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Patrimoine disparu - Page 29

  • Où est donc passé le buste de Joë Bousquet ?

    Dernièrement, je lisais la remarquable biographie du poète Joë Bousquet écrite par René Nelli et publiée chez Albin Michel en 1975 : Joë Bousquet. Sa vie, son oeuvre. Comme vous l'imaginez, certaines informations contenues dans cet ouvrage n'ont pas pu échapper à ma curiosité. On apprend qu'en 1946 la sculptrice Salomé Vénard réalisa un buste du poète Carcassonnais ; elle le représenta sous les traits d'une femme. René Nelli indique : "elle pressentait que la destinée de Bousquet allait bientôt se terminer. Il s'était enfin détaché du double qui était à la fois sa blessure, sa mère et sa propre conscience devenue maintenant assez libre pour ne plus considérer le corps comme un obstacle à l'esprit."

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    D'après R. Nelli, ce n'est pas un mais deux bustes qui ont été réalisés par Salomé Vénard. Le premier, c'est celui dont nous venons de parler. Bousquet en fit cadeau à l'une de ses amies, mais cette dernière trouvant qu'il portait malheur décida de le rendre à sa créatrice. En 1951 - l'année suivant le décès de Bousquet - la sculptrice en exécuta un autre. L'état en fit l'acquisition et l'envoya en dépôt au Musée des Beaux-arts de Carcassonne. René Nelli - conservateur de ce musée depuis 1947 - note qu'au cours de réparations effectuées au musée des Beaux-arts, le visage de pierre de Bousquet eut le nez cassé... (Sic)

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    Deux questions - vous le pensez bien - me tarabustent depuis quelques jours :

    A quoi ressemble ce buste ? Qu'est-il advenu de lui ?

    J'ai remué dans tous les sens internet afin de tenter de trouver une photographie de la sculpture , ceci sans résultats. Même le site du Ministère de la culture sur lequel elle est référencée, n'en possède pas. C'est alors, grâce à je ne sais qu'elle source divine - l'esprit de Bousquet soufflant sur moi - que j'ai trouvé sa photographie sur le frontispice d'un ouvrage de l'illustre poète.

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    Voici donc Joë Bousquet sculpté comme Virgile, le poète de l'antiquité romaine. Aujourd'hui, il aurait le nez cassé ; le sphinx de Guizeh n'en est pas moins impressionnant de beauté. Tout ceci ne répond pas hélas à ma seconde question... J'ai tenté de joindre hier après-midi le directeur du Centre de la maison des mémoires, rue de Verdun ; il semblerait que pour moi, il s'en trouvait éloigné... du centre. Je ne cherche querelle à personne, mais en honnête citoyen - béotien de surcroît - il est normal que j'en appelle à la haute autorité intelligente à condition qu'elle veuille bien m'entendre. Donc, par l'intermédiaire de ce blog je la sollicite afin qu'elle nous dise ce qu'il est advenu de cet objet payé par l'état ; il est signé en bas et au dos. Se trouve t-il dans le musée des Beaux-arts,  dans un coin des réserves ou bien ailleurs ?...

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    On pourra également se souvenir de ce médaillon réalisé par René Iché, commandé par l'Administration des monnaies et médailles et frappé en 1939. Il est signé et daté d'octobre 1938.

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    Quant aux tableaux de la collection Joë Bousquet, voici ce qu'il est noté à la page 227 :

     Le conservateur du musée, René Nelli, en déposant lui-même les oeuvres surréalistes qui lui appartenaient en propre, obtint de quatre ou cinq amis de Bousquet qu'ils missent eux aussi, en dépôt au musée celles dont ils avaient hérité. Il y eut donc, pendant dix ans, au musée des Beaux-arts de Carcassonne, une salle Joë Bousquet. Mais la peinture surréaliste ayant pris une valeur marchande très considérable, les prêteurs - et quelquefois même les donateurs - revinrent sur leur décision première et, l'un après l'autre, retirèrent leurs tableaux. Il ne reste au musée de Carcassonne que cinq toiles ayant fait partie de la Collection Joë Bousquet, et le buste en pierre de Salomé Vénard, qui le représente.

    Qu'est-il advenu de tout cela ? Le Musée des Beaux-arts de Carcassonne n'a pas - à ma connaissance - de salle consacré à ce style de peinture. 

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  • Quand Alphonse Allais parlait de Carcassonne...

