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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 156

  • L'exposition des portraits d'Hans Bellmer au mois d'octobre 1947 à Carcassonne

    Hans Bellmer est né dans une famille protestante à Katowice en Pologne alors annexée par l’Allemagne, le 13 mars 1902. Dans cette ville, il poursuivit ses études jusqu’au baccalauréat. Ses livres de classe s’illustraient en marge de dessins et ses buvards recevaient déjà la marque d’un talent naissant. Fait curieux pour un garçon qui était destiné à la carrière d’ingénieur, il marquait une prédisposition très nette pour les lettres et les langues vivantes. Cependant à seize ans, il occupait ses loisirs à construire des automates d’une étonnante précision. 

    Alors qu’il cherchait sa voie entre la littérature et les peinture, à vingt ans, il rencontra Georges Grosz qui devint son maître.

    La Pologne venait alors de renaître, c’était l’époque où l’on voulait faire de ce pays un Etat tampon entre l’Occident et l’Union soviétique ; mais le jeune Bellmer était de ceux qui n’admettaient pas que « le soldat polonais monte sur la Vistule la garde de la civilisation ». Sa position politique et une exposition de peinture qui fit scandale lui attirèrent des ennuis ; il quitte la Pologne préfaciste et recherche un asile à Berlin où la République de Weimar accorde des facilités aux artistes. Il a vingt-deux ans. L’amitié de Grosz lui est alors d’un grand secours. Avec lui, il connaît John Heartfield dont le frère est l’éditeur de Gorki, Barbusse, Lénine, Sinclair… Il fait alors les couvertures des livres et de nombreuses illustrations. Mais c’est Paris qui l’attire ; il veut connaître notre capitale, et, en 1926, y vient pour la première fois et fait la connaissance de Chirico. Il retourne ensuite à Berlin où, pour vivre, il créée un atelier de publicité et ses marie en 1927.

    Mais l’Allemagne est bientôt secouée par l’agitation hitlérienne, et, Bellmer, qui a déjà quitté son pays par amour de la liberté, entre dans la lutte contre les nazis. Ses voyages à Paris sont de plus en plus fréquents ; ses amis surréalistes lui demandent de se fixer en France, mais il reste auprès de sa femme malade, et ce n’est qu’à la mort de celle-ci en 1938, qu’il vient s’établir définitivement à Paris. Il arrive auréolé de sa légende, car il était le seul artiste qui ait osé dessiner certains sujets et attaquer les nazis. 

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    La poupée de Bellmer

    En 1937, il avait exposé à la grande exposition surréaliste de Paris puis à Londres et à New-York. C’est à Paris, également, qu’il avait fait paraître en 1936 « La poupée », aux éditions G.L.M. C’est pourquoi, il reçut aussitôt un excellent accueil des milieux artistiques et qu’il collabora à de grandes revues : Minotaure, Cahiers d’art, Cahiers G.L.M et d’autres revues d’art internationales. Pour G. Prassinos, il dessine un frontispice ; puis, en collaboration avec Georges Huguet, édite en 1939 chez Jeanne Bucher, des dessins et des poèmes : « œillades ciselées en branches ».

    Aussitôt après les derniers combats de France, en octobre 1944, il expose chez Trebntin à Toulouse. Il y retrouve ses amis Tristan Tzara et Paul Eluard avec qui il met en route l’édition de son prochain livre : « Les jeux de la poupée » qui sera illustré par quatorze poèmes de Paul Eluard. Reprenant le contact avec Paris, il fait paraître aux « Documents surréalistes », une œuvre épuisée dès le premier jour : « Trois tableaux, sept dessins, un texte ». Il expose à la Galerie du Luxembourg.

    Par suite d’un concours de circonstances, Bellmer s’est fixé provisoirement à Carcassonne (voir chronique précédente du 15/04/2016). Au début d’octobre 1947, il expose ses portraits à l’intention de ceux à qui échappent les subtilités du surréalisme.

    Les dessins de Bellmer sont toujours traités au crayon, quelque fois c’est au pinceau qu’il exécute les plus grands. Sa technique laisse une place très large à l’automatisme rêveur et ses complète de détails très précis observés d’après la nature. Citons « La Céphalopode » à la gloire du maquis de Sade, commencé en 1946.

    Ses peintures sont surtout des gouaches interprétées où la couleur semble accessoire et laisse la place à la forme et à la matière, qui seules comptent pour l’artiste. Depuis 1946, il travaillait ses gravures sur cuivre et au burin.

