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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 95

  • La fabuleuse collection de la famille d'André Chénier, léguée à la ville de Carcassonne

    Les ancêtres du poète André Chénier étaient originaire de Carcassonne, au moins depuis le milieu du XVIIe siècle. Sur ce point, nous avons voulu augmenter la recherche généalogique qui avait déjà été réalisée, notamment par Henri Sivade. Cette présentation permettra au lecteur de mesurer l'étendue et l'importance de la collection léguée à la ville de Carcassonne par cette illustre famille.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    André Chénier

    Pierre Chénier, s’est fixé à Carcassonne avant 1668. Son fils Guillaume (1684-1747), Carcassonnais par sa mère et par sa naissance, épouse vers 1720 Catherine Garrigue de Limoux. Le ménage va alors résider à Montfort-sur-Boulzane dans l’Aude. De cette union, naîtront Germain et Louis, qui sera un jour le fils du poète bien connu.

    Acte de Germain Chénier, frère aîné de Louis : "L’an 1721 et le vingt-sixième du mois de février ait baptisé un enfant de Monsieur Guilhaume Chénier, natif de Carcassonne, et de demoiselle Catherine Garrigue, native de Limoux, mariés, né le vingt-deuxième jour dudit mois."

    Acte de Louis Chénier, père d’André : "L’an 1722 et le quatrième jour du mois de juin, ai baptisé un enfant de Monsieur Guilhaume Chénier et de demoiselle Garrigue, mariés, né le troisième jour dudit mois. On lui a donné le nom Louis."

    legs chénier

    Montfort-sur-Boulzane (Aude)

    Guilhaume Chénier, père de Germain et de Louis, l’était aussi d’une fille, Marie (†1800) qui épousa André Béraud. C’est chez sa tante, rue Pinel à Carcassonne, que le jeune André Chénier passera au moins six ans de sa vie à prendre les leçons du sieur Jean-Pierre Cyrille Sélariès. Ce fait est attesté par les recherches entreprises par Achille Rouquet pour retrouver la demeure exacte.

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    La plaque au-dessus de la maison, rue Pinel

    Guillaume Chénier avait une sœur, Marie-Anne, qui épousa Pierre Vallon, marchand drapier à Carcassonne ; elle mourut à Montpellier le 23 décembre 1749. Par son testament, du 17 juillet 1747, elle s’exprima ainsi : « J’ay réfléchi et veux que si je décède à la ville de Carcassonne, mon corps soit enseveli dans la paroisse de Saint-Michel et dans la sépulture de feu mon père. » Ce père de Marie-Anne et Guilhaume, grand-père de Louis et arrière-grand-père d’André, se nommait Pierre Chénier. Il avait épousé le 14 mai 1668 à Carcassonne, Marie Ricardou, fille d’un marchand de cette ville. Il y mourut le 30 janvier 1702 et y fut inhumé ainsi qu’il résulte du testament précité, au cimetière Saint-Michel, sur l’emplacement duquel s’étend aujourd’hui le boulevard Barbès. Il serait né dans le Poitou.

    La preuve de ce que nous avançons se trouve dans deux actes. Le premier, dressé le 17 février 1727 par maître Bélichon à Carcassonne, révèle que M. Vallon reconnaît avoir reçu de son épouse, Marie-Anne Chénier, la somme de 1200 livres, provenant de la succession de Ricardou Marie, sa mère, veuve de Pierre Chénier. Le second, un testament de Marie-Anne Chénier, contient le passage suivant : « Je donne et lègue à Guillaume de Chénier, mon frère unique, la somme de 500 livres… » Ceci prouve bien que Marie-Anne et Guillaume étaient les enfants de Pierre Chénier et de Marie Ricardou.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Portrait d'André Chénier par Cazes fils / 1773

    Après la mort de son mari Louis Joseph Gabriel de Chénier (1800-1880), neveu d’André Chénier, son épouse Adélaïde Frémaux désire prendre des dispositions testamentaires afin de léguer une grande partie des œuvres d’art, objets, livres et archives de la famille à la ville de Carcassonne.  Tout ceci à condition qu’elle puisse en conserver une partie jusqu’à sa mort. Les intentions sont annoncées dans un courrier par M. Mazières, habitant à Bagnoles dans l’Aude au Conseil municipal le 14 mai 1880.

    Monsieur le maire,

    La famille Chénier ou de Chénier, avec ou sans particule (car l’aïeul Pierre Chénier, décédé à Carcassonne le 30 janvier 1702, est qualifié d’Ecuyer (en latin : Sentifer), qui était un titre de noblesse, dans tous les actes de l’état civil le concernant. La famille de Chénier, dis-je, se regardais et doit être regardée comme appartenant au département de l’Aude. Cette famille vient de s’éteindre en la personne de Gabriel de Chénier, chef de bureau de la justice militaire en retraite, neveu d’André et de Marie-Joseph, décédé à Jouy-en-Josas, près de Versailles, dans 80e année laissant une veuve, Madame de Chénier, au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous écrire.

