Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 82

  • La pension de Mlle Cèbe, 15 rue de Verdun à Carcassonne

    Au XIXe siècle, la ville de Carcassonne possédait de nombreuses institutions privées pour l’enseignement des filles et des garçons. La mixité n’étant pas encore entrée dans les mœurs, chaque pensionnat gardait sa spécificité. Au n°6 de la rue Victor Hugo, la pension Maure dirigée depuis longtemps par la femme du professeur de philosophie du lycée, préparait les jeunes filles de la bourgeoisie Carcassonnaise au Brevet élémentaire ou supérieur et même à l’Ecole normale. Elle garantissait la haute valeur morale de l’établissement et affichait régulièrement dans la presse le succès des élèves reçues aux examens. Lorsque Madame Maure cessa son activité, Anne-Marie Cèbe lui succéda dans le local du n°6 rue Victor Hugo. Cette demoiselle née à Pexiora le 23 mai 1855 profita de la réputation de celle qui la précéda mais ne resta pas longtemps à cet endroit. Le 20 juin 1890, le local en location fut repris par la pension de Mademoiselle Jouve.

    Pension Cèbe.jpeg

    Les élèves de la pension Cèbe en 1905

    Mademoiselle Cèbe alla s’installer dans l’actuelle rue de Verdun au n°13, à côté de la chapelle des Dominicaines. On y accédait par un couloir dallé, débouchant sur une cour carrée pavée de galets. Au fond, un autre couloir conduisait à a cour principale entourée par les classes et le préau. Au premier, il y avait le réfectoire, le parloir et une partie des dortoirs, les autres se trouvant au second. En 1905, la pension comptait quarante internes et deux cent cinquante externes, qui apprenaient l’histoire et la géographie avec Madame Pomiès. Les sciences étaient enseignées par M. Vergé. Mesdames Latché et Valette apprenaient le français aux élèves ; Mademoiselle May Byrne, irlandaise de son état, donnait les cours d’Anglais et Madame Webfter, la musique.

    Hortense Larregola (née en 1882) dirigeait les petites classes, aidée par Mlle Adèle Oustric. Cette dernière dont l’extraordinaire beauté faisait l’admiration de la ville avait une jeune sœur prénommée Antoinette et un frère Albert (1887-1971). Le fils du cafetier de l’Ambigu à Carcassonne fonda une banque à Paris, mais sa faillite frauduleuse entraîna sa chute plusieurs hommes politiques éclaboussés par le scandale. 

    A la pension Cèbe, le lever était à sept heures. Toilette, demi-heure d’étude avant le petit déjeuner qui était servi une heure plus tard. La cuisinière, Eugénie, était une femme corpulente mais un peu sale. Elle possédait un chien plein de puces qu’elle gardait dans sa chambre. Le midi on servait des hors-d’oeuvre, légume, viande, dessert et vin à volonté. Le dîner, un potage toute la semaine sauf le vendredi, où l’on servait du thon. Le dimanche c’était poulet ; les élèves se dévouaient pour aller écosser les petits pois à tour de rôle.

    2317361770.jpg

    A la fin de l’année, les élèves construisait une estrade dans la grande cour et le jour de la distribution des prix, ils y jouaient des pièces de théâtre. Les décors étaient prêtés par M; Lambrigot, l’antiquaire qui occupait la chapelle.

    A la suite de la pension Cèbe, l'institution Jeanne d’Arc de filles fit l'acquisition de l'ensemble de l'immeuble de la rue de Verdun. Madame Dubéchot en était la directrice. On citera les professeurs Mesdames Jambrun, Brulard, Raynaud, Labardens, Bonnabry, Gouzy, Huc, Martin, Aribaud, Bélondrade, Salillas et Durand. L'institution eut ainsi deux sorties, l'une rue Aimé Ramond et l'autre dans la rue Coste-Reboulh. Sur cette photo, à l'emplacement de l'agence immobilière il y avait deux fenêtres à barreaux (voir gravure Lambrigot). L'une était le logement des concièrges, deux femmes assez agées avec un chignon sur la tête. L'autre, le parloir dont la porte donnant sur le couloir a été murée était au départ le bureau du quincaillier Pouchelon.

