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Seconde guerre mondiale - Page 36

  • Le philosophe Julien Benda parle en 1948 à la radio, de sa rencontre avec Joë Bousquet

    Voici un document exceptionnel et totalement inédit de six minutes, que nous avons retrouvé au milieu de quinze heures d'enregistrements de Radio Nîmes. L'écrivain Julien Benda qui séjourna pendant quatre années à Carcassonne de 1940 à 1944 - caché par le poète Joë Bousquet en raison de ses origines juives - accorde une interview à cette radio alors qu'il est de passage dans la capitale du Gard. Julien Benda fit partie des nombreux intellectuels et artistes, à visiter J. Bousquet dans sa chambre de la rue de Verdun. Nous avons retranscrit l'ensemble de cet échange, ô combien intéressant pour l'histoire de notre ville durant cette période. 

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    © Alchetron

    Et d'abord, quand avez-vous quitté Paris ?

    Eh ! bien, j'ai quitté Paris le 10 juin, convaincu d'ailleurs que j'allais y revenir quelques semaines plus tard, me refusant à admettre que l'armée française allait être anéantie en si peu de temps. Et après quelques tribulations, je me suis arrêté à Carcassonne où je retrouvais mon ami Jean Paulhan et où je suis resté quatre ans.

    Vous avez dû être bien malheureux ! Un parisien comme vous.

    Pas du tout ! J'ai admirablement travaillé, ne connaissant aucune distraction extérieure et même, n'étant pas fâché d'échapper à cette atmosphère parisienne. Le parisianisme, qui m'apparaît - autant que j'en puisse juger - être un élément de dissolution.

    Mais, des réunions littéraires avaient cependant bien lieu à Carcassonne ?

    J'allais d'une manière systématique chez le poète Joë Bousquet où je me trouvais l'objet d'un double comportement que j'ai très souvent rencontré dans ma vie. Une entière dissonance intellectuelle du fait de mon rationalisme impénitent, et d'autre part une très réelle sympathie affective. 

    Et qui retrouviez-vous à cette séance ?

    Le regretté Sire (Pierre Sire, NDLR) qui est mort récemment. René Nelli qui s'occupait du volume sur le génie d'Oc publié par les Cahiers du sud et son directeur Jean Ballard, lors de son passage. André Nadal, avant qu'il ne quittât le lycée de Carcassonne pour venir à Nîmes, où j'ai été si heureux de le retrouver l'autre soir. Ils étaient tous très attachants ces hôtes de Carcassonne, non seulement par leur valeur personnelle, mais aussi par leur quasi dévotion si justifiée, en raison de son bon caractère et de son admirable talent pour le grand blessé de guerre qu'est Joë Bousquet. 

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    © Conseil départemental de l'Aude

    La chambre de Joë Bousquet

    Et comment se termina cet agréable séjour ?

    De la manière suivante et qui implique que j'étais favorisé des dieux. Bien que mes amis fussent  tous extrêmement inquiets sur mon compte depuis ces quatre années, je vivais avec un sentiment de parfaite sécurité ; refusant à me mettre à l'abri, beaucoup plus par paresse que par héroïsme, ainsi qu'ils m'y conviaient très instamment et avec beaucoup de raison, particulièrement Jean Paulhan et Aragon.

    Cela pouvait, en effet, être dangereux.

    Evidemment ! Le 18 mai, je venais chez le proviseur du lycée, qui m'avait invité à habiter chez lui si j'avais le moindre ennui, lorsque je vis arriver une jeune fille qui demeurait dans mon immeuble, qui venait m'avertir courant elle-même de réels dangers car elle pouvait être suivie, que deux gaillards de la Gestapo venaient me chercher. Ils eurent même la naïveté apprenant que je n'étais pas là, de soupirer : "C'est bien dommage ! C'est bien dommage !" 

    Eh ! bien vous l'avez tout de même échappé belle.

    J'ai le train pour Toulouse où je suis resté sous un faux nom jusqu'à la Libération. Grâce en particulier au protectorat de l'Institut Catholique.

    Et à la libération de Toulouse ?

    J'y suis resté et ne suis allé à Paris qu'il y a peu de temps. Je suis alors retourné à Toulouse où je compte rester encore un peu de temps.

    Julien Benda raconte également avoir écrit dans sa "thébaïde" de Carcassonne, plusieurs textes pendant les quatre années qu'il passa caché dans notre ville. Certains de ces écrits ont été publiés après la guerre. Il s'agit de "La grande épreuve des démocraties" (Edition de la Maison française à New-York / 1942), "Du poétique selon l'humanité et non, selon les poètes" (Editions des trois collines / 1946), "Le rapport d'Uriel (1946 / Flammarion), "Du style d'idées (Gallimard / 1948), "La France byzantine" (Gallimard / 1945).

