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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 81

  • Le Variétés Music-Hall de Carcassonne de la Belle époque à nos jours

    Malgré l’absence cruelle de mise en valeur, on peut tout de même admirer ce qu’il reste de la magnifique façade de l’ancien théâtre « Variétés Music-Hall » au n°10 du boulevard du Commandant Roumens. Cette salle si coquette avait été édifiée durant l’année 1911 selon les plans de l’architecte Eugène Joseph Gordien (1866-1919), assisté par Jean Gaston Maugüé (1875-1940) pour les éléments de sculpture et par Joseph Baptiste Henri Courapied pour la décoration intérieure. L’entrepreneur Carcassonnais Marty devait ensuite exécuter la construction du bâtiment, aujourd’hui dénaturé par sa transformation en Maison des syndicats.

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    Si l’on ne sait trop dire le nom du propriétaire de cette salle, M. Duffaut en est l’administrateur dès son inauguration le 5 octobre 1911. Nous supposons que le banquier Motte qui financera le Grand Hôtel Terminus en 1914 et avec lequel Duffaut était en affaire, peut être l’argentier du Variétés Music-Hall. Edmond Joseph Duffaut (1870-1956), artiste lyrique de son état, s’était installé à Carcassonne avec son épouse Marie Play à la fin du XIXe siècle. Ce couple d’artistes itinérants devait faire les beaux jours de l’Alcazar, propriété de M. Feuillat sur le boulevard Jean Jaurès. Fixé dans notre ville, M.Duffaut se voit ensuite confier la direction du Cinéma des familles et de l’Eden-Théâtre, tous deux sur ce même boulevard. Ces deux salles ont disparu : la première se trouvait sur l’emplacement de la clinique Saint-Vincent ; la seconde, sur celui de l’actuel centre de contrôle technique. C’était là l’Alcazar, baptisé ensuite Eden-Théâtre. Nombreux parmi nous l’ont connu sous le nom du cinéma Le Boléro.

    Quand le Variétés Music Hall fait son ouverture, l’orchestre dirigé par M. Chataigner donne Le coup de minuit, une espèce de revue d’opérette dans laquelle Duffaut est distribué. A Chaque saison, il engage une troupe d’artistes en résidence pour les spectacles donnés pendant l’hiver. A ceux-là s’ajoutent des galas de boxe, du cirque et du théâtre. On y entendra le célèbre comique Dranem et sa troupe, l’opérette d’Offenbach Le violoneux. A partir du mois de juin, la terrasse offre à la clientèle un cinéma muet de première qualité du jeudi au dimanche avec des films sans cesse renouvelés. Tant et si bien que M. Duffaut transforme la salle du Variétés en cinéma en octobre 1915 ; L’évasion de Rocambole est diffusée. Il conserve toutefois une programmation de spectacles. Il est important d’observer comment ce lieu artistique à côté du café Glacier parvient à fonctionner pendant la Grande guerre, grâce notamment à la garnison installée à Carcassonne. C’est un endroit charmant sous les tilleuls du boulevard où l’on vient se distraire, pendant que loin d’ici tonnent les canons sous lesquels les enfants de l’Aude tombent un à un.

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    Le 4 octobre 1917, M. Duffaut signale à sa clientèle qu’ayant achevé sa première période de bail au Variétés Music-Hall, il la prévient qu’il n’a plus aucun rapport avec cet établissement. M. Motte venait d’être fusillé pour l’exemple par des français pour abandon de poste… Ainsi s’achève l’administration de Duffaut aux Variétés ; il retourne au Cinéma des familles. Pendant ce temps, un nouveau propriétaire fait l’acquisition de la salle de spectacles et le 20 octobre 1919, elle prend le nom de Eden-Ciné-Théâtre. L’administration est assurée par M. Arnaubec ; la direction artistique et la mise-en-scène par Juguler. Le nom d’Eden restera dans la mémoire des Carcassonnais, celui de Variétés Music-Hall disparaîtra avec les plus anciens. Certains se sont souvenus y avoir entendu le ténor Tony Poncet, Maurice Chevalier ou encore Fernandel. L’entrée des artistes se faisait par la rue Voltaire, sur l’emplacement de la Bourse du Travail.