    663145557.jpg

    L'Institution Jeanne d'Arc quitta les lieux en 1929 et alla s'installer dans la rue Victor Hugo où elle est encore. La chapelle des dominicains devint alors, la mercerie-bonneterie de Joseph Fourès. Les bâtiments de l'école devinrent en majorité des appartements. A l'ancien parloir s'installa l'herboriste Alexandre Renaud qui jouait à l'ASC. L'ensemble de l'immeuble au rez de chaussée fut modifié. D'abord en 1933 par Robert Ducos. A droite du couloir, il fit un bar à café (Café Biec et biscuits Curat-Dop) et à gauche, une épicerie. La devanture resta en l'état jusqu'aux années 1960 puis, il céda l'épicerie à madame Lauze.

    Capture d’écran 2020-09-21 à 15.03.40.png

    Anne-Marie Cèbe venait de Pexiora. Son nom est un dérivé de l’occitan Ceba (prononcez Cebo) qui signifie oignon. Dans l’Hérault, une ville s’appelle Lézignan-la-Cèbe. Elle était parente avec M. Emile Félix Arthur Taillefer (1863-1929), pharmacien originaire de Sérignan, 41 rue de la gare à Carcassonne. Cet homme marié à Marie Cèbe (1870-1954) eut deux fils dont l’un fut tué le 23 avril 1918 durant la Grande guerre. L’autre, s’appelait René Taillefer (1895-1968).

    Sources

    Etat-civil / ADA 11

    Le courrier de l'Aude

    Souvenirs de Madame Taillefer, née Dumas

    Raucoules (Alfred), La grand rue

    __________________________________

    © Tous droits réservés / musique et patrimoine / 2020

  • L'histoire d'un immeuble oublié, 52 rue de la République

    Située au cœur du Carron de Montlaur dessiné sur le plan de Bonnelevay en 1729, se trouvait dans la rue Sainte-Eulalie la maison du Sieur Raymond Montlaur, marchand fabricant. A cette époque, point de rue de la République bien évidemment, mais une artère qui changera d’appellation en fonction des régimes politiques : Lafayette, Sainte-Lucie puis République à paris de 1870. Intéressons-nous au n°52 (autrefois, n°50) dans lequel depuis la première moitié du XIXe siècle, un établissement de bains d’abord dénommé « Bains Montlaur » offrait toutes les commodités modernes. Sur le recensement de 1851, un certain Jacques Dardé (1791-1862), baigneur de son état, gérait à cet endroit les Bains Sainte-Lucie. On y prend des douches en lance, en pluie ou en lames, des fumigations, des bains vapeurs et des bains russes.

    Bains.jpg

    Cet immeuble accueille à ce moment-là le premier musée des Beaux-arts de la ville, initié par la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne qui, bien qu’organisée en 1836, venait tout juste d’être officialisée. Ouvert au public tous les dimanches et jours de fête, visible tous les jours pour les étrangers, il expose tableaux, dessins, aquarelles, gravures, bas-reliefs, plâtres, mosaïques, statues, bustes, chapiteaux, tombeaux, urnes, vases, armures, monnaies, etc. Au total, pas de moins de 181 tableaux ou dessins y sont conservés.

    Capture d’écran 2020-09-19 à 09.39.17.png

    © Famille Bru-Millet / Généanet

    Le docteur Jacques Jean Baptiste Carbou, Chevalier de la Légion d'honneur en 1928

    En 1874, l’immeuble est reconstruit à neuf et mis en vente avec ses magasins, remises, écuries, son grand jardin et son établissement de bains. Il revient dans les giron de la famille Salières. Paul Narcisse (1818-1908), artiste peintre, y réside ; il y réalisera le portrait de la famille Carbou dont le père Jacques Jean Baptiste (1857-1939), médecin chef des hôpitaux de Carcassonne, a repris l’établissement des bains. Narcisse Salières n’est autre que son oncle ; Antoinette (1822-1886), la mère de Jacques Jean Baptiste Carbou, est la sœur du peintre. L’immeuble des Carbou abrite également un autre artiste de grand talent en la personne de Jean Jalabert (1815-1900), conservateur du Musée des Beaux-arts.

    Carbou.png

    © Musée des Beaux-arts

    Paul Carbou à l'âge de 5 ans par Salières

    Capture d’écran 2020-09-19 à 15.54.28.png

    © Famille Bru-Millet / Généanet

    Paul Carbou à l'âge de 5 ans en photographie

    Le docteur Carbou fait procéder en 1903 à de nouveaux aménagements dans le but de moderniser l’établissement.

