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Patrimoine disparu

  • Les fourches patibulaires de Carcassonne, lieu de supplice

    Connaissez-vous les Fourches patibulaires ? C’est pourtant à cet endroit qu’au Moyen-âge et même après, les condamnés à mort terminaient leur existence. Regardons d’abord l’étymologie du mot « patibulaire » ; il provient du latin « patibulum » qui signifie croix, potence ou encore perche. Pourquoi donc les fourches, me direz-vous ? L’origine du terme est fort ancienne ; elle date de l’époque romaine. Après avoir dépouillé le condamné à mort de tous ses habits, on lui faisait passer la tête dans une fourche, et son corps attaché au même morceau de bois était battu à coup de verges jusqu'à ce que mort s’ensuive. Au fil du temps, la pratique s’humanisa davantage. A la sortie des villes et en bordure de la route afin que tout le monde puisse les voir, trois piliers appelés fourches encadraient un gibet. Le corps des condamnés, après avoir été pendus, demeurait ainsi pendant des jours jusqu’à que les corneilles n’en fassent leur affaire.

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    Les fourches patibulaires de Kergroadez (Finistère)

    A Carcassonne, les fourches patibulaires se trouvaient à la sortie de la ville sur la route de Montréal. Exactement, face à la gendarmerie située dans le quartier Saint-Jacques. De l’autre côté de la chaussée, sur la colline on avait installé la fameuse potence. A cet endroit a été construit au XIXe siècle, une propriété arborée appelée « La Justice » appartenant au chirurgien Héran. En fait, tout ce coin a été dénommé ainsi. Le parc au matériel de la mairie c’est l’ancienne caserne de la Justice. Il y avait également la croix de la Justice en bordure de cette route. Ce s’explique aisément par la présence des anciennes fourches patibulaires, aujourd’hui disparues. Nous avons recherché et trouvé dans la Revue historique, scientifique et littéraire du département du Tarn parue en 1895, un témoignage de l’utilisation  de ce lieu dans notre ville.

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    © B.N.F

    Il y avait à Lavaur dans le Tarn, au cours de la seconde moitié du XVI siècle, un notaire nommé Jean de Avinhone. Il ne se gênait pas pour raturer et falsifier des actes pour le compte de certains de ses clients, en contre-partie de pièces de monnaie sonnantes et trébuchantes. Bien mal acquis ne profite jamais et notre notaire, dénoncé, fut arrêté en 1463. Incarcéré au château de Lavaur, son procès ne dura pas longtemps. Le juge Arnaud de Ripparic lui infligea une amende de dix livres tournois au profit du trésor du Comte de Candale et de Lavaur. Ses livres furent saisis et on lui interdit la pratique du notariat. Il fut condamné également au pilori pendant son jugement. Après cette sentence, l’ancien notaire se trouva oisif et démuni. Il alla reprendre néanmoins ses activités de l’autre côté du l’Agout, à Saint-Georges-des-Marès, pensant ne plus être dans la juridiction de Candale. Le Sénéchal de Carcassonne veillait. Lors de l’une de ses incursions à Lavaur, le notaire fut pris par un sergent royal, amené à Carcassonne et emprisonné. Sa récidive lui fut fatale et quelques jours après son cadavre se balançait aux au centre des fourches patibulaires de la Justice. Son chien, son seul et dernier ami, demeura près de huit jours près du gibet, aboyant et hurlant à la mort.

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    Voici ce que l'on pouvait voir depuis la route de Montréal, comme à Nîmes

    Quand vous passerez par la route de Montréal, actuellement avenue Henri Gout, levez donc les yeux vers la colline. On ne sait jamais si le spectre de l’un de ces condamnés ne s’y promène pas la nuit….

