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Seconde guerre mondiale - Page 34

  • Dénoncés à la Gestapo pour avoir écouté Radio-Londres, rue Laraignon

    Les époux Vinsani menaient une existence ordinaire et discrète à Carcassonne pendant l’Occupation. Ni la Milice française, ni la police allemande n’étaient au courant que le mari avait durant la guerre civile espagnole, soigné des Républicains et partageait des idées communistes. Ce couple aurait bien pu ne pas être inquiété s’il n’avait pas été dénoncé par Madame Marguerite S, habitant rue Laraignon et serveuse de son état ; la voisine d’à côté, qui ayant la cuisse légère s’amusait à recevoir des soldats allemands chez elle. Madame Vinsani excédée par le vacarme quasi quotidien engendré par ce remue-ménage, eut le malheur de se plaindre auprès de cette sans-gêne. Se sentant sans doute protégée par sa collaboration horizontale, la voisine lui répondit alors : "Et vous ? Lorsque vous faites marcher Londres jusqu’à une heure du matin… Je vous dénoncerai à la Police allemande !"

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    © Pinterest / Un village français

    Le 4 juillet 1944 vers 19h45, deux allemands en civil se présentent au domicile des époux Vinsani alors que ceux-ci sont en train d’écouter Radio-Londres en langue italienne. Inutile de préciser qu’il était formellement déconseillé de se livrer à ce type d’activité, au risque d’être dénoncé. C’est sans aucun doute ce qu’il arriva après que la voisine eut prévenu la Gestapo. Sans aucun ménagement, les agents perquisitionnent la maison et amènent Monsieur Vinsani dans une des geôles de la caserne Lapérine. Son épouse l’accompagne, mais il lui est signifié de se rendre le lendemain dans les locaux de la Gestapo, au numéro 67 route de Toulouse.

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    © Pinterest / Un village français

    Après avoir pris soin de faire brûler chez elle les documents qui pouvaient compromettre son mari, madame Vinsani se rend à 9 heures du matin au rendez-vous. Elle est accueillie fraîchement par deux allemands : le chef est brun, c’est Eckfellner ; l’autre est blond et lui sert d’interprète sans toutefois parler correctement le français, c’est Schiffner. On lui pose alors tout un tas de question. Elles s’enchaînent les unes après les autres sans que parfois l’on prenne même le temps de la laisser y répondre : "Où avez-vous connu votre mari ? Depuis quand êtes-vous mariée ? S’est-il rendu en Espagne ? Est-il Communiste ?" A ce flot d’interrogations, madame Vinsani répond qu’elle a connu son futur époux à Perpignan, qu’elle s’est mariée avec lui voilà cinq ans à Maureillas (Pyrénées-Orientales). Elle nie ses déplacements en Espagne et ses idées Communistes.

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    © Pinterest / Un village français

    Préparée à l’avance, on cherche à lui faire signer une déposition rédigée en langue allemande. Elle comprend que les perquisitions chez elle n’ayant rien données, la police allemande use d’un subterfuge pour obtenir des aveux. Elle refuse donc d’apposer sa signature sur un document dont elle ne comprend pas le sens. On la fait descendre au rez-de-chaussée dans une pièce où elle reste un moment sans que l’on s’occupe d’elle. Au bout d’un instant, madame Vinsani est invitée à passer dans une autre pièce où l’attendent Schiffner et René Bach. Ce dernier, interprète Alsacien de la Gestapo de Carcassonne, lui indique qu’elle est folle et qu’on allait la faire interner à Limoux. Refusant à nouveau de signer, le tortionnaire lui dit alors : "On fera votre maman prisonnière !" Elle bondit de sa chaise : "Vous ne ferez pas une chose comme celle-là !" Eckfellner, le chef de la Gestapo, lui adresse alors un violent coup de poing dans la poitrine qui la fait asseoir sur son siège.
    Vers 13 heures, nouvelle demande :

    "Voulez-vous signer ?"

    "Non"  

    "Alors vous prison."

    Elle est alors conduite à la caserne Laperrine.