    Madame de Chénier, pour accomplir le vœu de son mari, désirerait faire don à la ville de Carcassonne de la bibliothèque de famille, comprenant les livres d’André que la famille conservait comme des reliques, des livres de Marie-Joseph, des livres de leur père et les livres de son mari. Le nombre de ces volumes est de 1400 à 1500.

    Monsieur de Chénier, aurait désiré que la ville voulut accepter en même temps de faire place dans son musée aux portraits des derniers membres de sa famille. M. de Chénier pensait qu’en faveur du don de la bibliothèque, la ville accepterait les portraits. Madame de Chénier m’écrit qu’elle fait faire l’inventaire de tout ce qu’elle veut donner à la ville et sur lequel elle indiquera ce qui appartenait soit à André, soir à Marie-Joseph, soit à leur père, à leur mère, la grand-mère de M. Thiers et au frère de leur mère, soit à son mari. Mais il y a du volume et objets dont elle ne peut pas se séparer tant qu’elle vivra et qui n’entreront en possession de la ville qu’après sa mort. Tout sera catalogué y compris les livres et objets ci-dessus, leur désignation sera marquée d’une croix. Ce qui n’y portera pas cette marque entrera immédiatement en possession de la ville ; le reste y rentrera, comme je l’ai dit, à la mort de la donatrice.

    J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir consulter le Conseil municipal au sujet de ce don. 

    Je suis un parent éloigné de la famille de Chénier, au même degré qu’il en existe à Carcassonne ; seulement j’ai eu l’occasion de me trouver en relation avec Madame de Chénier à cause d’objets que le père d’André et de Marie Joseph avait mis en dépôt dans notre maison maternelle, quand il fut se fixer à Paris pour l’éducation de ses enfants.

    Le 7 juin 1880, le conseil municipal fait savoir qu’il accepte la proposition de Madame Chénier. Un inventaire est dressé et la ville entre en possession immédiatement des objets envoyés par la donatrice le 24 juin 1880. D’autres livraisons, notamment de tableaux, devaient rejoindre Carcassonne mais les tribulations politiques du conseil municipal en retardèrent la réception. A cette époque, la gestion de la ville avait été confiée à Jean-Pierre Calvet en raison de des démêlés judiciaires de Gaston Jourdanne pour fraude électorale. Tant que Calvet ferait office de maire, ils n’accepteraient pas la donation :

    Monsieur,

    Le maire de Carcassonne a proposé au Conseil municipal, à deux reprises différentes, d’accepter trois tableaux que la famille Chénier offre à la ville. La majorité du Conseil municipal connaît trop bien la gloire littéraire que le grand André Chénier a laissé dans les annales de la Révolution française pour ne pas être profondément touché de ce don. Elle sera très heureuse de l’accepter ; malheureusement des circonstances particulières l’obligent à refuser tout ce qui est proposé par l’intermédiaire du maire actuel.

    Dans ces conditions elle s’est vue obligée de refuser provisoirement l’offre qui lui est faite. Elle prie la famille Chénier d’agréer ses remerciements les plus sincères, et lui demande de vouloir bine attendre, pour l’acceptation des tableaux, que la crise municipale ait pris fin. Elle sera fière alors de rendre à notre immortel compatriote et à sa famille la place qui lui est due dans la ville de Carcassonne. 

    Le testament déposé le 22 janvier 1886 chez Me François Ernest Merlin à Paris désigne Charles Picard comme légataire universel. Au moment du décès d’Adélaïde Chénier née Frémaux le 2 avril 1892, la mairie de Carcassonne prend connaissance du legs dont la commune va bénéficier.

    Je lègue à la bibliothèque de la ville de Carcassonne (Aude) tous les livres de la bibliothèque qui me restent de mon mari et que je me suis réservés jusqu’à ma mort dans la donation que j’ai faite de mon mari, Louis Joseph Gabriel de Chénier, de la plus grande partie dont se composait sa dite bibliothèque et que j’envoyai à la ville de Carcassonne.

    Je lègue au Musée de la dite ville, outre les portraits de la famille de Chénier et les objets qui lui appartiennent et qui ont déjà envoyés en même temps que les livres, à la suite ci-dessus indiquée (24 juin 1880), le portrait peint à l’huile de Marie Joseph de Chénier ; le portrait aux crayon rouge et noir d’une jeune grecque amie intime de Louise de Chénier, ce portrait en pied représente la jeune femme de profil, couchée sur un divan et lisant. Et pour que la ville de Carcassonne conserve les images des derniers représentants de la famille Chénier, je lègue au Musée de la dite ville le portrait en pied de M. Gabriel de Chénier dans son costume de chef de bureau de la justice militaire, qui a été photographié au commencement de l’année 1864, et celui de notre cher fils unique : Paul Emile de Chénier, également photographié en pied et qui fait pendant à celui de son père ; puis les deux petits portraits de mon mari, le représentant lisant, et qui furent photographiés au commencement de l’année 1876. Enfin, pour accomplir un désir de mari qu’il avait exprimé, de ne pas séparer mon portrait de jeune femme des leurs, dans le don que nous ferions de nos images (nos amis intimes nous appelaient autrefois le trio inséparable), je lègue donc aussi au musée de Carcassonne, le dit portrait peint à l’huile, composé et exécuté par moi, mais retouché par mon vénérable maître.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Adélaïde Elisa Chénier, née Frémaux par elle-même