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    C'est dans cette maison sise au numéro 15 de la rue Montpellier que Julien Benda habita pendant quatre ans. C'est là qu'il passa son temps à écrire. C'est là qu'il fallait être arrêté par la Gestapo. Nous avons retrouvé le lieu grâce à l'ouvrage suivant : "Le fil des idées. Une éco-biographie d'Edgar Morin" de Françoise Bianchi (2001). Une plaque pour signaler ce lieu de mémoire serait désormais la bienvenue.

    Sources

    Radio Nîmes / 1948

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • Michel Karner (1904-1970), cet Allemand héros de la Résistance audoise

    Michel Karner, né à Münich le 13 septembre 1904, a fait de sa vie une lutte contre la répression et pour les respect de la personne humaine. Dès 1933, Il fit partie des démocrates allemands qui s'opposèrent à la montée au pouvoir du nazisme incarné par Adolf Hitler. Nous allons voir comment cet homme s'est retrouvé à Carcassonne pour combattre au sein de la Résistance locale. Malgré ces faits d'armes, il semble qu'aucun livre ou journal n'ait jamais consacré, dans notre ville, un seul portrait à Michel Karner. 

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    Jusque-là, Michel Karner occupait un poste de monteur-ajusteur au sein d'une entreprise allemande travaillant pour la marine. Alors qu'il s'est établi à Bilbao, pensant échapper au nazisme, la République espagnole est menacée par la guerre civile. Tout naturellement, il rejoint les mouvements anti-fasciste et adhère au Parti communiste du Pays Basque.

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    © Archives de la Guerre civile espagnole (Salamanca / Espagne)

    Après la chute du nord de l'Espagne, désormais dans les griffes des phalangistes, Michel Karner entre au printemps 1937 temporairement en France, avant d'aller combattre dans les Brigades internationales. Quand Franco renversa la République par un coup d'état, des milliers d'espagnols cherchant à fuir se réfugièrent à la frontière et passèrent en France. Le gouvernement français parqua ces étrangers jugés subversifs dans des camps, gardés par des gendarmes. La défaite française et l'avènement du gouvernement de Vichy en 1940, allait considérablement changer le destin de ces familles espagnoles. D'abord, l'Etat Français livra une petite partie des anciens combattants Républicains à Franco. Ils furent torturés et exécutés par les troupes du Caudillo. Dans l'espoir de faire libérer les soldats français prisonniers en Allemagne, Vichy remit aux Allemands les fichiers contenant les noms des Républicains. 26 000 d'entre eux furent contraints de travailler (Travaux forcés) pour l'organisation Todt, à la construction des défenses allemandes le long de la côte. 40 000 furent déportés en Allemagne. Certains purent s'enfuir loin de l'Europe, les autres s'engagèrent dans des mouvements de Résistance.

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    © Memorias del olvido

    Républicains espagnols dans la Résistance française 

    Comme beaucoup d'anciens combattants espagnols, Michel Karner fut contraint aux travaux forcés par le gouvernement de Vichy. Il dut s'employer à la construction des routes et des ponts.

    "En 1927, je déménageais en Espagne et j'y vivais bien jusqu'en 1936. Ensuite, je mettais au service de la République mes connaissances spéciales et mon aide. Je restais isolé en France jusqu'en décembre 1939. Après ma libération, les espagnols purent à nouveau s'organiser. En 1942, les premières attaques de résistance débutèrent." (14 avril 1961)

    Après 1942, Michel Karner fait partie de l'une des compagnies de guérilleros espagnols. Il se bat autour de Carcassonne dans le maquis contre les troupes nazies et la Milice française. Le 20 janvier 1944, il est arrêté avec deux camarades et interrogé dans la caserne Laperrine à Carcassonne. Il racontera son supplice au procès de l'un de ses bourreaux, Oskar Schiffner :

    "J'étais porteur de tracts. On m'a demandé aussitôt de les traduire en allemand. Arrivé au mot "Boche", qui figurait sur une phrase, je fus prié d'en donner le sens exact. J'ai alors déclaré que je ne le savais pas exactement, mais que dans le jargon espagnol cette appellation correspondait à celle de "fou". Inutile de dire comment cette réponse fut accueillie. J'eus la mâchoire cassée, une clavicule fracturée. Je crachais encore le sang, un an après mon retour de déportation. Schiffner a certes participé à mon arrestation, mais il n'était pas là quand je fus maltraité à la caserne Laperrine. Personnellement, il n'est donc pas responsable. Mais j'estime qu'il l'est pour beaucoup dans les mauvais traitements qui me furent infligés par ses compatriotes."

