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Peintres et sculpteurs - Page 17

  • Comment la plus extraordinaire collection de tableaux de peintres surréalistes disparut de Carcassonne...

    Toute sa vie durant le poète Joë Bousquet ne cessa d'acquérir, d'échanger voire de se faire offrir des toiles de maîtres, comptant aujourd'hui parmi les plus côtés de la peinture surréaliste. On estime à près de 150, le nombre d'oeuvres ayant transité par la chambre du 53, rue de Verdun. Jamais personne n'a été en mesure de recenser avec précision et dans le détail, le catalogue complet des toiles faisant partie de la collection Bousquet. Pierre Cabanne et Yolande Lamarain s'y sont essayés avec brio dans leur ouvrage paru en 2005, mais d'une façon incomplète ; leur enquête se base sur les échanges épistolaires de Bousquet, dans lesquels il évoque certaines de ses acquisitions. De notre côté, nous avons voulu pousser plus loin en recherchant ces toiles d'après les ventes chez Drouot, Sotheby's ou encore Christie's. Certains de nos efforts ont été récompensés, car d'autres tableaux peuvent désormais s'ajouter à la liste de Pierre Cabanne. Ce sera le fruit d'un prochain article...

    À l'évidence, Joë Bousquet - aidé dans sa tâche par Paulhan et d'autres connaisseurs - eut le nez creux et l'intelligence de comprendre que ces artistes quasi anonymes à son époque, allaient prendre une tout autre dimension dans le futur. Ces toiles achetées entre 1930 et 1950 pour 3000 francs en moyenne atteignent des sommets. Pour exemple en 2011, deux tableaux de Max Ernst se sont vendus chacun 2 millions et demi d'euros et 840 000 euros chez Sotheby's - Bousquet en a possédé 28. Ne parlons même pas des toiles de Magritte qui séjourna quatre mois à Carcassonne en 1940 ; elles dépassent le million d'euros - Bousquet en possédait 8.

    Alors comment cette fabuleuse collection a t-elle pu quitter Carcassonne après la mort du poète, alors même qu'il avait souhaité qu'elle ne fût pas dispersée ? 

    Le testament de J. Bousquet

    Il faut d'abord savoir pour comprendre ce qui va suivre que le poète fut "excepté de succession" par son père. Autrement dit, de l'immense fortune du Dr Bousquet il n'en vit presque rien... Dans l'ouvrage "Hypocrisies de Joë Bousquet" (François Berquin / Presse universitaires Septentrion / 2000), le poète Carcassonnais tente d'expliquer les raisons pour lesquelles il a été déshérité par son père. On retiendra deux idées forces : son père a cru que son fils mourait avant lui ; son père n'a pas voulu faire hériter un enfant qui n'était pas de lui. Qui peut raisonnablement étudier la personnalité de Bousquet, sans jamais avoir eu connaissance de cette profonde cicatrice ? Nous vous laisserons lire son émouvant poème "Le déshérité" ; sa nièce - Marie-Denise Aurengo- se confie au mémorial du Chemin des dames :

    "On le lit la larme à l’œil parce que c’est quand même ahurissant, avec la vie qu’il a eue, qu’il ait pu savoir écrire une chose pareille. J’ai essayé de le faire mettre en chanson, j’avais écrit à Yves Duteil et Yves Duteil m’a répondu une lettre très aimable en me disant qu’il n’avait pas le temps en ce moment mais qu’il aurait aimé pourvoir mettre en musique le texte d’un homme qui a dû tellement souffrir dans sa vie. Lisez-le, je trouve qu’il est merveilleux ce poème."

    En ce qui concerne Yves Duteil, l'excellent Jean Pidoux m'avait raconté que le chanteur de "la langue de chez nous" avait habité dans sa jeunesse à Carcassonne dans la rue Marceau.

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    Joë Bousquet rédige un testament en 1943 déposé chez Llobet à Carcassonne. Certains en ont connaissance - ce n'est pas mon cas n'étant pas du sérail templier de la rue de Verdun. Impossible donc de vous dire ce qu'il contient. A défaut, nous nous obligeons à passer par d'autres chemins... Ainsi, sommes-nous tombés sur un courrier de Bousquet en date du 10 octobre 1946, adressé à James Ducellier. Ce dernier fut l'homme de confiance et l'ami du poète qui lui légua un nombre conséquent de toiles de Ernst et plusieurs exemplaires inédits de ces écrits. Dans cette lettre, Bousquet est en train de corriger les épreuves de la Connaissance du soir (Editions Gallimard) et fait établir pour Ducellier un exemplaire de tête se distinguant des dix (Hors collection) nominatifs sur papier couleur - imprimé à son nom et chiffré à part.

