On a trop souvent réduit l'enseignement de l'histoire de l'Occupation Allemande en France, à une vision manichéenne. A savoir, les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. C'est vrai qu'avec le recul on s'aperçoit que cette idée réductrice a arrangé pas mal de monde, en faisant l'impasse sur les choses qui fâchent. Les archives que nous exhumons grâce au décret Sarkozy et plus récemment, celui de Manuel Valls sur les procès de Vichy, ouvrent des horizons nouveaux dans notre quête de vérité.
Idéalement situé sur le boulevard Barbès, le commissariat de Carcassonne fut durant les heures sombres de l'Occupation, une véritable ruche au service de l'administration de l'Etat Français. Avec toutefois cette particularité, que l'on y trouvait aussi bien de bonnes ouvrières autour de la reine, que des frelons et mêmes des faux bourdons. On peut affirmer sans crainte que la production de miel s'en trouvait largement frelaté. Pour en finir avec ce langage imagé, disons qu'au milieu de policiers fidèles à Pétain, d'autres comme Aimé Ramond, Gabriel Creupelandt et Pierre Escudey jouaient un double-jeu au service des réseaux de Résistance. Ils le paieront de leur vie. Quant aux premiers nommés, les plus zélés d'entre eux seront révoqués à la Libération et les mi-figue mi-raisin, finiront par regagner les rangs de la République. L'histoire est plutôt belle racontée ainsi... comme celle des policiers parisiens portés en héros, car Résistants le 24 août 1944 à 21h22.
Je vous propose d'imaginer le travail de Ramond, Creupelandt et Escudey en terrain hostile, faisant passer des informations à leurs réseaux, détruisant ou falsifiant des rapports d'enquête sur les maquis. Ils étaient chargés du N.A.P (Nettoyage des Administrations Publiques). A Carcassonne, le héros c'est Aimé Ramond mais on complètement oublié d'honorer Creupelandt et Escudey dont les noms figurent sur une plaque à l'entrée du commissariat. Vous allez voir comment ces deux-là, respectivement commissaires et commissaires adjoint aux Renseignements généraux, l'ont payé de leur vie.
L'affaire de Belcaire
Au mois de novembre 1943, les Allemands ont connaissance que des réfractaires du STO se cachent à Belcaire et à Camurac, où ils reçoivent de l'aide. Les Allemands exigent que la police française mène l'enquête. Pierre Escudey et son adjoint Gabriel Creupelandt sont chargés de cette mission. Bien entendu, ils dresseront un rapport négatif. Celui-ci n'ayant pas convaincu la Gestapo, Albert Kromer (Agent de la Gestapo) et Hoffman sont envoyés à l'hôtel Bayle à Belcaire où ils recueillent des renseignements en se faisant passer pour des Résistants. Les jours suivants, les gens de Belcaire seront arrêtés.
L'arrestation d'Escudey et de Creupelandt
Dans les dépositions du procès de René Bach (Agent du SD à Carcassonne), nous avons trouvé les circonstances de l'arrestation des deux commissaires. Ils ont été dénoncés par la maîtresse d'un officier Allemand qui travaillait comme dactylo aux Renseignements généraux. Ceci de la manière la plus sournoise ; l'agent 007 James Bond n'a rien inventé.
Marty Antoinette (Agent M.O 230) demeurant 71, rue de la République à Carcassonne était la maîtresse du capitaine Reinhardt de la Kommandantur. C'est à lui qu'elle fit part des propositions faites à elle par le commissaire des Renseignements généraux Escudey. Celui-ci lui avait proposé du fait qu'elle entrait et sortait du bureau de ce capitaine, de lui fournir des renseignements d'ordre militaire. Reinhardt envoya Marty à Eckfeffner (Chef de la Gestapo, NDLR) qui lui fit jouer la comédie auprès de Escudey, lui fournissant des renseignements sans aucune valeur. C'est ainsi qu'elle fit également arrêter pour complicité le commissaire adjoint Creupelandt, et qu'elle dénonça un inspecteur Lagoutte qui réussit à prendre la fuite.
Villa de la Gestapo de Carcassonne en 2014
Escudey et Creupelandt seront arrêtés le 10 janvier 1944 pour espionnage par la Gestapo. Antoinette Marty avait travaillé à l'Office de placement Allemand puis aux Renseignements généraux. Courant mai ou juin, elle devait intégrer le bureau de la L.V.F (Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme) située rue de l'Aigle d'or. Détenue à la Libération à la Maison d'arrêt de Carcassonne pour trahison, elle sera d'abord condamnée à mort puis graciée par le général de Gaulle.