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    L'ancienne villa de la Gestapo, avenue F. Roosevelt

    Le lendemain, la Gestapo ramène Philippine Vinsani dans ses locaux de la route de Toulouse pour un nouvel interrogatoire. Nouvelle insistance pour la faire signer et nouveau refus. Notons que pour si terrible que furent les autorités allemandes envers leurs prisonniers, jamais elles n’agissaient en dehors des règles du droit dictées par le Reich. Il fallait toujours des aveux signés.

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    La cheminée de la villa avant sa destruction en 2016

    "Dans la pièce où je me trouvais, se trouvait au coin de la cheminée, un fusil mitrailleur. Le chef de la Gestapo l’a pris en main et s’est mis à parler en allemand avec Bach qui se trouvait assis à un bureau, dont il avait tiré dans le tiroir un révolver qu’il chargeait avec des balles. Toute cette mise en scène a certainement été faite pour m’intimider et me faire croire qu’ils allaient m’exécuter. Ayant eu réellement peur et pris d’envie de vomir. Bach m’a dit : "Vous n’allez pas rendre ici, allez aux WC au fond du couloir." Lorsque je revins, Bach me dit : "Vous allez rester 15 jours sans manger ici." Comme je ne voulais pas signer, il m’a dit qu’on allait contrefaire ma signature. Au bout d’un moment, le chef est revenu porteur de mon sac à main, qui m’avait été retiré au cours de mon incarcération. Bach m’a dit : "Vous êtes en liberté, gardez pour vous tout ce qui a été dit et fait ici, car vous êtes en surveillance, vous ne vous en sortirez pas comme aujourd’hui. Je suis sortie sans signer la fiche et mon mari a été libéré au bout de quinze jours."

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    Le couloir de la villa avant sa destruction

    Les époux Vinsani ont jugé plus prudent de quitter Carcassonne et de n’y revenir qu’après la libération de la ville. Quant à leur dénonciatrice, elle a arrêtée avec sa sœur puis tondue. Elle écopa de la peine d’Indignité nationale avec confiscation de 20 % de ses biens.

    Sources

    Procès de René Bach / ADA 11

    Jugements de la chambre civique de l'Aude

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • L'arrestation de Mlle Billot sur le Pont vieux le 11 juillet 1944 par le police allemande

    L'histoire que nous allons vous raconter n'est pas issue d'un épisode de la série télévisée "Un village français". Et pourtant... Il s'agit d'un fait réel qui s'est produit durant l'été 1944 à Carcassonne et qui démontre, s'il le fallait, les énormes risques que prirent certaines personnes pour la libération de la France. Mademoiselle Madeleine Billot née à Gaillac (Tarn), étudiante en pharmacie, venait juste de fêter le 5 juillet 1944 ses trente ans, lorsqu'elle fut arrêtée par la police allemande, interrogée, incarcérée et envoyée en déportation. 

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    © Un village français / France 3 (Droits réservés)

    Photo d'illustration

    Ce mardi 11 juillet 1944 à 14 heures, Madeleine Billot a rendez-vous sur le Pont vieux avec le délégué de l'O.M.A de Montpellier qui possède son signalement. Depuis quelques temps déjà, cette jeune femme est membre du secrétariat régional des Mouvements Unis de Résistance. Ses parents sont pharmaciens au numéro 20 de la rue de Verdun.

    "Les hommes étaient plus souvent fouillés dans les gares. J'adjoignis au secrétariat régional, une jeune femme de Montpellier qui prit le nom de "Joseph" et à mon secrétaire Radon, une étudiante de Carcassonne, Madeleine Billot dite "Arsène".