    Le poète souhaite créer un cercle Joë Bousquet afin "que pourvu de personnalités morales, ce cercle puisse hériter de mes tableaux et de mes livres." Il s'inquiète de savoir s'il y a avantage financier à faire hériter le cercle, car il ne veut pas que son testament puisse être annulé, où s'il vaut mieux désigner un ou deux exécuteurs testamentaires. Savoir comment domicilier la collection : "mon désir étant que tout reste en place au 53, rue de Verdun. L'exécuteur testamentaire c'est évidemment toi, et à défaut Nelli. Il y aura en outre un lien avec Paris à prévoir officiellement. Soit Paulhan. Car je ne veux pas qu'après mon départ, le cercle se ferme et se provinciale. C'est malheureux la tendance de Nelli. Et ce serait la sclérose.

    Une salle J. Bousquet au musée

    Après un incendie en 1942 et la mise à l'abri des toiles pendant l'Occupation dans un endroit que nous ignorons, le musée des Beaux-arts de Carcassonne ouvre à nouveau en 1948 ; René Nelli occupe alors le poste de conservateur. En 1951, après la mort du poète, le président de la Société des amis de Joë Bousquet souhaite ouvrir au sein du musée, une salle dans laquelle seraient exposées des toiles surréalistes provenant de la collection de l'illustre personnage. Le leg de Bousquet a été partagé entre cinq héritiers membres de l'association ; Nelli leur propose de mettre en dépôt leurs tableaux. Lui-même s'engage à titre d'exemple à déposer des oeuvres provenant de sa propre collection, dont certaines ne viennent pas de chez Bousquet.

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    © Musique et patrimoine

    Cette salle Joë Bousquet constituée essentiellement à ses débuts d'oeuvres surréalistes et abstraites, a finalement perdu tout intérêt au début des années 1960. D'abord, comme le note René Nelli "la collection a été dispersée tout de suite après la mort de Bousquet par la famille et vendue misérablement ; ensuite, un concours de circonstances a amené "les amis" à venir retirer leurs dépôts à partir de 1961. L'année précédente, un gros collectionneur de Carcassonne vendit tous ses Max Ernst - il s'agit sûrement de James Ducellier qui les déposa à la Galerie André-François Petit de Paris. Des marchands d'art firent alors pression sur les cinq personnes ayant confiées des tableaux au musée. Ils revinrent tous sur leur parole - la plupart avaient donné ces tableaux - sans signer de donation définitive. Ainsi furent retirés 3 Ernst , 1 Beaudin, 1 Arp, 1 Dali. Certains confiés à Piet Moget pour les vendre à Paris. On compte parmi leurs propriétaires, deux professeurs de philosophie à la Sorbonne originaires de Carcassonne, un professeur de philosophie et syndicaliste de l'Hérault et la soeur de Bousquet.

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    L'oiseau

    (Max Ernst - Circa 1925)

    La salle Joë Bousquet avait perdu ses pièces maîtresses ; seules subsistaient celles de la collection de Madame Georges Roumens - c'est-à-dire un Ghika et un Metzinger. La ville fera l'acquisition de "Académie de femmes" (Charles Kvapil), "Quai de Conti "(Marquet) et de la tapisserie "Soleil" de Marc Saint-Saëns. Cette dernière s'est longtemps retrouvée accrochée au-dessus du lit de Bousquet. Quant à l'état, il déposera un Guigou, "La cité de Carcassonne" (Valémi) et "le buste de Joe Bousquet (Salomé Vénard).

    L'affaire du Dr Jean Girou

    Jean Girou - érudit local et membre de plusieurs sociétés savantes - favorisa grandement le rayonnement touristique du département de l'Aude à travers le Syndicat d'initiative (ESSI), dont il fut le président jusqu'en 1963. Cette année-là il se confie dans un courrier à Nelli : "Merci d'abord pour le témoignage d'amitié dans mon éviction scandaleuse de l'ESSI à Carcassonne menée par Sablayrolles avec la complicité de Drevet, Noubel et Bonnafous. Il indique avoir eu l'intention de donner sa bibliothèque locale et régionale au Conseil général et au musée, faire une salle Jalabert (10 tableaux) et offrir 10 autres toiles modernes.