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    L’Eden demeure longtemps un cinéma mais le bâtiment se dégrade faute de travaux. On y projète des documentaires pour les élèves dans les années 1960, puis la salle devient un entrepôt de matériel de la mairie. A la fin des années 1970, la coquette salle du Variétés Music-Hall ne ressemble plus à rien. Toutes les tentures sont déchirées, la décoration tombe en morceaux, la sécurité de la salle ne permet plus d’y recevoir du public.

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    L'Eden en 1975

    En 1985, le maire Raymond Chésa décide de réhabiliter le bâtiment afin d’en faire une Maison des syndicats. Pla doumatje ! L’architecture est confiée au cabinet Falandry qui installe une verrière dans le fond du bâtiment et place des fenêtres en PVC à la façade. C’est d’un goût certain dans le respect de l’Art nouveau !

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    La verrière de l'architecte Falandry à l'arrière du bâtiment

    Ce qui l’est moins c’est l’acceptation par les syndicats de ce cadeau par un maire de droite… Aussi, d’emblée plusieurs d’entre-eux refusent d’y installer leurs bureaux : la C.F.D.T et la C.G.T. Ils seront trop à l’étroit, argumentent-ils. La vraie raison est ailleurs : « Loger des amis. Nous nous battrons pour qua la ville améliore nos bâtiments vétustes. Le maire est entrain de loger les syndicats nés après sa victoire aux municipales », s’exclame la CGT. Quant aux autres (FO, CFTC et CGC), ils expriment leur satisfaction.

    Aujourd’hui, la salle du Variétés Music-Hall mérite au moins un cartouche pour rappeler son histoire. Nous sommes disposés à transmettre notre article aux services concernés. Supprimer ses fenêtres en PVC dans une Bastide en secteur sauvegardé serait la moindre des choses. Enfin, classer la façade à l’inventaire des monuments historiques est d’une urgence impérieuse. Cet article inédit a été réalisé avec le concours d’Isabelle Debien, historienne du cinéma à Carcassonne. Jamais on avait donné autant de renseignements sur cette salle avec le nom de l’architecte et la date de construction.

    Sources

    Le courrier de l'Aude, La bataille républicaine

    Etat-civil / Archives de la Gironde

    Le cinéma dans les cafés carcassonnais / I. Debien / 1995

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  • Vincent Gambau (1914-1982), compositeur Audois

    Le 2 février 1982 s’éteignait à Cenne-Monestiés dans l’Aude l’un des plus prolifiques compositeurs et arrangeurs français originaires de notre département. S’il est de notoriété publique que la valorisation des acteurs culturels de premier plan n’a jamais été la préoccupation de nos édiles départementaux, que dire de l’oubli dans lequel ils les ont laissé choir. Or, Vincent Gambau possédait le talent, l’envergure et la notoriété nationale qui auraient dû éclairer la vie musicale de l’Aude avec la lumière de la passion.

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    Né le 2 janvier 1914 à Paris dans le 11e arrondissement, Vincent Gambau est issu d’une famille originaire de la catalogne émigré en France au XIXe siècle. Son père, Victor Roch qui avait vu le jour à Carcassonne le 16 août 1887 s’était uni à Jeanne Marie Costesèque, une jeune femme native de Cenne-Monestiés. Typographe de son état, il habitait 17 rue Emile Zola avant de rejoindre la capitale avec son épouse et y vivre 47, rue des Pyrénées. N’y a t-il pas de plus belle adresse pour un enfant du pays ? Sous l’Occupation, Victor Roch Gambau dirige l’économat de la Maison de Sèvres. Dans cette institution fondée par Pétain en 1941, il contribua à cacher et à sauver plusieurs dizaines d’enfants israélites de la déportation.

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    © Maison de Sèvres

    Victor Roch Gambau

    Vincent Gambau débute sa carrière en qualité de professeur d’enseignement public. Directeur honoraire d’un établissement spécialisé de l’Education Nationale, il atteint parallèlement la célébrité de compositeur, critique musical et critique de disques. En 1946, il signe la musique du film Face à la vie de René Chanas dans lequel figure Simone Signoret et Raymond Bussières. Le catalogue de Vincent Gambau s’enrichit de ses nombreuses compositions et arrangements dans tous les domaines de l’art musical : chansons, ballets, folklore, musiques de films documentaires, symphonies, etc. Il harmonisa les chants de la liberté 1789, 1830, 1848, 1870, 1944.