    Les objets qu’il fabrique sont presque toujours mobiles et on y retrouve la précision nécessaire à la carrière d’ingénieur à laquelle il voulait se consacrer. Sa poupée de bois, démontable et permutable, permet à l’artiste de provoquer des formes dans l’anatomie de l’imaginaire et du vécu.

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    © Cequimeplaît.eklablog.com

    Max Ernst par Bellmer

    Concernant les étonnants portraits de Bellmer qu’il fit de nombreux Carcassonnais afin de pouvoir survivre à une époque où il était dépourvu d’argent, voici ce qu’il en disait : « Le côté Narcisse joue presque toujours chez les individus, chacun désire retrouver dans un portrait le moi idéal, non instantané que lui refuse le miroir ou la pellicule photographique. Cette différence est naturelle et s’explique : l’enfant est intact par définition ; il ne fixe pas l’image de son moi à une image extérieure préméditée comme la grande personne. »

    Malgré tout cela, Bellmer ne considérait pas que les portraits qu’il exécutait faisaient intégralement partie de son art. Aussi, cherchait-il à allier cette perfection dans la ressemblance aux richesses de l’imagination et une forme nouvelle de l’art est née : le portrait interprété, où l’artiste ajoute à la ressemblance optique, celle de la vie imaginative.

    Article précédent sur Bellmer

    http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/archive/2016/04/15/mysteres-et-secrets-surrealistes-du-sejour-d-hans-bellmer-a.html

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  • Ce général Carcassonnais, héros de Verdun, inhumé aux Invalides

    Aurait-on oublié au moment de célébrer le centenaire de l'armistice de la Grande guerre, le souvenir du général Paul Sarrail ? Notre devoir c'est de rappeler son engagement devant Verdun, ses opinions profondément républicaines et surtout ses origines audoises. Le général Sarrail peut être considéré comme un cas d'atypique dans le Haut commandement de l'armée française durant le terrible conflit de 14-18. 

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    © B.N.F

    Sarrail à son arrivée à Paris en 1925

    Paul Sarrail naît à Carcassonne au 31 rue Saint-Michel (rue Voltaire) le 6 avril 1856. Son père Edouard exerce les fonctions de contrôleur des contributions directes à Castelnaudary, mais la famille vit dans la capitale audoise. Après des études au lycée impérial de la ville, il entre à Saint-Cyr en 1875 à l'âge de 19 ans et sert en Algérie. Admis à l'Ecole de guerre puis dans divers Etats-majors à Toulouse et Perpignan, il devient en 1900 l'ordonnance du général André.  Commandant de l'école de Saint-Maixent, puis directeur de l'Infanterie de 1907 à 1911 il fait choisir à ses élèves l'affection qu'il désirent sur un bout de papier. 

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    Monument érigé en l'honneur de Paul Sarrail à Verdun en 1936. Fondu par les Allemands en 1942, il sera refait à l'identique en 1959 grâce à la conservation du plâtre d'origine.

    Au début de la Grand guerre, le général Sarrail se retrouve à la tête du 6e corps d'armée. Au mois d'août 1914, alors que ses troupes sont encerclées à Verdun, il refuse d'obéir aux ordres d'évacuation de Joffre. Il réussit le tour de force de maintenir l'ennemi hors d'atteinte de Verdun, grâce à ses positions sur le flanc droit et à l'appui de Galliéni à gauche.

    A ligny-en-Barrois, le préfet de la Meuse vint le trouver

    - Mon général, lui demanda t-il, faut-il faire évacuer Bar-le-Duc ?

    - Ça me paraît inutile pour le moment, répondit Sarrail ; tenez M. le préfet, je vous autorise à partir quand le premier obus tombera sur la place de la Préfecture.

    Cet obus ne tomba jamais. Plus tard en Argonne, ses ennemis firent sur son compte courir des bruits perfides. A les en croire, le front était par là dépourvu de tranchées. M. Albert Sarraut vint amicalement le prévenir et se rendre compte. Sarrail le promena toute une journée dans ses tranchées.

