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Seconde guerre mondiale - Page 12

  • L'assassinat et les obsèques de Maurice Sarraut à Carcassonne

    © Gallica.bnf.fr

    Le 2 décembre 1943, le fils de l’ancien maire de Carcassonne Omer SARRAUT était assassiné devant sa villa, route de Saint-Simon à Toulouse. Maurice Sarraut avait expiré dans les bras de son frère Albert, après avoir reçu trois balles en pleine tête et plusieurs au thorax. Le patron de la Dépêche de Toulouse, ancien président du parti radical-socialiste, rentrait chez lui vers 18h accompagné par son chauffeur. Au moment où il véhicule se présentait à la grille du domaine, un tireur embusqué déchargeait sa mitraillette en direction de l’illustre journaliste.

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    L'entrée de la villa où fut assassiné Maurice Sarraut

    Maurice Sarraut qui s’était rangé dès 1940 derrière le maréchal Pétain comme bon nombre de fervents républicains membres du parti radical-socialiste, avait pu conserver la direction de son journal acquis à la cause de la collaboration. Les relations entre Sarraut et le gouvernement de l’Etat-français, bien qu’amicales, s’étaient rafraîchies depuis la création de la Milice au mois de février 1943. Les prises de positions et les critiques du vieux journalistes à l’égard du mouvement de Darnand avaient attiré sur lui les plus sérieux périls.

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    L'ancienne villa en 2020

    Pendant que Sarraut se croyait à l’abri du bras séculier de la doctrine Vichyste, les fanatiques fascistes biberonnés depuis longtemps à l’idéologie de l’Action française, ourdissaient leur terrible complot. Henri Frossard, chef de la Milice régionale et persuadé de servir le Christ en servant Pétain, ordonnait à plusieurs de ses sbires la surveillance des frères Sarraut. Parmi eux, Julien Boulanger (1909-1949) - un ouvrier des usines Latécoere - membre du Parti Populaire Français et de la L.V.F et Henri Lefaucheur (1921). Ces deux hommes travaillant également pour la police secrète allemande (Gestapo) seront reconnus coupables et condamnés le 4 août 1949 par le Tribunal militaire de Bordeaux ; l’un à la peine de mort et l’autre, à cinq ans de prison avec sursis. Yves Dousset, l’auteur des coups de feu mortels, avait été abattu le 14 février 1945 par la police à Courbevoie ; ses deux complices qui l’avaient aidé à s’enfuir à bord d’une voiture garée à proximité furent passés par les armes. Il s’agissait de Marcel Saint-Jean et de Giacomini.

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    © ADA 11

    Maurice Sarraut sur son lit de mort

    L’annonce de cet assassinat avait sérieusement ébranlé le pays. Le maréchal Pétain s’était ému de la perte d’un « grand français en réserve ». Pendant plusieurs jours, toute la presse collaborationniste - inutile de le préciser car il n’y avait qu’elle - avait recherché les coupables du côté d’Alger. La propagande désignait les gaullo-communistes comme les responsables de cet  odieux attentat contre un serviteur du pays qu’elle avait peine à regretter. On versait des larmes de crocodiles à Vichy avec tant d’hypocrisie qu’elles n’arrivaient à duper personne. René Bousquet, le chef de la police de Vichy de sinistre mémoire, allait mettre un point d’honneur à retrouver les assassins de son ami personnel. Avec une facilité déconcertante, Henri Frossard et cinq de ses compagnons seront arrêtés le 9 décembre 1943 ; soit une semaine après leur forfait. Ils ne resteront pas longtemps en prison… Bousquet ayant démissionné de ses fonctions le 31 décembre, Darnand les fera remettre en liberté provisoire le 20 janvier 1944.

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    © ADA 11

    Installé dans une chapelle ardente à l’entrée du hall du siège de la Dépêche, le corps de Maurice Sarraut est veillé toute la journée du 5 décembre. Près de 10000 personnes lui adressent un dernier adieu en cette journée, parmi lesquels André Haon (maire de Toulouse) et M. Bézago (Préfet de la Haute-Garonne).

