La vente de la filature de draps de l’île, de terrains et des bâtiments du Moulin du roi par les héritiers d’Edouard Vié en 1860 avait dispersé l’ensemble des biens entre de nouvelles mains. En bordure du béal sur le bras droit de l’Aude, des minoteries s’installèrent tirant partie de la force hydraulique afin d’extraire la farine selon les procédés mécaniques les plus modernes. Jean Maymou (1849-1911) y créa une miroiterie-boulangerie dans la seconde moitié du XIXe siècle qui devint progressivement la plus importante de la ville. Elle dut néanmoins affronter à plusieurs reprises les tourments d’un fleuve déchaîné par les désordres de la météo. Ainsi par exemple, lors de la terrible inondation de 1891, toute la minoterie fut emportée sous les eaux avec charrettes et chevaux. Le propriétaire subit des pertes matérielles énormes mais parvint tout de même à se relever du désastre.
Jean Maymou en haut des escaliers avec le canotier
Le succès de l’entreprise de Jean Maymou n’allait pas sans susciter des jalousies et des rancœurs parmi ses concurrents qu’elle accusait de sous peser le pain mis à la vente. Ce proche d’Antoine Durand qui figurera sur la liste républicaine progressiste contre Jules Sauzède, obtint du maire qu’il prît le 6 décembre 1890 un arrêté municipal afin de poursuivre les fraudeurs. La menace n’ayant pas eu les effets coercitifs attendus pour stopper la pratique, Jean Maymou fit publier une lettre dans le Rappel de l’Aude et le Petit méridional le 21 février 1892. Dans celle-ci, il s’en prend à ses concurrents qu’il accuse de vendre du pain sans le peser et ainsi de tirer un bénéfice sur les miches portées à domicile.
"Vous vous rappelez n'est-ce pas que quelques kilos de pain furent achetés chez certains boulangers, où il manqua 160 grammes par kilos. Sur les 300 kilos de pain qu'ils fabriquent, ils en font avec le poids exact, qu'ils ont bien soin d'étaler sur leurs étagères, ceux-là sont vendus chez eux. Les 280 restants, qui ne font pas le poids, bien entendu, sont portés à domicile et le tour est joué."
La réponse des 49 boulangers de la ville réunit en syndicat ne se fit pas attendre. Elle envoya Jean Maymou et les journaux devant le tribunal pour dénonciation calomnieuse. Le 8 avril 1892, il fut condamné à payer 50 francs d’amende, plus la moitié des frais de justice.
Le Moulin du roi avant l'incendie de 1917
La même année, l’usine de l’île, propriété des Anglais, fut ravagée par un incendie et les ouvriers se retrouvèrent sans travail. La boulangerie Maymou se porta aux secours des sinistrés sans le sou, en leur octroyant un crédit pour qu’ils puissent se fournir en pain. Une telle sollicitude fut communiquée dans le journal en précisant que la concurrence n’avait pas voulu s’aligner sur la générosité de la boulangerie Maymou. Faut-il donc s’étonner qu’un jour passant devant la caserne, Jean Maymou ait été attaqué physiquement ? Il ne dut son salut qu’à l’appui de cavaliers du 17e dragons volant à son secours.
Là où la boulangerie Maymou faisait dix à douze fournées par jour, ses concurrents n’en produisaient que deux. Doté d’un personnel et de voitures circulant en ville, elle pouvait se permettre de ne pas augmenter le prix du pain et de faire crédit. La concurrence, aidée d’un apprenti qu’elle ne payait pas ou de la patronne, réussissait à faire des bénéfices grâce à la main d’œuvre malgré seulement deux fournées. Jean Maymou réalisait 23,92 francs par fournée ; les autres boulangers 27,92 francs par fournée avec un seul ouvrier. Ce procédé n’a guère changé de nos jours, où des boulangeries qui ont de gros coûts de fonctionnement et de main d’œuvre sont rentables grâce à la quantité de pain produite.
Après le décès de Jean Maymou en septembre 1911, puis de sa veuve Marie Tournier sept ans plus tard, les époux Lavie hériteront de la minoterie. Au Moulin du roi, ils sont encore quatre minotiers à la veille de la Seconde guerre mondiale : Guilho, Cals, Borrel et Lavie. Au Moulin neuf, près du Pont vieux, se trouve Armengaud. Après la Libération et jusque dans les années 1960, il n’y aura plus que Boutteville associé à Blanchard.
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