    Je joins à ce don la copie que j’ai faite au Louvre des Noces de Cana, d’après le tableau de Paul Véronèse. Je lègue encore au musée le petit contenu de couteau de chasse de M. Louis de Chénier, sur la lame duquel sont gravées des constellations dorées ; puis la ceinture grecque de M. Louis de Chénier, sur cette ceinture en satin blanc est brodée une branche de grenadier avec ses fleurs.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Je veux que les décorations de mon mari avec les brevets soient aussi envoyées au musée de Carcassonne, ainsi que les décorations de son père, Sauveur de Chénier.

    La collection donnée par Madame veuve de Chénier comprend 1650 volumes ; elle renferme de nombreux ouvrage de jurisprudence, un ensemble remarquable de classiques grecs et latins, édités et annotés par les soins des savants les plus affirmés, des œuvres imprimées des membres célèbres de la famille Chénier : Tacite (Elzévir de 1762) en 2 volumes ; le Virgile (Jacques Hack à Leyde et Abraham Wolfgang en 1680) en 3 volumes ; le Tite-Live (Elzévir de 1679) en 3 volumes ; le Stace (Jacques Hack, 1671). Ce dernier porte une note manuscrite d’André Chénier à la page 301. Le Télémaque en édition stéréotype de Didot (ANVII de la République), que Marie-Joseph offrit à André à l’âge de dix ans pour le récompenser de ses bonnes notes au collège.

    71 volumes ont appartenu à Marie-Joseph de Chénier ; ils sont remarquables.

    33 volumes proviennent de bibliothèques célèbres, où sont illustrés de précieux ex-dono.

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    © Feue la Bibliothèque munici pâle de Carcassonne

    Lettre d'André Chénier à son père depuis Londres

    René Descadeillas - ancien conservateur - dans son ouvrage « La bibliothèque municipale de Carcassonne » publié en 1970 écrit : « Il n’existe par le monde qu’un très petit nombre d’écrits autographes d’André Chénier. La bibliothèque municipale de Carcassonne en possède 15.

    4 lettres adressées de Londres par André à son père Louis Chénier, à Paris, datées des 21 avril 1789, 19 janvier 1790, 29 janvier 1790, 5 mars 1790.

    5 lettres de Rouen, également adressées à Louis Chénier, datées de l’année 1792 : 13 septembre, 15 septembre, 29 septembre, 2 octobre et 10 octobre. Il s'agit de lettres adressées à son père, au moment où André Chénier risque d'être inquiété.

    1 lettre datée de Paris, le 28 octobre 1792. Il s'agit d'un courrier à J.L Brodelet

    1 billet daté « ce lundy », qu’on rapporte à l’année 1793

    1 lettre datée de Versailles le 1er octobre 1793

    1 note dont le quart inférieur droit a disparu

    2 notes de lecture qui avaient été fixées aux pages dans le Properce d’André Chénier.

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    © Feue la Bibliothèque municipale de Carcassonne

    Billet de Voltaire à Madame de Chénier provenant du legs Chénier qui était conservée dans feue la Bibliothèque municipale de Carcassonne, transféré certainement à l'Agglo.

    Dans un journal de 1892, il nous est précisé 2 autographes de Daunou et une copie d’Œdipse à Colonne, de Ducis, écrite par l’auteur lui-même. Une description faite par André Chénier de la prison de Saint-Lazare, des autographes de Lavater, des autographes de Florian, de Niemcewitz, poète polonais, du comte et de la comtesse Alfiéri, de Stanislas roi de Pologne, correspondance des principaux membres de la Convention nationale, un portrait de Mirabeau d’après un masque du tribun, lettre de Louis de Chénier à Pierre Vallon (Octobre 1746), etc.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Madame de Chénier en costume grec

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Madame Louis de Chénier, née Lhomaca

    A tous ces dons indiqués dans le testament et qui ont enrichi le musée des Beaux-arts de Carcassonne, Madame de Chénier également adressé à la ville :  Un médaillon d’André et un buste de Marie-Joseph, plâtres bronzés, donnés à M. Gabriel de Chénier par David d’Angers, auteur de ces œuvres ; une gravure, souvenir d’un voyage en Suisse fait par André ; deux tableaux peints par Cornélis de Vos en 1601 (Combat de Grecs et de Turcs) et une tête d’étude sans nom d’auteur, rapportés d’Italie par Louis Sauveur de Chénier.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Louis Sauveur Chénier

    Un tableau de J. Ribéra (1588-1656) nommé « Saint-Pierre », deux gravures coloriées, don national de la République Helvétique à Marie-Joseph ; petit couteau de chasse de Louis Chénier ; l’épée de cérémonie d’André Chénier achetée à Londres ; le sabre de son oncle, J-B L’Homaca, 1er drogman à Alexandrie, lors de l’expédition d’Egypte.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Sabre Ottoman de J-B Lhomaca, oncle d'André Chénier