    En se plongeant dans la lecture de l'oeuvre d'Alphonse Allais, nous avons découvert plusieurs passages consacrés à Carcassonne. Que ce soit dans ses souvenirs ou dans son imaginaire, il semble que l'univers de la capitale audoise ne soit pas étranger au prince de l'humour moderne.

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    Alphonse Allais

    (1854-1905)

    En 1883, Allais écrit dans la revue "Le Chat noir" qui fait la promotion du célèbre cabaret de Montmartre. On croise également dans ce journal la plume de Verlaine et de Richepin ; Allais en devient le directeur en 1886. Ainsi apprend-on qu'il est l'ami d'un certain Charles Cros (né à Fabrezan, dans l'Aude) dont il vient de découvrir l'invention : le phonographe. 

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    Le 1er octobre 1887, Alphonse Allais écrit dans le Chat noir, au sujet de son séjour à Carcassonne. La version ci-dessous a été modifiée et publiée dans le Gil Blas, en 1892 :

    "Je ne connais pas de spécialités bien notoires à Carcassonne, mais j'y ai rencontré une boue, laquelle aurait pu, très convenablement, figurer dans les sept plaies d'Egypte. Je ne me souviens pas d'avoir jamais contemplé, réunis, tant de boue et si peu de balayeurs. Quant aux balayeuses mécaniques, elles passaient dans un rêve. 

    Oh ! la belle boue ! Copieuse, gluante, d'un beau noir, elle était là depuis pas mal de temps. Nul doute qu'elle y soit encore. On m'a montré le monsieur payé pour l'enlevage des boues et ordures. Rien m'ôtera de l'idée que ce gentleman emploie sa subvention à acheter la fange des banlieues de Carcassonne pour l'étaler de nuit sur les artères de cette préfecture.

    Le même fonctionnaire est également chargé de l'entreprise des vidanges. Cette devise qu'il a adoptée est peinte sur toutes ses voitures : Omnia labore (Historique). J'ai pris ces deux mots latins pour encouragement, plein de tact, aux constipés de Carcassonne. (un bon sujet pour le prochain Salon de Jean-Paul Laurens)*

    Dans le florissant chef-lieu de l'Aude, deux grands spectacles m'étaient réservés : une tentative de décentralisation artistique au théâtre et une séance de boxe et chausson au Conseil général. La décentralisation artistique consistait en un opéra-comique d'un acte, lequel, j'en ai bien peur, n'enlèvera nul prestige à Paris. Je ne peux donner aux lecteurs une idée de la musique, à cause des difficultés typographiques et de la mise en page que cela entraînerait, mais qui m'empêche de faire partager à ces messieurs et dames la joie que j'éprouvai à l'audition du couplet suivant (un des meilleurs de l'oeuvre)

    L'amour est beau comme la soie

    Il est fin comme le satin.

    C'est à mesure qu'on l'emploie 

    Qu'on s'aperçoit qu'il est bon teint

    La séance du Conseil général fut plus gaie ; c'était un dimanche matin. M. Beverini, un Constans avant la lettre, sur un mot d'un M. Fondi de Niort, crut devoir distribuer à cet élu quelques gifles mêlées de beignes. Le petit malentendu entre M. Constans et M. Laur n'est qu'une pâle imitation de cette scène provinciale. Je n'avais jamais assisté à une séance du Conseil général. C'est très drôle, j'y reviendrai.

    Ne quittons pas Carcassonne, sans rendre un double et mérité hommage :

    1° A l'hospitalité si cordiale de quelques Carcassonnais amis du Gil Blas.

    2° A la beauté (exquise jusqu'à l'éperdition) de la jeune fille blonde du buffet de Carcassonne, laquelle semble encavée d'un Botticelli"

    * Allais fait ici un calembour sur le tableau de Laurens "Les emmurés de Carcassonne" (NDLR)

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    "Quelle mine d'observations, que le café-concert de province, pour un gaillard de ma trempe ! Le Palais-de-cristal de Marseille n'a plus de secrets pour moi, non plus que l'Eden de Cette. Quant aux Folies-Narbonnaises, c'est comme ma poche que je les connais, et j'ai passé hier une des meilleures soirées de ma vie à Carcassonne, mi-partie à l'Eldorado et à l'Alcazar.*

    Au point de vue de l'art pur, je n'irai pas dire que les établissements susnommés, dégottent le concert Lamoureux. Non. Le répertoire, notamment, y est plutôt inférieur, et si l'on excepte Jouy et deux ou trois autres, on se demande avec une stupeur mêlée d'effroi quels sont les sinistres garçons charcutiers qui perpétuent de telles littératures et les aides de bourreau qui les mettent en musique.

