Aujourd'hui disparue, la fête de Saint-Nazaire - patron de la Cité - tombe le 28 juillet mais on tâchait de la faire coïncider avec le dernier dimanche du mois. Cet évènement réunissait uniquement tous les jeunes originaires de la Cité, à l'exclusion de tout autre groupe constitué. Quand certains d'entre-eux durent partir habiter des villages environnants, ils purent retrouver naturellement leur place au sein de la famille citadine lors de la préparation des fêtes de Saint-Nazaire.
Dans les années 60, les jeunes de la Cité se retrouvaient au café Blanc, dans la rue Cros-Mayrevieille, autour d'une partie de cartes ou de dés, en train d'échanger leurs convictions politiques, professionnelles ou sentimentales. La vieille forteresse avec ses huit cents habitants vivait avec l'esprit d'un village très fier de son identité, contrairement à la Ville-basse. Le café Blanc était devenu le quartier général de la jeunesse où se décidaient le samedi soir le programme du week-end. On y trouvait de fervents défenseurs du rugby à XIII, mais aussi à XV sans que cette rivalité sportive ne nuise à l'ambiance de camaraderie. C'est surtout à cet endroit que se préparaient - trois semaines avant - les festivités de la Cité.
Les préparatifs
L'argent étant le nerf de la guerre, la petite subvention municipale ne suffisait pas à organiser correctement les réjouissances. Alors, après avoir choisi un orchestre, un Tour de table se mettait en route dix jours avant le début des fêtes dans le but de récolter des fonds. Pour ceux qui ignorent ce qu'est un Tour de table, il s'agit de passer dans toutes des maisons au moment du repas afin de proposer un morceau de musique. Le propriétaire est libre de demander ce qu'il veut aux musiciens, qui très souvent jouent d'oreille la partition souhaitée. Il est arrivé à cette époque que l'on entende La Marseillaise ou l'Internationale.
Les réunions se tenaient au Pré-haut, situé à la Porte Narbonnaise devant le pont levis. C'est là que se faisaient les préparatifs concernant la décoration, le déguisement et la sortie de l'âne. De Ladern-sur-Lauquet, on ramenait des rameaux de buis pour orner le podium de l'orchestre éclairé grâce aux soins des services municipaux. L'âne servait au "Tour de l'âne" sur lequel prendrait place le dernier marié de l'année, auquel on ferait faire le tour de la Cité selon un rituel bien défini.
Les repas familiaux
Comme pour toute fête de village, on recevait de la famille. Les femmes préparaient alors des plats traditionnels à cette fête : Pour midi, des escargots ; pour le soir, un cassoulet de haricots roux accompagnés d'un canard.
"Dès le matin, les maîtresses de maison lavaient les escargots ramassés un ou deux mois avant et qui avaient jeûné depuis ; on leur donnait de temps en temps un peu de farine et du thym pour les parfumer. Le travail de lavage, assez long, consiste à malaxer à grandes poignées les escargots dans les marmites remplies d'eau et de vinaigre pour nettoyer les coquilles et faire baver les animaux. Cette opération avait lieu dans la rue pour faciliter les nombreux rinçages. Ces préliminaires culinaires réunissant les familles bavardes sur les pas de portes, constituaient déjà une partie de la fête. On préparait ensuite une sauce au safran qui devait imprégner toutes les coquilles, on entendait dire : "Cado cagarol deus beure un cop" (chaque escargot doit boire un coup), chacun devait emporter une quantité de sauce, mais par extension on pouvait comprendre qu'il fallait boire un coup après chaque escargot. Il est vrai, le vin et la nourriture tiennent une place importante dans la fête et pour caractériser l'aspect physique coloré des gros buveurs, on disait : "Las restas son rojas" (Les crêtes sont rouges).
(Jacques Khoudir / Travail de maîtrise)
Le début de la fête
Au milieu de l'après-midi, on voit arriver autour de l'âne et au centre des badauds, les visages grimés à l'aide d'un bouchon noirci à la flamme des festejaïres (fêtards). "Soun pla poulits" (Ils sont bien beaux), avec leurs chemises blanches dépareillées - les hommes en femme et les femmes en homme - avec un bonnet sur la tête. Il n'est pas rare d'en voir un avec une culotte de grand-mère. Les meneurs guident la danse et impulsent le rythme. En 1974, l'affaire suspecte de la mort du cardinal Daniélou chez une prostituée donne des idées à l'un d'entre-eux :
" Pour parodier l'affaire, il en prit les apparences et fut escorté par un groupe de jeunes habillés en moines, distribuant aux badauds des rondelles de tomates, en forme d'osties et fortement poivrées, bénissant le public en l'aspergeant à grands coups de goupillon trempé dans un seau hygiénique. Le simulacre de communion et de cérémonie religieuse avait un caractère sexuel marqué d'abord avec les aliments épicés pour solliciter le désir et puis par le besoin de salir au moyen d'aspersions d'immondices symboliquement représentées par le seau hygiénique ; cette cérémonie, répétée tout au long du parcours, interprétait d'une façon satirique et subversive l'actualité."
Le centre de ce groupe déguisé est animé par un âne, sur lequel a pris place le dernier marié de l'année. Affublé d'un costume de cérémonie avec un chapeau haut de forme, il tient une perche au bout de laquelle est fixée une paire de cornes d'où pendent des fruits et légumes : un paire de citrons, des oignons et une aubergine. Cette dernière est appelée dans l'Occitan populaire "Viet d'ase" (Vit d'âne). La virilité se rappelle qu'elle n'est pas à l'abri des épreuves maritales représentées par les cornes du cocu. Il se peut que la femme monte sur l'âne, mais elle sera positionnée tournant le dos au mari en regardant la queue de l'animal.