    "Je ferme le robinet !"

     Si son portrait peint par Achille Laugé a été offert au musée de Montpellier, en revanche il compte venir reprendre ce qu'il a laissé en dépôt dans celui de Carcassonne : Le portrait de sa femme par Laugé, Une femme nue en pied de Derain, une lithographie de Toulouse-Lautrec représentant Blum à la Revue blanche, son portrait par Desnoyers, "place de la concorde" par Delaunay et "Jeune fille" par Hermine David.

    "Après les manifestations de reconnaissance supprimées par la municipalité !!! Je tiens à récupérer ce que j'ai en dépôt dans votre musée."

    Jean Girou venait également d'écrire une pièce de théâtre en cinq actes "Trencavel et la Louve de Pennautier". Il espérait qu'elle puisse être jouée à Carcassonne, mais l'envoi du texte à Jean Deschamps et Jean Alary, n'a même pas suscité un accusé de réception de leur part.

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    ©Musée de Narbonne

    Jean Girou par Desnoyer

    La démission de René Nelli

    Nelli, déçu et amer d'avoir été ainsi lâché par ses amis, ne va pas être au bout de ses peines en ce début d'année 1963 : "La création de la salle J. Bousquet me valut plus de sarcasmes que d'encouragements". Alors que le musée des Beaux-arts de Carcassonne est fermé depuis deux ans à cause d'une voie d'eau dans la toiture, une tribune signée par un étrange Jean Bedos de Castelnaudary au sujet de la salle Bousquet, va déclencher une polémique dans laquelle la gestion de Nelli se trouve mise en cause.

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    © jacques-zwobada

    Pierre Cabanne à l'Institut du Monde arabe en 1993

    Utilisant un nom d'emprunt (Jean Bedos de Castelnaudary), le journaliste et critique d'art Pierre Cabanne signe une tribune dans le numéro 916 du journal "Arts". Pourquoi un pseudonyme ? Le journaliste est né à Carcassonne ; ce fut un ami de René Nelli puisqu'il lui a offert plusieurs de ses toiles en 1948. 

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    "Je me renseignais et j'appris que les tableaux prêtés par les héritiers de Joë Bousquet avaient été vendus à Paris par l'intermédiaire d'une galerie (André-François Petit, ndlr) et les soins d'un médecin de la ville assisté d'un peintre étranger installé dans la région (Piet Moget ?, ndlr), lesquels, évidemment, avaient largement trouvé leur compte dans l'opération !"

    Le 5 juin 1963, M. Jean Châtelain - Directeur des musées de France - demande des comptes au Conservateur de Carcassonne en lui demandant de s'expliquer sur ces révélations. Le lendemain, René Nelli écrit au maire de Carcassonne - Jules Fil - pour lui annoncer sa démission.

    "Comme les musée est très en désordre, je crois qu'il ne serait pas prudent d'annoncer tout de suite qu'il n'y a plus de conservateur. Cela pourrait tenter les voleurs. Et je tiendrais à passer l'inventaire au nouveau conservateur, après recensement des objets fais en sa présence."

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    René Nelli

    Le 12 juin 1963, Robert Mesuret - Inspecteur des musées de province - prend la défense de R. Nelli dans un courrier à Pierre Cabanne. Il met en évidence les contradictions et la méconnaissance de l'accusateur en ce qui concerne les collections du musée. Comment un illustre inconnu (M. Bedos) peut-il être si renseigné sur la collection Bousquet, alors que l'établissement est fermé depuis deux ans. Le conservateur n'avait aucun pouvoir de s'opposer à la reprise des tableaux par leurs propriétaires. Ces oeuvres auraient pu rester à Carcassonne, à condition que la ville s'en soit porté acquéreur et que cela lui soit proposé. 

    "Nous voyons souvent des collectionneurs qui ont refusé de vendre à un musée, se laisser tenter par des opérations occultes qui échappent au regard du fisc. Et si nous nous souvenons que ceux-ci sont tous des légataires, nous comprenons qu'ils redoutent les agents des finances, que la législation française, moins favorable que celle des pays étrangers, n'a pas su exclure des opérations faites soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, au bénéfice des Musées."