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  • Le champ de tir de l'Estagnol et la Société mixte de tir de Carcassonne

    Au mois d’avril 1886 se fonda à Carcassonne, une Société mixte de tir placée sous les auspices du lieutenant-colonel Raynaud, commandant le 127e régiment territorial d’infanterie. Cette société  avait pour objet de développer les aptitudes militaires et de propager le goût du tir, par des concours où des prix étaient distribués aux plus habiles tireurs. L’élan patriotique devait conforter le ferment de la nouvelle IIIe République en rendant la pratique du tir accessible à tous. Déjà, trois cents adhérents avaient rejoins cette association, administrée par sept membres : MM. Raynaud (Président d’honneur), Bousquet (Président) résidant 5 bd Barbès, Bertrand (Officier de tir) à Azillanet, Déoux (Officier trésorier) résidant route minervoise, d’Hébrail (assesseur) à Laurac-le-Grand, Paul Drevet (assesseur) au Faubourg Tivoli, Amiel (assesseurs) rue des Halles et Limousis (assesseur) rue des Jardins. 

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    L'ancien champ de tir au Brescou entre la Cité et Cazilhac

    L’année suivante, le nombre de sociétaire ne fit que grimper s’élevant à 650. Paradoxalement, le succès de la Société mixte de tir allait vite devenir un problème pour les organisateurs des concours et des entraînements. Tous les dimanches, une voiture devait amener les tireurs depuis le square Gambetta sur le champ de tir de garnison, au lieu-dit « Brescou » près de Cazilhac. Situé sur l’actuel emplacement des « Ecuries de Sainte-Croix », le site, que la commune louait 1000 francs, avait le désavantage d’être éloigné de la ville. Inaccessible aux voitures, il fallait faire une bonne partie du chemin à pied. Cette contrainte commençait à en décourager plus d’un et la société devait enregistrait déjà des défections sans ses rangs. L’urgence était de trouver un terrain à proximité du centre-ville afin d’y construire les stands, nécessaires à l’exercice des tirs. Fallait-il encore que cela ne fût pas trop près des habitations… Dans un premier temps, la Société mixte de tir croit avoir trouvé l’emplacement idéal pour ses activités. Il s’agit de terrains près du Pont d’Iéna ; ils longent la voie ferrée sur la ligne Carcassonne-Quillan. Paul Drevet, négociant et juge au Tribunal de commerce, est choisi en sa qualité de vice-président pour négocier avec les propriétaires Jouy et Netzer. Les pourparlers engagés avec la municipalité le 9 juillet 1891 sur l’octroie d’une subvention pour l’acquisition des terrains va se heurter à la gourmandise des vendeurs. L’appétit du gain va les amener à doubler le prix qu’ils en souhaitaient au départ. La société devra à nouveau se mettre en quête d’une parcelle suffisamment grande pour effectuer des tirs à 300 mètres. L’affaire sera finalement conclue le 28 avril 1892 chez Me Amigues, entre Madame Guillard Hortense-Eugénie veuve de J-F Carrère et la ville de Carcassonne pour le compte de la Société mixte de tir, usufruitière du bien pendant 30 ans. Les deux parcelles acquises se trouvent à L’Estagnol à l’arrière du domaine de la Justice.

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    Sur les actuelles rues d'Isly et Daumier. A l'arrière, le domaine de la Justice

    Le montant du devis réalisé par l’architecte de la ville pour la construction des stands de tir se monterait à 24 000 francs. Tout allait pour le mieux, surtout que la municipalité venait de voter une subvention de 4000 francs annuels pendant six ans pour financer les travaux. Hélas, en cours de route, il fallut revoir l’ensemble des plans. La transformation des armes de guerre et la puissance des fusils Lebel a incité l’État à modifier les normes des stands de tir. Non sans conséquences pour le budget alloué, à cause de l’augmentation du montant des travaux. Malgré le concours du Génie de Castres, la facture dépassait de 11000 francs par rapport au devis initial. La Société de tir, dans l’incapacité d’éponger la dette, allait se retourner vers la ville. Celle-ci consentit à prolonger de deux ans la subvention de 4000 francs allouée annuellement, soit huit ans de 1892 à 1899.

