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Patrimoine disparu - Page 23

  • Quand la ville de Carcassonne offrait des vacances en colonie à ses enfants

    Au lendemain de la Libération, le Conseil National de la Résistance venait depuis peu de fonder la Sécurité sociale ; chaque français quels que soient ses moyens pouvait désormais se faire soigner. Les municipalités allaient de leur côté, avec l'appui de l'appui de cette nouvelle administration, créer des colonies de vacances pour les enfants de 4 à 15 ans durant trente jours. De 35 000 enfants en 1945, le nombre passa à 800 000 deux ans plus tard. L'état participait à hauteur de 50 % sur le coût de fonctionnement des séjours et afin d'en garantir la qualité, il créait en 1949 le diplôme de Directeur et de Moniteur de la Colonies de vacances. Aujourd'hui, nombreuses sont les communes qui ont vendu leurs centres de vacances et bientôt, la Sécurité sociale ne sera plus qu'un lointain souvenir. Il nous restera les vieux articles de journaux et les photographies jaunies, pour raconter aux plus jeunes ce à quoi ils n'ont plus droit. Il faut croire que la génération du baby-boom qui a largement profité de ces avancées sociales, considère qu'il est maintenant trop coûteux de conserver ce système pour leurs petits enfants. C'est ce que l'on appellera sans doute la solidarité générationelle à sens unique, puisqu'actuellement c'est nous qui payons leurs retraites.

    Il était une fois, une vie de château...

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    Le château de la Bourdette près de la Bastide de Sérou dans l'Ariège fut construit en 1901 par le général d'Ambois de Latour. En 1948, les propriétaires assommés par le poids des impôts finirent par le céder à un chevillard, qui en fit de même en 1950. La ville de Carcassonne se porta alors acquéreur de la belle demeure, non pas pour y installer - comme dans un endroit que je ne citerai pas - la résidence d'été de certains élus, mais pour en faire profiter les enfants de la commune. On doit cette initiative au maire Marcel Itard-Longueville. "Quand la République achète des châteaux, les enfants des villes vont à la campagne". Il fallut aménager ce bâtiment afin d'y accueillir 200 personnes dont 150 enfants. Le chef de la colonie de la ville de Carcassonne était M. Paul Charles, professeur d'Anglais.

    Juillet 1952. Colonie Bastide de Sérou. Photo Portes.jpg

    © Marie Saleun

    Départ pour la Bastide de Sérou en juillet 1952

    Au château de la Bourdette, on ouvrait les yeux, le matin dans un grand dortoir qui fleurait l'encaustique fraîche sur un paysage de verdure que chacun respectera. Puis, dans une grande salle couverte, sur des tables aux couleurs vives, un petit déjeuner copieux fait de Phoscao au lait, de café au lait, de chocolat accompagné de miel, de beurre ou de confitures, est servi. 

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    Le grand salon

    Les enfants font leurs lits, les moniteurs aidant les plus petits, et le personnel attaché à la colonie se chargeant des travaux ménagers. Ensuite, liberté totale...

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    M. Charles entouré du personnel de la colonie

    Celui-ci flânera dans le parc à la recherche de fleurs ou de feuilles rares pour son herbier, celle-là rejoint ses camarades à l'atelier de vacances, cette autre va faire de la photographie avec un moniteur vietnamien qui a passionné tous les enfants pour cet art, etc...

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    Tous les repas se déroulent dans l'ordre, sous l'oeil attentif des moniteurs, lesquels prennent leur repas avant les enfants. On est propre parce qu'il y a partout des lavabos brillants, parce qu'on passe régulièrement à la douche, et parce que les mamans ont muni leurs enfants d'un trousseau commode et suffisant.

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    Sortie à Alet-les-bains

    On vit en équipes, et on se donne des noms de fleurs (Les colchiques, les bleuets, les jonquilles) ou de guerre (Les Huns, les mousquetaires, les conquérants).