    S'il avait échoué, son honneur militaire en eut été ébranlé avec certainement une convocation devant le Conseil de guerre. Sarraut eut le courage moral de suivre son intuition en faisant fi de son intérêt personnel. A l'issue de cette entrave au code militaire, Sarrail s'en sort avec le concours de ses soutiens politiques. Sans eux, il eut à parier qu'il fût envoyé à Limoges, là où les parias de l'armée finissaient par être limogés. Sarrail, relevé de son commandement, se retrouve en 1916 Général en chef des armées alliées d'Orient. Il prépara l'armée ; mais il était trop tard. Une fois là-bas, il ne put qu'organiser la retraite. Il faut dire que cette retraite fut un modèle de repli stratégique. Pas un homme ne fut perdu. l'année suivante, l'offensive reprit. Monastir tomba entre ses mains, mais les forces étaient insuffisantes. Regardant les Bulgares s'enfuir sur un terre-plein, Sarrail murmura :

    - Et dire, que je n'ai pas une demi-brigade pour les poursuivre.

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    L'infanterie Bulgare devant Monastir

     Sarrail qui avait perdu sa première épouse Eugénie Garrisson d'Estilhac en 1914, se remaria à Salonique le 24 avril 1917 avec Odette Ockis de Joannis. L'une des filles du premier lit se mariera avec Paul Bouet, d'abord ordonnance du général puis préfet des Ardennes. Après la guerre, Paul Sarrail tenta de se faire élire en 1919 lors des élections législatives à Paris ; il sera battu. Il entame alors une campagne de conférences dans le pays où il expose ses vues sur la défense de la France et le service militaire d'un an. En 1924, les Radicaux de l'Aude lui offrent une place sur leur liste, mais Sarrail refusera  car il ne souhaite figurer que sur un Cartel avec des socialistes authentiques. Sarrail retourne à la vie militaire et la même année, il est promu Haut commissaire en Syrie et Commandant en chef de l'armée du Levant, en remplacement de Weygand. 

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    © B.N.F

    Les enfants du général à ses obsèques

    Paul Sarrail s'éteint après une longue maladie, le 23 mars 1929 dans son appartement du 218 bis, boulevard Pereire à Paris. A son chevet, le capitaine Alfred Dreyfus, resta jusqu'à son dernier souffle. Le testament de l'Auguste militaire - le plus beau de sa génération - refuse toute cérémonie pompeuse. Les obsèques civiles devront se dérouler sans fleurs, ni couronnes, ni discours. On pourra simplement dire quelques mots d'adieu au nom de l'armée. Au seuil de la maison mortuaire, l'étoile d'argent remplaçait la croix chrétienne. Afin d'éviter tout conflit, les associations laïques et républicaines allant jusqu'à la Ligue des Droits de l'Homme n'arboraient aucune bannière ostentatoire. 

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    Le convoi funèbre dans la cour des Invalides 

    Sur proposition du Ministre de la guerre, M. Painlevé, le Sénat vota à l'unanimité que la célébration soit faite aux frais de l'état. Le corps du général Sarrail repose toujours adans la crypte des Invalides.

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    Les obsèques de Paul Sarrail tranchèrent avec celles du maréchal Foch décédé dans la même semaine. Les journaux nationaux n'accordèrent que quelques colonnes, en hommage à celui qui avait sauvé Verdun en août 1914. Retranscrivons simplement le texte d'un fantassin du 22e de ligne, paru dans le "Midi Socialiste".

    "Tous ces stratèges semblent oublier le premier artisan de la victoire : "Le Poilu". Ce poilu, qui par devoir et non par métier a donné sa vie ou a souffert des tortures sans nom. Ce poilu qui a cru mourir ou souffrir pour la patrie, mais qui est mort et a souffert pour les plus grands profits des mercantis et des trafiquants de cadavres ! Laissez-nous tranquilles avec toutes ces manifestations militaristes, et si un jour les clairons doivent troubler le sommeil du soldat inconnu, que ce soit pour sonner l'avènement de la fraternité humaine."

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    Le cimetière Saint-Michel de Carcassonne a la particularité d'avoir le cénotaphe du général Paul Sarrail. Une plaque de marbre blanc indique que sa dépouille mortelle se trouve aux Invalides à Paris.

    Sources

    L'express du Midi

    Le Midi Socialiste

    Etat-Civil (ADA 11)

    Le petit méridional 

    Bibliothèque Nationale de France

    Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

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  • Joseph Poux, l'historien de la Cité de Carcassonne.