Voici l'interrogatoire de Mlle Marty à la Libération
Je craignais que la Gestapo ait trouvé chez Escudey des papiers compromettant pour moi. J'ai vu Escudey deux fois : Café Not et R.G. J'ai fourni des renseignements à Escudey d'ordre militaire. Je me suis rendu à la Gestapo - route de Toulouse - en présence de René Bach et des blonds.
- Est-il exact que vous avez travaillé aux RG ?
- Oui
- Qu'était Creupelandt ?
- Policier très honnête. Français avant tout. Collaborateur. National 100 %. Nous nous en étions aperçus. Je n'ai jamais travaillé avec Escudey.
- Etiez-vous au courant de son arrestation ?
- M. Escudey a été renvoyé par Vichy par mesures disciplinaires. J'espère que M. Creupelandt sera libéré grâce à vous. J'ai été la maîtresse de Lagoutte.
Nous voyons là toute la subtilité de la Gestapo, à se servir des charmes d'une femme pour infiltrer la Résistance. Maîtresse d'un officier Allemand et d'un inspecteur de police. Evidemment Creupelandt, Escudey et Ramond pour ne pas éveiller les soupçons, jouaient à fond en interne la carte Vichy. La signature de Ramond sur le registre de condoléances de Philippe Henriot en juillet 1944, s'explique ainsi.
Gabriel Creupelandt
Le commissaire adjoint Creupelandt était né le 31 décembre 1910 à Roubaix (Nord). Son père Albert résidait en 1945 à Roubaix, 203 rue Lacroix. Arrêté le 10 janvier 1944, il sera déporté le 7 juillet 1944 de Paris vers le camp de Vaihingen par le transport "Nacht und nebel". Il y mourra le 21 février 1945.
©memorialgenweb.org
Son nom est gravé sur le monument aux morts de Bram, car il habitait dans cette commune.
Pierre Escudey
Le commissaire Escudey était né le 24 novembre 1909 à Toulenne (Gironde). Titulaire du baccalauréat et d'une licence en droit, il pratique l'athlétisme au haut niveau. Il est incorporé le 15 novembre 1932 au 196e RALT et élevé au grade de Maréchal des logis l'année suivante.
En 1934, Pierre Escudey porte le N° 111
Le 2 juin 1936, il épouse à Langon Simone Saintespès avec laquelle il aura un fils, Bernard né le 12 novembre 1937. Le 1er novembre 1942, il est nommé à Carcassonne comme chef des Renseignements généraux. Il participe aux réseaux de renseignements Marceau (Marco Polo) et N.A.P. Le 1er octobre 1943, il s'engage dans le réseau de Résistance Gallia-Impérium comme agent P2. Pierre Escudey est d'une aide précieuse, car il a gardé des contacts dans les milieux proches de Vichy et, surtout, avec les Allemands.
Pierre Escudey et son épouse
Arrêté à Carcassonne par la Gestapo le 10 janvier 1944, le commissaire Escudey est interné à Montpellier du 10 janvier au 1er juin 1944. Il est ensuite transféré à la prison de Montluc à Lyon (cellule 129). Il subit des interrogatoires à la baignoire, aux coups de poings et aux bâtons. Déporté le 2 juin 1944 vers Compiègne. Après trois jours et quatre nuits, il arrive au camp de Dachau le 6 septembre 1944. Il décèdera à Hambourg-Neuengamme le 6 janvier 1945 en tentant de s'évader.
Bernard Escudey, son fils.
A titre posthume, il reçoit la médaille de la Résistance le 26 janvier 1947. Il est fait chevalier de la légion d'honneur le 14 juillet 1959. Son fils Bernard en est le récipiendaire.
En écrivant cet article, nous avons souhaité combler une lacune. Celle de l'oubli de P. Escudey et G. Creupelandt qui, au prix d'énormes risques, se sont sacrifiés pour l'honneur de la France. Dans quelques mois, un nouvel hôtel de police sortira de terre à Carcassonne. Gageons que les noms de ces deux héros, ne seront pas oubliés ; ce ne sera pas la faute de ce blog.
Remerciements
Madame Jeanine Escudey
M. Sylvain le Noach
M. Eric Fargeaudoux et l'ensemble de ceux qui travaillent sur le réseau Gallia
Archives de l'Aude
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