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    Albert Sarraut accueille les anonymes dans le hall

    Le lendemain, la levée du corps s’effectue à 7h40 et prend la direction de Carcassonne pour la cérémonie d’obsèques suivie de l’inhumation. Une foule immense d’anonymes venus de tous les villages de l’Aude patiente sous la pluie à proximité de l’église Saint-Vincent. Monsieur le président du conseil Pierre Laval est représenté par Pierre Cathala, ministre-secrétaire d’état aux finances. René Bousquet est présent au titre d’ami personnel du défunt. Parmi les personnalités politiques nommées par Vichy, MM. Jourdanne (Maire), Emile Marchais (préfet de l’Aude), Bénédetti (préfet de l’Hérault) et Albert Tomey (ancien maire, président du conseil départemental). Après l’absoute prononcée par le chanoine Astruc, le cercueil de Maurice Sarraut est acheminé jusqu’au cimetière Saint-Vincent pour y être inhumé. 

    Le Journal ultra-collaborationniste et antisémite « Je suis partout » relate l’évènement en ces termes : "Les obsèques de M. Maurice Sarraut ont donné lieu à une belle manifestation de solidarité maçonnique. Tous les survivants de la pourriture républicaine étaient présents à Carcassonne ou, du moins, avaient envoyé des messages de sympathie."

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    Sur l’imposant caveau au nom de la famille Sarraut se trouve un bas-relief en bronze, œuvre du sculpteur Auguste Maillard réalisée en 1930.

    Dix années plus tard, le 2 décembre 1953 une plaque en hommage à Maurice Sarraut était dévoilée sur la façade du siège historique du journal. Ce bâtiment situé 57 rue Bayard à Toulouse a été rasé en 1974. Nous ne sommes pas en mesure de dire où se trouve la plaque aujourd’hui. Il s’agissait d’un médaillon sculpté par Alain Gourdon (1930-2014) avec ces mots « A la mémoire de Maurice Sarraut ».

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    Il fut inauguré en présence d’Albert Sarraut, Jean Baylet (directeur du journal), Lucien Caujolle (co-directeur), Madame veuve Sarraut, Mlle Lydie Sarraut, M. Isaac, Roger Caujolle et les anciens de la Dépêche. Ce journal existe toujours sous le nom de La dépêche du midi ; il a racheté l’Indépendant et le Midi Libre.

    Sources

    Fonds Sarraut / ADA 11

    Je suis partout

    La dépêche du midi / 1949 et 1953

    Archives du journal Le monde

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2020

  • Pierre Cabot (1918-2019), le dernier collègue d'Aimé Ramond est mort

    C’était le dernier des fonctionnaires du commissariat de police de Carcassonne à avoir côtoyé l’officier de paix Aimé Ramond. Sans aucun doute, le seul survivant qui, à l’âge de 101 ans, pouvait encore évoquer le souvenir de ce martyr de la Résistance exécuté à Baudrigues le 19 août 1944. Pierre Cabot, inspecteur de police judiciaire, s’est éteint chez lui à Villemoustaussou le 17 décembre dernier dans le silence le plus complet. Cet homme discret s’est éclipsé avec le même zèle que celui qu’il appliquait pour traquer les malfaiteurs, lorsqu’il les filait à bicyclette ou avec sa voiture personnelle dans Carcassonne. Pierre Cabot, « au nom prédestiné » comme s’amusait à le décrire Me Pédron lors des audience au tribunal lorsqu’il défendait ses clients en mimant la queue d’un chien, était l’as de la filature et reniflait les truands de loin.

