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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 157

  • Ces Harkis réfugiés à Villeneuve-Minervois qui avaient choisi la France

    © Cinq colonnes à la une / 1963 / Ina.fr

    Après les accords d'Evian en 1962, la France va faire face à une énorme flot de réfugiés en provenance de l'ancien département d'Algérie. Ces familles algériennes qui s'étaient battues aux côtés de l'armée française contre le Front de Libération Nationale favorable à l'indépendance, fuient leur territoire. Elles n'ont pas d'autre choix pour échapper à la mort que d'abandonner l'existence qu'elles menaient là-bas. Considérées comme des traitres aux yeux du nouveau régime, elles arrivent dans une France dépassée par les évènements. Les conditions de rapatriement et d'accueil sont misérables et beaucoup les considèrent aujourd'hui comme indignes du service rendu à la patrie. Ces milliers d'algériens nommés harkis sont parqués dans des camps comme celui de Rivesaltes, où déjà le gouvernement français avait installé les "indésirables étrangers" en 1938. C'est-à-dire les Républicains espagnols fuyant le régime franquiste. Le 2 février 1939, le ministre de l'intérieur Radical-socialiste Albert Sarraut emploie pour la première fois le terme de "Camp de concentration". « Ce ne sera pas un lieu pénitentiaire : un camp de concentration, ce n’est pas la même chose » affirme-t-il. En 1942, le gouvernement de Vichy y mettra dans des conditions sanitaires pitoyables, les juifs livrés ensuite aux Allemands pour leur extermination dans le camp d'Auschwitz.

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    Le camp de réfugiés de Rivesaltes en 1939

    Dans ce camp gardé par des militaires, les harkis reçoivent une somme d'argent qu'ils utilisent pour acquérir des denrées alimentaires, vêtements. Un juge leur demande s'ils souhaitent garder la nationalité française, avant d'apposer leur signature en bas d'un formulaire. Aux hommes, on fait suivre des cours de préformation professionnelle :bâtiment et métaux, et aussi, des classes d’IVM, Initiation à la vie métropolitaine. Aux femmes, on fait suivre des cours de travaux ménagers. Il faut apprendre à se servir d’un fer électrique, d’une machine à coudre. Il faut aussi apprendre à parler et à lire en français.

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    Après leur internement dans ce camp, les familles de harkis totalement déracinées sont conduites dans des villages abandonnés. Il s'agit de domaines forestiers qui font penser au djebel algérien. Dans l'Aude à Pujol-de-Bosc, au-dessus de Villeneuve-Minervois, là où il n'y a qu'un seul berger vont s'entasser 190 personnes pendant plusieurs années. Les familles vivront à 8 ou 10 dans des pièces de vieilles maisons rurales. Les hommes sont employés par l'Office national des forêts et replaceront la main-d'œuvre espagnole pour les travaux viticoles. Il n'y a pas l'eau courante, mais l'électricité. Les sanitaires sont dans des baraques à l'extérieur. On accède à cet endroit par une route étroite sans revêtement. Deux fois par semaine, les commerçants de Villeneuve y montent. Il s'agit du boulanger, du boucher. L'épicière du village s'y rend une fois dans la semaine. 28 villages accueilleront les harkis en France, puis 70 fin septembre 1963. Les préjugés ont la dent dure, lorsque la télévision interroge Charles Huc, le maire de Villeneuve-Minervois en 1963 : 

    "Dites-moi, c’est une expérience un peu particulière pour un maire de France d’avoir à administrer des musulmans, non ?" "Oui, au début, c’était un petit peu… ça m’a un peu gêné, parce que ce sont des gens en somme qui sont d’une autre… d’une autre forme, quoi, d’une autre civilisation que nous, peut-être. D’une autre mentalité. Alors, au début… Je m'y suis très bien habitué. Ce sont des gens très sympathiques."

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    Le Pujol-du-Bosc aujourd'hui

    45 familles soit 400 personnes resteront dans ce hameau jusqu'en 1978, avant d'aller s'installer progressivement dans les villages voisins. Pendant un bon bout de temps, l'administration tint les harkis à l'écart du reste de la population Villeneuvoise. Ceci n'empêcha pas les naissances et les premiers prénoms français firent leur apparition. Parmi les trois enfants du couple Mazouni, il y aura Jacques et Gisèle. Les premiers à naître à Pujol-du-Bosc. Ces citoyens français de l'ancien département d'Algérie, anciens combattants de la France, n'obtiendront jamais les mêmes gratifications que leurs homologues métropolitains. Une blessure bien difficile a cicatriser encore aujourd'hui...

