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Patrimoine disparu - Page 27

  • Souvenirs de la fête de Saint-Nazaire à la Cité

    Aujourd'hui disparue, la fête de Saint-Nazaire - patron de la Cité - tombe le 28 juillet mais on tâchait de la faire coïncider avec le dernier dimanche du mois. Cet évènement réunissait uniquement tous les jeunes originaires de la Cité, à l'exclusion de tout autre groupe constitué. Quand certains d'entre-eux durent partir habiter des villages environnants, ils purent retrouver naturellement leur place au sein de la famille citadine lors de la préparation des fêtes de Saint-Nazaire. 

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    Dans les années 60, les jeunes de la Cité se retrouvaient au café Blanc, dans la rue Cros-Mayrevieille, autour d'une partie de cartes ou de dés, en train d'échanger leurs convictions politiques, professionnelles ou sentimentales. La vieille forteresse avec ses huit cents habitants vivait avec l'esprit d'un village très fier de son identité, contrairement à la Ville-basse. Le café Blanc était devenu le quartier général de la jeunesse où se décidaient le samedi soir le programme du week-end. On y trouvait de fervents défenseurs du rugby à XIII, mais aussi à XV sans que cette rivalité sportive ne nuise à l'ambiance de camaraderie. C'est surtout à cet endroit que se préparaient - trois semaines avant - les festivités de la Cité.

    Les préparatifs 

    L'argent étant le nerf de la guerre, la petite subvention municipale ne suffisait pas à organiser correctement les réjouissances. Alors, après avoir choisi un orchestre, un Tour de table se mettait en route dix jours avant le début des fêtes dans le but de récolter des fonds. Pour ceux qui ignorent ce qu'est un Tour de table, il s'agit de passer dans toutes des maisons au moment du repas afin de proposer un morceau de musique. Le propriétaire est libre de demander ce qu'il veut aux musiciens, qui très souvent jouent d'oreille la partition souhaitée. Il est arrivé à cette époque que l'on entende La Marseillaise ou l'Internationale. 

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    Les réunions se tenaient au Pré-haut, situé à la Porte Narbonnaise devant le pont levis. C'est là que se faisaient les préparatifs concernant la décoration, le déguisement et la sortie de l'âne. De Ladern-sur-Lauquet, on ramenait des rameaux de buis pour orner le podium de l'orchestre éclairé grâce aux soins des services municipaux. L'âne servait au "Tour de l'âne" sur lequel prendrait place le dernier marié de l'année, auquel on ferait faire le tour de la Cité selon un rituel bien défini. 

    Les repas familiaux

    Comme pour toute fête de village, on recevait de la famille. Les femmes préparaient alors des plats traditionnels à cette fête : Pour midi, des escargots ; pour le soir, un cassoulet de haricots roux accompagnés d'un canard. 

    "Dès le matin, les maîtresses de maison lavaient les escargots ramassés un ou deux mois avant et qui avaient jeûné depuis ; on leur donnait de temps en temps un peu de farine et du thym pour les parfumer. Le travail de lavage, assez long, consiste à malaxer à grandes poignées les escargots dans les marmites remplies d'eau et de vinaigre pour nettoyer les coquilles et faire baver les animaux. Cette opération avait lieu dans la rue pour faciliter les nombreux rinçages. Ces préliminaires culinaires réunissant les familles bavardes sur les pas de portes, constituaient déjà une partie de la fête. On préparait ensuite une sauce au safran qui devait imprégner toutes les coquilles, on entendait dire : "Cado cagarol deus beure un cop" (chaque escargot doit boire un coup), chacun devait emporter une quantité de sauce, mais par extension on pouvait comprendre qu'il fallait boire un coup après chaque escargot. Il est vrai, le vin et la nourriture tiennent une place importante dans la fête et pour caractériser l'aspect physique coloré des gros buveurs, on disait : "Las restas son rojas" (Les crêtes sont rouges).