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    © Droits réservés

    Pierre Cabot chez lui en 2012

    Né à Valras dans l’Hérault le 27 septembre 1918 dans une famille de viticulteurs, M. Cabot effectuait d’abord ses études primaires à l’école de Montblanc. Après quatre années d’internat à l’Ecole Pratique Supérieure de Saint-Pons-de-Tomières, il décroche un C.A.P de d’ajusteur mécanicien puis travaille à l’usine Fouga à Béziers. Lorsqu’éclate la Seconde guerre mondiale, au moment où il se trouve sous les drapeaux, Pierre Cabot se retrouve à l’armurerie de son régiment. Démobilisé en 1940, il retourne à la vie civile sans emploi, sans projet, sans argent. Répondant alors à un annonce de concours, il entre à l’école de police avant d’être affecté au commissariat de Montpellier en 1942. Il est ensuite envoyé à Carcassonne en 1943 comme inspecteur stagiaire et rejoint les bureaux de la section judiciaire, au rez-de-chaussée du 11 avenue Arthur Mullot. Pierre Cabot n’a pas beaucoup de chemin à faire pour se rendre à son travail ; il loge 31, square Gambetta.

    Cabot Pierre

    L'officier de paix Ramond, héros de la Résistance

    A l’instar de tous ces collègues, il côtoie l’Officier de Paix Aimé Ramond dans le cadre de ses fonctions. Jamais Pierre Cabot ne se rangea comme beaucoup de policiers du commissariat du côté de la collaboration ; ceci est attesté par les dossiers de l’épuration que j’ai consultés. Il est décrit comme ayant d’assez bonnes aptitudes, dévoué et n’ayant aucune activité connue contre la Résistance. Tout ceci m’a été confirmé par l’intéressé lui-même quand je me suis entretenu avec lui, voilà maintenant un an. Pierre Cabot ne s’est jamais fait valoir auprès de moi comme ayant fait preuve d’un grand courage pendant la tourmente de l’Occupation. Il a rendu des services à Aimé Ramond en dissimulant des papiers, en faisant passer des documents. De son point de vue, le courageux et le héros c’était cet officier de paix qui, au mépris des risques, donnait de sa personne pour libérer le pays du joug des nazis. Dans combien de situation Ramond a-t-il sauvé la vie de résistants en passe d’être arrêtés ? On ne le saura jamais, mais sûrement un grand nombre. Pourtant, toujours selon Pierre Cabot, le service ressemblait à un panier de crabes dans lequel il était difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Si Ramond n’a jamais trahi ses collègues, il en est qui ne vécurent pas avec la conscience tranquille après le 19 août 1944. Là encore, cela reste l’un des secrets les mieux gardés de Carcassonne. Des fonctionnaires de police zélés pour faire respecter à la lettre les directives de l’Etat-Français, on en trouva pour rafler les juifs installés à Rennes-les-bains. Beaucoup parmi eux furent épurés et rayés des cadres de la police en 1945, mais aussi beaucoup de chefs passèrent à côté et trouvèrent l’aubaine d’une mutation dans un autre département. A ce sujet, M. Cabot n’avait guère de bons sentiments et même de la détestation pour un dénommé Bianconi. En revanche, l’inspecteur Germanaud, agent du réseau Gallia, avait toute son admiration.

    Après la Libération, notre policier se marie avec Joséphine Badia dont il aura deux fils, Serge et Hervé. Il est également promu inspecteur sous-chef de la sûreté en 1949. Au service de la République et de l’état de droit retrouvé, il fait preuve de grande qualité dans les résolution des enquêtes dont il a la responsabilité. A cette époque, le commissaire Garnon fait son entrée au commissariat de Carcassonne et va être confronté à l’affaire Cannac. A ce sujet, Pierre Cabot m’a confié avoir considéré Emile Delteil comme un honnête homme ; je respecte son point de vue même si je ne le partage pas.