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    Une stèle et une plaque en l'honneur des harkis à Pujol-de-Bosc

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2018

  • L'abbé Gau, ce curé humaniste élu député de l'Aude à l'Assemblée Nationale (2)

    Après l'armistice du 8 mai 1945, l'abbé Gau décide de porter sa candidature à l'élection des députés pour la 1ère assemblée constituante d'après guerre. A la surprise générale, il est élu au scrutin de liste en ayant obtenu la plus forte moyenne avec 22 354 voix. Sur 166 515 inscrits pour 129 886 votants, les partis récoltent les suffrages suivants : Communistes (33 741), SFIO (51 002), Radicaux-Socialistes (20 317), M.R.P (22 354). L'abbé Gau siège donc sous la bannière du Mouvement Républicain Populaire ; il s'agit d'un parti démocrate-chrétien classé au centre de l'échiquier politique. Au sein de la Commission du travail et de la Sécurité sociale, Albert Gau rédige sa première proposition de loi le 7 mars 1946. Elle porte sur la création de jardins ouvriers. L'année suivante, il est réélu les 2 juin 1946 (2e assemblée constituante) et le 10 novembre (Assemblée nationale) avec un nombre voix égal à son score de 1945.

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    A l'élection de 1951, il ne sauve son siège qu'à l'apparentement de la liste MRP aux listes Socialistes et d'entente du Rassemblement des Gauches Républicaines et du Parti Radical. Dans l'Aude et ailleurs, le système électoral mis en place a réussi à faire éliminer les Gaullistes du RPF (8,1%) et surtout les Communistes (26%). La profession de foi du MRP indiquait :

    "Vous ne voulez pas être russifiés. Vous ne voterez pas non plus RPF, car RPF = Dictature, aventure et communisme à terme".

    Entre 1945 et 1955, Albert Gau manifeste une importante activité parlementaire. Il est membre de nombreuses commissions : Marine marchande et des pêches (1946), Travail et Sécurité sociale (1946), Presse (1949). A cela il faut ajouter son rôle de juré de la Haute cour de justice (1947) et secrétaire de la commission de la coordination de l'énergie atomique (1955). Il partira de cette dernière lorsqu'on envisagea de fabriquer la bombe atomique. Il rédige 10 propositions de loi de 1946 à 1951 et une quinzaine entre 1951 et 1955.

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    Sa première intervention à la tribune date du 1er octobre 1946. D'emblée, il se place du côté des masses laborieuses et comme défenseur de la justice sociale. Concernant les crimes de l'Occupation, il prône le pardon et l'union. Ce qui le distingue des communistes c'est son aversion pour les méthodes staliniennes. En particulier, celles infligées au cardinal Mindszenty, primat de Budapest, opposant au communisme jugé et incarcéré. Parmi ses souvenirs les plus chers, c'est sa rencontre avec Tito avec le Président de l'Assemblée Nationale. Il s'agissait de créer de nouveaux liens avec la Yougoslavie et poursuivre le socialisme de Jaurès. 

    Sur les bancs de l'Assemblée, Albert Gau siège avec d'autres ecclésiastiques : Le Chanoine Kir, l'Abbé Pierre et l'Abbé Boganda. Ils n'avaient pas les mêmes préoccupations ou, tout du moins, ne les exprimaient pas publiquement. L'ami de Pierre Mendes-France avoua "avoir veillé à ne jamais être vu sous l'angle d'un parti. Je crois être resté resté l'ami de tous, avec plus d'amitié à gauche qu'à droite. Mais l'Evangile n'est pas neutre". 

    La torture en Algérie

    Le 31 mars 1955, il brise un tabou alerté par des séminaristes. Il faut faire cesser la torture en Algérie ! Simone de Beauvoir, dans son libre "La force des choses" (Folio/Seuil - 1963), écrit : "Un député MRP, l'Abbé Gau, dénonça à l'Assemblée les méthodes employées en Algérie par la police et dignes de la Gestapo. On l'écouta distraitement, et un peu plus tard on décréta l'Etat d'urgence."