    Dans cet article, nous avons tenté de synthétiser le mieux possible les informations que nous avons recueillies depuis 1880 jusqu'à aujourd'hui. Des objets recensés en 1892 ont pu disparaître quand le Musée des Beaux-arts était ouvert aux quatre vents juste après l'Occupation, ou bien lors du désastreux désherbage de 2010 de la bibliothèque. Il appartient aux conservateurs actuels de vérifier. Comme vous le savez, ces legs avaient été faits pour la ville de Carcassonne car rassemblés dans un même lieu ; à savoir le musée et la bibliothèque municipale. Depuis 2010, la ville a laissé la compétence de son ancienne bibliothèque entre les mains de la Communauté d'Agglomération qui voulait créer une médiathèque digne de ce nom. On a supprimé les salles de la bibliothèque pour agrandir le musée en fond contemporain. Aujourd'hui, nous n'avons ni médiathèque à Carcassonne, ni fond contemporain. Les vœux des anciens donateurs à la Bibliothèque municipale provenant de legs adressés à la Société des Arts et des Sciences ne sont plus respectés. Pire, certains de leurs ouvrages signés de leurs noms ont été déposés dans une benne dans la rue de Verdun. Récupérés par la foule, certains se vendent encore sur internet chez des bouquinistes. Les élus responsables de cela en 2010 passeront à la postérité, mais pas dans le sens que nous l'aurions souhaité.

    Sources

    René Descadeillas / La bibliothèque municipale de Carcassonne / 1970

    Catalogue du Musée des Beaux-arts / 1894

    Du portrait au 19e siècle / Musée des Beaux-arts

    Poètes audois dans la tourmente / Musée des Beaux-arts

    Le courrier de l'Aude, Comœdia

    Délibérations du CM / ADA 11

    Etat-civil / ADA 11

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  • Jean Alphonse Coste-Reboulh (1817-1891), illustre bienfaiteur de la ville

    Jean Alphonse Coste naît le 24 décembre 1817 à Carcassonne. C’est le fils de Bernard Coste (1780-1848), fabricant de draps à la Trivalle, et d’Elisabeth Cécile Antoinette Reboulh († 1857), fille d’un célèbre apothicaire de la ville. A l’âge de 17 ans, Jean Alphonse est envoyé à l’école militaire de Sorèze où il fait la connaissance du père Lacordaire. Pendant le cours de ses études de droit à Toulouse et à Paris, il fréquente assidûment les musées, les ateliers des peintres de renom et termine son éducation artistique par un voyage en Italie.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Jean Alphonse Coste en habit de Sorézien

    De retour à Carcassonne, il fait bientôt partie de la Société des Arts et des Sciences et suit avec ardeur les travaux de restauration de la cité médiévale entrepris par Eugène Viollet-le-duc. A cette époque, Alphonse Coste vient d’hériter de la fortune de son oncle maternel Dominique Reboulh (1770-1838), pharmacien de son état. Le neveu dans la demeure du Bastion Montmorency à Carcassonne au milieu des tableaux conservés par feu son oncle, ancien dignitaire de la loge maçonnique Napoléon. Les vestiges de ce temple se trouvent encore dans l’ancienne chaufferie du Bastion ; on attribue les peintures symboliques qui décorent ses murs à Gamelin fils, lui-même franc-maçon.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Jean Alphonse Coste et sa mère Madame Reboulh en 1855

    Le 6 juin 1859, Jean Alphonse Coste qui adjoint désormais le nom de Reboulh à son patronyme, se marie avec une jeune femme de dix-sept ans sa cadette. Il s’agit de la fille d’un marchand de draps, nommée Anne Théonie Dussau. Il partage alors son temps entre Carcassonne et son château de Fontiès d’Aude où il créée l’année suivante cinquante hectares de vignes et neuf ans après, une cave pour produire du vin. C’est l’époque à laquelle le département de l’Aude se tourne vers l’exploitation viticole, après avoir été jusqu’à la fin du XVIIIe siècle la plaque tournante du commerce drapier. A l’abri des problèmes matériels, Alphonse Coste-Reboulh vit de ses rentes  et commence à développer sa propre collection d’œuvres d’art. Au sein de la Société des Arts et Sciences de Carcassonne dont il sera le président, il produit plusieurs études sur la recherche historique. N’occupe t-il pas également les fonctions d’Inspecteur de la Société française d’archéologie pour le département de l’Aude ? A ce titre, les pièces de monnaie romaines qu’il découvre à Fontiès d’Aude vont enrichir le médailler conservé au musée des Beaux-arts. « Répandre l’instruction, développer l’intelligence et le goût, est certainement le premier devoir d’un peuple libre, écrit-il. »