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    © Archives de la famille Garnon

    Les inspecteurs Ribeiro, Roby, Cautenet, Fontès, Bargeton, Cabanié et Cabot. Au bureau, le commissaire Garnon. Jean Cautenet avait été membre du Corps Franc Lorraine (Maquis de Villebazy)

    Au cours de sa carrière, Pierre Cabot a réalisé plus de mille arrestations bien souvent dans des situations rocambolesques. Michel Sawas qui l’avait consacré un article pour le Petit journal en 2018 avait obtenu le récit du cambriolage de la bijouterie Millet : « C’est en circulant à vélo, la nuit, qu’il a vu deux types avec un gros sac se diriger vers la gare. Il les a suivis et coffrés avec l’aide d’une paire d’agents. »

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    A droite, Pierre Cabot lors d'une arrestation

    Ainsi était Pierre Cabot qui, après une retraite méritée en 1973, alla s’installer dans un pavillon à Villemoustaussou avec son épouse jusqu’à son décès le 17 décembre 2019 à l’âge de 101 ans. Avec lui, c’est une grande page du livre d’or de la police Carcassonnaise qui s’est refermée.

    Sources

    Entretien personnel avec Pierre Cabot

    Le Petit Journal / Michel Sawas

    La dépêche

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  • 14 juillet 1942 : Une opinion publique Carcassonnaise sous surveillance...

    Le 14 juillet 1942, une importante manifestation en faveur de la République réunit au moins 2000 personnes à Carcassonne, malgré l’interdiction du gouvernement de Vichy. Parmi les personnes à l’origine de ce rassemblement se trouvait Albert Picolo, le docteur Henri Gout et Georges Bruguier. Tout ce monde défila fièrement à la barbe des partisans les plus fanatiques du Maréchal Pétain, le Service d’Ordre Légionnaire dont plusieurs membres intégreront en février 1943 la Milice départementale de l’Aude ; cette organisation française responsable de l’arrestation de juifs, maquisards, communistes, etc.

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    Au pied de la statue de Barbès qui avait été fondue par la mairie de Carcassonne, les manifestants républicains entonnèrent la Marseillaise. Le gouvernement de Vichy refusait qu'on la chante pour ne pas déplaire aux Allemands, mais il se disait patriote en collaborant avec eux.

    A la suite de cet évènement, le service de contrôle postal de Vichy intercepta de très nombreuses lettres, en prit connaissance avant de les remettre à leurs destinataires. Il fut ensuite dressé un rapport remit aux autorités compétentes de la préfecture. Autant dire que le S.A.C entre 1960 et 1981 et les écoutes téléphoniques de l’Elysées sous François Mitterrand n’avaient eu qu’à s’en inspirer. Aujourd’hui, les réseaux sociaux mis sous surveillance ne permettraient plus l’émergence de la Résistance et pourraient même envoyer très rapidement des milliers de dissidents dans des camps. 

    Les meneurs de la manifestation du 14 juillet 1942 ne tarderont pas d’ailleurs à être inquiété avant d’être incarcérés à la Maison d’arrêt de Carcassonne. Ci-dessous, une partie des lettres interceptées après la fête nationale interdite.

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    Le Service d'Ordre Légionnaire de l'Aude

    Jacques est furieux. Il y a eu en ville une grosse manifestation gaulliste, dans les 3000 personnes. Le préfet a empêché les SOL et les compagnons de disputer les manifestants. Jacques voulait se battre. Pauvre France. Pauvre Maréchal. Quelle ville Carcassonne…

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    Le 14 juillet a provoqué de la part des Gaullistes une manifestation devant la caserne Laperrine, devant Barbès, sur le boulevard. Ces cochons ont chanté la Marseillaise, parce qu’il ne leur était pas permis de chanter l’Internationale. Car à Carcassonne, les Gaullistes sont communistes. La police d’état est venue mettre de l’ordre à tout ça. Et je vous prie de croire que tout a été calmé. Cela m’a mise en colère et il a fallu que je parte. D’ailleurs, je n’étais pas la seule. Si vous aviez vu Henry, c’était effrayant, honteux, et ça me dégoûte des Anglais pour la vie…

