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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 79

  • L'histoire inédite de la fonderie Carcassonnaise Bléchemit

    Sur le territoire d’Hayange dans l’actuel département de Moselle, existait au Moyen-âge une forge Blechschmidt ou nouvelle forge construite par un hayangeois en compagnie d’un forgeron de Moyeuvre. On notera que la plupart des dénominations de ces forges sont de forme germanique. En allemand, Blech signifie feuille et Smit, frapper ; ceci nous renvoie bien à l’image du forgeron. Si nous ajoutons également qu’un blechsmiede n’est autre qu’un ferblantier, alors il ne fait plus aucun doute sur l’origine de la famille Blechschmidt, venue de Montcenis près du Creusot (Saône-et-Loire) pour créer une fonderie à Carcassonne. Le père Jean Blechschmid n’était-il pas lui-même mouleur à la fonderie royale du Creusot ? Ses fils, Nicolas (1782-1848) et Pierre (1792-1853) avaient semble t-il quitté Montcenis pour s’établir dans le sud de la France. A Bruniquel (Tarn-et-Garonne), Pierre devait épouser le 31 octobre 1810 Marthe Roussoulières (1776-1815) qui donnera naissance à Pierre Bléchemit (Bruniquel 1811-Béziers 1891). Nous formons l’hypothèse que le nom germanique de Blechschmidt fut abandonné aux portes du Languedoc au moment de la naissance de leurs enfants et de l’enregistrement sur le registre de l’état-civil. Nous imaginons fort bien qu’au pays de l’accent qui chante, on ait entendu Blechemit.

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    © CUCM, document Écomusée, reproduction D. Busseuil.

    Fonderie royale du Creusot

    Il semble que la famille a établi une fonderie à Toulouse, car en 1833 on retrouve sur l’annuaire de Sébastien Bottin, la fonderie Bléchemit. Le journal des Pyrénées-Orientales nous apprend qu’au mois de janvier 1835, le sieur Bléchemit aîné, fondeur en fer et en cuivre, établit à Carcassonne une fonderie dans laquelle se confectionneront les pièces nécessaires pour mécaniques, les rampes d’escalier, les balustrades de balcon, les marteaux de forge. L’usine est située hors la ville, vis-à-vis le Calvaire. La famille Bléchemit dépose donc ses bagages dans la capitale audoise au n°48 de la rue du marché. Il y a là le patriarche de Montcenis qui mourra en 1853 à Carcassonne, son fils Pierre (né à Bruniquel) et son épouse Marthe, mais également l’oncle Nicolas.

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    Les bâtiments de l’usine se trouvent 14, Faubourg l’Araignon, le long de la promenade Saint-Michel. Ils communiquent par l’arrière à la rue des Amidonniers et par l’entrée principale sur l’actuel n°55 du boulevard Barbès. Thérèse Fonquergne († à Carcassonne, le 27 septembre 1856), épouse du patron de la fonderie, mettra au monde sept enfants. Aucun des garçons n’atteindra l’âge adulte, sauf Pierre (Quillan 1841- Carcassonne 1875) qui épousera Clara Célina Andrieu. Il s’associe avec son père le 22 janvier 1866 pour former la société Bléchemit père et fils, chez Maître Fabre, notaire à Castelnaudary.

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    Au mois de novembre 1870, le gouvernement républicain en guerre contre la Prusse lance un appel à l’industrie privée. Les mécaniciens et les fondeurs, dont les anciens députés avaient si dédaigneusement rejeté le concours, collaborent activement à la défense nationale. La fonderie Marsal de Carcassonne fabrique un grand nombre d’articles en cuivre ou fer forgé pour la cavalerie. A la fonderie Bléchemit, l’ouvrier mouleur Maurin a imaginé un nouveau système de canon à aiguille se chargeant par la culasse. Un modèle en bois de cette arme a été fait et soumis à l’examen du Comité de défense siégeant à Tours. Pendant ce temps, tous les ouvriers de chez Blechemit sont mobilisés à la fabrication des éperons, boucles et autres articles pour la cavalerie. Le journal Le bon sens note que  M. Béchemit, malgré l’insuffisance de son outillage, est arrivé à pouvoir livrer 50 paires d’éperons par semaine et plus de 200 garnitures complètes de fourniment au même prix que la maison Godillot de Paris, qui avait eu jusqu’ici le monopole de ces fournitures. En 1871, la fonderie fournit à l’armée des roues pour affût, avant-train pour l’artillerie.