    A Coste-Reboulh il ne manquait rien, mis à part sans doute de se lancer dans une carrière d’élu local, avec si possible des ambitions plus nationales. Son opposition au gouvernement impérial et son appel à voter contre le plébiscite, lui permettent de se hisser du côté des partisans de la République au soir du 4 septembre 1870. Il entre au conseil municipal l’année suivante avec Théophile Marcou et n’en sortira qu’en 1881. Entre-temps, avec le soutien du Parti Républicain il se fait élire par deux fois (1871 et 1874) comme conseiller général du canton de Capendu et occupe les fonction de maire de Floure. En 1880, Marcou va lui faire payer d’avoir voulu se faire élire sénateur et surtout, d’avoir osé se porter candidat à la mairie de Carcassonne. Là, où le journal la Fraternité encensait autrefois Alphonse Coste pour ses qualités de fervent républicain, une campagne de dénigrement s’abat désormais sur lui. Au sein de son parti, Marcou place Théron à Capendu afin d’éjecter Coste, désormais suspecté de marchandages avec la droite réactionnaire. Les délégués désignent à l’unanimité Ferdinand Théron ; le conseiller général sortant maintient sa candidature. Au mois d’octobre 1880, Alphonse Coste ne recueille qu’un tiers des voix contre deux tiers à son adversaire.

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    Une ferme dans les bois

    (Pelouze Léon Germain)

    A l’âge de 71 ans, Coste-Reboulh rédige un testament dans lequel il désigne son cousin, Charles Coste, magistrat à Toulouse, comme son légataire universel. Le 28 avril 1888, ses dernières volontés sont enregistrées chez Me Mouton. Outre l’héritage qu’il laisse à son cousin, il prend la résolution de léguer sous conditions à la ville de Carcassonne, tous les livres de ses deux bibliothèques à Fontiès et à Carcassonne, tous les tableaux et portraits à quelques exceptions, quatre-mille francs pour la création d’une galerie portant son nom dans les musée des Beaux-arts.

    « Je lègue à la ville de Carcassonne tous les livres formant ma bibliothèque du château de Fontiès d’Aude et celle que je possède à Carcassonne, à la condition que tous ces livres seront remis en un lot séparé, dans les salles de la bibliothèque municipale, dans les bois qui contiennent avec inscription de mon nom sur les faces.

    J’ajoute encore le don de tous les tableaux qui figurent aux château de Fontiès d’Aude soit en mon habitation à Carcassonne, en y ajoutant les aquarelles, gouaches, dessins, gravures, bronze et étains, porcelaines, faïences, marbres, verrerie, fers, bois sculptés, armes, albums et quelques pièces d’argenterie anciennes telles qu’un moutardier louis XIV, petit plat argent repoussé, travail allemand, bénitier, deux boites à mouches, bougeoir, deux étuis en or et trois tabatières or d’inégales grandeurs, le tout dans une des vitrines de mon cabinet.

    Tous les portraits de la famille Coste-Reboulh que je possède, huiles, aquarelles, dessins, seront formellement conservés par la ville et figureront dans la salle réservée à cet effet au musée.

    Tous les objets énumérés ci-dessus sont donnés à la ville de Carcassonne à la condition expresse, qu’une salle spéciale sera réservée dans le musée de la ville pour recevoir toutes ces œuvres et que cette salle portera à perpétuité le nom de galerie Coste-Reboulh. Si la ville de Carcassonne n’acceptait pas le legs aux conditions exprimées ci-dessus, mon héritier universel prendrait possession des objets légués.

    Mon héritier devra donner à la ville de Carcassonne une somme de quatre mille francs pour approprier dignement la salle qui contiendra ma collection et qui portera le nom de galerie Coste-Reboulh.

    P.S : J’ajoute que mon hériter comprendra dans le legs que je fais à la ville de Carcassonne, les pendules et appliques en bronze doré ainsi que les chenets qui ont un grand cachet artistique en y comprenant aussi les flambeaux et les lustres dans des conditions identiques. »

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    Intérieur de bergerie

    (Palizzi Guiseppe)

    Lorsque Jean Alphonse Coste dit Coste-Rebouhl s’éteint le 13 juillet 1891 à Fontiès d’Aude, la ville de Carcassonne est informée du legs que le défunt lui a fait. Au mois de septembre, le conseil municipal accepte la succession aux conditions énoncées dans le testament. Le 6 novembre 1891, elle charge M. Alary de procéder à l’inventaire et à l’estimation des objets légués par M. Coste-Reboulh. Ce dernier s’entoure de MM. Emile Roumens (conservateur du musée), Caselli (Galériste), Izard (conservateur de la bibliothèque municipale) et Achille Rouquet. Madame Dussau veuve Coste qui pouvait continuer à bénéficier des objets jusqu’à sa mort, permet à la ville de s’en saisir de suite. L’inventaire ainsi dressé fait état de soixante tableaux ; soixante-et-dix aquarelles, dessins et gravures ; 600 pièces (faïences, porcelaines, bronzes…) ; 1934 volumes de littérature, histoire, art moderne, parmi lesquels des ouvrages de grand luxe. L’estimation s’élève à un montant total de 41329 francs.

    La ville votera un crédit de 12000 francs pour régler les droits à l’état (15%), l’expertise et le supplément pour la création de la galerie Coste-Reboulh.