    « Nous savons en effet, que les Bains Sainte-Lucie possèdent un jardin ombragé et charmant, sur lequel donnent toutes les cabines et un appareil hydrothérapique des plus complets. Une partie des loges, dont l’intérieur est entièrement refait de frais, sont meublées d’une jolie baignoire émaillée, toute neuve, d’une glace superbe, avec étagère en marbre blanc et de deux chaises coquettes. Le vieux système de cloche d’appel est remplacé par une sonnerie électrique ; il suffit d’appuyer sur le bouton posé près de la baignoire, pour que le baigneur, M. Nouvel apparaisse pour répondre. Les anciennes baignoires en cuivre étamé, offraient un aspect peu engageant, tandis qu’aujourd’hui, ces baignoires émaillées et toutes neuves, dans leurs cabines toutes pimpantes de frais, vous invitent aux ablutions. »

    Le Bains Sainte-Lucie fermèrent leurs portes au début des années 1930. Jacques Jean Baptiste Carbou mourra neuf ans plus tard. Il est inhumé dans le caveau familial Carbou-Martrou au cimetière Saint-Vincent. Il nous semblait important en ces Journées européennes du patrimoine de signaler la présence de cet établissement oublié et de toute son histoire. On regrettera que ce blog, malgré son millier d’article rédigé depuis 2010, constituant la plus grande médiathèque numérique privée à vocation historique, n’ait bénéficié d’aucune publicité dans la presse, ni dans les annonces officielles du programme de ce week-end. Vous qui nous lisez, vous le savez.

    Sources

    Etat-civil et recensement  / ADA 11

    De Bordeaux à Toulouse... / Adolphe Laurent Joane / 1858

    Presse locale ancienne

    Cartulaire / Mahul

    _________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2020

  • Quand la Terreur blanche frappa Carcassonne.

    La nouvelle du désastre de Waterloo arriva rapidement dans le Midi. Royaliste et catholique fervent, notre pays accueillit avec joie la chute de Napoléon. Partout, les partisans de l’empereur se trouvaient désormais pourchassés, sinon lynchés par la foule des villes qu’ils traversaient. Dans les mémoires de Ladislas Levavasseur que nous avons publiées en 2015, le chirurgien-major de Napoléon raconte l’épopée de son retour à Carcassonne :

    « En passant à Montauban, je faillis être assassiné comme bonapartiste. Notre voiture qui était composée de militaires revenant de Waterloo, elle allait être bloquée par la populace. Heureusement que le maître de poste, fit enlever les chevaux à grands coups de fouet ; nous coupâmes la foule, ce qui nous sauva la vie. Nous lui donnâmes tous une bonne gratification. J’arrivais le 8 juillet 1815, le jour de l’entrée du roi dans Paris. Malade pendant plusieurs mois, je ne pus rien faire. »

    A Carcassonne, la démission de Jean Pech-Palajanel entraîna la nomination par Louis XVIII de Paul Airolles aux fonctions de maire. Dominique Reboulh et David-Barrière obtinrent les postes d’adjoints provisoire. Ce dernier - ancien maire d’Alairac - devait se distinguer bientôt comme l’un des plus tyranniques acteurs de la Terreur blanche.

    Capture d’écran 2020-09-18 à 17.22.35.png

    La Terreur blanche contre les Républicains

    La réaction timide avant les Cent-jours, s’organisa, et la justice elle-même oubliant qu’elle punit, mais sans servir la vengeance, frappa sans trève, sans merci. Des cours spéciales, appelées Prévôtales, furent instituées dans chaque département pour juger les délits politiques. Tribunal suprême dont les arrêts s’exécutaient immédiatement, enlevant ainsi aux malheureux un dernier espoir de justice. Dans le Midi, la réaction royaliste trouva dans les Cours prévôtales un aide servile. Un mot, un sourire ironique ou une espièglerie suffisaient aux délateurs pour vous faire arrêter, juger et bien sûr condamner.

    Alphonse_Henri_d'Hautpoul.jpg

    Alphonse Henri d'Hautpoul

    A partir du mois d’août 1815, la Terreur blanche s’abattit sur les anciens serviteurs de la République et de l’Empire. Alphonse Henri d’Hautpoul (1789-1865), nommé colonel de la légion de l’Aude, commanda le département. Sous sa gouverne plusieurs soldats tricolores furent maltraités. Pierre Jacquot rappelle dans « Opposition et Terreur blanche en Hante-Marne » publié en 1981, que « la Cour prévôtale de Carcassonne faisait exécuter cinq gardes nationaux coupables d’avoir dispersé l’année précédente un rassemblement royaliste.’