    Nous n’avons pas trouvé précisément le nombre de personnes travaillant à la fonderie Bléchemit, mais le rapport sur l’incendie survenu au mois d’août 1873 nous apprend que sans l’intervention des pompiers et des hussards, 40 ouvriers se seraient retrouvés au chômage. Le sinistre fera un mort ; le hussard Prou s’est brisé le crâne à cause de la chute d’une volige depuis le toit. 

    Deux ans plus tard, Pierre Bléchemit père, cède à son fils la totalité de ses parts de la fonderie. La société est dissoute le 17 octobre 1873 ; Pierre Bléchemit fils devient le seul propriétaire, mais pas pour longtemps. Il décède au mois de mai 1875 à l’âge de 33 ans, laissant sa veuve pour seule héritière. Faute de repreneur, celle-ci n’a pas d’autre choix que de se dessaisir de la fonderie. Dans un premier temps, elle vend à François Placard en 1877 l’ensemble des machines et des outils ainsi que 625 m2 de terrain sur l’allée d’Iéna. C’est là que Plancard fera édifier les bâtiments de son entreprise, repris ensuite par les matériaux Geynes avant d’être transformés en station service.

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    © Collection J. Blanco

    Le patronage de l'Œuvre au début du XXe siècle

    L’ancienne fonderie Bléchemit devient la propriété des Frères des écoles chrétiennes qui comptent y installer l’une des deux écoles libres de garçons qu’ils projettent  de créer en ville. Le 2 juillet 1879, le patronage de l’Œuvre est créé 2, rue Neuve du Mail (Marceau Perrutel) sous l’impulsion de l’abbé Combes. Si la loi républicaine n’interdit pas les écoles libres à la condition qu’elles respectent la laïcité, les frères n’obtiendront pas immédiatement de la mairie le droit d’ouvrir leur établissement. Les bâtiments de l’usine considérés comme impropres à accueillir des enfants doivent faire l’objet d’une réhabilitation. L’abbé Combes raconte dans son ouvrage que nous avons pu consulter grâce aux bonnes grâces de Jacques Blanco, qu’au commencement les familles rechignèrent à envoyer leurs enfants. Avec un peu de publicité, leur nombre augmenta. A tel point qu’il fallut envisager d’agrandir à peu de frais. Alors, tous les apprentis bénévoles de tous les métiers se réunirent pour démolir et reconstruire. Cela ne fut pas suffisant, mais grâce à de généreuses subventions on parvint à tout rebâtir. En fait, le patronage organisait chaque année un grand concert avec le concours bénévoles des compositeurs et musiciens de la ville (Baichère, Scheurer, Barbot…) afin de récolter des fonds au profit des écoles chrétiennes. Le 21 décembre 1884, Mgr Billard bénit la chapelle de l’Œuvre et inaugura le nouvel immeuble. C’est de nos jours le lycée privé Saint-François.

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    Vue sur l'emplacement de l'ancienne fonderie

    Lorsqu’on se projète sur la structure des bâtiments de ce lycée, on se rend compte effectivement qu’il n’est que le fruit d’un assemblage hétéroclite. Dans la rue Marceau Perrutel, deux corps de bâtiment de l’ancienne usine laissent penser qu’ils ont subsisté à la démolition, tout comme la façade donnant sur le boulevard Barbès. Nous pensons que sa grande ouverture qui devait éclairer les ateliers de l’usine, ressemble en tous points à l’architecture industrielle des fonderies observée le plus souvent en France au XIXe siècle. Ce serait ici l’unique vestige de l’ancienne fonderie Bléchemit dont nous venons de retracer l’histoire d’une manière tout à fait inédite.

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    © patrimoine.blog.lepelerin.com

    Quand nous comparons l'ouverture sur le Boulevard Barbès avec celles de la fonderie d'Ecurey dans la Meuse ci-dessus, on peut rapprocher nos hypothèses.