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    Arsène, vêtue d'une veste rouge avec un livre à la main descend le Pont vieux en direction de la Trivalle, à la rencontre de son contact. Elle doit l'amener à une réunion des responsables de la Résistance régionale chez M. Mouton, conseiller d'état honoraire. Elle détient également un bon du trésor de 500 000 francs provenant d'Alger qu'elle doit remettre à M. Arnal, agent d'assurances, afin que celui-ci lui remette la somme en liquide payable après la Libération. Ce qu'elle ignore c'est que l'homme avec lequel elle a rendez-vous, a été arrêté le samedi précédent. Sur lui, on trouva un carnet portant les indications suivantes : "A la date du 11 juillet - 2 h - 6 h Carcassonne - Pont vieux - jeune fille blonde veste rouge, livre à la main". Madeleine ne se méfia pas lorsqu'à l'extrémité du pont, elle crut voir la personne qui devait l'attendre ; celle-ci lui prit la bicyclette et l'accompagna. Un peu plus loin, surgit alors un autre individu aux cheveux roux, de forte corpulence, âgé d'une quarantaine d'années, qui l'intercepte : "Police Allemande. Amenez-vous à la réunion". A cet instant, afin de faire diversion, elle donne le bon du trésor à l'individu ayant servi d'appât. Comme si là était la vraie raison du rendez-vous, alors qu'en fait il n'existe pas de lien. 

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    © L'Indépendant

    Villa de la Gestapo, 67 rte de Toulouse

    Quelle réunion, répond-elle ? J'amenais cet ami prendre une tasse de thé chez moi." Madeleine Billot est alors amenée sans ménagement dans les locaux de la Gestapo, situés au N° 67 de la route de Toulouse. Précisément, à la villa qui fut rasée en 2016 malgré mes protestations. 

    Où cette réunion devait-elle se tenir ?

    Nous avons dû chercher qui était ce monsieur Mouton, avec pour seul indice sa qualité de Conseiller d'état honoraire. Où résidait-il dans Carcassonne ? Paul "Henry" Mouton (1873-1962) était né à Carcassonne et le père de Simone, épouse Cahen-Salvador, qui occupera plus tard la présidence de l'Association des Amis de la Ville et de la Cité. Quant à son domicile, la famille Mouton possédait depuis 1850 le domaine de La Jasso sur la plaine Mayrevielle. Stéphane Rives, l'actuel propriétaire nous le confirma. Voilà donc un endroit bien à l'abri des regards, dans lequel cette réunion devait se tenir. Gilbert de Chambrun dans ses mémoires "Journal d'un militaire d'occasion", raconte l'issue de cette réunion avortée par l'arrestation de Madeleine Billot alias Arsène.

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    Le domaine de la Jasso, lieu probable de la réunion clandestine

    "Des cartes étaient dépliées sur la table, lorsque nous apprîmes que Madeleine Billot dite "Arsène", membre du secrétariat régional et organisatrice de la réunion, venait d'être arrêtée à quelques centaines de mètres de là... Une femme de chambre de la maison, qui fut témoin de son arrestation, nous alerta. Le fait que la Gestapo devait se douter qu'il s'agissait d'une réunion importante rendit la dispersion difficile. Je contournai la ville avec deux camarades. L'arrivée d'un convoi militaire sur la route, nous fit nous dissimuler derrière un talus. Les camions se suivaient à intervalles rapprochés, escortés par des motocyclistes. Un petit canon tracté fermait la marche. A vue de nez, les effectifs dépassaient ceux d'une compagnie. Les officiers et les hommes portaient l'uniforme bleu. C'était la Milice de Carcassonne qui allait attaquer dans la montagne, un maquis d'une cinquantaine d'hommes, armés de quelques armes individuelles, que nous n'avions aucun moyen d'avertir. Pendant ce temps, la Gestapo nous recherchait dans le quartier du vieux pont. Bringer, chef départemental FFI de l'Aude fut arrêté au mois de juillet. Il devait mourir à la veille de la Libération : les Allemands en retraite l'attachèrent ainsi que Ramond et plusieurs autres résistants sur les caissons de munitions, qu'ils firent exploser. Georges Morguleff le remplaça comme chef départemental FFI, assisté de Meyer dit "Jean Louis", chef départemental adjoint au titre des FTP. Raynaud, Bousquet, chef de bataillon d'active. Maury dit "Frank", chef du maquis de Picaussel."

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    © Laurent Denis / FTV - téléstar.fr - Un village français

    La Milice française avec son insigne Gamma et l'uniforme bleu

     Qu'est devenue ensuite Mlle Billot ?