    * Alphonse Allais fit ici référence à deux cabarets Carcassonnais dans lesquels on donnait des revues, des concerts et des spectacles comiques. Nous avons effectué des recherches afin de retracer leur histoire et leurs emplacements.

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    A l'instar de Paris, notre ville possédait donc deux salles de café-concert : L'Eldorado et l'Alcazar. Sur le premier, nous n'avons trouvé que trop d'informations sinon qu'il fut comme le second, dirigé par la famille Feuillat - négociants en vins, rue de Belfort. L'Alcazar, lui, était scindé en deux établissements qui ouvraient en intermittence suivant la saison.

    L'Alcazar d'été

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    L'Alcazar d'été ouvrait ses portes à partir de la mi-juin jusqu'au début de l'automne. Il était situé à l'angle des rues d'Alsace et de Belfort, dans ce quartier du Palais fréquenté par la bourgeoisie Carcassonnaise. Il possédait un très beau jardin à l'intérieur duquel on entendait les aubades, interprétées par l'orchestre dirigé par Louis Baichère.

    L'Alcazar d'hiver

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    La grande salle de l'Alcazar d'hiver se trouvait 17, boulevard de la préfecture. M. Feuillat avait à coeur d'y  engager des artistes, considérés par la presse locale comme ayant fait les beaux jours des cabarets parisiens : comiques troupiers, chanteuses réalistes, danseuses exotiques, etc... Carcassonne étant une ville de garnison, il fallait émoustiller le militaire. Très souvent, les voisins se plaignaient de l'agitation et des nuisances sonores dans le quartier. Sans compter, les amendes infligées à la direction pour salle de jeu clandestine. Cette salle sert également pour les meetings politiques ; on y entendra le Dr Ferroul. Rien d'étonnant à cela puisque Jean Feuillat fait partie du conseil municipal, dirigé par le maire Antoine Durand.

    En 1901 - une fois le père Feuillat décédé - c'est sa veuve Anne Feuillat qui tint l'affaire avec un gérant nommé Sabot Philibert. Avant la Grande guerre, l'Alcazar d'hiver sera rasé. Sur son emplacement est construit le Modern-cinéma de M. Bonnet ; l'inauguration de la grande salle de projection de 900 places se déroule le 3 juin 1913. Le nom de ce cinéma passera ensuite entre d'autres mains en changeant de nom : La Vox puis Le Boléro. Aujourd'hui, c'est une entreprise de contrôle technique qui occupe les lieux.

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    En 1894, Alphonse Allais a 40 ans. Il se plaint d'avoir de moins en moins de chroniques publiées dans le Journal, dirigé par Fernand Xau. Au mois de mars, il demande à son ami Astre, tailleur à Carcassonne, d'écrire à Xau pour s'offusquer " de l'absence trop prolongée des délicieuses fantaisies de M. Alphonse Allais." Voilà une nouvelle preuve que l'écrivain et humoriste possédait des attaches dans notre ville. Dans Le bec en l'air tiré des Oeuvres anthumes - éditées en 1897 - La vaniteuse localité nous apprend que :

    "Le seul personnage vaguement notoire originaire de Bizemoy-sur-Loreille était un nommé Poncelet, qui fut gouverneur de Carcassonne sous Henri IV. Malheureusement, ce personnage ayant un beau jour livré la ville à l'armée belge (contre une petite somme d'argent), peut-être ne convenait-il pas de perpétuer la mémoire de ce gentleman dont, d'ailleurs, la femme avait eu une fâcheuse tendance à se mêler de ce qui ne la regardait pas."

    Nous espérons que les recherches de ce blog vous satisfont, autant que nous prenons du plaisir à vous les transmettre...

    Sources

    Alphonse Allais / Oeuvres anthumes / 1897

    Alphonse Allais / Oeuvres posthumes

    La presse locale

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  • La belle histoire de l'ancien asile de Bouttes-Gach

    Un enfant est déposé à la porte de l'hospice de Carcassonne, le 20 avril 1818. Sur ces vêtements, un papier est accroché avec l'inscription suivante : "Gaudefroy Lucien, né aujourd'hui 19 avril 1818 marqué au petit doigt de la main gauche, n'est pas baptisé." Ce bébé retrouvera probablement sa mère biologique - Jeanne Marie Louise Gach, née à Floure en 1776 - avec laquelle il vivra à Saint-Couat d'Aude jusqu'à la mort de celle-ci, le 27 août 1859. Nous avançons comme hypothèse que Bouttes soit le nom du père qui ne l'a jamais reconnu. On retrouve ce patronyme dans le Narbonnais...