    Sources

    Histoire d'Hayange / Pierre Xavier Nicolay / Tome 1 - 1937

    Le bon sens, le Courrier de l'Aude

    Livre de l'abbé Combes

    Etat-Civil / ADA 11

    Annuaires Didot Bottin

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2020

  • L’Eldorado de Carcassonne à la fin du XIXe siècle

    Dans ce Faubourg du Palais, nouvellement construit et dont nous avons parlé lors de précédents articles, se sont établis avocats, notaires, architectes et industriels. Les terrains pris sur d’anciennes parcelles agricoles à de riches propriétaires comme Joseph Teisseire, juge au Tribunal civil de Carcassonne, ont permis l’édification de très belles demeures. En cette seconde moitié du XIXe siècle, la bonne société aime se divertir dans les café-concerts et les salles de spectacles à l’instar des cabarets parisiens de la butte Montmartre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les artistes parisiens lors de leurs tournées nationales figurent à l’affiche de l’Alcazar ou des Folies Carcassonnaises. Quand cette dernière salle de spectacle ferme définitivement son rideau en 1880 sur le boulevard du canal (face à l’actuel collège Varsovie), Joseph Théodore Sabatier achète un terrain dans le faubourg du palais. Aidé par son épouse Marie Adélaïde Peyre, limonadière de son état, le négociant fait bâtir à partir du printemps 1882 une nouvelle salle : L’Eldorado. En un temps record, l’entrepreneur Barthélémy Marty, charpentier à Rouvenac, fait élever un bâtiment dessiné selon les plans de l’architecte Léopold Petit. A peine n’a t-on pas le temps d’essuyer les plâtres que l’Eldorado est inauguré le 14 juillet 1882 malgré un manque évident de finitions. En vérité, les décorations et ornements prévus par le toulousain Ganin ne seront jamais achevés faute de moyens suffisants : « De gracieuses cariatides devaient encadrer la loge centrale et les loges d’avant-scène. Chaque chapiteau séparant les loges intermédiaires devait recevoir les attributs de musique des plus fins. La coupole devait être encadrée dans des arcs-doubleaux sur pendentifs supportés eux-mêmes par de grandes colonnes corinthiennes. Tous les tons de la salle devaient être , or vert, or jaune sur fonds de velours grenat. L’argent fit défaut, l’architecte ne put exécuter ses plans. Cette salle inachevée, bien éclairée par de magnifiques lampes à arc produit toutefois son effet ; l’acoustique est très réussie. »

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    L'Eldorado pouvait s'inspirer de celui de Paris

    Son fondateur ne survivra pas longtemps après l’inauguration. Emporté brutalement par la maladie au mois d’octobre 1882, l’affaire sera déclarée en faillite peu de temps après. La veuve Sabatier conserva néanmoins le bâtiment qu’elle mit en location entre les mains de plusieurs gérants. On ne compte pas le nombreuses descentes de police et les contraventions pour infractions à la loi sur les jeux de hasards. En fait de théâtre, c’est également durant la nuit un tripot où l’on joue à la boulotte ou au baccara. Fermé pendant quelques temps, l’Eldorado-Concert finit par réouvrir le 14 novembre 1889, mais la valse des directeurs se poursuit. Monsieur Teisseire, le plus sérieux d’entre-eux diversifie les activités de la salle pour une meilleure rentabilité.

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    Eloi Ouvrard

    Les meilleures vedettes de la scène parisienne comme les comiques troupiers Polin ou encore Ouvrard, remplissent de joie une assistance fournie. Nous n’évoquons pas ici le nom du célèbre interprète de « J’ai la rate qui se dilate, j’ai le fois qui est pas droit », mais celui de son père, Eloi Ouvrard (1855-1938). Il faut dire qu’à Carcassonne, le public, même à cette époque, boudait quelque peu l’opéra lui préférant la légèreté des opérettes et des revues. Les troupes en garnison assuraient la recette de ces soirées pas toujours du meilleur goût.

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    L’Eldorado pouvait également servir de tribune politique lors des élections municipales aux divers candidats, mais également de salle d’enchères. Pour exemple, citons du 16 au 19 juillet 1895 l’extraordinaire vente sur saisie du riche mobilier du château de Malves sur la tête de Catherine D’Esquieu, épouse du marquis d’Alex. Il ne serait pas étonnant que les Gamelin, Le Sueur autres Pillement, provenant de cette collection, ne se soient pas ensuite retrouvés dans l’actuel Musée des Beaux-arts de la ville.

    À partir du 15 novembre 1896, l’Eldorado devient la salle des Beaux-arts. On y donne des concerts de musique symphonique dirigé par Michel Mir, sous l’égide du président de la Société des Beaux-arts de Carcassonne, M. Gaston Barbot. L’année suivante, MM. Testut et Mosnier se rendent acquéreur de la gérance et du matériel de l’ancien Eldorado qui appartenait à Louis Gayraud. Ces deux hommes, visiblement peu recommandables, poursuivent des activités illégales de jeu de hasard dans une arrière-salle de l’Eldorado. Louis Jean Pierre Gayraud fait saisir l’établissement en janvier 1898, ce qui lui vaut une visite bourre-pif de la part de Testut. Le 19 mars 1898, l’Eldorado est mis en vente après saisie immobilière.

