et prenaient une publicité dans le programme des festivités. Le dernier jour, Sa Majesté Carnaval était brûlée  au Portail des Jacobins, après un jugement des plus fantasques.

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    Sa Majesté Carnaval XII n'avait pas la tête des beaux jours. Vêtu d'une blouse bleue et de chaussettes noires, son allure était pitoyable. Il a l'air abattu devant l'entrée d'une banque qui lui a tout pris. En occitan, on peut lire "Banco routo" (Banqueroute), ce qui signifie que la faillite a été frauduleuse. Sur la grille, le mot "Estampat" prend ici une double idée... "Es tampat" séparé veut dire "C'est fermé. "Estampat" attaché veut dire "Trompé, abusé". Le message politique est clair et le responsable clairement désigné.

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    Sur le programme dessiné par le caricaturiste Dantoine, membre du comité, ont voit un colombin de Limoux en train de réconforter le paysan ruiné. Toujours devant la banque, il se lamente sur son triste sort :

    L'argen couflabo moun débas dé lano

    Eri coussut

    Es déscouflat moun débat dé lano

    Lé Bansuié ès bengut

    "L'argent gonflait mon bas de laine ; il était cossu. Il est dégonflé mon bas de laine ; le banquier est venu."

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    Place Carnot devant la pharmacie Sarcos

    Collections

    Charles Camberoque

    Martial Andrieu

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