© Paola Bourrel
Tour de l'âne à la Barbacane
"Autrefois, avant la mise en route de ce défilé, les hommes mariés exécutaient une danse particulière, dite des "gabels" (des sarments). Ils avaient confectionné des petits fagots et poussaient l'âne vers la piste de danse du pré-haut. Les enfants qui les précédaient criaient alors : "Aïci los gabels ! Aïci los gabels !" (voici les sarments). C'était un avertissement aux danseurs. Les hommes mariés poursuivaient les jeunes gens et les frappaient de leurs sarments, la place nette, la musique prenait un air à l'usage exclusif des mariés. Les jeunes essayaient de s'introduire clandestinement, mais certains, qui ne dansaient pas faisaient bonne garde, chassant impitoyablement les intrus, on appelait cela la "scena dels labels" (la scène des sarments). Après quoi on formait le cortège.
Le cortège
L'itinéraire allait dans le sens inverse des aiguilles d'une montre : Pré-haut, rue Cros-Mayrevieille, Grand puits, Basilique Saint-Nazaire, rue du plô, école, petit puits, place Marcou, Château comtal, place Marcou. Sur le parcours, dans le public les touristes sont les victimes... Dans la langue occitane, on les interpelle tout en les arrosant d'eau avec un atomiseur agricole.
"Une fois un jeune avait fait pourrir un camembert et en offrait à des Américains, qui, devant ce geste généreux et fraternel, se croyaient obligés de paraître enchantés."
A la basilique St-Nazaire, des jeunes montèrent sur le toit et déversèrent de l'eau dans les gargouilles pour surprendre les touristes. A l'école, on faisait une pause pour se rafraîchir alors que place Marcou, une farandole s'organisait. Toute les trois mesures, on s'accroupissait en remontant verticalement plusieurs fois en chantant :
Jules est Hercule
Sébastien musicien
Papa somnambule
Maman ne fait rien...
Une fois le Tour de l'âne terminé, le bal débutait au pré-haut et se terminait par un Buffoli.
Nous avons rédigé cet article grâce à un travail de maîtrise de 1975 réalisé par Jacques Khoudir sur le carnaval de Carcassonne. Il important de lire sa conclusion ci-dessous...
"On peut se demander si cette fête, qui a conservé fidèlement la tradition, a de l'avenir. Son élément moteur est la jeunesse, or actuellement la population de la Cité diminue et vieillit. On compte huit cents habitants et une moyenne d'âge de cinquante ans. Bien des citadins reviennent animer la fête, mais lorsqu'il n'y aura plus leur famille ni le moyen de copains qui vivent dans la Cité, ce sera fini. D'autre part, il existe un mouvement, amorcé depuis peu, de changement de population : des étrangers à la ville achètent de plus en plus de maisons à l'intérieur de la Cité, ils ne l'habitent que très peu de temps dans l'année et menacent la mentalité citadine de plus en plus minoritaire. Ce phénomène d'immixtion d'étrangers dans le Languedoc, que l'on rencontre dans les Corbières où s'ouvrent énormément de résidences secondaires pendant deux mois d'été, accélère la récession de l'originalité ethnique de notre communauté tout en étant le signe d'alarme de la mort d'une région.
La relève à long terme pour la fête de la Cité apparaît comme mal assurée, déjà certaines activités festives isolées et permanentes s'estompent. Les "tustets" deviennent rares ou très mal acceptés par les victimes qui ne jouent plus leur rôle, seuls les jeunes de huit à douze ans pratiquent ces farces de temps en temps., mais seront-ils encore dans la Cité lorsqu'ils devront organiser la fête ? Verrons-nous peut-être alors une animation mercantile organisée par les commerçants et la municipalité recomposant le folklore pour touristes ? Cela est fort possible, mais pour le moment la fête de la Cité vit."
Le Tour de l'âne est mort
Jacques Khoudir avait vu juste en 1975. En 2012, l'association "Los ciutadins" par la voix d'Antoine Espanol annonce la fin du Tour de l'âne :
"Le 6 septembre 2011, Serge Doumerg est mort subitement. Nous étions sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Traumatisé par cette disparition, on n'a pas fait le tour de l'âne l'an dernier. C'était le début de la fin. Nous sommes une association vieillissante et la Cité n'a plus rien à voir avec le village d'autrefois. Il est de plus en plus difficile de faire quelque chose à la Cité sans gêner les terrasses. Il y avait sans doute autre chose à en faire qu'un centre commercial mais on ne refait pas l'histoire…"
© La dépêche
Antoine Espanol poursuit la mémoire de cette fête si particulière à travers son blog, riche en anecdotes et en photographies. Je vous conseille d'y jeter un oeil
http://losciutadins.blogspot.fr
Source
Le carnaval de Carcassonne / J. Khoudir / 1975
_________________________
© Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2016
Commentaires
Bien dommage qu'une telle fête ait disparu.
Que serait-ce, aujourd'hui, en plein milieu du Festival et des touristes de l'été ?
Merci Martial.
Anton
Pour être plus précis, il ne faut pas oublier Titi et Eugène Pueyo.....
Ils étaient rue du Plo, les dépositaires des outils du tour de l'âne !!!!!