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    Emplacement de l'Eldorado, à l'angle des rues d'Alsace et du Palais.

    La salle de l’ancien Eldorado devait ensuite souffrir des conséquences de la Grande guerre. Dans les années 1930, elle sera entièrement rasée pour construire le Dispensaire d’hygiène sociale du département de l’Aude. On l’appelle désormais le Centre médico-social de Carcassonne centre. A travers ces recherches inédites, voilà un lieu totalement réhabilité dans son histoire et son emplacement, déterminé avec exactitude.

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  • Le riche passé architectural et industriel de la rue Antoine Marty

    Un nouveau quartier résidentiel se développe à l’Est de la Ville basse au milieu du XIXe siècle, autour du Palais de justice. De nouvelles rues tirées à l’angle droit, selon le plan d’alignement (aujourd’hui, Plan Local d’Urbanisme) voté en 1869 par la municipalité, sont crées dans le prolongement de la Bastide. Afin de les dénommer, on ne fait qu’ajouter le mot Neuve devant le nom de la rue qu’elles prolongent : St-Vincent (4 septembre), St-Jean (Liberté) et Ste-Lucie (République). Ces trois artères du Faubourg du Palais s’appelleront respectivement ensuite Strasbourg, Alsace et Mazagran. Au fur et mesure, le nouveau quartier s’étend vers le nord jusqu’à arriver au midi de l’actuelle rue Antoine Marty. A cette époque, cette dernière est appelée rue des jardins, en référence aux nombreux maraîchers qui occupent les parcelles de la plaine Saint-Nazaire et sur lesquelles on bâtira le quartier de La Prade. Elle ne prendra le nom du maire et bienfaiteur des pauvres de la ville Antoine Marty qu’en 1901.

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    © ADA 11

    La rue Antoine Marty vers 1910

    De nouveaux immeubles construits et alignés sur la rue Neuve St-Jean (Alsace) dessinent en même temps, l’un des côtés de la rue des jardins. La Maison Cazaban (Laboratoire Blanc-Lançon) édifiée au milieu des années 1870 sur l’allée des soupirs, forme avec son angle droit l’amorce vers la rue des jardins. Plus bas, à l’angle de la rue d’Alsace, Antoine Durand a construit depuis 1869 une usine de fruits confits et de marrons glacés qui donne sur la rue des jardins. Dans le prolongement, formant un enclos avec l’angle de la rue Neuve St-Jean (Alsace) et du Palais, la Brasserie Pratx. Ancien négociant, Casimir Pratx s’était lancé dans la fabrication de la bière en 1862 avant de passer la main à son fils Théodore. La faillite de l’affaire en 1868 avait entraîné la vente des immeubles et des terrains donnant rue des jardins, rachetés par Jean Valent fils et Cie, courtier en vins. Si la construction avait été soumise à l’alignement strict du côté de la rue Neuve St-Jean, la rue des jardins non encore tracée bénéficiait d’une certaines mansuétude. Sentant l’expropriation venir, Jean Valent propose de vendre à la ville en 1881 une bande de terrain de 270 m2 pour l’élargissement de la rue. En contrepartie, il obtient le droit de construire un bel immeuble  (actuellement, n°57) entre l’aqueduc des jardiniers. C’est sur son terrain à côté que sera édifié le temple protestant en 1890.

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    L'ancienne confiserie Durand rasée depuis les années 80 (à droite), l'immeuble Valent et le temple protestant.

    L’alignement du côté pair de la rue des jardins intervient à partir de 1881. Pendant très longtemps, l’odeur pestilentielle de l’égout des jardiniers situé en bordure de la voie ferrée fut un repoussoir à la construction. Les nouveaux immeubles devront prendre pour point d’appui, l’angle de la route minervoise dans le prolongement de la maison Vidal. Au mois de septembre 1884, le café Raynaud se construit à l’angle de la rue Tourtel. Connu également sous le nom de café des familles, il deviendra le lieu des réunions politiques du Parti Radical. Après le décès d’Eugène Raynaud, sa veuve vendra à Courtieu.

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    Le café Raynaud, dit Café des familles car pas très loin se trouvait le cinéma des familles.

    A côté, l’immeuble Vidal-Bonnafous avec son atelier de sellerie et carrosserie est édifié en 1887 sur les terrains appartenant à Louis Bertrand. Grand négociant en vins, propriétaire de plusieurs domaines viticoles, Bertrand avait acquis de grandes parcelles à Thoron de Laur.