    La Cour prévôtale de Carcassonne dont les membres furent choisis par le Préfet Trouvé - serviteur de tous les régimes sans aucune vergogne - parmi Albigès (Président), Colonel de Barthès (Prévôt) et Bouichère, Bausil, Durand et Naucadéry (Juges), envoya trois pauvres malheureux à la guillotine. Ce sont les victimes du complot dit des prisons dont nous avons parlé dans un article précédent. Dans ce département où l’on dresse des autels au baron Trouvé, il est bon de rappeler que celui-ci n’hésita pas à faire jeter au feu les bustes et les portraits de Napoléon devant une foule hurlant Vive le Roi ! Vive les Bourbons ! Rien ne fut oublié : guidons des régiments licenciés, drapeaux tricolores de la Préfecture et de l’Hôtel de ville.

    Le clergé qui espérait rattraper ses richesses et son influence d’avant la Révolution, se transforma en une vaste administration de police, d’autant plus puissante et dangereuse qu’elle avait partout ses ramifications. Le plus infime desservant d’une commune rurale envoya, chaque semaine, au curé de son canton, un rapport détaillé sur les faits et gestes, opinions politiques de ses paroissiens. A son tour, le curé résumait ces rapports. Ce résumé passait par l’évêque et arrivait annoté au Comité royal, puissance occulte, pourvoyeuse des Cours prévôtales. Le Comité royal indiquait aux prêtres le sujet des sermons : revendication des privilèges, droits féodaux, etc, abolis pendant la Révolution. Les acquéreurs des biens nationaux furent menacés, anathématisés du haut des chaires. Ainsi la reconstitution des grands domaines, morcelés aujourd’hui, allait ruiner une foule d’individus.

    Louis XVIII.jpg

    Louis XVIII

    Or, dans l’Aude, à Fitou, le desservant M. Jacques Aurussy (1763-1826), prêtre aimé dans sa paroisse bien que soumis à ses supérieurs, essaya de calmer l’inquiétude de ses ouailles qui lui confiaient leurs plus secrètes pensées. Il expliqua dans son prêche du dimanche qu’il était impossible que Louis XVIII soit parjure des dispositions prises à Cambrai en juin 1815. La vente des biens nationaux, solennellement reconnue, rendait sans portée tous les bruits de revendication.

    Trois jours après, ce curé qui avait été dénoncé fut mis en prison et traduit devant la Cours prévôtale, présidée par le colonel de Barthès, chevalier de l’ordre royal de Saint-Louis, de la légion d’honneur et de l’ordre de Saint-Maurice et Lazare. Cet ambitieux répétait à l’envie : « Il faut des exemples. » Et lorsque la victime comparaissait devant lui, avant d’être interrogée, elle entendait cet avertissement : « Dites la vérité, car votre tête m’appartient ! »

    Par arrêt de la Cour royale de Montpellier, du 20 octobre 1815 est accusé de cris et de propos séditieux tenus publiquement, et tenant à exciter la guerre civile, en portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres, et à changer ou à détruire le gouvernement royal.

    Lors du procès, Maître Viguier accepta de défendre l’abbé Aurussy et son œuvre se borna à gagner du temps. Il parvint à faire renvoyer l’affaire à la session suivante. A la session fixée, Me Viguier plaida l’incompétence du tribunal en se basant sur les lois canoniques qui veulent qu’un prêtre soit jugé par ses pairs. Par ce subterfuge, l’avocat amena les chanoines présents à demander le renvoi de l’affaire. La Cour se leva pour délibérer ; M. Valette - procureur du roi, soumis à la volonté des chanoines, obtint que le Prévôt se déclarât incompétent. La tête du curé Aurussy ne roulerait pas sous le couperet de la veuve, car le 6 août 1816 le jugement rendu par la cour de Perpignan ne prononça qu’une peine de 15 mois de prison en comptant ceux passés en préventive.

    La Terreur blanche s'arrêta lorsque Louis XVIII renvoya la Chambre introuvable, composée de fanatiques cherchant à rétablir l'Ancien régime et ses privilèges. Elle reste un épisode méconnu de l'histoire de l'Aude.

    Sources

    Bulletin des arrêts : Chambre criminelle, Volume 21

    Abbé Sabarthès, Histoire du clergé de l'Aude, 1939

    Charles Alfred Vidal, La Cour prévôtale de l'Aude, 1872

    Dulaure, Histoire de la Restauration

    _______________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2020