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    Reboulh de Rougepeyre

    (Le Bouteux Pierre Michel)

    Galerie Coste-Reboulh en 1894

    Tableaux

    Matinée brumeuse sur l’Oise (Beauverie Charles-Joseph), Portrait d’un conventionnel (Boilly), Scène tragique dans une hôtellerie (Adrian Brouwer), Louis XV et Madame du Barry au Petit-Trianon (Caraud Joseph), L’Elysée-Cottin à Bigorre (Chartier Pierre), La nuit verte (Emile Dardoise), Promenade du matin (Devé Eugène), Dans la prairie (Dupré Julien), Le crucifiement et Tête de femme pleurant sur son enfant (Gamelin Jacques), Une gorge des montagnes d’Arets à Rochefort-en-terre (Joubert Léon), Les premiers rayons (Jundt Gustave), Portrait de Reboulh de Rougepeyre (Le Bouteux), Jupiter et Antiope (Le Corrège), Convoitise (Monginot), Intérieur de bergerie (Palizzi Guiseppe), Une ferme dans les bois (Pelouze Léon-Germain), Vue de la Cité de Carcassonne, Fruits, Portrait de M. Coste-Reboulh (Roumens Emile), Les deux amis (Rousseau Philippe), Avril, La vallée de la Sée (Ségé), Temps gris, Le crépuscule (Séon Alex), Ferme (Van Goyen), Marine (Van de Velde), Paysage avec silhouette d’homme et de femme se découpant sur le ciel (David, peintre flamand), Enfants à la balançoire, Portraits de femme, Nature morte, Portrait d’un jeune homme, Vue d’une ville hollandaise, Paysage avec animaux, Alexandre cédant sa maîtresse Campaspe à Apelles (Peintres inconnus).

    Hors présentation

    Incroyables (A. Morlon), Veaux (Debat-Mousan), Portrait (Bailly), Dans la prairie (Dupré Julien), Etude (Lancger), Vanderveld, Lambrecht, Jean Jalabert, Reboulh de Bourges, Adrian Brauwer, Poules (Cottin), Le moulin (Breton Emile), Collin-maillart (Lancret), Le chevaux ( Van de Velde), Paysage (Rapin), L'abreuvoir (Ponsan-Débat)

    Dessins, gravures, etc

    Berger de l’Herzégovine (Bida), Un Hongroise (Salières Narcisse), Marine (Wyld), Portrait de M. Coste-Reboulh (Alary Raymond), La ronde de nuit (Rembrandt), Manlius et son fils (Gamelin père), Deux tableaux avec troupeaux (Buttura), Une rue de ville espagnole (Engalières), Saison de fleurs (Inconnu), Vue d’une port italien (Charles de Tournemine), Portrait de Vélasquez (Inconnu).

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    En 1916, une deuxième partie du legs fut installée dans des vitrines de la galerie Coste-Reboulh par Léon Cabanier, conservateur du musée. Il s’agit de porcelaines, de pendules anciennes… 

    Il nous semblait important de réaliser la biographie de cet homme qui ne représente dans l’esprit des Carcassonnais que le nom d’une rue qui lui fut donné le 7 novembre 1902, soit 11 ans après son décès. Nous espérons avoir enrichi la connaissance de cet illustre bienfaiteur de la ville.

    Sources

    Bull. Société française d'archéologie / 1891

    Testament Coste-Reboulh / 1888

    Délibérations CM de Carcassonne / ADA 11

    Etat-civil / ADA 11

    Le courrier de l'Aude / La fraternité

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  • Le projet pharaonique de Canal maritime de l'océan à la Méditerranée

    L’idée d’un canal maritime des deux mers avait déjà germé dans l’esprit de Riquet et de Vauban, mais au XIXe siècle un assez grand nombre de projets seront émis ou étudiés par diverses personnes. Les différents canaux mettent en communication l’océan à la Méditerranée par une voie navigable de plus de 600 kilomètres. Or, ils ne sont accessibles qu’à de simples barques plates ; ils n’ont en effet en moyenne que deux mètres de profondeur sur dix mètres de largeur. Depuis l’établissement du chemin de fer - au milieu du XIXe siècle - le tonnage des marchandises transportées sur ces canaux n’a cessé de décroître. La batellerie s’est réduite des trois quarts et les services réguliers ont disparu. Les raisons restent multiples, mais le commerce sur l’ancien Canal royal du Languedoc ne peut résister à la vitesse du train capable de véhiculer des fardeaux huit à dix fois plus rapidement ; les tarifs pratiqués sur le Canal par la Compagnie des chemins de fer, qui en est devenue concessionnaire, sont élevés. Cette voie navigable que les Carcassonnais ne voulurent pas lors de sa construction et qui apporta un développement économique sans précédent au XVIIIe siècle, ils n’en profitèrent que peu temps quand ils finirent par la faire dévier dans la ville en 1810.