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    M. Paul Charles, le chef

    Pendant les vacances, Paul Charles était le "Grand chef" des deux cents garçons en juillet, et des deux cents filles en août. Le Grand chef c'est quelqu'un qu'on révère et qu'on vénère. D'abord, parce qu'il sait tout et qu'il arrange tout. Il était très apprécié des commerçants de la Bastide de Sérou.

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    La visite des parents

    Un matin, une monitrice, à la suite d'une querelle avec un moniteur, disparut de la colonie. les enfants se précipitent, vont chercher M. Charles qui les rassure, et dit qu'on va organiser des recherches. Les Jonquilles iront sur la gauche, les mousquetaires vers la rivière, les chevaliers au village, et les myosotis vers la montagne. On va téléphoner à la Bastide de Sérou alerter les gendarmes, prévenir le pharmacien en cas d'accident ; bref, branle-bas de combat.

    On a cherché toute la journée, ou presque ; les gendarmes sont venus ; les habitants ont dit qu'ils avaient vu passer une jeune fille qui pleurait.

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    La monitrice, on l'a retrouvée, finalement cachée dans les gerbes de blé. M. Charles l'a ramenée sous bonne garde, disant qu'on verrait après quelle sanction lui infliger. Mais il y a bien sûr un épilogue : le moniteur, cause indirecte de la fugue, fut retrouvé... juste à temps lui aussi. Pris de remords, n'allait-il pas faire une bêtise ? On le ramena sous bonne escorte, juste au moment où sonnait la cloche du dîner. Alors, quand les deux cents gosses furent à table, le Grand chef vint, avec tous les héros du drame et dit que ce fut un grand jeu pour lequel les enfants marchèrent à fond. Il y a en a quelques-uns qui pleurèrent, qui découvraient soudain que ç'aurait pu être vrai, et du même coup, combien ils étaient attachés à leur monitrice, et quelles conséquences, peuvent avoir les disputes, même insignifiantes. On s'est retrouvé tout d'un coup plus amis encore, et l'union de la colonie a été cimentée d'un coup.

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    Le 30 avril 1965, le conseil municipal de Jules Fil décidait de vendre la colonie de vacances de l'Ariège.

    "En présence des insuffisances de la colonie de la Bastide de Sérou, au regard de la nouvelle réglementation applicable tant au point de vue sanitaire qu'au point de vue de la sécurité, à quoi s'ajoutent d'autres inconvénients qui se sont révélés à la longue, depuis que la ville a fait l'acquisition du château de Labourdette : éloignement, climat fortement humide, entretien onéreux d'une bâtisse peu fonctionnelle."

    La Goutarende...

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    La Goutarende à Cuxac-Cabardès offrait plusieurs possibilités : 2 séjours de 28 jours pour la colonie de vacances, 2 séjours de 28 jours pour pré-adolescents, 2 séjours de 24 jours pour adolescents. En 1978, la ville de Carcassonne participait à une bourse de vacances de 84 francs par séjour pour la colonie. La Caisse d'allocations familiales, les comité d'entreprises et les comité d'oeuvres sociales aidaient les familles sous forme de "bons de participation".

    Après une gestion confiée à la FAOL qui avait cessé toute activité de ce genre, la colonie fut vendue par la ville de Carcassonne le 27 septembre 1991.

    Sources

    Un grand merci à M. Jullian Charles

    Bulletins municipaux, articles de presse, délibérations CM

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  • Disparition du patrimoine communal dans la rue Armagnac

    Nous avions signalé en 2014 la disparition soudaine d'une plaque commémorative en l'honneur de l'académicien Fortunat Strowski, au 22 rue Antoine Armagnac. On peut dire sans crainte, que cet acte de malveillance ne suscita pas d'émoi auprès des autorités en charge du patrimoine communal. Il est vrai que cet historien de la littérature, essayiste et critique littéraire, professeur à la faculté des lettres de Paris n'est pas le plus connu des Carcassonnais. C'est pourtant dans notre ville qu'il vit le jour le 16 mai 1866, au 20 rue du Port (22, rue Armagnac). Si nos édiles d'aujourd'hui ne connaissent pas Fortunat Strowski, leurs prédécesseurs en revanche avaient pris soin d'honorer sa mémoire en 1952. Nous verrons comment...