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    Membre de l’Académie du disque, il fut maintes fois lauréat de l’Académie des Beaux-arts pour ses œuvres musicales. Nous citerons le prix Bordin (1946), le prix Bermier (1952) pour son étude « Contribution à l’étude du folklore nééerlandais », le prix Bermier (1952) pour « Berceuse de tous les pays » ;  il avait mis dix ans pour réunir un à un 300 échantillons du folklore mondial, le prix Brémont (1959), le prix de la Société des Auteurs et Compositeurs de Musique (1952) pour une œuvre symphonique. Par ailleurs, Vincent Gambau administra depuis 1969, la Caisse allocation vieillesse des professeurs, auteurs et compositeurs de musique. Depuis 1947, il faisait partie du jury du Conservatoire Supérieur de Musique de Paris et avait été nommé expert musicien auprès du Tribunal de grande instance de Paris.

    Précisons que les disques de Vincent Gambau se vendirent à plus de 500 000 exemplaires… Cet homme à la carrière musicale si bien remplie, choisit de finir ses jours à Cenne-Monestiés. C’est dans le cimetière de cette petite commune du Lauragais que repose le compositeur. Espérons qu’à la lumière de cet article, le souvenir de Vincent Gambau jaillira à nouveau dans l’esprit de ceux qui l’ont connu.

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  • Les secrets révélés d'un bel immeuble, 44 rue de la République

    La Bastide Saint-Louis recèle de véritables trésors architecturaux du XVIIIe siècle. Nous le savons, ils sont le fruit de l’opulente réussite des marchands drapiers. Ce qui demeure encore méconnu et non étudié, ce sont les immeubles Art-nouveau non encore inventoriés. Au détour d’une rue, le touriste curieux ou l’autochtone errant peut être arrêté par la beauté de l’une de ces façades richement ornementées. Qui pour le renseigner sur leur histoire ? Si aucun érudit n’a entrepris de recherche, les professionnels du tourisme sont incapables de relayer une seule documentation sur le sujet. C’est bien regrettable… Dans notre quête permanente de ce Carcassonne oublié, nous nous mettons régulièrement dans la peau de ce touriste curieux, frustré par tant de silence.

    En arpentant le haut de la rue de la République, une maison attire notre regard. Le numéro 42, buriné sur la façade comme gravé pour l’histoire, rappelle le souvenir jadis florissant de cet immeuble. En 1729, le marchand drapier Jean Faucher possédait là une parcelle sur le Carron de Montlaur ; bien avant que Anne Laforgue (1774-1861), veuve du bourrelier Vincent Isaac Rech (1763-1831), ne vienne habiter à cet endroit. Au n°8 de la rue du marché, leur fils Antoine Vincent (1808-1876) exerçait la profession de vitrier avec son épouse Pauline Bosviel, la fille d’un fabricant de la manufacture de Montolieu. C’est ici que naquirent Marie Pauline en 1836 et Marc Antoine Justin en 1842. Le couple déménagea après le décès d’Anne Laforgue dans la maison qu’elle occupait 42, rue Sainte-Lucie ; cette rue qui porte depuis 1883 le nom de la République.

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    Antoine Rech y installa son atelier de miroiterie. Aidé dans sa tâche par son fils Justin, il effectuait des travaux d’encadrement, de dorure et de peinture. La Maison Rech, ainsi dénommée, avait construit sa réputation sur le sérieux et la qualité de ses produits. Artisan reconnu, Antoine Rech n’en était pas moins un fervent républicain qui n’hésita pas à louer une partie de ses locaux à la franc-maçonnerie. Lui ou son fils en étaient-ils membres ? Nous le soupçonnons sans toutefois en avoir la certitude. Le 26 octobre 1862, la loge « Les vrais amis réunis » du Grand Orient de France est inaugurée à l’intérieur de la Maison Rech. Quatre ans plus tard, elle sera priée de trouver un autre local avant une mise en sommeil de plusieurs années ; Antoine Rech souhaite passer la main à son fils avec lequel il va v aller vivre, rue Sainte-Lucie. Il commence à liquider son stock puis à vendre le n°8 de la rue du marché à M. Camboulive en 1873.