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    Le canal royal du Languedoc

    Le premier dans l’Aude et peut-être ailleurs à s’intéresser au devenir du Canal du midi fut Victor Codderens (1807-1865). Ce propriétaire, poète et écrivain né à Castelnaudary avait étudié dès 1836 la faisabilité de l’élargissement du Canal du midi afin d’y faire passer des bateaux de fort tonnage. Il communiqua en 1846 à l’ingénieur Jean Polycarpe Maguès (1777-1856), affecté au Canal du midi, son grand mémoire avec ses calculs, plans et les études sur la vallée de l’Aude et de l’Hers-mort. Cent vingt-et-une pages indiquaient les lieux les plus favorables à l’établissement des grands lacs de réserve. A cet effet, Codderens mesura entre avril et septembre au défilé d’Aliès et aux gorges de Saint-Georges, la quantité d’eau que débitait l’Aude. 

    L’ingénieur Maguès, après avoir passé deux jours à lire le mémoire de Codderens, félicita son rédacteur et l’invita à lui laisser son travail pour l’étudier plus à son aise. Deux ans après, l’inventeur transmit son dossier au Ministère des travaux publics, puis la Révolution de 1848 survint et le mémoire de Codderens fut mis aux oubliettes. Le maréchal Soult lui expliqua alors les raisons de ce désintérêt :

    « Le gouvernement, tant qu’il a à aménager l’alliance anglaise, parle le moins possible du percement de Suez et de la transformation du canal du Midi en canal maritime ; projets jumeaux qui se complètent l’un par l’autre. Il sait que tout ce qui a trait à ces deux entreprises, fait rugir de fureur les enfants d’Albion. » Le tort de Codderens c’est de n’avoir pas gardé copie de son mémoire : « J’ai dans ma tête toutes les prises d’eau de l’Ariège, de l’Agout, de l’Aude ; quant aux grands lacs de réserve, avec nos moyens d’exécutions modernes, le lac Mœris serait distancé. […] Que de nuits j’ai passées en calculs, que de souliers j’ai usés à visiter les bassins des rivières, à constater le volume de leurs eaux dans toutes les saisons, et à rechercher les localités les plus favorables pour établir les grands lacs de réserve et d’alimentation. Le percement de l’Isthme de Suez et la transformation du canal du Midi en canal maritime, changeront l’équilibre du monde ; toutes les conditions commerciales et économiques seront modifiées avantageusement. […] En 1836, 1847, 1848, j’ai été coulé, noyé dans le fleuve de l’oubli, pour avoir émis certaines vérités dans un moment peu convenable. […] Je n’ai qu’un mérite, c’est d’avoir, il y a près de trente ans, acquis par l’étude des vallées de l’Aude, de l’Orbe, la certitude que le canal maritime était possible, alors que tout le monde en contestait la possibilité. »

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    Casimir Courtejaire

    Au début des années 1860, la nécessité de relier l’océan à la Méditerranée fera naître de nouveaux projets dans l’imagination de nombreux inventeurs. Non seulement dans l’Aude, mais également dans tout le Languedoc avec l’appui des décideurs politiques relayés par la presse. A Carcassonne, Casimir Courtejaire conçoit un « Mémoire sur la construction d’un canal de l’Océan à la Méditerranée » avec cartes et plan à l’appui et l’adresse au Ministre des Travaux publics. 

    Il n’est plus question d’élargir le Canal du Midi ce qui aurait pour effet d’en suspendre le service pendant plusieurs années, mais de créer une voie navigable parallèle à celui-ci. Ce projet, qui semble le correspondant de l’isthme de Suez, est très sérieusement étudié sans être technique. Lorsqu’on le regarde de près, il reprend les idées de Codderens pour ce qui concerne l’alimentation de ce nouveau canal. Il prendrait les eaux dans les Pyrénées-Orientales, aux sources de l’Aude en y construisant par barrage d’immenses réservoirs. Le tracé partirait de La Franqui dans l’Aude, où dès le Moyen-âge il fut question d’y créer un port.

    Courtejaire divise son canal en deux sections : la première, au point culminant de Naurouse, vers la Haute-Garonne ; la seconde dans l’Aude, au même point culminant, vers la Méditerranée. Depuis le Ségala, le canal maritime se dirige vers Mas-Sainte-Puelles et Villeneuve-la-Comptal, fait un coude sur la commune de Laurac, passe entre Villasavary et Villeciscle, arrive au domaine de Saint-Geniès (hameau de Villalbe), traverse l’Aude vers Cavanac, le pied de l’Alaric et Fontcouverte. Ensuite par la plaine, il atteint Boutenac, Luc, Ornaisons. Il passe alors dans Narbonne ou dévie vers les étangs de Bages et de Sigean pour déboucher à La Franqui.