     Lucien Bouttes-Gach poursuit même des études de droit, selon le recensement de 1836. Il sera élu comme maire de Saint-Couat à deux reprises et sous deux noms différents. Entre 1843 et 1848, sous le nom de Lucien Bouttes-Gach et de 1871 à 1874, sous celui de Gaudefroy Bouttes. Ceci s'explique par le fait qu'il ait choisi de modifier son patronyme par jugement du 26 mars 1862. 

     N'ayant pas d'héritier naturel et ne souhaitant pas que le profit de ses biens fasse l'objet d'un enrichissement, il rédige entre 1847 et 1873 six testaments différents. Le 19 novembre 1873, il institue le département de l'Aude comme son légataire universel. En 1874, Bouttes-Gach met fin à ses jours ; le département devient propriétaire du domaine d'Aussières près de Narbonne - acquis aux enchères par le défunt en 1872, ancienne propriété de M. Mareschal - et du domaine de Saint-Couat, qu'il met en vente aux enchères publiques en mai 1875.

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    © Le figaro

    Domaine d'Aussières (673 ha) : Mise à prix 415.000 francs

    Le domaine d'Aussières près de l'abbaye de Fontfroide a été acquis en 1999 par les Domaines Barons de Rothschild (Lafite). Il aura fallu dix ans pour remettre sur pied la production et sortir les premières cuvées, il y a seulement deux ans.

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    Château de St-Couat (141 ha) : Mise à prix 850.000 francs

    Le premier nommé est adjugé en juillet 1875 à MM. Bousquet et Bergasse pour la somme de 415.000 francs. Le second ne sera vendu qu'après une baisse de prix pour 625.000 francs à Joseph Lignières, propriétaire à Ferrals. Le Conseil général dispose d'un gros héritage.

    La succession

    Le testament spécifie que le département devra s'acquitter de trois legs particuliers dont l'un est ainsi spécifié :

    "Je lègue 100.000 francs à tous mes parents du côté maternels au degré successible."

    Par voie de presse, la préfecture demande aux parents de M. Bouttes-Gach de se faire connaître. Le 12 août 1875, ils sont 68 a revendiquer cette part de l'héritage. Les neveux et nièces vont intenter un procès afin de toucher en supplément, les 20.000 francs qui leur étaient dévolus dans un testament antérieur datant de 1860 ; le département obtient gain de cause en avril 1878. M. Antoine Marty - avocat et propriétaire à Floure - ami du défunt, réclamera l'exécution des deux testaments de 1852 et 1860 dans lesquels M. Bouttes-Gach lui lègue ses meubles, ses voitures, ses chevaux et ses bijoux. Son nom n'apparaissant pas dans le testament de 1873, le département refusera de lui céder cette partie de l'héritage, arguant que l'antériorité n'a plus de validité. Marty va aller en justice et obtenir gain de cause ; la préfecture interjettera appel. Les fabriques des églises de Saint-Vincent et de Saint-Couat vont elles-aussi réclamer leur part. Le 30 août 1879, elles acceptent les bases de la transaction adoptées en avril, au sujet de la délivrance des legs en faveur de ces établissements. 

    Les voeux du défunt

    Le reste de mes biens, je le lègue au département de l'Aude, pour un hospice sain et élevé. Je souhaite que ma fortune serve à but d'utilité publique et non a assouvir des cupidités particulières.

    Les problèmes d'apurement de la succession Bouttes-Gach durèrent plusieurs années... Le Conseil général chercha néanmoins le meilleur moyen pour faire respecter les voeux de son bienfaiteur. En janvier 1876, Justinien Capmann propose d'affecter la somme provenant de la succession à la création d'une école des arts et métiers dans l'Aude. Cette proposition ne sera pas retenue ; M. le préfet fait étudier par l'architecte départemental M. Desmaret, un projet ayant pour but la création d'un asile où tous les secours que peut réclamer l'humanité dans tous les cas de maladie à tous les âges, seraient donnés gratuitement. 