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    Immeuble Ernest Bary, puis du Dr Gally

    L’emplacement sur lequel on construira en 1926 la salle de théâtre Odeum, lui appartenait comme d’ailleurs le superbe immeuble (actuellement, n°62) où résida longtemps Ernest Bary, grand négociant en produits agricoles. Bary fut candidat à plusieurs reprises sur la liste réactionnaire aux municipales. Suivant cette maison, celle d’Aurifeuille puis celle de Bayard.

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    Au n°58, on voit encore sur l’imposte au-dessus de la porte, les initiales sculptées de ce négociant en engrais et peintures. Ses ateliers donnaient sur la rue Hugues Bernard. Sautons avec prudence le trottoir, si vous le voulez bien. Avec prudence, car nombreux sont ceux qui manquent de perdre la vie dans les nombreux trous, au milieu d’une poussière suffocante l’été et d’une boue glissante en hiver. La ville promet bien aux pétitionnaires un pavage à l’alsacienne, mais pas avant d’avoir réalisé les canalisations d’eau et de gaz. Tout ceci intervient au moment des élections, mais s’oublie quand elles s’éloignent. On a mieux à faire avec l’argent public que de satisfaire les riches négociants et industriels du quartier… Cette rue devra attendre les années 1920 et la municipalité Tomey pour devenir praticable. Alors, méfiance !

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    Les magasins et bureaux Carrière-Guyot, constructeur de machines agricoles

    Nous avons donc sauté le pas après avoir laissé la rue de la loge dans laquelle Les vrais amis réunis disposaient d’un temple (actuelle, rue Montesquieu). A l’angle de la rue Ledru-Rollin, l’immeuble à pans coupés de l’épicerie Plancade. Juste à côté (actuellement, n°48), les bureaux et les magasins de l’entreprise Carrière-Guyot ; les ateliers se trouvent à l’angle de la rue du Palais, rue Hugues Bernard et Montesquieu. Sautons à nouveau le trottoir…

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    Alcide Cambriels, transporteur

    Au n°46, le transporteur Cambriels qui céda ensuite son local à James Ducellier, le parent d’Oustric sur le boulevard Omer Sarraut. Entre les numéros 32 et 46, les transports et déménagements Azibert puis Montagné en 1921. C’est là que l’architecte Léopold Petit avait ses bureaux en 1891.

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    Alaux, concessionnaire Renault

    Au n°30, les plus anciens ont connu le garage Renault de Alaux, associé à Gestin à partir des années 1930. Regardez en face de l’autre côté de la rue, là se trouvait la Glacière Carcassonnaise qui découpait des pains de glace car le réfrigérateur n’existait pas. Revenons côté pair, à l’actuel n°32 appelé la résidence, dans les années 1970 il y avait le restaurant Auter. On saute le trottoir…

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    Hans Ménard, courtier en vins et rentier

    A l’angle de la rue Pierre Germain, le courtier en vins Maurice Victor Ménard et sa jolie maison au n°22. Dans le local, son fils ainé Hans a repris l'affaire. Le fils cadet Robert, fondera une concession Citroên dans la rue Montpellier. Il y installera les T.A.M (Transports Aériens du Midi). En face, au n°21 c’est là qu’habitait le pasteur Monod et sa famille. Actuel n°15, la famille Sarraut avec Maurice et Albert, publicistes et politiciens bien connus.

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    La maison Sarraut

    Nous arrêtons nos pas à l’angle de la rue Castel (rue de Belfort), car il nous est impossible de poursuivre notre chemin. Les propriétaires ont barré la rue avec une clôture depuis l’été 1917. Il nous faut donc passer par la rue de Belfort pour rejoindre les bords de l’Aude. MM. Rumeau, marchand de bestiaux, et Allary, négociant en vins, ont décidé de faire pression sur la ville. Afin de bien comprendre le sujet de la querelle, il nous faut vous expliquer une assez longue histoire. C’est celle de l’usine Bénajean….