    L'abolition de la peine de mort

    Bien avant 1981 et la loi Badinter, Albert Gau fut un précurseur de l'abolition de la peine de mort. Ceci d'une manière totalement solitaire dès 1947. Il déposa le 6 juin 1947 avec le professeur Paul Boulet, député-maire de Montpellier, devant l'Assemblée nationale, la première proposition de loi en ce sens. "Son unique article tombe comme un couperet en cinq mots : La peine de mort est abolie. Ultralaconique (deux phrases), son exposé des motifs se réfère curieusement ou ironiquement au vote que venait d'adopter le présidium de l'URSS par son oukase abolitionniste du 26 mai 1947, suivi de l'oukase de rétablissement du 12 janvier 1950. L'acte audacieux et isolé d'Albert Gau n'était pas sans courage dans la France de 1947, alors que les juridictions d'exception, cours de justice et surtout tribunaux militaires, faisaient tomber les arrêts de mort." Il réitéra sa proposition à plusieurs reprises, notamment avec Francine Lefebvre, député de la Seine, avec l'argument que sa suppression en France serait "de nature à servir d'exemple à l'ensemble des nations civilisées". 

    Le défenseur de la paix

     Contre les guerres d'Algérie et d'Indochine, il s'activa au côté du Mouvement de la Paix. L'une des caravanes qui sillonnaient la France avec des tracts s'arrêta à Arzens avec l'Abbé Gau et fut reçue par le maire Sabadie. Pour l'anecdote, le père Gau se fit arrêter à Carcassonne avec le député Félix Roquefort et Henri Callat, professeur au Lycée de la ville pour affichage illégal. Conduit au poste de police avec ses amis, le commissaire Aze le posa cette question : "Que faites-vous à cette heure tardive dans les rues de Carcassonne ?" Ce à quoi il répondit : "Tant qu'il y aura une guerre en Algérie, nous serons dans les rues de Carcassonne !"

    Bénédiction de la cloche de la réconciliation. Mgr Puech, Mgr Rougé et Abbé Gau.JPG

    En 1956, suite à la dissolution de l'Assemblée nationale prononcée par Edgar Faure le 2 décembre 1955, une nouvelle élection législative est organisée. L'Abbé Gau perd son siège de député ; le MRP n'a pas voulu faire alliance avec les Poujadistes. Le prêtre se retire de la vie politique et se remet à la disposition de son diocèse. Il ne renonce pas pour autant à son militantisme contre les sectarismes et en faveur du dialogue. A Ferrais-les-Corbières, il organise une rencontre entre les Communistes et les Chrétiens de la paroisse qui se terminera par un pot de l'amitié. Il fait de même avec la Franc-maçonnerie. Avec son ami et résistant Jacques Ruffié, Professeur au Collège de France, il organisa à Carcassonne une rencontre avec "l'évêque rouge" de Récife, Mgr Helder Camara. Avec Henri Callat, un cycle de conférences se tient en ville où Henri Laborit et Albert Jacquart sont invités.

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    Aux mineurs de Salsigne : "C'est votre usine" en 1991

    Parmi les actions d'éclats du père Gau, la location d'un avion de tourisme à Salvaza. Ce jour-là, alors que se tient une messe célébrée à Fanjeaux par le clergé intégriste de Mgr Lefebvre (Fraternité Saint-Pie X), il fait pleuvoir des milliers de tracts rappelant l'aggiornamento de l'Eglise catholique Vatican II. Albert Gau, chantre de la transformation sociale, s'afficha aux côtés de mineurs de Salsigne, un casque de chantier sur la tête. 

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    Il participe également au Mouvement pacifiste "L'appel des 100"

    L'abbé vantant "Le devoir de désobéissance" s'est accompli en refusant ce qui était inacceptable à ses yeux. Il n'a pas seulement fait que s'opposer, il a aussi forgé les consciences et bâti solidement. Cela se voit encore aujourd'hui... 