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    La plaque en l'honneur de l'académicien

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    © ADA 11

    Acte de naissance

    Alexandre - le père du jeune Joseph Fortunat - était professeur d'Anglais au Lycée Impérial de Carcassonne. Son fils entra en 1885 à l'Ecole Normale Supérieure à 19 ans. L'année suivante, il devint docteur es-lettres. Successivement professeur aux lycées d'Albi, Montauban, Nîmes, il exerça ensuite à la Faculté des Lettres de Bordeaux, puis à la Sorbonne. Envoyé en mission en Italie en 1919, en Pologne en 1920 et au Canada en 1921, il fut chargé de mission et de cours à l'Université de Colombia en 1924-1925. En 1926, il a été élu membre de l'Institut de France au titre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques. Il est décédé à Neuilly-sur-Seine le 11 juillet 1952.

    Je vous rassure la biographie ci-dessus n'a pas été copiée sur Wikipédia.

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    La maison natale de Fortunat Strowki, actuellement sans la plaque

    On pourrait polémiquer à loisir sur l'indigence du petit patrimoine Carcassonnais, mais nous n'en ferons rien. En vérité, c'est bien plus grave que cela. On pourrait s'entendre dire que cette plaque avait dû être posée par quelques admirateurs, membres d'une quelconque société savante de la ville. Or, cette fois ce chapelet d'objecteur des mauvaises consciences ne peut être soutenu. Il s'agit ni plus ni moins d'un acte répréhensible par loi, qui envoie au tribunal toute personne s'en prenant aux biens municipaux. Oui ! le propriétaire de l'immeuble - si, c'est lui - doit restituer l'objet déposé.

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    Joseph Fortunat Strowski

     Par délibération du Conseil municipal de Carcassonne en date du 26 décembre 1952, la ville de Carcassonne décide d'honorer la mémoire de Fortunat Strowski et de Joë Bousquet. Elle fait apposer deux plaques : l'une au 22 rue Armagnac et l'autre, rue de Verdun sur la maison du poète J. Bousquet. Voilà donc ce que j'ai découvert lors de mes recherches dans les annales des délibérations municipales. 

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    La plaque à Joë Bousquet est encore en place sur la façade de sa maison.

    Bien entendu, nous demandons à la municipalité de Carcassonne - si cela n'est pas fait - de faire procéder à la remise en place de cette plaque. Sûrement en pure perte, car il probable qu'elle ait déjà visité la poubelle.

    Source

    Délibération Conseil municipal / 26 décembre 1952

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  • Les premiers voyages en ballon au-dessus de Carcassonne

    A Carcassonne, au XIXe siècle, sous la monarchie, le Second Empire et la IIIe République eurent lieu plusieurs ascensions d'aéronefs toujours suivies avec enthousiasme par la population. Mme Lartet, jeune aéronaute, de passage dans notre ville annonce par voie de presse son intention de présenter une de ses expériences aérostatiques. Le dimanche 13 octobre 1844, dans la matinée, nombreux sont les carcassonnais qui attendent dans la cour du collège que le spectacle commence; celui-ci est payant: 1frs les premières, 50 centimes les secondes et 25 centimes pour les enfants. L'aéronaute monte dans la nacelle; le ballon libéré de ses entraves s'élève rapidement sous les applaudissements de la foule. Le beau temps et une légère brise d'ouest favorisent l'ascension du ballon qui prend de la hauteir et survole la ville. Les carcassonnais sortent de leurs maisons et envahissent les rues levant leurs regards ébahis par la nouveauté de l'évènement. Après avoirt plané au dessus de l'hôtel de la Préfecture, le ballon est arrêté par la haute frondaison des platanes de la promenande, ce qui oblige Mme Lartet à poser non sans difficulté son aéronef. Un cabriolet attend l'aéronaute qui est entourée par les curieux massés sur le boulevard et sur la grande route et qui l'acclament.