    Madeleine Billot fut interrogée dans la villa de la Gestapo par les agents de la police allemande : Qui est Philippe ? Où devait se tenir la réunion ? Comme elle ne répondait pas, on l'amena à la salle de bains où elle fut frappée. Quand René Bach entra vers 15 heures, il se mit dans une colère folle contre ses collègues qui s'étaient précipités, plutôt que de la suivre pour savoir où elle allait. Mlle Billot raconte :

    "J'ai été amenée à lui faire remarquer s'il n'avait pas honte de laisser maltraiter une femme. Il m'a répondu que si j'avais parlé, cela ne me serait pas arrivé. Quant à lui, je ne crois pas qu'il m'ait frappée. S'il l'a fait, il a pu me donner quelques coups parce que les horions et les gifles pleuvaient sur moi."

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    © Pinterest - Un village français

    Interrogatoire du SD (Gestapo)

    Conduite ensuite à la Maison d'arrêt de Carcassonne entre 19 heures et 20 heures, elle fut à nouveau interrogée par Bach le lendemain. Ceci, dans le but de tenter de la faire parler. Malgré son habileté, l'interprète de la Gestapo n'y arriva pas. Toutes les enquêtes et interrogatoires n'ayant rien donnés, Madeleine Billot fut transférée à Montpellier le 20 juillet 1944, puis dirigée sur Romainville le 31 juillet. Le 15 août 1944, elle était déportée vers le camp de Ravensbrüch en Allemagne.

    "Dès que je suis arrivée au cap de Ravensbrüch, toutes les femmes ont été déshabillées et dépouillées de tous leurs bijoux et des valeurs qu'elles pouvaient porter. Tout ce que nous avions a été confisqué et nous n'avons jamais pu retrouver trace de quoi que ce soit. Nous avons été habillées d'une culotte, d'une chemise et d'une robe légère. Ces vêtements appartenaient à l'administration allemande. Dans le camp, nous nous levions à trois heures et l'appel durait une heure ou deux. Nous faisions des corvées de sable, de pommes de terre et de bois. Nous logions dans des baraques et nous couchions à trois par lit. Une ou deux fois par semaine, il était procédé à des appels qui duraient de 18 heures à l'heure très avancée de la nuit. Comme nourriture, on nous donnait une boisson chaude dès le réveil, une soupe à midi et le soir. Nous étions gardées soit par des soldats SS, soit par des femmes SS, soit encore par la police intérieure du camp qui était faite par des prisonnières polonaises. Cette vie était douce en comparaison de celle de Rönigsberg où nous étions employées à la construction les unes d'une route, les autres d'un camp d'aviation. Nous étions obligées de travailler également 12 heures par jour, par tous les temps : pluie, neige et froid. Nous étions aussi battues pour les motifs les plus futiles et nous vivions dans des conditions d'hygiène déplorables."

    Madeleine Billot passera par plusieurs camps : Torgau, Ravensbruch et Roenigsberg. C'est dans ce dernier camp qu'elle fut libérée par les Russes le 5 février 1945. D'après les archives de la Résistance conservées à Paris, Mlle Billot se mariera avec M. Saint-Saëns. Qu'est devenue ensuite cette personne ? Contrairement à ce qu'affirme la délibération du Conseil municipal de Carcassonne du 28 juin 2012, afin de lui attribuer un nom de rue, Mlle Billot n'est pas morte dans un camp. Rendons grâce à la ville de lui avoir donné le nom d'une artère, à côté de celle de Paul Henri Mouton, à la zone de la Ferrandière. Il est cependant regrettable qu'aucun panneau n'indique à cet endroit ce qu'elle fut.

    Sources

    Service historique de la défense / GR 16 P

    Procès de René Bach / ADA 11

    Journal d'un militaire d'occasion / G. de Chambrun / 1982

    Notes, synthèses et recherches / Martial Andrieu

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • La cavale du tortionnaire de la Gestapo de Carcassonne, le 18 août 1944

    René Lucien Bach, né le 11 juillet 1921 à Voerderlingen de Guillaume et de Julie Fisher. Il est de nationalité française. A l’âge de trois, il déménage avec ses parents à Metz et habite à Montigny-les-Metz, 88 rue de Reims, jusqu’à l’âge de 18 ans. Après ses études primaires, il quitte à 17 ans l’école normale pour suivre des cours de comptabilité à l’école Pigier. 