    © ADA 11

    Joseph Poux naît à Carcassonne dans la rue du Pont vieux, le 11 avril 1873. A l’âge de dix ans, il perd son père et part avec sa mère rejoindre sa famille à Albi. Dans la ville Tarnaise, il fait de brillantes études au lycée Lapérouse et décroche son baccalauréat le 16 octobre 1892. Reçu 6e au concours de l’Ecole Nationale des Chartes, Joseph Poux en sort avec le diplôme d’archiviste paléographe en 1898 et intègre les Archives de l’Ariège. Quatre ans plus tard, sur recommandation du ministre Delcassé, l’historien est nommé archiviste de l’Aude. Lorsqu’il arrive à Carcassonne, Joseph Poux est d’abord frappé par l’exiguïté des locaux ne permettant pas un classement un optimum des collections. L’endroit est poussiéreux et malcommode ; le nouvel archiviste départemental entreprend alors ce que l’on nomme dans le jargon professionnel : un désherbage. C’est-à-dire qu’il procède à l’élimination des papiers inutiles : « C’est peu d’être suffoqué, durant de longues heures, par l’épaisse et noire poussière qui se dégage des laisses empilées dans les coins les plus inaccessibles, il faut encore procéder à l’examen attentif de chaque article, interpréter de son mieux la lettre des instructions, peu précises souvent, qui règlent les suppressions, et endosser la responsabilité délicate de débarrasser les séries sans les appauvrir. » A cette époque, les Archives départementales se trouvent dans un local adossé à la Préfecture de l’Aude ; elles déménageront dans les années 2000 dans un nouveau bâtiment d’une grande fonctionnalité en-dessous de Grazailles. 

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    Les anciennes Archives de l'Aude, rue Jean Bringer

    Animé d’une grande puissance de travail, Poux multiplie les publications et les mémoires dans les Annales du Midi et les bulletins des sociétés savantes. Muni de documents innombrables, l’historien s’assigne une mission après avoir entendu le sous-secrétaire d’état aux Beaux-arts Dujardin-Beaumetz, déplorer une étude sérieuse sur la Cité de Carcassonne. Joseph Poux qui dans sa jeunesse avait assisté aux restaurations de Viollet-le-duc, se met à l’ouvrage. Il écrira l’histoire de la Cité et annonce ainsi son programme : « L’ouvrage que nous projetons d’écrier contribuerait à combler une lacune que tout le monde déplore. Il s’agirait de prendre le monument à son berceau, de déterminer étape par étape tous les détails de son développement organiquie entre le XIIe et le XIVe siècle (L’épanouissement), de suivre pas à pas l’incessante désagrégation de l’œuvre à travers 500 ans d’inutilisation pratique et de quasi-abandon (La décadence), de caractériser enfin la physionomie nouvelle imprimée à des ruines par le talent puissant, mais inégal, de Viollet-le-Duc (La restauration). »

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    La tour de la Chapelle avant les restaurations

    D’une façon méthodique à l’aide de fiches, Poux réalise ce tour de force et publie avec le concours de son ancien camarade Edouard Privat, les cinq gros volumes entre 1927 et 1937. Il s’agit là de l’ouvrage de référence par excellence qu’il convient de posséder dans sa bibliothèque. Si vous manquez de place, sachez qu’il existe du même auteur un « Précis historique, archéologique et descriptif de la Cité de Carcassonne » édité en 1923. Il sera traduit en Anglais, trois ans après.

    Joseph Poux décède le 9 juin 1938 à Carcassonne et est inhumé au cimetière de la Cité. Pouvait-il en être autrement ? A la fin de l’année 1938, une stèle est érigée par souscription dans le jardin du Prado à proximité de la Porte Narbonnaise, avec en son centre un médaillon de bronze sculpté par Ducuing. Mes demandes de restauration de celle-ci sont restées longtemps vaines, jusqu’en 2015 où Jean-François de Mialhe, alors conseiller municipal en charge de la Cité, a pu rendre sa dignité à ce monument.

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    Dans le quartier des Capucins le nom de Joseph Poux est associé à une place depuis le 10 décembre 1940. Il est bon de savoir qui étaient ces grands Carcassonnais dont on le nom n'évoque plus rien. Reste leur œuvre qui se perd depuis la disparition des René Nelli, Gaston Bonheur, Joe Bousquet, etc. Tous ces érudits Audois qui avaient une envergure au-delà des frontières du département emportant l'histoire de chez nous avec eux. 

    Sources

    C-M Robion / Joseph Poux / 1988

    Jean Girou / La vie des personnages célèbres de l'Aude / 1940

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