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    Nous avons eu une belle manifestation sur le boulevard Barbès qui était noir de monde. Les SOL sont arrivés et la bagarre a été évitée de justesse par le préfet qui a fait montre de beaucoup de cran. Après une Marseillaise retentissante, la foule a défilé sans incident. Cependant, ce matin et je ne sais pas s’il n’y a pas une relation avec les évènements, nos chers hôtes de la Cité ont repris leur défilé chanté dans les rues, chose qu’ils ne faisaient plus depuis au moins un mois. Ils sont toujours corrects, mais leur nombre a diminué de moitié.

    Les hôtes sont les Allemands qui, bien qu'en zone libre, s'étaient installés à la Cité avec la Commission d'armistice.

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    Hier, 14 juillet on a manifesté autour de la statue de Barbès, tout Carcassonne était à voir, la contrepartie chantait la Marseillaise le poing levé, et quand la voiture des Allemands est passée tout le monde sifflait.

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    Vous avez certainement entendu de Gaulle inviter les « patriotes » à manifester à 6h30 sur les places publiques des villes le 14 juillet. Les Carcassonnais ont entendu cet appel, et nous Lorrains aussi. Donc, hier à Carcassonne, sur le boulevard, un monde fou attendait 6h30. A cette heure, la Marseillaise a été entonnée, répétée plusieurs fois avec d’autres chants républicains. La police de la ville est d’abord intervenue pour faire évacuer les promenades où au moins un millier d’hommes et de femmes montaient et descendaient. Alors un renfort de policiers d’Etat est arrivé et nous a fait circuler. Mais nous chantions toujours, et comme une voiture d’Allemands passait, on les siffles et hués. Quelques petites bagarres ont commencé entre les SOL et des patriotes. Et voilà à 7 heures et demi tout était à peu près calme. Tel a été le 14 juillet 1942 à Carcassonne et je crois, dans chaque ville.

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    Une relation lamentable vient d’arriver ce soir aux SOL de Carcassonne. Yves est rentré désespéré. On leur a fait faire une bourde monumentale à l’occasion du 14 juillet. Primo, ce matin quelques rares personnes avaient pavoisé et quelques SOL allaient prier ces personnes de retirer leurs drapeaux. Du moment que les monuments publics étaient officiellement pavoisés, les gens avaient aussi le droit de le faire… Ce soir a été pire. M. de Gaulle avait donné l’ordre à ses fidèles d’aller chanter la Marseillaise devant un monument rappelant la défunte IIIe (République, NDLR). Ici c’était devant le socle de Barbès puisque Barbès n’est plus là. On réunit quelques SOL à leur permanence, puis au moment où tous les Gaullistes (environ 2000) sont bien rassemblés, M. Imbart, ordonne à mes 60 SOL de foncer dedans. Le chef qui est sous Imbart, donne l’ordre contraire, le préfet se précipite, au devant d’eux, la police les empêche de passer. Ils se sont bagarrés avec la police. Et qui est un comble pour eux qui sont faits au contraire pour maintenir l’ordre. Imbart a démissionné, mais cela n’empêche pas qu’il ait ridiculisé à tout jamais les SOL dans Carcassonne. Avant de faire sa contre-manifestation, il aurait dû s’entendre d’abord avec le préfet et la police, ne pas arriver au moment où la manifestation battait son plein, surtout 60 contre 2000. Ils auraient seulement pu empêcher les rassemblements. J’espère bien que cette histoire ne s’est produite qu’à Carcassonne et que les autres chefs SOL n’auront pas fait de gaffes pareilles dans des endroits aussi importants. On ne peut soupçonner Imbart, mais il aurait agi pour « couler » ce mouvement, qu’il n’aurait pas mieux réussi.