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    René Bach à Carcassonne lors de son procès

    A la déclaration de guerre, Bach s’engage à Metz dans la Marine Nationale pour une durée de cinq ans. Il est ensuite dirigé vers Rochefort à l’école des Fourriers jusqu’en mars 1940. Est-ce à cet endroit qu’il rencontra sa future épouse, native de Saintes ? De Rochefort, il est affecté à Cherbourg où il est embarqué sur le contre-torpilleur Guépard. Débarqué le 1er décembre 1941 à Toulon, il restera jusqu’au 1er janvier 1942 au quartier général de la marine à Marseille. Muté à l’intendance maritime de Toulon avant le sabordage de la flotte en novembre 1942, Bach se replie sur Annecy avec le service de la solde où il restera jusqu’au 16 avril 1943, jour de sa mise en congé d’armistice.

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    C’est à l’occasion d’une annonce passée dans « Le lorrain » de Riom afin de trouver un emploi, que René Bach reçoit plusieurs propositions. Il opte pour la plus rémunératrice, à savoir celle émise par la Kommandantur de Carcassonne offrant 2400 francs mensuels à l’essai, puis de 3000 francs. Ce quotidien catholique lorrain paraît en zone libre sous le nom de « Trait d’union des réfugiés de l’Est » et sera interdit le 23 septembre 1943 par Vichy.

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    © David Mallen

    Soldat allemand devant l'Hôtel Terminus en 1943

    A son arrivée à Carcassonne, Bach se présente à la Kommandantur (Grand hôtel Terminus), puis est détaché en qualité d’interprète à la Feld-gendarmerie jusqu’au 1er novembre 1943. Approché par la police allemande (Sicherheitsdienst) communément appelée Gestapo, il entrera à ce service le 7 ou 8 novembre 1943, comme interprète et chauffeur avec des appointements nettement supérieurs de 4000 francs mensuels. Il y restera jusqu’à son départ précipité de Carcassonne le 18 août 1944, soit deux jours avant la libération de la ville.

    Marié le 7 juin 1944 à Saintes avec Jeannine Marcelle Dabin, née le 26 septembre 1926 à Saintes, sans profession. Elle demeurait 31 rue de l’arc de triomphe à Saintes.

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    L'appartement de Bach au premier étage

    René Bach occupa un logement réquisitionné par la mairie au N° 1 rue Barbès (1er étage) du mois de juin 1943 à la mi-juin 1944, chez Mme Maris Berthe, veuve Griffe âgée de 44 ans. Cette dame signale un homme discret qui n’était pas loquace et avec lequel elle n’a jamais entretenu de relations, en dehors de celles entre un locataire et son propriétaire. Bach rentrait la nuit et se levait le matin à 7 heures pour se rendre à son travail. Il ne venait dans la journée que pour relever son courrier qu’il recevait régulièrement. Ce n’est qu’au cours des quinze premiers jours de juin 1944 que sa femme est venue le rejoindre ; le couple s’est ensuite installé dans une maison de la rue Pierre Curie, à deux pas de la villa de la Gestapo située route de Toulouse.

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    © automobileancienne.com

    Le 18 août 1944, le couple Bach s’enfuit de Carcassonne pour Metz (lieu de résidence de ses parents) au volant d’une licorne réquisitionnée par la police allemande, appartenant à M. Baret, contrôleur des contributions indirectes. Il prend la direction de Narbonne où il déjeune et couche ensuite à Nîmes. Le lendemain, destination Rocquemaure, ville dans laquelle les fugitifs séjourneront pendant cinq jours. En reprenant la route, toujours en voiture, après avoir passé à Orange, ils prennent la direction de Piolenc.
    Ils seront arrêtés dans cette commune le 1er septembre 1944 chez M. Franchi par le gendarme Ulysse Péchoux, âgé de 24 ans. Les activités de Bach dans le département de l’Aude sont inconnues de la gendarmerie d’Avignon, qui dans un premier temps procède à un simple contrôle d’identité. Le couple Bach voyage avec plusieurs malles contenant, outre des effets personnels du quotidien, 32 cartes d’alimentation provenant de personnes déportées en Allemagne, un carnet avec les noms et adresses de juifs, un insigne de la Milice, un brassard FFI et 27 000 francs en billets neufs. Le suspect portait sur lui trois pistolets de calibre 7/65 et 6/35, des chargeurs, des munitions et cinq grenades. Au cours de son interrogatoire à Orange, afin de ne pas être reconnu, il prétexta que ces armes provenaient d’un maquis auquel il appartenait du côté de Chalabre. Bien entendu, lors de son audition à Carcassonne, il s’avéra qu’il les avait prises dans le stock de la police allemande.