    (Jacques Khoudir / Travail de maîtrise)

    Le début de la fête

    Au milieu de l'après-midi, on voit arriver autour de l'âne et au centre des badauds, les visages grimés à l'aide d'un bouchon noirci à la flamme des festejaïres (fêtards). "Soun pla poulits" (Ils sont bien beaux), avec leurs chemises blanches dépareillées - les hommes en femme et les femmes en homme - avec un bonnet sur la tête. Il n'est pas rare d'en voir un avec une culotte de grand-mère. Les meneurs guident la danse et impulsent le rythme. En 1974, l'affaire suspecte de la mort du cardinal Daniélou chez une prostituée donne des idées à l'un d'entre-eux :

    " Pour parodier l'affaire, il en prit les apparences et fut escorté par un groupe de jeunes habillés en moines, distribuant aux badauds des rondelles de tomates, en forme d'osties et fortement poivrées, bénissant le public en l'aspergeant à grands coups de goupillon trempé dans un seau hygiénique. Le simulacre de communion et de cérémonie religieuse avait un caractère sexuel marqué d'abord avec les aliments épicés pour solliciter le désir et puis par le besoin de salir au moyen d'aspersions d'immondices symboliquement représentées par le seau hygiénique ; cette cérémonie, répétée tout au long du parcours, interprétait d'une façon satirique et subversive l'actualité."

    Le centre de ce groupe déguisé est animé par un âne, sur lequel a pris place le dernier marié de l'année. Affublé d'un costume de cérémonie avec un chapeau haut de forme, il tient une perche au bout de laquelle est fixée une paire de cornes d'où pendent des fruits et légumes : un paire de citrons, des oignons et une aubergine. Cette dernière est appelée dans l'Occitan populaire "Viet d'ase" (Vit d'âne). La virilité se rappelle qu'elle n'est pas à l'abri des épreuves maritales représentées par les cornes du cocu. Il se peut que la femme monte sur l'âne, mais elle sera positionnée tournant le dos au mari en regardant la queue de l'animal. 

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    © Paola Bourrel

    Tour de l'âne à la Barbacane

    "Autrefois, avant la mise en route de ce défilé, les hommes mariés exécutaient une danse particulière, dite des "gabels" (des sarments). Ils avaient confectionné des petits fagots et poussaient l'âne vers la piste de danse du pré-haut. Les enfants qui les précédaient criaient alors : "Aïci los gabels ! Aïci los gabels !" (voici les sarments). C'était un avertissement aux danseurs. Les hommes mariés poursuivaient les jeunes gens et les frappaient de leurs sarments, la place nette, la musique prenait un air à l'usage exclusif des mariés. Les jeunes essayaient de s'introduire clandestinement, mais certains, qui ne dansaient pas faisaient bonne garde, chassant impitoyablement les intrus, on appelait cela la "scena dels labels" (la scène des sarments). Après quoi on formait le cortège.

    Le cortège

    L'itinéraire allait dans le sens inverse des aiguilles d'une montre : Pré-haut, rue Cros-Mayrevieille, Grand puits, Basilique Saint-Nazaire, rue du plô, école, petit puits, place Marcou, Château comtal, place Marcou. Sur le parcours,  dans le public les touristes sont les victimes... Dans la langue occitane, on les interpelle tout en les arrosant d'eau avec un atomiseur agricole. 

    "Une fois un jeune avait fait pourrir un camembert et en offrait à des Américains, qui, devant ce geste généreux et fraternel, se croyaient obligés de paraître enchantés."

    A la basilique St-Nazaire, des jeunes montèrent sur le toit et déversèrent de l'eau dans les gargouilles pour surprendre les touristes. A l'école, on faisait une pause pour se rafraîchir alors que place Marcou, une farandole s'organisait. Toute les trois mesures, on s'accroupissait en remontant verticalement plusieurs fois en chantant :

    Jules est Hercule

    Sébastien musicien

    Papa somnambule 

    Maman ne fait rien...

    Une fois le Tour de l'âne terminé, le bal débutait au pré-haut et se terminait par un Buffoli.

    Nous avons rédigé cet article grâce à un travail de maîtrise de 1975 réalisé par Jacques Khoudir sur le carnaval de Carcassonne. Il important de lire sa conclusion ci-dessous...