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    En attendant, on se sent tout de même libre dans notre zone de demi liberté. On l’a vis au 14 juillet. Il y eut ici une manifestation assez imposante. Chant de Marseillaise, près du socle vide de la statue de Barbès. Les SOL ont voulu intervenir, mais en furent empêchés par le préfet en personne. Sera-ce la lutte du pot de terre contre le pot de fer ? Dans tous les cas, il y eut une gaffe quelque part. Ailleurs, le mot d’ordre venu de l’étranger a été suivi avec enthousiasme. Est-ce un plébiscite ou une manœuvre préparatoire ?

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    Georges vous a narré tout au long nos tribulations de mardi. Que j’étais anxieuse de ne pas le voir rentrer à plus de 8 heures. Que c’était beau et émotionnant cette soirée-là. Jamais, je ne l’oublierai. Quel enthousiasme encore pour notre bonne République. j’en ai pleuré et tremblé sur les jambes, que de monde ! Hélas, mon pauvre Géo aurait pu payer chez sa déveine de ses trouver au milieu de jeunes qu’il a voulu défendre pour quelques paroles bien inoffensives.

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    L’on nous a fait manger des œufs du Maroc qui étaient pourris, pas mal de gens ont été intoxiqués, ainsi que du mouton traité au formol. Je crois qu’ils veulent achever de nous empoisonner, le pain qui est immangeable, je crois que nous avançons avec tout cela à un cataclysme et ça commence bien. Ici, le jour du 14 juillet a été marqué à Carcassonne par une grandiose manifestation. La Marseillaise a été chantée au socle désert de Barbès par plus de 15000 personnes, une grande bagarre a été évitée par le préfet qui est intervenu à temps. Elle aurait été provoquée par les SOL sans le préfet, il y aurait eu des morts et des blessés ; cette société est une société de vandales puisque chez nous, une nuit ils ont cassé les grandes glaces chez les commerçants qui étaient républicains, d’ailleurs la police les a arrêtés. Ils étaient 7 de ce parti néfaste les SOL. Ils les ont relâchés apr§s 3 ou 4 jours de tôle. Si ça avait été du parti républicain, ils auraient été envoyés dans un camp de concentration. Voilà comment nous sommes gouvernés. A Marseille, il y a eu le 14, six blessés.

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    Ici, le 14 juillet un défilé préparé clandestinement a eu lieu à Carcassonne. D’origine républicaine sans conteste (Dr Gout, Bruguier figurant parmi les manifestants) la foule plusieurs milliers d’affamés ou insuffisamment rassasiés ont défilé devant le socle de Barbès en chantant la Marseillaise. Pas méchant du tout… cela a failli mal tourner avec les SOL qui seraient intervenus sans l’attitude énergique du préfet qui s’est montré pour une fois habile en cette circonstance. Quant aux SOL, ils se sont fait siffler et pour le ridicule ont bien rempli leur rôle… peut-être un copieux déjeuner avait annihilé leurs facultés de jugement en cette journée qui reste malgré tout notre fête nationale. 

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    Ceci est un fait paraît-il, il y avait 60 SOL et une centaine de placiers contre 4 ou 5000 manifestants ou curieux. Il a fallu que le préfet soit un homme pour prévenir la bagarre. Il donna l’ordre affirmatif aux SOL et aux policiers de rester tranquilles, et si les autres s’énervaient trop, il avait le droit recourir à l’armée. Personne ne bougea plus, cela vaut mieux, mais le point noir restera quand même. Il se pourrait qu’on mette les Carcassonnais en quarantaine, a-t-on chuchoté ce matin…