    Ce même M. Mesuret indique cinq jours plus tard :

    "Bien que M. Nelli soit assuré qu'un article aussi malveillant ne puisse trouver un écho ni auprès de M. le Ministre, ni auprès de vous-même, Monsieur de Directeur, il n'a pas laissé d'en être contristé, voire surpris, car M. Cabanne qui est originaire de Carcassonne est son élève et son obligé."

    Il loue la thèse de René Nelli sur "L'érotisme des Troubadours" à la Faculté des lettres de Toulouse et son implication au sein du Laboratoire d'Ethnographie de l'Institut d'Etudes Occitanes où en tant que fondateur, il a fait déposer les collections au Musée Paul Dupuy. La ville de Carcassonne n'a jamais consenti à créer un poste de conservateur à temps plein. Nelli ne touchait qu'une petite indemnité...

    Le 1er octobre 1963 - sans chercher à le retenir - le maire Jules Fil entérine la démission de René Nelli. Il sera remplacé par René Descadeillas - Docteur es-lettres - qui a été correspondant de la Dépêche sous l'Occupation. On avait réussi à avoir la peau de Nelli... Mais qui ?

    Épilogue

    La grande valeur morale de René Nelli ne saurait être remise en cause. Le soutien du Ministère des Affaires culturelles aux arguments du conservateur suffit à le conclure. A contrario, il semblerait qu'à Carcassonne l'on ait obtenu la tête de Nelli par le truchement d'une Kabbale orchestrée dans l'ombre. Jalousies ou vengeances ? En l'état, nul ne peut le savoir.

    Quant à la collection Bousquet... Le Musée des Beaux-arts de la ville pourrait encore aujourd'hui détenir la plus fabuleuse collection surréaliste au monde. Comme l'a écrit Nelli :

    "On ne peut pas demander à des particuliers peu fortunés, pas collectionneurs du tout, et peu enthousiasmés par la ville, de faire à la municipalité des cadeaux aussi somptueux."

    Notons également que le musée prenait l'eau et que ce fut le prétexte pour que les héritiers viennent reprendre leurs toiles. Il a été délivré un reçu à chacun d'entre eux, lesquels pour des raisons diverses sont repartis avec leurs biens. Par exemple, celui-ci vendit à Paris la sculpture de Jean Arp afin d'acheter un nouveau véhicule... L'histoire ne dit pas si le produit des ventes aurait pu aller une Fondation en l'honneur de la mémoire de leur illustre donateur - cela se saurait. Si vous voulez contempler désormais la collection Bousquet, il vous faudra vous rendre à : Musée Dali (Figueras), Musée Thyssen (Madrid), Museum of Art (New York), Musée d'art moderne (Paris), Kunsthaus (Zurich), etc...

    Vendues pour pas grand chose en 1962, ces toiles valent aujourd'hui plusieurs centaines de milliers d'euros. Elles ne retourneront jamais à Carcassonne...

    rené nelli

    La tombe de J. Bousquet à Villalier

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  • Un tableau signé Max Ernst provenant de la collection Joë Bousquet, retrouvé à Madrid

    Selon l'abbé Cazaux, que nous avons interrogé puisqu'il se trouve être le neveu du poète Carcassonnais Joë Bousquet, la collection de tableaux de son oncle ne devait pas être dispersée. Ce serait la recommandation qu'il aurait faite à sa soeur Henriette Bousquet, épouse Patau. Il faudrait bien entendu pour s'en assurer, consulter les dispositions testamentaires de Joë Bousquet - cela semble impossible pour le moment. Comme nous l'avons démontré dans un précédent article, il a été créé après sa mort au Musée des beaux-arts de Carcassonne, une salle consacrée aux toiles de la collection Bousquet. Cette salle aménagée par René Nelli - conservateur du musée à partir de 1948 - n'a duré que dix ans ; elle contenait les oeuvres des peintres surréalistes acquises par le poète ou données ensuite à des amis comme James Ducellier.

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    La ville entière de M. Ernst (1935) fut acquis par J. Ducellier sur les conseils de Bousquet. Il a été exposé en 2013 à la fondation Beyeler de Zürich (Suisse). Qui en est l'actuel propriétaire ?