    14 mai 1859

    Dans le cadre de l'exposition florale et du concours régional agricole mettant en valeur les produits de l'agriculture audoise, de grandes fêtes eurent lieu au cours du mois de mai 1859. Une des attractions, très appréciée par les visiteurs de l'exposition fut l'ascension le 14 mai d'un ballon gonflé au gaz d'éclairage fourni par l'usine à gaz. l'aérostat était piloté par M. Godard.

    21 novembre 1869

    (Toulouse - Limoux)

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    Eugène Godard par Nadard

    Le dimanche 21 novembre 1869, le ballon "Ville de Florence" dirigé par Eugène Godard partit de Toulouse pour rejoindre 100 kilomètres plus loin, la ville de Limoux. Dans sa nacelle avaient pris place M. de Séverac, Louis Aristide et A. Duportal, journaliste à "La fraternité". Voici ci-dessous le récit de cette aventure :

    " Ce fut un avertissement pour l'aéronaute qui comprit que, pour éviter le vent qui soufflait du nord-ouest, il y avait nécessité d'enlever son ballon aussi rapidement et aussi verticalement que possible. Il le lesta en conséquence, et à peine avions-nous pris place dans l'étroite nacelle avec nos compagnons de voyage, que nous fûmes enlevés avec la rapidité de la flèche. Je m'inclinai vers la terre pour répondre aux acclamations de nos amis ; mais je les avais déjà perdus de vue ; quinze cents mètres d'élévation nous séparaient, te l'immense panorama de Toulouse et de la vaste plaine qui l'entoure se développaient au-dessus de nous.

    En trois minutes, nous étions au-dessus du Grand-Rond ; en six, nous planions sur le Pont des Demoiselles. La place du Capitole nous paraissait bien grande comme mon salon ; l'allée Lafayette, dont nous ne distinguions même pas les arbres, aurait pu facilement être confondue avec une de ces rues étroites que nous nous sommes pris à tant aimer depuis qu'on nous en fait, à Toulouse, de monumentales. Le Boulingrin, enfin, avec ses allées convergentes se manifesta à nous pour ce qu'il est en réalité, une des dépendances de cet inutile palais du maréchal, qui lui-même avait bien l'apparence d'un gâteau de Savoie réussi.

    Nous prîmes donc la direction que nous imprima le vent de nord-ouest, avec une vitesse d'environ un kilomètre par minute, et du même coup nous nous élevâmes à une hauteur de deux mille mètres environ. Nous suivions la ligne du Canal du midi, qui serpentait au-dessous de nous comme un ruban vert et dont les barques ne nous semblaient pas dépasser la dimension de petits navires que les babys parisiens livrent à la navigation douteuse des bassins des Tuileries ou du Palais-Royal. Nous aperçûmes bientôt, serpentant péniblement sur la voie-ferrée, un train qui ressemblait à s'y méprendre à ces chemins de fer qui illustrent les coucous d'Allemagne. Nous l'atteignîmes et le dépassâmes avec fanfaronnade sans avoir, hélas ! rien fait pour cela. 

    Arrivés au-dessus de l'écluse de Castanet à 3h30, c'est-à-dire 49 minutes après notre départ, nous pûmes, grâce à quelques rayons de soleil, contempler à l'aise la splendeur du paysage. On se ferait difficilement une idée de la douceur des tons que prend, à cette distance, la terre si bien cultivée des plaines du Lauragais. Toutes les aspérités du sol disparaissent et ses confondent d'harmonieux polygones aux milles nuances diverses les plus fantaisistes, les plus chatoyantes. La terre elle-même, vue à 2500 mètres de hauteur tourne visiblement au joujou. 