    "On peut se demander si cette fête, qui a conservé fidèlement la tradition, a de l'avenir. Son élément moteur est la jeunesse, or actuellement la population de la Cité diminue et vieillit. On compte huit cents habitants et une moyenne d'âge de cinquante ans. Bien des citadins reviennent animer la fête, mais lorsqu'il n'y aura plus leur famille ni le moyen de copains qui vivent dans la Cité, ce sera fini. D'autre part, il existe un mouvement, amorcé depuis peu, de changement de population : des étrangers à la ville achètent de plus en plus de maisons à l'intérieur de la Cité, ils ne l'habitent que très peu de temps dans l'année et menacent la mentalité citadine de plus en plus minoritaire. Ce phénomène d'immixtion d'étrangers dans le Languedoc, que l'on rencontre dans les Corbières où s'ouvrent énormément de résidences secondaires pendant deux mois d'été, accélère la récession de l'originalité ethnique de notre communauté tout en étant le signe d'alarme de la mort d'une région.

    La relève à long terme pour la fête de la Cité apparaît comme mal assurée, déjà certaines activités festives isolées et permanentes s'estompent. Les "tustets" deviennent rares ou très mal acceptés par les victimes qui ne jouent plus leur rôle, seuls les jeunes de huit à douze ans pratiquent ces farces de temps en temps., mais seront-ils encore dans la Cité lorsqu'ils devront organiser la fête ? Verrons-nous peut-être alors une animation mercantile organisée par les commerçants et la municipalité recomposant le folklore pour touristes ? Cela est fort possible, mais pour le moment la fête de la Cité vit."

    Le Tour de l'âne est mort

    Jacques Khoudir avait vu juste en 1975. En 2012, l'association "Los ciutadins" par la voix d'Antoine Espanol annonce la fin du Tour de l'âne :

    "Le 6 septembre 2011, Serge Doumerg est mort subitement. Nous étions sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Traumatisé par cette disparition, on n'a pas fait le tour de l'âne l'an dernier. C'était le début de la fin. Nous sommes une association vieillissante et la Cité n'a plus rien à voir avec le village d'autrefois. Il est de plus en plus difficile de faire quelque chose à la Cité sans gêner les terrasses. Il y avait sans doute autre chose à en faire qu'un centre commercial mais on ne refait pas l'histoire…"

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    © La dépêche

    Antoine Espanol poursuit la mémoire de cette fête si particulière à travers son blog, riche en anecdotes et en photographies. Je vous conseille d'y jeter un oeil

    http://losciutadins.blogspot.fr

    Source

    Le carnaval de Carcassonne / J. Khoudir / 1975

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  • Comment la plus extraordinaire collection de tableaux de peintres surréalistes disparut de Carcassonne...

    Toute sa vie durant le poète Joë Bousquet ne cessa d'acquérir, d'échanger voire de se faire offrir des toiles de maîtres, comptant aujourd'hui parmi les plus côtés de la peinture surréaliste. On estime à près de 150, le nombre d'oeuvres ayant transité par la chambre du 53, rue de Verdun. Jamais personne n'a été en mesure de recenser avec précision et dans le détail, le catalogue complet des toiles faisant partie de la collection Bousquet. Pierre Cabanne et Yolande Lamarain s'y sont essayés avec brio dans leur ouvrage paru en 2005, mais d'une façon incomplète ; leur enquête se base sur les échanges épistolaires de Bousquet, dans lesquels il évoque certaines de ses acquisitions. De notre côté, nous avons voulu pousser plus loin en recherchant ces toiles d'après les ventes chez Drouot, Sotheby's ou encore Christie's. Certains de nos efforts ont été récompensés, car d'autres tableaux peuvent désormais s'ajouter à la liste de Pierre Cabanne. Ce sera le fruit d'un prochain article...

    À l'évidence, Joë Bousquet - aidé dans sa tâche par Paulhan et d'autres connaisseurs - eut le nez creux et l'intelligence de comprendre que ces artistes quasi anonymes à son époque, allaient prendre une tout autre dimension dans le futur. Ces toiles achetées entre 1930 et 1950 pour 3000 francs en moyenne atteignent des sommets. Pour exemple en 2011, deux tableaux de Max Ernst se sont vendus chacun 2 millions et demi d'euros et 840 000 euros chez Sotheby's - Bousquet en a possédé 28. Ne parlons même pas des toiles de Magritte qui séjourna quatre mois à Carcassonne en 1940 ; elles dépassent le million d'euros - Bousquet en possédait 8.