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    Martial Pierre Hilaire Bénajean (Carcassonne 1822- Le Creusot 1897) - on retrouve des Benajean comme tisserand dans la Bastide au XVIIIe siècle - époux de Germaine Limousis, après avoir été commis fabricant monte une mégisserie en bordure de l’Aude. Les grands bâtiments confrontent au sud, l’usine Sainte-Marie ; à l’est, le fleuve et à l’ouest, la rue des jardins. Il s’agit d’une usine pour le pelage des peaux et le lavage des laines. Le 2 janvier 1874, les bâtiments avec séchoirs, graviers, terrains et autres dépendances sont venus à Paul Alexandre Adalbert Guilhem (Arzens 1835 - Carcassonne 1891) et Jacques Phalip (fabricant de draps). Ces deux hommes avaient formé la société « Guilhem et Phalip » en 1864 à Carcassonne. Déjà menacée par les nombreuses inondations, le déclin de l’industrie drapière et les grèves ouvrières, l’usine Guilhem et Phalip finit par mettre la clé sous la porte. En 1880, les propriétaires proposent au Conseil général de céder les bâtiments pour l’établissement du futur asile Boutte-Gach et Cazanove. La proximité du fleuve rebute les élus ; l’asile sera finalement édifié sur la route de Toulouse.

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    L'usine au bout de la rue des Jardins

    Les locaux vides sont conservés et gardés par un concierge, ce qui n’empêche pas les effractions et les vols. Paul Guilhem, devenu directeur de la Caisse d’Epargne, recherche une autre destination à l’ancienne usine. Louée à l’entreprise Sarda-Sélariés chargée du service de salubrité publique de la ville, on y entrepose le matériel destiné à l’enlèvement des tinettes et des ordures. Le marché finit par être dénoncé par la commune et l’usine sert en 1890 à loger provisoirement les hommes du 100e régiment de ligne. La mort prématurée de Paul Guilhem en 1891, frère du chanoine Ferdinand Guilhem et de Madame Billard, provoque la vente de l’ancienne usine à Pierre Rumeau, marchand de bestiaux originaire de Montels (Ariège). Il s’agit d’un emplacement idéal puisque ses animaux n’ont que le fleuve à traverser en barque pour se rendre à l’abattoir de l’autre côté de la rive. Après avoir cédé l’affaire à ses fils Léon et Henri, ceux fondent immédiatement le 9 juillet 1913 une société pour l’achat et la vente en France et à l’étranger d’animaux destinés à la boucherie.

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    Vue sur l'usine en 1947

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    L'emplacement de l'usine en 2020

    Venons-en maintenant à la raison pour laquelle Rumeau a fait fermer l’accès au fleuve par sa propriété. En 1888, Guilhem et Phalip avaient proposé au conseil municipal de céder 700 m2 de terrain pour le percement de la rue des jardins jusqu’à leur usine, à condition de la rendre praticable. La municipalité Jourdanne ne souhaitant pas acquérir le terrain Labat contigu, pourtant indispensable à la réalisation de la rue, Guilhem et Phalip retirèrent leur proposition. Depuis, la vente à Pierre Rumeau avait séparé l’usine en deux ; Allary disposait des bâtiments au sud. Un chemin menant au fleuve avait été tracé par les propriétaires à leurs frais. Les héritiers, fatigués de voir la population emprunter ce chemin privé sans que la ville n’intervienne pour en acquérir la parcelle, décident d’en bloquer l’accès. L’enclos Rumeau, ainsi désigné, sera vendu en 1927 avec ses 3150 m2 dont 1820 m2 en constructions et sa façade de 50m donnant sur la rue.

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    Dans les années 50, avant la construction du pont de l'avenir. En rouge, tout ce qui a été détruit. En vert, les bâtiments encore en place.

    Ainsi a-ton pu percer la rue Antoine Marty jusqu’au fleuve. La laiterie Soum s’installa à l’ancienne usine qui accueillit ensuite le concessionnaire Merdécès, M. Bary. C’était avant la construction du pont de l’avenir, car déjà en 1897 avait-on eu pour projet de jeter sur l’Aude un pont tournant pour relier l’abattoir. Il aurait été rétractable en cas d’inondation. Les carcassonnais attendront la fin des années 1960.

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    Bâtiments et platanes de l'ancienne usine Bénajean

    Sur l’emplacement de l’usine, on a construit dans les années 1990 la résidence J-F Kennedy. Les bâtiments longeant la rue Venance Doudagos restent les seuls vestiges de ce passé industriel.

    Cet article a nécessité 36 heures de recherches et de synthèse. N'ayant pas sous la main de plan cadastral, tout a été réalisé à partir des listes de recensement (1891, 1901, 1906), des annuaires (1897,1904,1921, 1933), des registres d'état-civil, des délibérations communales, des journaux anciens, des ventes sur saisies immobilières et successions. La plus grande difficulté fut de positionner les numéros de maisons pairs et impairs qui ont beaucoup évolué dans cette rue. 

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