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    © Polices mobiles

    L'asile en 1942, en bordure de la route de Toulouse

    La construction de l'asile

    Entre le décès de M. Bouttes-Gach et le début des travaux de l'asile, il s'écoulera huit années de procédures, commissions et autres atermoiements. En 1880, plusieurs propriétaires offrent des terrains pour l'édification du futur hospice. Priorité est donnée aux terres de MM. Albarel et Cabrié situées en bordure de la route de Toulouse, si les fouilles dans le sol révèlent l'existence d'une eau suffisante pour les besoins de l'asile. A défaut, ce seront les terres de M. Combes-Gaubert à l'Estagnol ou celles de Mme Riscle à la Gravette qui seront choisies. 

    Le 16 juillet 1881, l'entreprise de maçonnerie de Michel Cau se voit confier la construction des bâtiments pour un montant de 135.000 francs. Le 26 août 1882, la même entreprise doit réaliser la platrerie, la charpente et le dallage pour 16.000 francs. Enfin, les travaux de menuiserie, parquets et serrurerie sont dévolus à M. Falcou pour 30.000 francs. Au total, ce sont 183.000 francs + 2000 francs d'imprévus.

    Deux sociétés ont offert de fournir des appareils pour l'installation du gaz : M. Flander de la Cie Néerlandaise et directeur de l'usine à gaz de Carcassonne ; M. Huguet, appareilleur à Carcassonne. Malgré le devis avantageux de ce dernier, l'offre de M. Flander est retenue car la Cie Néerlandaise réalisera la canalisation extérieure de 400 mètres à ses frais.

    L'acquisition d'une horloge avec cloche en raison de l'éloignement de l'asile avec le centre de la ville est conclue de gré à gré - selon l'usage pratiqué dans les communes de l'Aude - avec le sieur Péghoux, horloger à Carcassonne. Celui-ci sera chargé de la maintenance pour une durée de dix ans.

    Afin d'honorer la mémoire du généreux bienfaiteur, un buste prendra place au milieu du vestibule. On demande à M. Malbret - photographe à Carcassonne - la reproduction d'un cliché de M. Bouttes-Gach. Il est question de rechercher un sculpteur parisien, puis de s'offrir les services de M. Godin, auteur des sculptures ornant le fronton du Palais de justice. En 1883, M. Injalbert de Béziers tient l'affaire.

    Le 12 janvier 1881, les élus du Conseil général se prononcent sur la construction d'une chapelle à l'intérieur de l'asile. Au sein de l'assemblée départementale, l'hostilité des libres-penseurs gagne à une voix de majorité contre ce projet. Ils indiquent que jamais M. Bouttes-Gach n'a évoqué cette résolution dans son testament, qu'il ne devait pas être si croyant pour s'être suicidé et que la création d'une chapelle catholique exclue de fait les mahométans et autres religions. L'économie réalisée sur ce poste de dépense permettra, selon eux, la création de lits supplémentaires. Les défenseurs de la chapelle fendent cet argument en mettant en avant les contradictions budgétaires, avec la création d'une maison du jardinier pour 18.000 francs.

    L'administration

    Les sept membres nommés par le Conseil général administrent l'asile. Leurs fonctions sont bénévoles et leur mandat renouvelé par cinquième chaque année. Ils sont rééligibles. Le 14 janvier 1885, M. Jean-Baptiste Progent - Officier d'administration des bureaux de l'intendance, en retraite - est nommé comme directeur. M. Antoine Lauze lui succédera en 1901. Le fonctionnement financier de l'asile est assuré par l'encaissement de 24 bons du trésor pour 240.000 francs et d'un nouvel achat de rente pour 711.000 francs placés à 5% sur l'état. 

    En 1886, l'asile accueille 40 pensionnaires. Les repas coûtent 1,40 francs par pensionnaire ou 400 francs par an. L'excédent de recette se monte à 3.800 francs. Il est observé que le tarif de 0,80 franc pour deux repas est bien faible pour proposer de la qualité. A moins que le jardin n'améliore l'ordinaire, les pensionnaires risquent fort de manger plus souvent des patates que de la viande.