    Alors comment cette fabuleuse collection a t-elle pu quitter Carcassonne après la mort du poète, alors même qu'il avait souhaité qu'elle ne fût pas dispersée ? 

    Le testament de J. Bousquet

    Il faut d'abord savoir pour comprendre ce qui va suivre que le poète fut "excepté de succession" par son père. Autrement dit, de l'immense fortune du Dr Bousquet il n'en vit presque rien... Dans l'ouvrage "Hypocrisies de Joë Bousquet" (François Berquin / Presse universitaires Septentrion / 2000), le poète Carcassonnais tente d'expliquer les raisons pour lesquelles il a été déshérité par son père. On retiendra deux idées forces : son père a cru que son fils mourait avant lui ; son père n'a pas voulu faire hériter un enfant qui n'était pas de lui. Qui peut raisonnablement étudier la personnalité de Bousquet, sans jamais avoir eu connaissance de cette profonde cicatrice ? Nous vous laisserons lire son émouvant poème "Le déshérité" ; sa nièce - Marie-Denise Aurengo- se confie au mémorial du Chemin des dames :

    "On le lit la larme à l’œil parce que c’est quand même ahurissant, avec la vie qu’il a eue, qu’il ait pu savoir écrire une chose pareille. J’ai essayé de le faire mettre en chanson, j’avais écrit à Yves Duteil et Yves Duteil m’a répondu une lettre très aimable en me disant qu’il n’avait pas le temps en ce moment mais qu’il aurait aimé pourvoir mettre en musique le texte d’un homme qui a dû tellement souffrir dans sa vie. Lisez-le, je trouve qu’il est merveilleux ce poème."

    En ce qui concerne Yves Duteil, l'excellent Jean Pidoux m'avait raconté que le chanteur de "la langue de chez nous" avait habité dans sa jeunesse à Carcassonne dans la rue Marceau.

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    Joë Bousquet rédige un testament en 1943 déposé chez Llobet à Carcassonne. Certains en ont connaissance - ce n'est pas mon cas n'étant pas du sérail templier de la rue de Verdun. Impossible donc de vous dire ce qu'il contient. A défaut, nous nous obligeons à passer par d'autres chemins... Ainsi, sommes-nous tombés sur un courrier de Bousquet en date du 10 octobre 1946, adressé à James Ducellier. Ce dernier fut l'homme de confiance et l'ami du poète qui lui légua un nombre conséquent de toiles de Ernst et plusieurs exemplaires inédits de ces écrits. Dans cette lettre, Bousquet est en train de corriger les épreuves de la Connaissance du soir (Editions Gallimard) et fait établir pour Ducellier un exemplaire de tête se distinguant des dix (Hors collection) nominatifs sur papier couleur - imprimé à son nom et chiffré à part.

    Le poète souhaite créer un cercle Joë Bousquet afin "que pourvu de personnalités morales, ce cercle puisse hériter de mes tableaux et de mes livres." Il s'inquiète de savoir s'il y a avantage financier à faire hériter le cercle, car il ne veut pas que son testament puisse être annulé, où s'il vaut mieux désigner un ou deux exécuteurs testamentaires. Savoir comment domicilier la collection : "mon désir étant que tout reste en place au 53, rue de Verdun. L'exécuteur testamentaire c'est évidemment toi, et à défaut Nelli. Il y aura en outre un lien avec Paris à prévoir officiellement. Soit Paulhan. Car je ne veux pas qu'après mon départ, le cercle se ferme et se provinciale. C'est malheureux la tendance de Nelli. Et ce serait la sclérose.

    Une salle J. Bousquet au musée

    Après un incendie en 1942 et la mise à l'abri des toiles pendant l'Occupation dans un endroit que nous ignorons, le musée des Beaux-arts de Carcassonne ouvre à nouveau en 1948 ; René Nelli occupe alors le poste de conservateur. En 1951, après la mort du poète, le président de la Société des amis de Joë Bousquet souhaite ouvrir au sein du musée, une salle dans laquelle seraient exposées des toiles surréalistes provenant de la collection de l'illustre personnage. Le leg de Bousquet a été partagé entre cinq héritiers membres de l'association ; Nelli leur propose de mettre en dépôt leurs tableaux. Lui-même s'engage à titre d'exemple à déposer des oeuvres provenant de sa propre collection, dont certaines ne viennent pas de chez Bousquet.