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    Le marquis Charles de Lordat n'ayant pas de descendance, confie le domaine de Sainte-Gemme à Bram au soin de l'Abbé Gau en 1950. Charge à lui d'y créer un établissement social. Albert Gau prend alors contact avec Odette Robert. Cette éducatrice fonde avec l'abbé et Geneviève Geldreich, le Centre Educatif de Sainte-Gemme. Lorsqu'il apprend en 1968 la vente du château de Lordat, le père Gau s'active avec l'Association Sainte-Gemme pour recueillir des fonds. C'est la création d'un second établissement, sous la forme d'un C.A.T. Au début des années 1970, toujours avec la bienveillante autorité d'Albert Gau, les terres de Sainte-Gemme voient l'édification d'une maison de convalescence : Le Centre de Lordat. Il est inauguré le 2 février 1972 ; toujours en activité, il s'est transformé en Pôle de santé. 

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    Le 26 février 1990 à l'Indépendant

    Durant toute sa vie, l'Abbé Gau remplit également les fonctions de journaliste. A la Croix du Midi, mais également au journal l'Indépendant dans lequel il signait des articles. Cet homme si riche intellectuellement sera progressivement gagné par la maladie d'Alzheimer. Le 14 mai 1993, Albert Gau est rappelé - comme on le dit - à la maison du père à 12h30 chez lui, à Sainte-Gemme. Ses obsèques sont célébrées dans la cathédrale Saint-Michel, par l'abbé Mazières.

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    L'abbé Jean Cazaux

    "C'était un homme hors du commun. Un prêtre courageux, malheureusement affaibli par la maladie depuis quelques temps.

    Marcellin Horus, résistant et ancien maire de Villesèquelande

    "C'était une grande personnalité du monde combattant, mais aussi un saint homme avec le cœur sur la main. Un grand monsieur et un homme très charitable."

    Dans cette cathédrale, il y avait des chrétiens, des juifs et des athées. Des francs-maçons, des communistes, des laïcs, des occitanistes, des mineurs de Salsigne. Il y avait le député Gérard Larrat, Nicole Bertrou, Joseph Vidal, Henri Garino, Alain Marcaillou, Jacques Cambolive. On nota l'absence de représentants de la municipalité et du Président du Conseil général. Un homme dira : "Avec ce qu'il a fait, il aurait dû y avoir du monde dehors."

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    Albert Gau repose dans le cimetière de Conques-sur-Orbiel, dans le quasi anonymat, aux côtés de sa mère et de Suzanne Laisné. Il n'obtint que deux médailles : celle des Combattants Volontaires de la Résistance et celle des Justes parmi les Nations. C'est parce que son œuvre doit perdurer à travers les générations, que j'ai rédigé ces deux articles. Je n'ose imaginer son désarroi s'il revenait à la vie aujourd'hui... 

    Sources

    Fonds Albert Gau / ADA 11

    Journaux locaux

    Simone de Beauvoir / La force des choses / 1963

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  • L'abbé Albert Gau, la belle âme d'un envoyé de Dieu au service de l'humanité (1)

    C'est le 10 juillet 1910 que naît à Conques-sur-Orbiel, Albert Louis Joseph Gau, fils d'Armand et de Marie Guiraud. Juste à peine le temps de chérir son papa que celui était tué à l'ennemi en 1915 lors de la bataille des Dardanelles, durant la Grande guerre. Le pupille de la Nation n'oubliera pas ; il se battra toute sa vie contre la haine et la guerre. Après le conflit, sa mère fait la connaissance de Mademoiselle Suzanne Laisné.

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    Les deux femmes vivent ensemble et élèvent le jeune garçon au sein d'un sérail féminin très dévot. Albert commence sa scolarité à l'école primaire de Conques, avant de poursuivre ses études secondaires au Petit séminaire de Castelnaudary, puis au Grand séminaire Saint-Sulpice de Paris sous la haute autorité du cardinal Verdier. Il s'agit d'un choix de sa part, car il se méfie de l'étroitesse de l'enseignement en province : "Là, je trouvais une atmosphère internationale, une grande qualité de pensée et de très grands professeurs."

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     Petit séminaire de Castelnaudary (1924-1925)

    Le 29 juin 1934, il est ordonné par Mgr Pays en la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne. Il dira sa première messe le lendemain, mais n'exercera pas de fonctions paroissiales. Directeur des Œuvres, de la jeunesse J.O.C et J.A.C, il s'occupe des Mouvements Populaires des Familles qui, deviendra ensuite l'Action Catholique Ouvrière. En 1937, le père Gau fonde un journal mensuel "Le midi social" qui sera supprimé par Vichy. Envoyé au collège Beauséjour à Narbonne, il enseigne et dirige l'équipe de rugby de l'établissement jusqu'au mois de septembre 1939. La France vient de déclarer la guerre à l'Allemagne nazie et le prêtre se retrouve mobilisé comme tous les hommes de sa génération. Ceux-là même qui avaient vus leurs pères se faire tuer en 1914-1918.