    "C'est l'heure du déjeuner qui a lieu à 11 heures et demi. Nous avons vu défiler devant nous les pensionnaires au moment où ils se rendaient au réfectoire. Ils étaient tous convenablement vêtus et paraissent en général disposés à faire honneur au déjeuner, dont le menu était ainsi composé : soupe au jus, plat de haricots et figues sèches. Ce repas avait été précédé d'un premier déjeuner qui avait eu lieu à huit heures et demi et qui était composé d'une soupe au lait. Le dîner du soir comprenait un plat de pois au jambon et une salade. Telle était la carte de ce jour, et certes elle n'avait pas été dressée pour la circonstance. Les convives ont pris place autour d'une table reluisante de propreté. A côté du couvert chaque pensionnaire avait une large rondelle de pain blanc et frais dont la croûte dorée des plus appétissantes et une bouteille de vin de demi litre.

    Les dortoirs, vastes et aérés, présentaient une double rangée de lits parfaitement alignés et dont la régularité aurait plus au sergent de chambrée le plus exigeant. La lingerie, aux étagères bien garnies et pourvues de casiers numérotés, renferme les objets appartenant à chaque pensionnaire. La cuisine, les magasins pour conserver les provisions font plaisir à voir. Tout indique une surveillance méticuleuse de la part du directeur, un souci très réel de la conservation du matériel et du bien-être des pensionnaires.

    La vérité nous oblige à ajouter que ce n'est pas cependant des témoignages unanimes de satisfaction que l'on recueille de la part des habitants de l'Asile. Ils se plaignent, en général, de ce que la nourriture est moins bonne que les années précédentes. Les plats de viande qui ont été supprimés du programme sont regrettés par ceux qui ayant été habitués à un meilleur régime dans les premiers temps ne peuvent pas s'expliquer la diminution apportée à leur bien-être, ce qui prouve que le bonheur n'est pas de ce monde.

    (La Fraternité de l'Aude / 8 juillet 1887)"

    L'Asile au fil du temps

    En 1884, l'asile de Bouttes-Gach devient pour un temps une annexe de l'hôpital général de Carcassonne afin d'accueillir les malades touchés par le choléra. Ils y sont mis en quarantaine et soignés jusqu'à la fin de l'épidémie. Le 19 octobre 1906, M. Fondi de Niort signale la ruine prochaine de l'asile de Bouttes-Gach. Les réparations étant considérables, il propose de le supprimer et de donner les soins à domicile. On décide finalement de faire les réparations les plus urgentes. Le 23 avril 1909, on propose la transformation en partie de l'asile en une école professionnelle pour les pupilles de l'assistance publique.

    Guerre 14-18

    L'asile de Bouttes-Gach est aménagé en annexe de l'hôpital le 16 novembre 1915 pour les soldats contagieux, jusqu'au 29 septembre 1919. 277 soldats allemands y seront internés.

    Guerre 39-45 

    L'asile est transformé en caserne pour le GMR Minervois qui s'y installe le 16 novembre 1941. Après la création de la Milice Française à Carcassonne en 1943, ce sont les troupes de la Franc-garde agissant contre les maquis qui occupent Bouttes-Gach.

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    A La Libération, la Résistance prend possession des lieux avant que le 1er juillet 1945, la CRS 163 n'en fasse sa caserne.

    La fin de Bouttes-Gach

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    L'incendie de l'asile de Bouttes-Gach

    En 1976, un violent incendie détruit l'ancien asile de Bouttes-Gach. La CRS s'installe dans de nouveaux locaux, route de Narbonne. Le 15 septembre 1980, le département cède à la ville, suivant estimation des Domaines, un terrain de 1980 m2 sur lesquels se trouvent les anciens ateliers de l'ex-caserne de CRS. Dans ces bâtiments ont envisageait de loger le Foyer du Méridien. Finalement, les bâtiments ruinés seront rasés et on construira sur leur emplacement la résidence du Méridien. Aujourd'hui, on a oublié qu'un enfant abandonné aux portes de l'hospice en 1818 a ensuite légué une immense fortune pour le bien-être des vieillards les plus démunis. Plus rien sur ce site n'indique la mémoire de Lucien Bouttes-Gach, bienfaiteur du département de l'Aude.

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    © Google maps

    La résidence Méridien sur l'ancien asile Bouttes-Gach, en 2016

    Sources

    Cet article a nécessité deux jours de travail de recherche et de synthèse. Il a été rendu possible grâce à la consultation des délibérations du Conseil général de l'Aude entre 1875 et 1883, des journaux locaux, de l'état civil et du recensement sur le site en ligne des archives de l'Aude. C'est donc comme presqu'à chaque fois, un travail de fourmi auquel l'auteur s'est livré. Il vous est demandé - si vous deviez vous servir de ces informations - de le citer. Nous comptons sur l'honnêteté morale des lecteurs.

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