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    © Musique et patrimoine

    Cette salle Joë Bousquet constituée essentiellement à ses débuts d'oeuvres surréalistes et abstraites, a finalement perdu tout intérêt au début des années 1960. D'abord, comme le note René Nelli "la collection a été dispersée tout de suite après la mort de Bousquet par la famille et vendue misérablement ; ensuite, un concours de circonstances a amené "les amis" à venir retirer leurs dépôts à partir de 1961. L'année précédente, un gros collectionneur de Carcassonne vendit tous ses Max Ernst - il s'agit sûrement de James Ducellier qui les déposa à la Galerie André-François Petit de Paris. Des marchands d'art firent alors pression sur les cinq personnes ayant confiées des tableaux au musée. Ils revinrent tous sur leur parole - la plupart avaient donné ces tableaux - sans signer de donation définitive. Ainsi furent retirés 3 Ernst , 1 Beaudin, 1 Arp, 1 Dali. Certains confiés à Piet Moget pour les vendre à Paris. On compte parmi leurs propriétaires, deux professeurs de philosophie à la Sorbonne originaires de Carcassonne, un professeur de philosophie et syndicaliste de l'Hérault et la soeur de Bousquet.

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    L'oiseau

    (Max Ernst - Circa 1925)

    La salle Joë Bousquet avait perdu ses pièces maîtresses ; seules subsistaient celles de la collection de Madame Georges Roumens - c'est-à-dire un Ghika et un Metzinger. La ville fera l'acquisition de "Académie de femmes" (Charles Kvapil), "Quai de Conti "(Marquet) et de la tapisserie "Soleil" de Marc Saint-Saëns. Cette dernière s'est longtemps retrouvée accrochée au-dessus du lit de Bousquet. Quant à l'état, il déposera un Guigou, "La cité de Carcassonne" (Valémi) et "le buste de Joe Bousquet (Salomé Vénard).

    L'affaire du Dr Jean Girou

    Jean Girou - érudit local et membre de plusieurs sociétés savantes - favorisa grandement le rayonnement touristique du département de l'Aude à travers le Syndicat d'initiative (ESSI), dont il fut le président jusqu'en 1963. Cette année-là il se confie dans un courrier à Nelli : "Merci d'abord pour le témoignage d'amitié dans mon éviction scandaleuse de l'ESSI à Carcassonne menée par Sablayrolles avec la complicité de Drevet, Noubel et Bonnafous. Il indique avoir eu l'intention de donner sa bibliothèque locale et régionale au Conseil général et au musée, faire une salle Jalabert (10 tableaux) et offrir 10 autres toiles modernes.

    "Je ferme le robinet !"

     Si son portrait peint par Achille Laugé a été offert au musée de Montpellier, en revanche il compte venir reprendre ce qu'il a laissé en dépôt dans celui de Carcassonne : Le portrait de sa femme par Laugé, Une femme nue en pied de Derain, une lithographie de Toulouse-Lautrec représentant Blum à la Revue blanche, son portrait par Desnoyers, "place de la concorde" par Delaunay et "Jeune fille" par Hermine David.

    "Après les manifestations de reconnaissance supprimées par la municipalité !!! Je tiens à récupérer ce que j'ai en dépôt dans votre musée."

    Jean Girou venait également d'écrire une pièce de théâtre en cinq actes "Trencavel et la Louve de Pennautier". Il espérait qu'elle puisse être jouée à Carcassonne, mais l'envoi du texte à Jean Deschamps et Jean Alary, n'a même pas suscité un accusé de réception de leur part.

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    ©Musée de Narbonne

    Jean Girou par Desnoyer

    La démission de René Nelli

    Nelli, déçu et amer d'avoir été ainsi lâché par ses amis, ne va pas être au bout de ses peines en ce début d'année 1963 : "La création de la salle J. Bousquet me valut plus de sarcasmes que d'encouragements". Alors que le musée des Beaux-arts de Carcassonne est fermé depuis deux ans à cause d'une voie d'eau dans la toiture, une tribune signée par un étrange Jean Bedos de Castelnaudary au sujet de la salle Bousquet, va déclencher une polémique dans laquelle la gestion de Nelli se trouve mise en cause.