    Ces toiles prenant une belle cote au fil des ans, les généreux donateurs sont venus les reprendre. Tant et si bien qu'il ne resta que les cinq tableaux dévolus au musée. Que sont-ils devenus ? Selon une source, il n'y sont plus... C'est d'autant plus plausible que conserver actuellement dans les réserves des oeuvres de plusieurs millions d'euros telles que celles de Max Ernst, Magritte ou Fautrier - pour ne citer qu'eux - n'aurait pas de sens. Il est donc préférable de penser qu'elles ont été vendues et dispersées. Où cela ? Certaines d'entre elles - nous le savons - n'ont pas quitté Carcassonne. Il s'en trouverait quelques-unes dans un bel immeuble de la rue Antoine Marty... 

    Arbres solitaires et arbres conjugaux 

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    La toile de Max Ernst ci-dessus fut acquise par Joë Bousquet ; elle se trouvait même de son vivant, au-dessus de son lit. Dans une lettre en date du 24 décembre 1940, Ernst écrit à Bousquet :

    "Tu as raison, Joe. Il vaut mieux ne pas rouler ce tableau, je ne vais pas te priver de la surprise de le voir sortir de sa caisse. Car je pense (je voudrais au moins) qu'il te surprenne un peu et que tu le trouveras au moins l'egal du tableau vert dont tu me parles souvent. Un seul inconvenient si je demande au seul menuisier du village de me construire cette caisse, il le fera tres bien, mais il y mettra quelques mois pour la terminer. Je vais donc essayer de le faire moi-meme. Pour un autre tableau, il a le meme problème avec le chassis qui n'est pas au format desire, ce qui repose la question du menuisier."

    Max Ernst après son internement au camp des Milles n'avait presque plus de ressources. En échange de tableaux, Joë Bousquet lui envoya de l'argent. Ce fut le début d'une longue et profonde amitié entre les deux hommes jusqu'à la mort du poète en 1950. Bousquet peut-être considéré comme un mécène des artistes dont il admirait les toiles ; il a toujours cherché à les protéger et à les sortir de la misère. S'il n'a pas pu profiter de la plus-value que prirent ensuite les oeuvres de peintres jusque-là quasi inconnus, ceux qui en ont hérité se sont sûrement bien enrichis - le prix d'un Dubuffet en 1945 n'étant plus le même en 1960..

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    Cette toile se trouve actuellement à Madrid dans les collections du musée Thyssen-Bornemisza.

    Haut Négoce

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    © ADAGP, Paris 2016

    Toile ci-dessus signée Dubuffet ayant appartenue à Joë Bousquet. Chez quel collectionneur se trouve t-elle ?

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    Ce portrait de Bousquet réalisé par Dubuffet en 1946 à Carcassonne, se trouve actuellement au Muséum Of Art de New-York.  Comment y est-il arrivé ? Je l'aurais bien vu à Carcassonne dans les collections de notre musée. Peut-être y était-il avant 1960...

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  • Mystères et secrets surréalistes du séjour d'Hans Bellmer à Carcassonne...

    Après notre article sur la résidence de René Margrite à Carcassonne au début de la Seconde guerre mondiale, nous avons travaillé sur le cas d'un autre peintre surréaliste qui, lui aussi, résida dans notre ville...

    Hans Bellmer

    (1902-1975)

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    © Droits réservés

    Le peintre, sculpteur et photographe allemand quitte son pays natal à partir de 1938 et s'installe à Paris. Outre Rhin, son oeuvre est alors considérée comme "art dégénéré" par le régime nazi. Après l'armistice de 1940, il est arrêté par la police de Vichy et emprisonné au camp des Milles (Aix-en-Provence) pendant cinq mois, avec Max Ernst. Son crime ? Un accord d'armistice entre la France et le Reich afin de lui livrer les réfugiés ayant fui l'Allemagne d'Hitler. Le 30 janvier 1941, Bellmer est requis à Forcalquier pour refaire des chemins ; il dormait à la prison de la ville. En mai 1940, il se retrouve au camp de Meslay-du-Maine (Sarthe) et au cours d'un ordre d'évacuation, il monte dans un train de marchandises pour Toulouse. Pour échapper aux contrôles, il jette son passeport dans les égouts. Pour la Résistance, il fabriquera des faux papiers ; sur l'un d'entre-eux, il s'attribue le nom de Jean Bellmer.