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    L'abbé Gau à l'extrême gauche sur cette photographie

    De retour à Carcassonne après l'armistice en ayant échappé à la capture, il s'oppose d'emblée au nazisme et à la politique de collaboration du maréchal Pétain. 

    "Mon entrée dans la vie publique est due à la Résistance. J'étais dans la Résistance dès 1940. A ce moment-là, il fallait marcher à contre-courant. Je faisais des sessions de formation sur le nazisme. Par la suite, nous avons été très aidés par "Témoignage Chrétien" qui, avec ses cahiers "France, prends garde de perdre ton âme", nous a passé des études sur la perversité du nazisme. Nous n'étions pas nombreux en France à apprendre le devoir de désobéissance. trop de dignitaires, prêchaient la soumission au devoir établi. Je n'ai appartenu à aucun mouvement de résistance."

    Il s'implique avec l'accord de l'évêché au sein des aumôneries, des jeunes et des ouvriers et réside à la Maison des Œuvres. C'est l'actuel Lycée Saint-François, rue des Amidonniers.

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    Maison de l'Œuvre. Lycée St-François

    Il utilise le bâtiment mis à sa disposition pour fabriquer des faux papiers et obtenir l'équipement nécessaire. Avec des tampons volés à la Gestapo, le voilà bien équipé. Il délivre également de faux certificats de baptêmes, à condition uniquement que les juifs ne se convertissent pas. Dans les locaux mitoyens de son appartement, il cache des juifs pendant un certain temps qui sont envoyés avec l'aide de deux amis, juifs eux-mêmes : Nicole Bloch et Klein. Il ouvre un restaurant, supposé être tenu par quelque femme qu'il connaissait, comme lieu de planque, et le couvent des Carmélites dans la banlieue de la ville où il était aumônier, coopère volontiers quand il a besoin d'aide. A la demande du père Gau, la mère supérieure admit dans le cloître un juif poursuivit par la Gestapo. Elle le déguisa en none carmélite et le sauva de l'arrestation.

    Voici comment a commencé mon action clandestine. Un jour arrive chez moi une responsable nationale du mouvement juif. Elle voit qu'il y a pas mal de place dans la Maison des Œuvres et me demande si j'accepterais de recevoir des juifs cherchant un refuge en attendant de les caser dans des familles ou de les faire passer en Espagne. Je dis oui. C'est alors qu'une nouvelle période de ma vie débutait. Je pourrais écrire un livre pour en raconter les péripéties, mais je ne m'en tiendra qu'aux évènements essentiels. Chaque jour ou presque je recevais des juifs, surtout des jeunes. J'ai dû monter un restaurant pour les faire manger. Heureusement, les militaires de l'aviation qui travaillaient à Salvaza acceptèrent d'y prendre leur repas, ce qui couvrait pas mal de choses. De plus au Secours National, j'ai eu la collaboration des deux principaux dirigeants, M. Roty et Mlle Bancilhon qui alimentaient le restaurant. J'ai dû fabriquer en grande quantité de fausses cartes d'identité et de ravitaillement. Je donnais même à chaque juif un certificat de baptême, à la seule condition qu'il ne se fasse pas baptiser. J'avais l'occasion de prendre dans les sacristies les cachets paroissiaux, ceux de Conques me furent donnés par le curé lui-même. J'avais créé plusieurs centres notamment celui de Millegrand dont le Directeur et la Directrice étaient deux juifs camouflés sous un faux nom, ils m'aidaient. 