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    © jacques-zwobada

    Pierre Cabanne à l'Institut du Monde arabe en 1993

    Utilisant un nom d'emprunt (Jean Bedos de Castelnaudary), le journaliste et critique d'art Pierre Cabanne signe une tribune dans le numéro 916 du journal "Arts". Pourquoi un pseudonyme ? Le journaliste est né à Carcassonne ; ce fut un ami de René Nelli puisqu'il lui a offert plusieurs de ses toiles en 1948. 

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    "Je me renseignais et j'appris que les tableaux prêtés par les héritiers de Joë Bousquet avaient été vendus à Paris par l'intermédiaire d'une galerie (André-François Petit, ndlr) et les soins d'un médecin de la ville assisté d'un peintre étranger installé dans la région (Piet Moget ?, ndlr), lesquels, évidemment, avaient largement trouvé leur compte dans l'opération !"

    Le 5 juin 1963, M. Jean Châtelain - Directeur des musées de France - demande des comptes au Conservateur de Carcassonne en lui demandant de s'expliquer sur ces révélations. Le lendemain, René Nelli écrit au maire de Carcassonne - Jules Fil - pour lui annoncer sa démission.

    "Comme les musée est très en désordre, je crois qu'il ne serait pas prudent d'annoncer tout de suite qu'il n'y a plus de conservateur. Cela pourrait tenter les voleurs. Et je tiendrais à passer l'inventaire au nouveau conservateur, après recensement des objets fais en sa présence."

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    René Nelli

    Le 12 juin 1963, Robert Mesuret - Inspecteur des musées de province - prend la défense de R. Nelli dans un courrier à Pierre Cabanne. Il met en évidence les contradictions et la méconnaissance de l'accusateur en ce qui concerne les collections du musée. Comment un illustre inconnu (M. Bedos) peut-il être si renseigné sur la collection Bousquet, alors que l'établissement est fermé depuis deux ans. Le conservateur n'avait aucun pouvoir de s'opposer à la reprise des tableaux par leurs propriétaires. Ces oeuvres auraient pu rester à Carcassonne, à condition que la ville s'en soit porté acquéreur et que cela lui soit proposé. 

    "Nous voyons souvent des collectionneurs qui ont refusé de vendre à un musée, se laisser tenter par des opérations occultes qui échappent au regard du fisc. Et si nous nous souvenons que ceux-ci sont tous des légataires, nous comprenons qu'ils redoutent les agents des finances, que la législation française, moins favorable que celle des pays étrangers, n'a pas su exclure des opérations faites soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, au bénéfice des Musées."

    Ce même M. Mesuret indique cinq jours plus tard :

    "Bien que M. Nelli soit assuré qu'un article aussi malveillant ne puisse trouver un écho ni auprès de M. le Ministre, ni auprès de vous-même, Monsieur de Directeur, il n'a pas laissé d'en être contristé, voire surpris, car M. Cabanne qui est originaire de Carcassonne est son élève et son obligé."

    Il loue la thèse de René Nelli sur "L'érotisme des Troubadours" à la Faculté des lettres de Toulouse et son implication au sein du Laboratoire d'Ethnographie de l'Institut d'Etudes Occitanes où en tant que fondateur, il a fait déposer les collections au Musée Paul Dupuy. La ville de Carcassonne n'a jamais consenti à créer un poste de conservateur à temps plein. Nelli ne touchait qu'une petite indemnité...

    Le 1er octobre 1963 - sans chercher à le retenir - le maire Jules Fil entérine la démission de René Nelli. Il sera remplacé par René Descadeillas - Docteur es-lettres - qui a été correspondant de la Dépêche sous l'Occupation. On avait réussi à avoir la peau de Nelli... Mais qui ?

    Épilogue

    La grande valeur morale de René Nelli ne saurait être remise en cause. Le soutien du Ministère des Affaires culturelles aux arguments du conservateur suffit à le conclure. A contrario, il semblerait qu'à Carcassonne l'on ait obtenu la tête de Nelli par le truchement d'une Kabbale orchestrée dans l'ombre. Jalousies ou vengeances ? En l'état, nul ne peut le savoir.