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    Voici le 14 juillet à Carcassonne ; défilé devant Barbès. De 15 à 20 000 personnes se sont groupées et ont chanté la Marseillaise et le chant du Départ. Si vous aviez vu cette foule en délire, comme il y faisait bon. On sentait un vent de liberté passer au-dessus de nos têtes. Comme c’était beau, des vieillards pleuraient, des poitrines se gonflaient comme jamais je ne l’avais vu. Des chants s’élevaient de tous les cœurs. Je ne puis vous décrire exactement car c’était trop puissant, trop touchant, c’était quelque chose dont je me souviendrai tout ma vie. Les SOL ont voulu faire du zèle, car ils désiraient la bagarre pour qu’on emboîte quelques uns.Mais rien ne s’est produit. Tout a marché d’une façon merveilleuse. le soir à 7h30, la moitié de la population s’est rendue au Monument. On a chanté la Marseillaise. Là, nous nous sommes dispersés. Puis vers 8h30, un petit groupe est allé décrocher le drapeau qui devait être salué par les SOL. Vers 9 heures, un autre petit groupe est allé enlever les lettres d’or qui étaient sur une gerbe de fleurs du monument aux morts où il y avait écrit de la part des « collaborateurs ». Cette belle phrase a été supprimée.

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    Le S.O.L de l'Aude sur la place Davilla en 1941.

    Le rapport de l'Inspecteur-adjoint au préfet de l'Aude

    Le 18 juillet 1942, l’Inspecteur-adjoint Pradleles, Président de la Commission de Contrôle Postal de Carcassonne écrit au préfet de l’Aude

    J’ai l’honneur de vous adresser ci-dessous le compte-rendu, que vous m’avez demandé, des réactions de l’opinion concernant, la manifestation du 14 juillet. A cette occasion, pendant les journées des 15,16 et 17 juillet et 18 juillet, 3871 lettres furent lues par les Services du contrôle. Du point de vue politique trois tendance se dégagent de la manifestation qui a eu lieu à Carcassonne, lors du 14 juillet.

    a/ Pour la majorité des manifestants le 14 juillet a été l’occasion de montrer leur attachement à la République. Les ex-parlementaires qui menaient le cortège ont renforcé l’idée de beaucoup que le gouvernement actuel n’était que transitoire et que bientôt l’ancien régime serait rétabli. De nombreuses personnes furent très émues par « cette manifestation républicaine ».

    b/ Les partisans de de Gaulle obéissant à un mot d’ordre de Londres, participèrent au défilé « pour montrer aux gens de Vichy et aux Allemands de quel côté étaient les cœurs ».

    c/ Certains qui étaient venus pour assister à une réunion purement patriotique furent stupéfaits de voir l’esprit qui y présidait.

    C’est cette dernière impression qui ressort en grand epartie dans le courrier où les correspondants constatent que la population est restée attachée à un régime et à des dirigeants qui ont mené le pays à la défaite. Beaucoup craignent que cette manifestation qui n’a pas été la seule en zone libre ait des répercutions profondes quant aux rapports franco-allemands particulièrement en ce qui concerne les prisonniers. Beaucoup donnent tort au gouvernement d’avoir laissé fêter le 14 juillet. Ils voient dans les manifestations qui eurent lieu des mouvements de désordre dirigés contre le Maréchal et son œuvre. On estime maladroite la position prise par Vichy à cette occasion qui aurait montré au grand jour le trouble des esprits et la désunion qui ne cesserait de régner parmi les Français.

    Ces diverses tendances ont naturellement amené des heurts qui ont forcé les quelques agents présents d’intervenir. La faiblesse du service d’ordre est sévèrement critiquée, les correspondants estiment que ceux qui en étaient chargés auraient été débordés si « ça avait mal tourné ». Le préfet est vivement pris à partie à cette occasion et accusé de collusion avec la bande des Sarrautistes « qui a mené la danse ». Aux dires de certains, c’est à la carence des services de Police qu’est due l’intervention du SOL qui à cette occasion est sévèrement jugé et accusé de maladresse même par des légionnaires qui, de ce fait, auraient donné leur démission.

    Par contre, de nombreux correspondants rendent hommage au préfet qui est venu lui-même sur les lieux de la manifestation et qui a su prendre les décisions judicieuses qui s’imposaient quand les choses faillirent se gâter par l’intervention du SOL.

    Source

    ADA 11 / 42W5

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