    A 3h45, nous passions sur Baziège ; à 3h52 en face de Villenouvelle ; à 3h58 sur Gardouch ; à 4h10 en face d'Avignonet. De la plupart de ces villages, nous aperçûmes grouiller comme des points noirs quelques grains de poussière, c'était la population qui se pressait dans les rues, sur les places pour nous voir passer.Nous montions, en effet, dans ce  moment à une vitesse très grande. Nous nous en aperçûmes au froid très vif qui pénétra tous nos membres, et qui devint surtout très sensible aux pieds, directement en contact avec le plancher à jour de la nacelle. J'interrogeai l'horizon et j'aperçus simultanément les clochers de Toulouse et de Castelnaudary, pendant que, dans une direction perpendiculaire, j'entrevoyais d'un côté Sorèze et de l'autre, la plaine de Pamiers. Nous étions en regard d'Avignonet. A compter de ce moment, nous quittâmes la ligne du Canal du midi et fûmes dirigés vers les montagnes de l'Ariège et du Haut-Razès.

    Laissant Castelnaudary à notre gauche vers 4h20, nous nous trouvâmes planer sur des régions totalement inconnues à chacun de nous et dont le relief, évidemment très accidenté, apporta un attrait inattendu à notre pérégrination aérienne. Je ne crois pas qu'il existe un meilleur moyen de se rendre compte des phénomènes qui ont présidé à la configuration de la terre que de s'élever à une hauteur suffisante pour en saisir matériellement la forme, non plus par des instruments de la science, mais de visu et avec la brutalité parlante du fait lui-même. 

    "Je n'aperçois pas, nous dit Godard, à travers ce pays montagneux, désert et désolé, où je pourrai trouver un petit plateau pour opérer notre descente." Le vent nous poussait heureusement avec une force nouvelle, et lorsque à 4H40 nous passâmes au-dessus d'une petite ville que nous avons su depuis être Mirepoix ; nous comprîmes, ou plutôt avec le flair qui le sert si bien, M. Godard comprit qu'à l'abri des montagnes qui s'élevaient devant nous, nous rencontrerions les conditions d'une bonne descente.

    "Voilà notre affaire ! dit Godard. Nous allons toucher terre dans cette petite plaine qui longe ce fleuve." Et soulevant par deux ou trois fois la soupape, après avoir progressivement jeté tout son lest, - avec la même rapidité qui nous avait enlevés, avec la précision scrupuleusement exacte du point désigné - la Ville de Florence s'abattit doucement dans un champ à 25 mètres de l'Aude.

    Là nous attendait la seule émotion un peu sérieuse de notre navigation. La descente est toujours la grosse affaire d'un voyage en ballon. La nôtre se compliqua d'un rafale. La nacelle avait à peine touché terre sous la double influence du câble de frein et de l'ancre, que notre ballon, violemment agité et presque ramené à une situation horizontale, comme il l'avait été, avant le départ, dans la cour des Jacobins, s'éleva de nouveau et rasant terre nous porta à une trentaine de mètres, où une secousse, plus violente que la première, mit fin à notre intéressante et très heureuse navigation. Il était 4h49 et la nuit commençait à tomber.

    Les paysans du voisinage accoururent. Plusieurs traversèrent l'Aude à gué pour venir à nous. Notre premier soin fut de leur demander où nous étions - A Pieusse, à deux kilomètres de Limoux, nous fut-il répondu. Et quand en échange de ce précieux renseignement, nous racontâmes à ces braves gens que nous venions de Toulouse, que nous en étions partis depuis 1 heure 40 à peine, leur étonnement fut tel, qu'ils restèrent longtemps à considérer cette vérité comme une mystification de citadins.