    Quant à la collection Bousquet... Le Musée des Beaux-arts de la ville pourrait encore aujourd'hui détenir la plus fabuleuse collection surréaliste au monde. Comme l'a écrit Nelli :

    "On ne peut pas demander à des particuliers peu fortunés, pas collectionneurs du tout, et peu enthousiasmés par la ville, de faire à la municipalité des cadeaux aussi somptueux."

    Notons également que le musée prenait l'eau et que ce fut le prétexte pour que les héritiers viennent reprendre leurs toiles. Il a été délivré un reçu à chacun d'entre eux, lesquels pour des raisons diverses sont repartis avec leurs biens. Par exemple, celui-ci vendit à Paris la sculpture de Jean Arp afin d'acheter un nouveau véhicule... L'histoire ne dit pas si le produit des ventes aurait pu aller une Fondation en l'honneur de la mémoire de leur illustre donateur - cela se saurait. Si vous voulez contempler désormais la collection Bousquet, il vous faudra vous rendre à : Musée Dali (Figueras), Musée Thyssen (Madrid), Museum of Art (New York), Musée d'art moderne (Paris), Kunsthaus (Zurich), etc...

    Vendues pour pas grand chose en 1962, ces toiles valent aujourd'hui plusieurs centaines de milliers d'euros. Elles ne retourneront jamais à Carcassonne...

    rené nelli

    La tombe de J. Bousquet à Villalier

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  • La croix volée à la Cité était du XVe siècle

    Les lecteurs qui ont suivi assiduement les chroniques de mon ancien blog "Histoires de Carcassonne", doivent se souvenir qu'en 2010, je suis monté au créneau pour dénoncer le vol d'une croix en pierre située au pied de la Cité médiévale. Elle était bien visible des passants en bordure du jardin du prado et de la montée Combéléran, précisément en face de l'hôtel Montmorency. C'est dire si l'on pouvait difficilement ne pas la voir.

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    Dans un premier temps, j'avais téléphoné au Centre des Monuments Nationaux situé dans l'enceinte du château comtal. Il fallut presque un signal GPS au guide qui reçut mon appel pour qu'il puisse identifier avec précision l'endroit où elle se trouvait. Puis... j'ai attendu, attendu. Interrogée sur la question, une responsable des Bâtiments de France s'est même laissée aller à dire qu'elle se trouvait en restauration. Qui pouvait alors contester sa réponse ? Il faudra attendre l'article de mon blog et la parution sur ma page facebook pour que les journalistes rédigent un papier qui va changer la donne. En effet, la direction des Monuments nationaux à Paris, lectrice de la presse de province, ne tarda pas à réagir. Jusque-là, madame l'administratrice de la Cité à cette époque, faisait la sourde oreille. Or, il faut croire qu'elle se fit remonter les bretelles par sa hiérarchie puisqu'elle fut contrainte à déposer une plainte pour vol.

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    Au moment de cette affaire que n'ai entendu comme inepties ? Que ce n'était qu'une croix, une croix de mission sans intérêt historique et probablement du XIXe siècle. Ce que vous lisez fut entendu de la bouche même de certains érudits, ou prétendus comme tels. Finalement, le pauvre Andrieu ne comprenait rien à rien et l'on pouvait impunément s'attaquer au patrimoine de la ville puisque tout le monde s'en fichait. Lors de l'enquête que j'ai menée, un témoin de la rue Trivalle m'a affirmé avoir vu deux hommes en bleu de travail en train de scier la croix. Si la gendarmerie a mieux à faire que de courir après les voleur de croix, que dire de ceux qui sont payés par le ministère de la culture ? La semaine dernière ce sont des objets d'art sacré qui ont été dérobés à l'abbaye d'Alet... IMG_2379.JPG

    La morale de cette histoire, c'est que nous venons de retrouver un mémoire de l'Université de Perpignan prouvant qu'un travail d'inventaire existait sur les croix de l'Aude. Il est antérieur au vol puisqu'il date de 2006-2007. Cet excellent travail est l'oeuvre de Danielle Bliah-Dulheuer, sous la direction de François Aiguës (Maître de conférence).

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    En ouvrant ce mémoire, on s'aperçoit que cette croix y est référencée et datée probablement du XVe siècle. Dommage....

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