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    Piolenc (Vaucluse)

    L’interprète de la Gestapo de Carcassonne, contrairement à ce qu’il affirma plus tard, n’a jamais eu sur lui la carte vert anis délivrée par la police allemande de Montpellier. Dans son porte-carte, les gendarmes trouvent un ausweiss à son nom délivré le 26 août 1943 par l’Etat-Major allemand et une fausse carte avec sa photographie établie au nom d’Alain Séverac, inspecteur de police. Ce faux document avait été fabriqué par lui-même. Le lieutenant Gilbert Burlin de la brigade d’Avignon qui interrogea Bach en septembre 1944, déclara le 16 juin 1945 : "Je considère Bach comme un homme intelligent, toujours maître de lui. J’ai la conviction profonde que cet individu s’est livré, en collaboration avec les services allemands, à une action anti-française."

    Interrogé à deux reprises par M. Million, président du Comité de Libération et d’Epuration d’Orange, son attitude soulève de sérieux doutes. Le premier interrogatoire considéré comme "sévère", ne donne pas de résultats positifs. C’est alors que l’on prend la décision d’envoyer deux gendarmes à Carcassonne, MM. Roussel et Péchoux. A leur retour, ils annoncent "que la prise était la bonne, Bach, faisant partie de la Milice et de la Gestapo." Les rapports envoyés par le 2e bureau des FFI de Carcassonne d’une part, et par la Police politique sont sur point très éloquents : "Bach, René Lucien, né le 11 juillet 1921, interprète et agent de la Gestapo, est un individu très dangereux à l’origine de la plupart des arrestations de patriotes et sympathisants patriotes du département de l’Aude…" Il est même recommandé de prendre des dispositions afin que Bach ne tente pas de se suicider ou de s’échapper…

    Fort de ces renseignements, un nouvel interrogatoire est mené ; ne cherchant pas cette fois à nier l’évidence, Bach indique qu’il ne s’expliquera qu’à Carcassonne. Le 23 septembre 1944, sur ordre du chef départemental FFI de l’Aude, le capitaine Raynaud et le lieutenant Chaumont viennent à Orange chercher le suspect qui leur est remis avec ses effets personnels. Madame Jeannine Bach resta détenue à la prison d’Orange avant que l’on ne décide de la relâcher quelques semaines plus tard. En effet, la lettre du 5 octobre 1944 envoyée à Carcassonne afin de savoir ce qu’il convenait de faire de l’épouse du suspect, n’a jamais obtenue de réponse. Voyant qu’elle se trouvait enceinte, il fut décidé de la relâcher. René Bach lors de son jugement en juillet 1945, déclara ne pas avoir d’enfant de cette union.
    Madame Bach a toujours avoué qu’elle ne savait rien des activités de son mari. On lui remit ses deux valises qui lui appartenaient et la somme de 27 000 francs qu’elle possédait. Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de Madame Bach par la suite.

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    A son retour dans l’Aude, Bach est d’abord interrogé par plusieurs résistants dans la mairie de Villeneuve-Minervois, dont le capitaine Raynaud et Paul Barrière. Depuis le 17 août 1944, le maquis Armagnac sous le commandement du capitaine Raynaud avait fusionné avec le maquis de Citou sous la bannière du Corps Franc Minervois.