    Tout marchait très bien, mais il évident que cette activité ne pouvait se poursuivre longtemps. A la suite d'arrestation de personnes que j'avais hébergées, je fus recherché. Un jour, je fus informé par un policier qu'une perquisition devait être effectuée à la Direction des Œuvres en vue de retrouver le matériel servant à confectionner des fausses cartes. Je précise que nous étions en zone occupée. Un juif n'avait pas droit à la vie. Je ne gardais dans les bureaux que les portraits du Maréchal Pétain, immenses affiches envoyées par Vichy qui nous servaient pour divers usages. Trois mois après, il n'y avait pas encore eu de perquisition. Je reçus la visite de trois délégués qui me dirent : "Il faut tout changer, voici de nouveaux cachets..." Je leur répondis : "Attendez-moi, je reviens ici dans une heure, je vais donner mon cours au Lycée". J'en étais l'aumônier, et mon ami, M. Sirven le Directeur. J'ajoutai : "Pendant ce temps, travaillez dans ma chambre et faites-moi un certain nombre de cartes d'identité et d'alimentation". A mon retour, la maison était cernée par des policiers en civil. On me demanda si j'étais l'abbé Gau et on présenta un ordre de réquisition : "Avouez que vous faites de fausses cartes, me dit-on et que vous abritez des juifs, ce sera plus rapide". Je niais tout mais je demeurai inquiet. Je ne savais pas ce qu'étaient devenus les occupants : juifs et responsables nationaux. Heureusement, ils avaient pu s'enfuir. Mais on m'avait laissé sous l'édredon tout l'attirail, celui-là même que l'on recherchait. La perquisition dura de 15h à 18h30. A mon bureau on ne trouva rien, toutes mes lettres furent visitées. En descendant l'escalier nous passâmes devant une porte entrouverte ; je sentais l'odeur des acides utilisés par mes visiteurs pour transformer certaines cartes. "Où couchez-vous ?", me demanda t-on. J'entrai alors dans une vive colère : "Cette chambre est réservée à l'Evêché. Vous n'avez pas le droit d'y entrer sans la permission de l'Evêque. Et puis j'en ai marre !" Je continuai à descendre entraînant un policier par la main. Alors un autre policier plus compréhensif dit à ses collègues : "Fichez-lui la paix, c'est fini". Rien ne fut découvert.

    Un soir, à 23 heures, un messager vint m'apporter un billet : "La Gestapo vient chercher un ménage juif à l'Hôtel Vitrac, chambre numéro ?". Mais ce billet me parvenait avec retard car l'arrestation devait avoir lieu à 22 heures. Il ne fallait pas hésiter, il n'y avait pas une seconde à perdre. Je pars sur le champ, je monte à l'étage. Je dis aux occupants de la chambre : "Vite suivez-moi, la Gestapo arrive". Ils me suivent. En descendant, nous avons croisé les Allemands, en retard, qui eux montaient. Je ne sais pas ce que j'ai dit en les voyant pour les tromper.

    Un jour la Gestapo vint m'arrêter, mais j'ai pu m'échapper. Puge, militant communiste, fils de la concierge qui lui servait de boîte à lettres, et quelques ennuis, mais il n'y eut pas d'arrestations. C'est alors que j'entrais dans la clandestinité. Cela dura deux ans, je me cachais le jour, je sortais la nuit comme un malfaiteur. Le plus dur était l'isolement moral. Il m'arrivait de me demander si je ne serais pas un paria toute la vie, surtout au début... Un maréchal de plus en plus en décrépitude n'entendait plus aucun appel. Il ne représentait plus la France, et beaucoup continuaient à le considérer comme un protecteur, jouant le double jeu alors qu'il n'en jouait qu'un seul. Il était devenu un fantoche, une marionnette dont les Allemands tiraient les fils.

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    L'abbé Gau avait l'accord de son évêque, Mgr Pays, qui demandait tout de même à lire le texte de ses sermons à la cathédrale, avant approbation. Une accord, jusqu'à un certain point... "Là, cela devient trop dangereux, Père, la Gestapo vous à l'œil". L'évêque lui demande de stopper ses activités clandestines, mais Albert Gau ne se démonte pas. Le même jour, une femme sonne à sa porte. Elle est juive et enceinte ; après l'avoir faite entrer, il appelle son évêque : "J'ai une femme juive enceinte, ici. Vous m'avez dit d'arrêter, alors je vais l'envoyer chez vous ! Vous avez suffisamment de place." A ces mots, Mgr Pays répliqua : "Bon, d'accord. Faites ce que vous avez à faire, mais gardez-là." L'hôtel Vitrac, rue du Pont vieux, qui était pourtant requis pour servir la cantine à la Légion des Combattants servait d'hébergement pour les familles juives en transit vers l'Espagne. Malgré les relations cordiales qu'il entretenait avec sa hiérarchie, le père Gau se montrait critique envers l'attitude de l'Eglise française pendant la guerre :