    Nous courûmes à Limoux et au télégraphe ; et le soir, la ville de Limoux, aguerrie contre les émotions et l'imprévu depuis les élections dernières, comptait une légende de plus dans son histoire. Quelques amis réunis à notre occasion festoyaient en même temps que le voyageur et le journaliste dont le nom est au bas de ces lignes. Le lendemain matin, au point du jour, nous faisions le voyage irréalisable de la chanson de Nadaud, et partis de Limoux sans attendre l'heure extrême de son héros, nous pouvions juger des contrastes en passant deux grosses heures dans un omnibus apocalyptique... Mais nous avions vu Carcassonne.

    Eugène Godard fut un constructeur de ballon de grande renommée. Jules Verne d'accompagna dans ses voyages. Surnommé l'aéronaute de l'Empereur, il créa les ballons postaux qui survolèrent la capitale pendant le blocus de la guerre de 1870. En 1886, il inventa le dynamiteur des airs. Il s'agissait d'un dirigeable capable de s'élever suffisamment haut pour éviter les balles ennemies.

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    Gonglement des ballons à l'usine à gaz

    2 janvier 1870

    Le dimanche 2 janvier 1870, M. Eugène Godard propose aux Carcassonnais un voyage aérien ; les amateurs de sensations fortes "pour faire une visite aux étoiles" sont nombreux. Les premiers inscrits auront le privilège de monter dans la nacelle du ballon "Ville de Florence". Le grand jour arrive, les curieux se rendent en foule place Sainte-Cécile (Square Gambetta). La musique de la ville anime catte attraction. M. Godard fait monter dans la nacelle MM. Miquel, Bastouil, Jules Sauzède, Paul Lacombe et Déodat de Séverac. Après s'être débarassé des sacs de sable excédentaires, M. Godard ordonne le "lâchez tout" et le ballon libéré de ses attaches s'élève majestueusement au-dessus de la ville. Un des passagers raconte: "La terre semble nous fuir et un panorama splendide s'agrandit progressivement à nos yeux. la foule qui couvre la place Sainte-Cécile, la route et le Pont-Neuf ressemble à de vraies fourmilières".

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    Photomontage réalisé par Malbret, photographe.

    "L'aérostat, poussé par un léger vent d'ouest, se dirige vers la Cité; il passe successivement au-dessus de l'Aude et du faubourg de la Barbacane; à 1000 mètres environ d'altitude, il aborde la forteresse par la tour carrée de l'Évêque et la quitte passant entre la tour du Moulin du Midi et la tour Saint-Nazaire. L'aérostat descend à 50 mètres du sol, remonte à 800 mètres; le vent pousse le ballon vers Palaja et au-delà vers la Cavayère. M. Godard décide de se poser. Apercevant un paysan dans un pré, il lui crie de saisir la corde qu'il lui lance; l'homme tire si fort que la nacelle touche les branches d'un arbre, le ballon remonte et va tout doucement se poser au milieu d'un grand champ. Le ballon se dégonfle petit à petit et se couche sur le flanc; les passagers descendus de la nacelle voient arriver un cavalier; c'est un colonel du 7e chasseurs qui vient saluer les courageux aéronautes. Il leur propose de les reconduire dans la voiture qui les attend à Palaja. La ballon et la nacelle sont chargés sur une charette tirée par des boeufs. De retour à Carcassonne, un banquet réunit tous les acteurs de cette équipée à l'Hôtel Bernard; repas au cours duquel de nombreux toasts sont portés en l'honneur de M. Godard." (H. Alaux / Carcassonne, ta ville / 2002)

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    © ADA 11

    A Carcassonne, d'autres ascensions eurent lieu au cours de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle; citons en deux: Le dimanche 31 mai 1885, le ballon "Le Zéphire" gonflé au gaz d'éclairage, piloté par le capitaine Théodore Armand, s'éleva de la place d'armes (actuelle place de Gaulle); enfin le dimanche 13 août 1902, fut lancé le ballon "Pont d'Artigues" à l'occasion de la fête du quartier du même nom.

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