    Pourquoi Bach n’a t-il pas été directement transporté à Carcassonne ? Au cours de cet entretien, dont il n’existe aucun Pv, qu’a t-on voulu tirer de lui ? Le capitaine Raynaud rapporte que Bach a reconnu avoir reçu la somme de 50 000 francs de Paul Barrière, qu’il ne s’agissait pas d’une escroquerie et qu’il comptait les rendre. Pourquoi la Résistance a t-elle versée cet argent à ce criminel de la Gestapo Carcassonnaise avec pour seul prétexte qu’il avait besoin d’argent en raison de son futur mariage ? Cette déposition de Paul Barrière au procès Bach est assez surprenante, d’autant plus qu’elle ne suscita pas de questionnement de la part du magistrat. La divulgation de cette affaire n’avait-elle pas pour but de faire passer l’accusé pour un traitre, prêt à se vendre au plus offrant ?
    Lors du procés, Bach niera avoir demandé de l’argent à Barrière et d’en avoir reçu en retour : "Ces déclarations sont suspectes car il nie même que je sois intervenu pour le faire libérer, alors qu’il l’a reconnu jusqu’à présent, et que Boyer Louis a indiqué que j’étais intervenu en faveur de Barrière et que j’avais obtenu sa libération."

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    © Pablo Iglesias 

    Bach devant les juges


    Dans le cahier manuscrit que Bach écrivit en prison pour sa défense, indiquant les personnes à faire citer, il dit avoir été surpris de voir Paul Barrière en juin 1944 en état d’arrestation car il le connaissait très bien. Il se portait garant de lui. Barrière lui aurait alors dit que la dénonciation venait de Pierrot G d’Espéraza. Grâce à son intervention, Barrière aurait été remis en liberté. De son côté, Paul Barrière qui occupait la fonction d’agent de renseignement au sein de la Résistance (espionnage), affirma que sa libération était due à la manière avec laquelle il trompa les Allemands et à Louis Boyer, le secrétaire de la L.V.F. René Bach n’intervint, selon lui, en sa faveur que parce qu’il pensait être en présence d’un collaborateur victime d’une dénonciation.

    Au début du mois de juin 1944, la confiance dans l’issue de la guerre a changé de camp. Les Allemands sont de plus en plus harcelés par les attaques des maquis et s’attendent à un débarquement des forces alliées. D’après la déposition d’Antoinette Marty, sténo-dactylo à la L.V.F, René Bach se plaignait du traitement dont il était l’objet de la part de ses chefs : "J’ai fait venir ma femme. J’ai demandé à ce qu’on me réquisitionne un appartement. Il l’a été mais au bénéfice d’un officier Allemand. Je travaille jour et nuit. Je vais abandonner pour aller planter des choux." Antoinette Marty affirme que Bach fut menacé d’être tué par son chef. Voici qu’elle aurait été sa réponse : "Si vous les mettez à exécution (les menaces), ma femme possède des documents mentionnant des irrégularités commises dans les services de la Gestapo." 
     Bach n’a t-il pas cherché à prendre contact avec la Résistance pour lui offrir ses services  ? Ceci expliquerait qu’il ait touché ce prêt de 50 000 francs (9000 euros d’aujourd’hui) de Paul Barrière avec l'accord de ses chefs, que le couple semblait encore en partie détenir en billets neufs lors de son arrestation à Piolenc. Par ailleurs, les billets neufs provenaient-ils des parachutages alliés ? Il est prouvé que Bach n’a jamais disposé de compte en banque. La Résistance s’est-elle trompée en pensant pouvoir retourner Bach en sa faveur ? Les évènements tragiques de Trassanel début août 44, dans lesquels Bach s’illustrera de sinistre manière contre les maquisards, ne lui donnent pas raison.