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    Le 7 février 1896, le préfet de l’Aude approuva les plans et les devis et le 23 mars, la commune autorisa la Société mixte de tir à procéder à l’adjudication des travaux. Les exercices de tir sur cet ancien étang appelé Estagnol ne durèrent que quelques années. Mal entretenu, bientôt désaffecté, à la veille de la Grande guerre plus aucun tir ne partait des stands ruinés. En octobre 1914, les tirs sont interdits en raison du danger pour le voisinage. La Société mixte de tir s’était repliée au nouveau champ de tir de Villemaury, mais gardait la jouissance de celui de l’Estagnol dont elle ne faisait rien.

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    Aussi, quand la mairie a vendu les deux parcelles à Jules Garric en 1919 après l’incendie, le Stand Carcassonnais (ex, Société mixte de tir) envoya une lettre de protestation. Il s’ensuivit une longue et coûteuse procédure judiciaire de la part de M. Garric pour démontrer que la société ne pouvait plus se prévaloir de l’usufruit. Dans son délibéré, la cour estima que la Société de tir usant des terrains dans un intérêt public n’exerçait pas de véritable usufruit et n’était pas soumise à la limitation de trente ans. La famille Garric gardait la nue-propriété sans pouvoir toutefois en user à sa guise. L’état lamentable des parcelles sur lesquelles avaient poussé des jardins potagers les rendait inconstructibles. Il faudra attendre le milieu des années 1960 pour qu’enfin la famille Garric soir autorisée à lotir. C’est ici que se construisit le quartier Pasteur selon les plans d’Henri Castella. Tous les entrepreneurs du coin vinrent se délester de leurs gravats afin de niveler le terrain, autrefois paradis des batraciens. Ainsi, sortit de terre un lotissement tout neuf sur l’ancien champ de tir.

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    L'emplacement des anciens stands entre la rue Maurice Utrillo et l'angle des rues d'Issy et Honoré Daumier.

    Sources

    Je remercie Madame Marthe Garric pour avoir accepté de me communiquer l'ensemble de ses archives inédites, conservées au fond d'un tiroir.

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  • Le voyage du Marquis de Paulmy à Carcassonne et l'embellissement de la ville

    Parti de Paris le 1er juillet 1752 pour inspecter les places militaires méridionales de la France, le Marquis de Paulmy (1722-1787) traversa les provinces du Dauphiné, de la Provence, du Languedoc et du Roussillon. En carrosse, à cheval où sur les canaux, ce périple de 805 lieues soit 3800 kilomètres, amena le Secrétaire d’État de la guerre à s’arrêter dans de très nombreuses bourgades et villes fortifiées, parfois pour quelques jours ou, le plus souvent, pour quelques heures. L’ensemble de son parcours et de ses étapes est scrupuleusement détaillé dans la carte ci-dessous - collection particulière du marquis, conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal.

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    © Bibliothèque de l'Arsenal

    On ne saurait trop imaginer de nos jours toutes les contraintes liées à l’intendance et aux méandres de chemins peu assurés, ni forcément carrossables. Voyez un peu que son équipage fut en voyage jusqu’au 29 septembre, date à laquelle il s’en retourna à Fontainebleau.

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    Antoine-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, en provenance de Perpignan où il séjourna trois jours, traversa d’abord Narbonne avant de dîner à Barbaira. Il ne rejoignit Carcassonne que très tard dans la soirée et y passa la nuit du 15 septembre. Le lendemain, après avoir été accueilli par le maire et les consuls, il s’en alla inspecter la Cité et les casernes. C’est à cette occasion que le maire perpétuel, M. Beseaucèle, lui présenta une requête émanant de l’ensemble des consuls. Dans le cadre des projets d’embellissement de la ville, une nouvelle porte devrait être substituée à celle des Jacobins. Toutefois, afin de parvenir à ce remplacement, il conviendrait de démolir la demi-lune qui obstrue désormais l’entrée de la Ville basse. Appelée également ravelin ou boulevard, cette fortification avait été construite au XVIe siècle en même temps que les quatre bastions. Les Carcassonnais la nommaient le « Petit Quay ». On retrouve fréquemment dans l’architecture militaire de Vauban, ce type d’ouvrage défensif. 