     Bellmer est avant tout un dessinateur plus qu’un photographe, mais c’est la réception d’une caisse remplie d’objets issus de son enfance un été qui va le pousser à la construction de sa fameuse Poupée en 1933. Composée en deux temps, cette œuvre souvent qualifiée de totale et d’étrange, attire physiquement et nous renvoie à nos désirs. La première Poupée de Bellmer est avant tout une réflexion sur l’enfance, la fuite vers cette période inconsciente de notre vie dans une époque ou l’Europe s’avance vers la Seconde Guerre mondiale. (Centre Pompidou)

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    La poupée de Bellmer est articulée et transformable ; comme les mots dans un anagramme, elle peut évoluer vers d'autres formes d'expression du désir et de la pensée. Comme fervent admirateur du marquis de Sade, il érotise cet objet avec la perversion d'un écrivain qui voudrait tordre l'esprit de ses lecteurs jusqu'à les rendre dépendant de son univers fantasmatique. 

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    Entrée de la maison de Joe Bousquet, rue de Verdun

     Hans Bellmer ne pouvant s'exiler aux Etats-Unis entre dans la clandestinité ; il passe son temps entre Castres, Toulouse et Revel. Dans cette dernière ville, il sera logé chez le philosophe Jean Brun. En 1944, il fait la connaissance de Joë Bousquet et vit à son crochet qui lui trouve des commandes auprès de ses amis. Il réalisera son portrait en 1945. Bellmer_Portrait_de_Joe_Bousquet_03.jpg

    Joë Bousquet par Bellmer (1945)

    Comme pour notre travail sur Magritte, nous avons voulu savoir ce que faisait Bellmer à Carcassonne et dans quel endroit il logeait. Pour ce faire, l'étude de certaines lettres nous a mis sur la voie... Déjà en 1945, Bellmer appelle Bousquet au secours dans un courrier envoyé du Grand Café Glacier de Castres. Il s'était marié en 1942 avec sa seconde épouse dont il eut deux jumelles Doriane et Béatrice. Le couple ayant explosé, il a fait la connaissance de Nora Mitrani, sa maîtresse et son modèle.

    "Ici avec "ma femme", c'est la terreur. C'est un jeu. Elle veut abolir mon existence, morale, matérielle, physique. Et moi, réciproquement, mais infiniment moins ardemment. Car elle ne m'intéresse plus. Pour éviter toute exagération, je dis : cet exemplaire de la race humaine n'est de ceux que nous estimons. (...) Ne m'oubliez pas - si je pouvais vous voir avant d'aller à Paris.

    Le journaliste Pierre Cabanne (né à Carcassonne) décrit un Hans Bellmer infréquentable cherchant la rébellion et le scandale. C'est en avril 1946 qu'il débarque chez Joë Bousquet avec Nora Mitrani, sa maîtresse de vingt-cinq ans. Celui-ci lui reprochera de s'être installé - avec quel argent ? - dans l'hôtel le plus cher de la ville (Hôtel Terminus). À l'automne 1946, le peintre allemand est aux abois car il doit quitter le logement de Jean Brun à Revel. Ce dernier partant s'installer à Paris, Bellmer va se retrouver à la rue d'ici à septembre. Il écrit à Joë Bousquet :

    "Toutes mes affaires seront dans la rue si jusque-là vous et Camberoque n'avez rien trouvé pour moi à Carcassonne."

    Le poète Carcassonnais lui répond alors :

    "A la croisée des chemins où vous arrivez, tout peut-être, par vous seul, sauvé ou perdu. Balayez tous les détails de lieu ou de temps, qui ne changent rien à l'affaire ; dire Revel ou Carcassonne ou La Palme quand il y a un fleuve à dévier, c'est tromper son génie. Ces questions ne se posent que dans la mesure où la question fondamentale sera résolue : Cette question la voici : 1/ Comment organiser vos prodigieuses ressources artistiques sous forme d'un métier vous permettant de vivre ? C'est la seule. Toute réflexion concernant l'injustice ou la sottise d'une société est oiseuse, nous savons cela. 2/ Qu'avez-vous fait dans ce sens ? Jusqu'à présent rien. Vous avez utilisé vos dons extraordinaires à votre seul usage et pour l'enchantement de vos amis. Si vous ne réagissez pas, vous serez broyé..."