    "Ce que je reproche à l'Eglise est son obéissance à l'Etat, au maréchal Pétain. Pour moi, même si Pétain avait été élu, nous devions lui désobéir parce qu'il était un outil des Allemands... Mais Vichy accordait à l'Eglise certains privilèges pour ses écoles, re-instituait des processions, etc. Aussi les Evêques supportaient le gouvernement. Même le courageux Cardinal Saliège avait trop de respect pour l'Etat... Quand l'Evêché disait aux populations qu'elles devaient obéir et partir aux travaux obligatoires en Allemagne, que c'était un devoir patriotique, je distribuais des papiers aux jeunes du pays, qui disaient : Si l'Evêque vous dis de partir au STO, il perd son autorité et vous ne devez plus lui obéir. Je ne vous dis pas de rejoindre la Résistance, mais vous devez agir selon votre conscience... Comme vous pouvez imaginer, l'Evêque ne m'aimait pas beaucoup... Jusqu'à la Libération. Puis ils étaient bien contents de pouvoir montrer mon exemple. Aider les juifs n'était pas un problème de religion pour moi, cela devait simplement être fait. Ils vivaient dans la peur, se cachaient dans des cours, chassés jour et nuit. Ils souffraient trop..."

    Albert Gau se fait dénoncer à plusieurs reprises et au cours de perquisitions le 29 mars 1943, on ne trouve rien. Ils cachait les tampons sous ses édredons. Au cours de l'une d'elle, il réussit à fuit par les toits et trouve refuge à Issel dans la famille Reynès. Sa piste est retrouvée, mais les Allemands ne le trouveront pas dans un coin de cette maison où il était caché.

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    A la Libération, le Président du Comité Départemental de Libération, Francis Vals vient le chercher pour prendre la Préfecture de l'Aude et s'y installer. Malgré un comité essentiellement communiste et pas pro-catholique, une place est offerte à l'abbé Gau en son sein. Nous évoquerons plus tard, les suites de la vie publique d'Albert Gau. Nous consacrons cet article uniquement à sa vie résistante.

    Le Juste parmi les Nations

    En 1980, René Klein et son épouse Nicole Bloch avec lesquels il avait gardé le contact, proposent de présenter Albert Gau à la commission Ad hoc chargée de délivrer le titre de "Juste parmi les Nations". Le 20 novembre 1986, comité de Yad Vashem décide d'attribuer cette distinction au père Gau. Le 17 juin 1987, l'avocat et président du CRIF Théo Klein vient à Carcassonne pout donner une conférence sur la mémoire de l'holocauste et rendre hommage à son ami, Albert Gau. Dans l'assistance se trouvent le Dr Roger Bertrand, Nicole Bertrou, Henri Sentenac (déportés de l'Aude), Madame Félix Roquefort, Joseph Vidal (député) et Mgr Pierre-Marie Puech. Cet évènement en plein procès Klaus Barbie prenait un dimension particulière. Théo Klein rappela les propos de Michel Noir, Ministre de l'économie de Jacques Chirac : "Mieux vaut perdre une élection que son âme". Il faisait référence aux sirènes de l'union avec le Front National auxquelles certains élus de droite étaient tentés de répondre. Ce 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen lançait sur les ondes de RTL que "Les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde guerre mondiale". Ce soir-là à Carcassonne Théo Klein lui répondit : "Qu'ils me les rendent (les révisionnistes) les membres de ma famille qui sont passés par là et les 6 millions de personnes exterminées".

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    L'abbé Gau et Théo Klein à Carcassonne