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    © ADA 11

    Emplacement de la demi-lune devant la Porte des Jacobins 

    M. Beseaucèle ne manquait pas d’arguments afin que M. le marquis intercédât auprès du roi en faveur de sa requête. Après lui en avoir présenté le plan, il mit en avant le côté obsolète de cet ouvrage, pratiquement ruiné, en raison du déplacement de la frontière depuis le traité des Pyrénées. Avant de reprendre la route en direction de Castelnaudary, le ministre de la guerre de Louis XV promit d’en référer à M. Maréchal, ingénieur de la province du Languedoc. Il repartit de Carcassonne avec sa suite le 16 septembre 1752 au petit matin et entra dans la cité chaurienne où l’attendait le régiment d’Anjou et le 1er bataillon du régiment de Bourgogne. Il s’en retourna le lendemain, passa par Villepinte, dîna à Villedaigne et séjourna une nuit à Narbonne. C’était le 17 septembre 1752 ! Il faudra attendre plusieurs mois avant qu’une réponse ne soit donnée aux consuls de Carcassonne. Elle interviendra de la plume même du marquis, le 10 mars 1753 et sera notifiée à l’Ingénieur du Languedoc :

    « J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le 14 du mois dernier, à l’occasion de la permission que demandent les maires et consuls de la Basse ville de Carcassonne, de faire démolir la demy lune Cottée 35. D’après votre avis, le roy trouvera bon qu’elle soit détruite. Je vous prie d’informer les magistrats de cette décizion ».

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    Nous avons recréé à l'échèle l'emplacement exact de cette fortification. La partie située à l'Est s'étendait sur cent mètres de long ; à l'intérieur on avait installé une glacière. Il faut imaginer également les fossés de la ville sur l'actuel Boulevard Barbès et Roumens.

    Malgré cette réponse satisfaisante, les consuls décidèrent d’attendre avant de mettre leur projet à exécution. Il fallait d’abord trouver une utilité aux matériaux récupérés sur cette démolition. La délibération municipale du 6 juillet 1758 proposa de créer un nouveau chemin depuis le boulevard dit « de l’exécuteur » jusqu’à la Porte des Cordeliers. Dans le même ordre idée, on fixa la réparation les réparations que l’évêque souhaitait réaliser depuis la Porte des Cordeliers jusqu’au Bastion dit de Montmorency.

    Il s’agit de l’actuel boulevard Jean Jaurès, au bout duquel se trouvait le Bastion dans lequel vivait le bourreau, et de l’entrée de la rue de Verdun vers l’autre Bastion Montmorency sur le boulevard Camille Pelletan.

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    © ADA 11

    Le comblement des fossés côté boulevard Jean Jaurès

    Ce deux chemins devant s’étendre sur une partie des anciens fossés qui servait à écouler les eaux de la ville, Garipuy - Directeur des chemins de la Province - résolut d’éloigner ces fossés des remparts en les transportant sur le côté opposé. Ne resteront près des remparts que sept aqueducs découverts, servant à écouler les eaux dans les dits fossés. En conséquence de quoi, ils seront recouverts et les anciens fossés comblés par les matériaux provenant de la destruction de la demi-lune des Jacobins. On céda ces matériaux à Pélissier et une somme de plus de 3000 livres pour les travaux. Si l’on creusait sous le boulevard Jean Jaurès, on retrouverait peut-être une partie des pierres de la fortification de la Porte des Jacobins.

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