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    Schiffner à son procés à Bordeaux en 1953

    Toutefois, à l’approche de la Libération de Carcassonne, des tentatives de communications s’opèrent entre les parties belligérantes. Arrêté en même temps que Jean Bringer (Myriel) et Aimé Ramond, le Dr Émile Delteil est accusé d’avoir donné des soins à des maquisards dans sa clinique. C’est là d’après les autorités allemandes, la moindre des accusations portées contre lui. La femme du docteur Delteil tente alors de faire libérer son mari par tous les moyens : la préfecture et le Dr Girou, alors président de l’ordre des médecins. Elle finira par obtenir sa libération par le biais d’un amie, proche du SS Scharfûhrer Oskar Schiffner, sous-chef de la Gestapo de Carcassonne. Nous apprenons alors les circonstances de cette opération, grâce au témoignage du Dr Delteil, venu plaider en faveur d’Oskar Schiffner lors de son procès à Bordeaux en 1953.

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    "Le président Guille lui pose la question : Quel rôle à joué Schiffner dans votre libération de la prison le 19 août ? Si vraiment j’étais condamné à mort, Schiffner a joué un rôle. Il avait été touché par une amie de ma femme. Le 19 août, vers une heure et demi, il est arrivé à la prison pour nous rendre nos papiers. Il nous a confirmé que nous allions être libérés. Je lui ai dit : « Où sont les autres ? (Sous-entendu, Bringer et Ramond, NDLR). « Ils sont partis ce matin ». Comme il avait été gentil avec ma femme et lui avait permis de venir me voir, je lui ai dit : « Où allez-vous ? » Il m’a répondu, je ne sais pas. Je lui ai demandé ma carte de visite et je lui ai dit, si vous ne pouvez pas passer, venez chez moi, je vous ferai remettre aux autorités militaires régulières." (Le Midi-Libre, 20 mars 1953)

    Le sous-chef de la Gestapo Schiffner, criminel de guerre responsable des exactions contre les maquis de l’Aude, fut arrêté. Son procès se tint à Bordeaux en mars 1953 au cours duquel, on le condamna à 20 ans de travaux forcés. Il bénéficia de la mansuétude liée aux relations Franco-Allemandes d’après-guerre, retourna chez lui à Hof (Bavière). Réintégré dans la police allemande de cette ville, l’ancien vice-champion d’Allemagne de boxe en 1927 finit sa vie tranquillement en 1995 à l’âge de 86 ans. (source : Sylvain le Noach)

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    Jean Bringer

    Pendant que le Dr Delteil était détenu à la Maison d’arrêt à Carcassonne en compagnie de Bringer et Ramond, la Résistance audoise tenta de négocier la libération de ces deux derniers auprès de René Bach. Paul Barrière fit cette déposition lors du procès.

    "Lorsque le chef Myriel fut arrêté, par le service de renseignements, nous fîmes plusieurs offres d’argent à Bach pour essayer de faire relâcher Jean Bringer. Nous lui fîmes même dire officiellement par Boyer : Qu’il aurait la vie sauve et un quitus pour la somme de 50 000 francs."

    Bach nia qu’on lui fit cette proposition, qu’il aurait accepté pour sauver sa peau. Dans l’article du Midi-Libre de 1945, il est dit que Barrière, qui ne s’était pas rendu au procès comme témoin à décharge, aurait indiqué dans sa déposition que les 50 000 francs auraient été versé à Bach pour faire libérer Mlle Billot, agent de liaison de la Résistance. Or, cette explication ne figure pas dans la déposition officielle. Ceci est illogique puisque Mlle Billot a été arrêtée le 11 juillet 1944, soit un mois après le versement de cette somme.

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    Baudrigue au lendemain de l'explosion


    Jean Bringer périt avec Ramond lors de l’explosion de Baudrigue le 19 août 1944, soit le lendemain du départ du couple Bach en direction de Narbonne. L’agent de la Gestapo Fernand Fau ayant livré Jean Bringer, sera exécuté par un groupe de trois résistants du Corps Franc Lorraine (Maquis de Villebazy), à Villemoutaussou le même jour. Bach sera interné à la Maison d’arrêt de Carcassonne où il se plaindra que les colis de nourriture qui lui sont envoyés, arrivent ouverts et délestés de leur contenu. La suite nous la connaissons, puisqu’il sera reconnu coupable et fusillé sur le champ de tir de Romieu.

    Sources

    Procès de René Bach / ADA 11

    Midi-Libre / Mars 1953

    Midi-Libre / Juillet 1945

    Notes de Julien Allaux / ADA 11

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