    Quand je vois l’auditoire qui vous a écouté avec beaucoup d’intérêt, je ne crois pas me tromper en disant que nous menons tous le même combat pour l’homme, tous attachés aux libertés. Notre horizon est sans frontière, sauf celle de l’odieux racisme. dont la montée nous inquiète, aujourd’hui. L’on recherche toujours des boucs émissaires pour créer la peur et l’exclusion qui aboutissent fatalement, à l’élimination. Tout a commencé par un simple tampon sur les cartes d’identité ou par une étoile jaune. Tout s’est terminé par les fours crématoires.
    Dans Mein Kampt, Hitler a écrit ce qu’il ferait, l’on était averti, il écrivait : « Le monde ne peut être gouverné que par l’exploitation de la peur ». Et ça recommence ! Comme si rien ne s’était passé. Mon grand ami Edmond Michelet, ancien de Dachau, ou notre ami Sentenac (Président des déportés de l’Aude) ici présent, l’a connu et beaucoup estimé. Michelet me répétait souvent : « Il faut se souvenir du passé pour vivre le présent ».
    Et si le procès Barbie réussit seulement à mettre en évidence la réalité de l’extermination de 6 millions de juifs, en tant que juifs, dans les chambres à gaz, ce procès n’aura pas été inutile.
    Des jeunes qui ont vu le film « Shoah » à Carcassonne, la semaine dernière, ont dit à la presse : « Nous ne voulons plus revoir cela ». Malheureusement, ils sont encore peu nombreux à le dire. Heureusement, l’information va se poursuivre en classe.
    Il faut savoir que le racisme reste la donnée centrale du nazisme. Et ce nazisme a été défini déjà en 1932 au Reichtag par le député Karl Schumacher : « Un appel au salaud qui dort dans l’homme". Cette définition reste valable aujourd’hui. Elle a valu à son auteur 12 ans de martyre. Vous ne risquez encore rien si vous l’utilisez. (Extrait du discours de l'abbé Gau)

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    L'abbé Gau plante l'arbre des Justes à Jérusalem

    Le 13 septembre 1987, Albert Gau reçoit au mémorial de Yad Vashem la médaille et le diplôme des Justes parmi les Nations. Il est accompagné d'un autre résistant qui fut déporté, Pierre Madaule. A la suite de la cérémonie, le père Gau prononce un discours dont je vous livre ci-dessous quelques extraits.

    Pardonne, mais n’oublie pas, lisons-nous sur le mur des martyrs. Ils sont de vrais martyrs. Chacun de nous doit être alerté, en permanence, sur la menace que fait peser tout propagande, même déguisée comme le faisait Hitler, en faveur du racisme, par l’exploitation systématique de toutes les déficiences de la société, afin de prendre le pouvoir.
    Le retour de ces monstrueux forfaits est toujours possible. Sachons dépister, développer des campagnes mensongères de rejet et de discrimination raciale. Nous avons vu comment cela commence et comment cela finit.
    Pratiquons cette union de la différence si chère à Théo Klein. Il faut que l’humanité soit pénétrée de cet esprit de tolérance, de respect mutuel, si nous voulons faire naître un monde vraiment nouveau.
    Si hallucinantes que furent les atrocités nazies, il faut les connaître, et demander aux jeunes de les méditer, car c’est de nous mêmes qu’il s’agit. Leur sort aurait pu devenir celui de tous les hommes libres si, finalement, Hitler n’avait pas connu une défaite retentissante. Unissons-nous donc dans nos différences, pour préparer ensemble, par la paix et la justice, l’avènement d’un monde libre et fraternel, celui dont l’espoir a soutenu l’élan de tous nos martyrs.
    Au moment où les peuples se demandent si l’humanité n’est pas à la veille de se détruire, il faut que le sens humain, le sens éthique, se développent à la mesure des forces effrayantes dont l’homme est devenu le maître.

    Médaille des Justes.JPG

    La médaille des Justes de l'abbé Gau

    Toute la vie de ce prêtre hors du commun fut consacrée aux œuvres sociales et à la défense de la dignité humaine. Nous le verrons dans un prochain article consacré à son mandat de député, il instaura un lien entre les hommes d'opinions différentes. Il lutta sans cesse pour abolir les préjugés et les sectarismes. Son héritage jeté aux oubliettes devrait nous engager, nous contraindre à refuser ce qui n'est pas humainement acceptable. Cet envoyé de Dieu fidèle à la pensée d'Aragon, savait réunir ceux qui croyaient au ciel et ceux qui ne croyaient pas.

    Sources

    Fonds Abbé Gau / ADA 11

    Témoignage d'Eva Fleischner

    Mémorial de Yad Vashem

    Cet article est un peu long, à l'image du grand homme que fut l'abbé Gau. Il a nécessité plusieurs heures de recherches, de synthèse et de rédaction. Puisse t-il éveiller les consciences de ce monde afin qu'il ne retombe pas dans l'enfer d'hier.

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