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    Dès lors, le 42 devient un lieu de réunions politiques. A la mort de son père, le fils Rech qui occupe les fonctions d’administrateur délégué de la Société démocratique puis de trésorier du Cercle républicain, accentue son œuvre en faveur de la République. Trouve t-on extraordinaire que Théophile Marcou installe les bureaux de son journal La fraternité chez Justin Rech, le 9 mars 1877 ? L’ami d’enfance de Barbès dresse ici des temples à la vertu et des cachots aux vices, il vilipende les lois du gouvernement de l’Ordre moral de Broglie et ses mesures liberticides. Ses papiers sont imprimés chez Pierre Polère, l’imprimeur 33, rue Saint-Vincent (4 septembre), malgré les menaces de censure et les amendes au-dessus de sa tête. 

    Au moment du partage de la succession d’Antoine Rech en février 1877, son fils qui a pris sa suite, garde les immeubles du 42, rue Sainte-Lucie. Pour cela, il paie une soulte de 14 000 francs à sa soeur Marie Pauline, mariée avec Jean Armand Teisseire. Délaissant petit à petit l’artisanat de son père, Justin réoriente l’affaire familiale vers le commerce des articles de fêtes. Drapeaux tricolores, feux d’artifice, ballons, etc… Ses clients sont désormais les maires républicains des communes auxquels il fait appel pour l’achat de ses produits. Le fils du vitrier ne manque d’ambition politique. Aux élections municipales du mois de mai 1888, il figure sur la liste socialiste de Jourdanne et obtient sur son nom un très bon score au premier tour. Malgré cela, il va faire les frais de circonstances électorales inédites. Les républicains partis divisés en trois listes doivent fusionner pour ne pas laisser la ville aux réactionnaires de droite, arrivés en tête au premier tour.

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    Façade de l'actuel 44, rue de la République

    C’est à cette époque que Justin Rech fait appel à l’architecte Léopold Petit, premier adjoint au maire de Jourdanne. La vieille maison du 42, rue de la République se transforme alors sous les traits du génie de Petit, en une demeure dont la façade n’a pas d’égal dans le quartier. Richement sculptée par Jean Guilhem (1822-1905), cet immeuble sur trois étages et terrasse présente toutes les caractéristiques du style Art-nouveau. Hélas bientôt, le carrosse se métamorphose en citrouille et les laqués en souris. Adieu, veaux, vaches, cochons, couvée… la faillite qui guète Justin Rech finit par le rattraper. Pris à la gorge par les traites, le 5 juin 1894 tous ses biens font l’objet d’une mesure d’expropriation à la demande de Jean Baptiste Marie Armand Larrousse, directeur de la succursale du Crédit Foncier de France. La maison avec sa cour et jardin renfermant trois corps d’habitation est vendue aux enchères publiques le 13 septembre de la même année.

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    Caveau du sculpteur et tailleur de pierre, Jean Guilhem. Cimetière Saint-Michel 

    Malgré sa ruine, Justin Rech n’a à pas attendre longtemps avant de trouver un emploi. Le 10 juin, soit cinq jours après sa saisie, la mairie de Carcassonne créé un poste spécialement pour lui. Le voilà Inspecteur de la salubrité publique. Le scandale éclate par la voix de M. Cros, pourtant élu de la majorité municipale. Comment le parent de Léopold Rousset, membre du conseil municipal, peut-il être employé à la ville ? L’affrontement entre Cros et Rech à la terrasse d’un café appelle réparation ; les hommes vont donc se battre en duel. A la chaussée de Maquens, le duel tourne à la mascarade et ne fait pas de vainqueur. 

    Justin Rech qui entre temps divorcera d’avec son épouse Rose Anne Horéty le 30 décembre 1894, sera promu Receveur principal des receveurs de place. Nous ne savons pas ce qu’il advint de lui jusqu’à sa mort le 20 novembre 1913 à l’hôpital Saint-André de Bordeaux. Il avait une fille , Baptistine Pauline Augusta, mariée en 1898 avec Joseph Mas, originaire de Quillan. En 1906, le couple vivait à Tours avec leur fils Marcel, né en 1900.

    Ce n’est certainement pas un hasard si l’ancienne rue Sainte-Lucie prit en 1883 le nom de la République. Il fallait bien que ce choix fût dicté par l’histoire d’un lieu symbolique, celui de la Maison Rech.

    Sources

    Cet article ayant demandé plusieurs heures de recherches et afin de ne pas alimenter les pilleurs qui ne citent jamais ce blog, il n'est pas fait mention des sources.

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