    Courtejaire écrit dans son mémoire publié en 1862 chez Pomiès à Carcassonne :

    « Au pied des coteaux, loi  des centres populeux le tracé traverse des terrains dont la valeur vénale n’atteindra pas en moyenne 2000 francs par hectare, tandis qu’en utilisant le Canal du Midi, les terrains à acheter seraient d’un prix fort élevé, ainsi que le prix d’achat du canal lui-même, dont aucun des ouvrages d’art ne peut servir. Par le nouveau tracé, il n’y aura pas un seul tunnel à construire, circonstance absolument nécessaire pour un canal maritime ; pas de villages à traverser, pas de maisons et de jardins clos à acheter ; et en fait d’ouvrages d’art importants, il n’y aura à construire que les écluses, les ponts pour franchir l’Aude, l’Orbieu, le Canal du Midi, une fois et le chemin de fer deux fois. »

    L’avantage du projet Courtejaire c’est qu’il raccourcit le trajet de 45 kilomètres sur la distance de l’actuel Canal du Midi. Il s’agit, chacun l’aura compris, de faire passer des navires ayant un fort tonnage. Là, où il ne faudrait que 60 heures pour relier Bordeaux à la Méditerranée, le contournement par la péninsule ibérique nécessite huit à dix fois plus de temps. Sans compter les avaries et les dangers du détroit de Gibraltar. Certains y voient déjà l’opportunité de relier les ports et les arsenaux de l’Ouest vers la Méditerranée ; les frégates passeraient facilement sur le canal en allégeant une partie de leur artillerie.

    Ce projet comme d’autres ne trouva pas beaucoup d’écho au sein du gouvernement de Napoléon III. Sans doute pour les mêmes raisons diplomatiques auxquelles Codderens s’était heurté sous Louis-Philippe. Toutefois, la guerre perdue de 1870 et le changement de régime vont relancer les appétits…

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    Charles Duclerc

    Le sénateur puis Président du Conseil Charles Duclerc (1812-1888) souhaite mener à bien la construction d’un canal maritime vers la Méditerranée. Il organisa une société d’études et fit sonder le sol du col de Naurouze jusqu’à la profondeur de 56 mètres. Après quoi, il chargea M. Godin de Lépinay, ingénieur en chef des ponts et chaussées, de préparer un nouveau projet. L’étude fut achevée en 1880. En fait, Duclerc ne fit que reprendre à son compte les travaux de Casimir Courtejaire à une époque où l’ancien Président de la Chambre d’agriculture de l’Aude atteignait ses 85 ans. Cela ne l’empêchait pas de se tenir au courant, via les sociétés savantes, des informations circulant sur la relance du canal maritime. Le 19 avril 1880, il écrit ce courrier à la Société languedocienne de géographie :

    Je vous ai adressé le Mémoire imprimé avec carte et plans, que j’ai publié en 1861 ; il est relatif à la partie du canal maritime entre la Franqui et Saint-Jory. Quant à celle comprise entre Saint-Jory et le Bec d’Ambez, il me faudrait assez de temps pour vous fournir un extrait ; cela m’est impossible d’ici à mercredi.

    Le projet qui est patronné par M. Duclerc ne diffère de celui que j’ai publié en 1861 qu’en ceci : d’après mon projet, le canal passait entre Castelsarrasin et Montauban, vers Villeneuve d’Agen, vers Sauveterre et venait aboutir à la Gironde, tandis que celui de M. Duclerc viendrait aboutir à Bordeaux ; mais de la Franqui jusqu’à Saint-Jory, c’est absolument de mon projet que l'on s’est emparé. Jusqu’à ce jour, les auteurs des nombreux projets que les journaux ont publiés ont tous, et sans exception aucune, indiqué Bordeaux et Cette comme les deux points objectifs pour le Canal maritime, par la vallée de l’Aude, tandis qu’aujourd’hui M. Duclerc, adoptant les études techniques de mon projet, vient établir le canal sur la rive droite, dont le parcours entre la Franqui et Toulouse est de 43 kilomètres plus courts que de Toulouse à Cette par le Canal du Midi.

    Le projet, tel que je l’ai publié en 1861, m’a valu des éloges de la part de M. de Pittoie, chef de division du ministère des Travaux publics ; il est spécialement chargé de tout ce qui concerne les canaux : « De tous les projets qui ont paru pour la construction d’un Canal maritime, le vôtre est celui qui me convient le mieux, car il me semble qu’il ne présente aucune difficulté d’exécution." 

    J’ai reçu, dans le temps, des remerciements pour l’essai que je leur fis de tout ce qui concerne mon projet, par deux lettres émanant du Cabinet de l’Empereur, et par quatre lettres émanant de divers Ministres des Travaux publics.

    Agréez, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués et affectueux.

    C. Courtejaire 

    Malgré les efforts de Charles Duclerc pour tenter de convaincre, une commission jugeant comme aléatoires et extrêmement coûteux la réalisation de ce projet, y mettra définitivement un terme en 1882. Ainsi s’acheva tout espoir de voir se réaliser un jour, un canal maritime entre l’océan et la Méditerranée qui aurait sans doute défiguré nos campagnes. Seul le nom de Charles Duclerc passa à la postérité ; il était donc de notre devoir de rappeler les noms de Victor Codderens et de Casimir Courtejaire qui furent les véritables précurseurs de ce projet pharaonique.

    Sources

    Mémoire sur la construction d'un canal maritime / Courtejaire / 1861

    Bull. Société languedocienne de géographie / 1880

    Association française pour l'avancement des sciences / 1872

    Le courrier de l'Aude / 1865

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