     Dans les "Lettres à Stéphane et à Jean" publiées chez Albin Michel en 1975, Bousquet écrit le 22 janvier 1947 :

    "Hans Bellmer habite à Carcassonne. Je l'ai logé dans un bobinard désaffecté. Il y fait avec un talent extraordinaire les illustrations des 120 journées de Sodome de Sade, livre que je n'aime guère. Mais les dessins sont inouïs."

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    Il s'agit de l'ancienne guinguette du Grougnou au Pont rouge. Longtemps, elle fut un lieu de rendez-vous discret à la sortie de la ville pour les amours illégitimes. Tout ceci paraît un peu glauque... Bellmer logea ensuite en septembre 1946 à la Villa Jeanne, située à un kilomètre de là dans une maison de campagne de la famille Camberoque.

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    La villa Jeanne avant le carrefour de Bezons

    Après sa rencontre avec Georges Bataille à Paris, Bellmer exécute 6 gravures érotiques pour illustrer la seconde édition du texte sulfureux de l'auteur de "L'histoire de l'oeil". Bataille le signe sous le pseudonyme de Lord Auch. Le tirage de ce livre sera en grande partie détruit par la polie français. Il n'existe que 199 exemplaires. Bousquet confond-il avec les "120 journées de Sodome" ?

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    Quelques temps plus tard - toujours à Carcassonne - Bellmer prend une série de photographies de Nora Mitrani dans des positions très équivoques. Ceci, comme base d'étude à "l'histoire de l'oeil". Elles seront développées clandestinement à Albi.

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    La croix gamahuchée

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    Rose au coeur violet

     Nora Mitrani souhaite avec Bellmer transformer une phrase du sonnet Artemis de Gérard de Nerval en une série d'anagrammes. Comment dire ?... Le jeu n'en sera que plus riche, si Joë Bousquet y participe. Le fantasme du couple, vire au trio littéraire.

    Se vouer à toi ô cruel
    A toi, couleuvre rose
    O, vouloir être cause
    Couvre-toi, la rue ose
    Ouvre-toi, ô la sucrée

    Va où surréel côtoie
    O, l'oiseau crève-tour
    Vil os écœura route
    Cœur violé osa tuer

    Sœur à voile courte
    écolier vous a outré
    Curé, où Eros t'a violé
    où l'écu osera te voir
    Où verte coloriée sua
    cou ouvert sera loi

    Hans Bellmer raconte :

    "Nora voulait intituler le livre qu’elle écrivait sur moi Rose au cœur violet. C’est un vers de Nerval. Je trouvais cela trop fleuri, trop doux. Nous étions dans une épicerie-buvette. L’un ou l’autre a proposé de faire des anagrammes avec le vers de Nerval. Oui, ce fut comme une fièvre. Les anagrammes se font mieux à deux, un homme, une femme. Une espèce de compétition, ou plutôt une vivacité qui s’attise réciproquement ..."

    Jean-Claude Marceau analyse ces anagrammes dans la revue Mélusine :

    Le titre renvoie à l’expression érotique "faire feuille de rose" et à la coloration des muqueuses. Et "violet", couleur d’évêque, peut s’entendre aussi : "violé". Joë Bousquet, nous rappelle-t-il, avait le projet d’écrire avec Bellmer une " Justification de la sodomie". [...] Ce calligramme en forme de croix renversée multiplie les références au symbolisme phallique et à l’onanisme, comme aux fantasmes sadomasochistes de prostitution et de viol. Chaque ligne de ces anagrammes porte sur un thème érotique plus ou moins déguisé. 

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    Portrait de femme par Bellmer (1947)

    En 1947, Hans Bellmer écrit à son ami l'éditeur Henri Parisot :

    "Il ne me restera plus qu'à aller à Carcassonne pour faire quelques portraits..." "Je ne sais pas si je pourrai venir maintenant à Paris pour l'exposition. Je n'ai pas de l'argent et je verrai peut-être passer outre la chance de me sortir de ce trou de Carcassonne."

    Quand Bellmer n'avait pas le sou, il faisait des portraits de Carcassonnais issus de la vieille bourgeoisie catholique de la ville. Ces dessins payés quelques francs en 1947, valent des milliers d'euros aujourd'hui. Ils ornent encore les murs des salons de certaines familles dans Carcassonne. Un peu de perversité en somme dans le quotidien des prétendues bonnes moeurs...

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