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    Oskar Schiffner sera réintégré dans la police de la RFA après son procès.

    Karner est envoyé à Montpellier puis Compiègne, avant d'être déporté à Neuengamme par le transport du 21 mai 1944. Fin avril 1945, il est libéré avec plusieurs déportés contraints par les SS, de nettoyer le camp et de faire brûler les archives. Michel Karner embarque sur un bâteau en direction de la Suède. Le 11 mai 1945, la Croix rouge suédoise l'évacue. Il revient en France et s'établit à Carcassonne avec son épouse jusqu'à son décès en avril 1970. Michel Karner faisait partie de l'Association des déportés, internés, résistants et patriotes de l'Aude. 

    Sources

    Morir por la libertad / Eduardo Pons Prades / 1995

    Procès d'Oskar Schiffner / 18 mars 1953

    Memorias del Olvido. La Contribución de los Republica- nos Españoles a la Resistencia y a la Liberación de Francia. Actas del Coloquio organizado por la F.A.C.E.E.F. los 9 y 10 de junio de 1995 en el Instituto Cervantes en París, Paris 1996.

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  • Simone Veil s'était réfugiée près de Carcassonne en juin 1940

     Tout le monde sait bien qu'avant la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse que Simone Veil défendit à l'Assemblée Nationale, les femmes n'avaient que des aiguilles à tricoter à s'introduire dans le vagin pour stopper une maternité non désirée. Que beaucoup d'entre elles mouraient d'hémorragies. Que les faiseuses d'anges passaient devant les tribunaux et que certaines étaient même guillotinées. Que d'autres plus fortunées, allaient se faire avorter dans des pays où la pratique était légalisée. Que la majorité des filles mères gardaient leur enfant en l'abandonnant devant les églises ou les maternités, ou bien étaient mises à la rue par leurs familles, se considérant déshonorées. Madame Veil mit ainsi fin à bien des drames sanitaires et sociaux, non sans créer un vif émoi dans les milieux conservateurs et religieux.

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    Simone Veil née Jacob arrêtée à Nice par la Gestapo en raison de sa religion juive, sera envoyée à Auschwitz avec sa mère et sa sœur. Son père et son frère, dans un camp en Estonie. Seule la jeune Simone et sa sœur reviendront vivantes de cet enfer. Dans une interview accordée au Mémorial de la Shoah, Simone Veil raconte pendant près de trois heures ce passé qui la tourmente. Nous avons relevé le passage concernant son séjour près de Carcassonne.

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    Le 10 juin 1940, l'Italie de Mussolini déclare la guerre à la France. A Nice où vivent les Jacob, le père de Simone est un homme posé et clairvoyant. Il n'a qu'une peur ; c'est qu'une fois l'armistice signée, les Italiens ne revendiquent l'ancien comté de Nice et éventuellement la Savoie. "Mes enfants Italiens ? Jamais ! s'exclame t-il." Pensant les protéger de ce péril, il les envoient par le train rejoindre ses oncles et tantes. Ces derniers ayant fui Paris depuis l'invasion de la France par les troupes Allemandes, s'étaient réfugiés dans un village à côté de Carcassonne. Dans les souvenirs de Simone Veil, elle arrive le 15 ou 16 juin 1940 dans cet hôtel près de Carcassonne. Là, pendant trois ou quatre jours, elle vit entassée avec ses oncles et ses tantes. Les gens déracinés pleuraient et l'angoisse se faisait encore plus vive. C'était un lieu où se trouvaient beaucoup de réfugiés Belges. L'atmosphère pesante contrastait avec le bel été chaud qui s'annonçait. Finalement, la crainte d'une séparation encore plus longue avec ses parents amena les oncles et tantes à la renvoyer à Nice. Le téléphone fonctionnait encore... Eux, souhaitaient trouver le moyen de rejoindre l'Angleterre. Simone avec sa sœur et son frère rentra sur la côte d'azur où un effroyable destin l'attendait avec sa famille.

    Peut-être ne saurons-nous jamais dans l'hôtel de quel village, Simone Veil a séjourné. Je pencherais pour Bram, qui fut un lieu de rassemblement important pour les réfugiés de Belgique à cette époque. 

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