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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 70

  • Inédit ! Carcassonne en 1880, comme vous ne l'avez jamais vue !

    Lorsque Léopold Petit, tout fraîchement sorti de l’Ecole des Beaux-arts de Paris, arrive à Carcassonne en 1868, il nourrit l’ambition de redessiner cette ville à l’image de ce que Napoléon III a entrepris dans la capitale. Le nouvel architecte de la ville, à qui l’on reprochera - pour justifier son discrédit - de n’être pas né  ici, a la ferme intention de tout démolir pour reconstruire. Toutes ces maisons lui paraissent affreuses ;  ces rues étroites, étriquées et sans caractère enfermées  à l’intérieur des vestiges des remparts médiévaux, nuisent à l’embellissement et au développement économique. Tout au long de son exercice municipal, c’est-à-dire jusqu’en 1875 et même au-delà puisque l’architecte sera adjoint au maire, Léopold Petit se heurta aux conservatismes . En 1897, il déclara lors qu’il souhaite élargir la rue de la gare : « Si on y va timidement, que l’on se contente de dire nous sommes pauvres, la ville de Carcassonne sera toujours dans sa vieille routine, on y vivra comme des escargots. Notre chance est absolument nulle et rien ne se fera à Carcassonne étant donné l’état des esprits, ne se contentant qu’à des demies mesures et jamais à des travaux franchement élaborés. »

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    La promenade Saint-Michel (Bd Barbès)

    Le plan d’alignement, ancêtre du Plan Local d’Urbanisme actuel, est dessiné en 1869 par le voyer-municipal Cayrol. Il définit pour la première fois et pour les décennies à venir, une vision urbanistique de la ville. Toutefois, Léopold Petit regrette qu’aucune disposition n’ait été prévue pour élargissement de la rue de la gare. Les alignements de 2 ou 4 mètres sont ridicules, quand il faudrait faire de cette artère une vaste avenue telle qu’on la voit à Toulouse, par exemple. Tout son projet urbain s’articule autour de cette rue, appelée de ses voeux à devenir les Champs-Elysées de Carcassonne. 

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    Le Jardin des plantes (actuel square Chénier) fut d’abord un terrain vague n’appartenant à presque personne mis à part ceux qui y aillaient cueillir les fèves nécessaires à l’Artichaut. Ce dernier étant autrefois un quartier autour de l’église Saint-Vincent. Cette pratique disparut après l’édification de l’école laïque du Bastion ; elle était si enracinée qu’elle donna le nom à la porte qui fermait encore la rue Tomey en 1820, voisine du quartier de l’Artichaut. On l’appelait alors « lé pourtal dé pano fabos ». C’était un quartier infect, sordide, mal famé, dangereux même malgré le voisinage de la gendarmerie casernée dans l’immeuble de l’actuel ancien café continental de Pavanetto. Ce quartier n’était peuplé la nuit que de gens de mauvaise vie qui disparurent lorsqu’on installa le réverbère municipal en 1825. Les édiles d’alors acquirent le champ aux fèves, alignèrent les allées, érigèrent des vasques et portèrent en triomphe sur un piédestal de granit, la colonne de marbre incarnat oubliée chez un carrier de Caunes-Minervois, pour le Trianon du château de Versailles.

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    La villa du Tivoli, bd Omer Sarraut

    Entraînée par l’essor de la viticulture audoise, la ville de Carcassonne entreprend sa mue architecturale à partir de la fin des années 1870. Une grande compagnie financière attirée par sa prospérité se propose d’étudier les projets de réfection de la rue des Carmes (actuelle piétonne). Elle a semble t-il compris, dit-on, que cette rue avait plus d’avenir encore que la rue Alsace-Lorraine à Toulouse. Pour se faire, la compagnie en visite à Carcassonne a posé les premiers jalons d’une voie large et grandiose, commençant à la gare et finissant au Portail des Jacobins. Au Jardin des plantes (square Chénier), elle souhaite acquérir les deux premières allées pour y construire un magnifique boulevard en vis-à-vis de la nouvelle école du Bastion. Imaginez donc, une espèce de boulevard de Rivoli sur l’actuel Tivoli (Bd Omer Sarraut) s’étendant jusqu’à la rue Antoine Marty avec à son extrémité un quai d’embarquement sur l’Aude, à l’endroit de l’actuel Pont de l’Avenir. Tout ceci décoré de beaux et riches immeubles de style hausmannien.

    La rue de la gare élargie autant qu'une avenue, aurait en perspective d’un bout à l’autre, la gare et les Jacobins. Léopold Petit souhaite que la statue de Barbès qui est en cours de réalisation avec son piédestal de granit, soit posée face au Portal des Jacobins ; là, où se trouve actuellement la fontaine. Sur la manutention militaire où l’on érigera l’Hôtel des Postes en 1906, l’architecte municipal a dessiné le projet d’une place de la Bourse avec une galerie s’étendant depuis la place Carnot jusqu’à boulevard Jean Jaurès. Sur l’actuelle école J. Jaurès, un nouveau théâtre municipal. Ainsi, en sortant du spectacle on aurait en perspective la fontaine de Neptune, place Carnot. Hélas ou tant mieux, selon que vous en jugerez, il n’y eut point d’élargissement de la rue des Carmes. La compagnie financière se désintéressa de Carcassonne, échaudée par le manque de volonté à voir ses projets aboutir et l’état d’esprit général.

    Malgré tout, l’initiative privée viendra au secours d’une ville exsangue, mal gérée par des conseils municipaux passant leur temps à se déchirer plutôt qu’à œuvrer. Cet article de 1881 paru dans un journal local et que nous retranscrivons, met en avant les transformations de Carcassonne obtenues grâce l’eldorado viticole. 

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    Immeuble Fabre, réalisé par l'architecte Bertrand

    "Je vois partout des magasins somptueux, d’élégantes vitrines, des trottoirs commodes, l’architecture court les rues. Les masures deviennent des maisons, les maisons des palais et les anciennes demeures aristocratiques, la propriété cardinalesque des tailleurs et des marchands de grains. Les habitants eux-mêmes ont fait peau neuve et ne jouissent plus de cet air piteux et pauvre qui donnait froid dans le dos ; les hommes sont très bien et les femmes encore mieux ; on va se faire coiffer chez Mignot et tailler des vestes par Belloc.

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    Immeuble Bastide, conçu en 1877 par Marius Esparseil

    Sur les boulevards quantité de millionnaires ou à peu près ; autant de promeneuses cherchant à le devenir ; on compte cinquante cafés, un Alhambra, deux casernes, l’Alcazar et Sainte-Cécile, les Folies-Carcassonnaises, un casino et water-closets.

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    Façade avec ses cariatides réalisée par L. Petit, Bd Jean Jaurès

    Dans l’intérieur de la ville, l’affreuse boutique a disparu, vous rencontrez des jalousies, des balcons, des rotondes, des voltes et des archivoltes, le chapiteau grec et la colonne corinthienne ; puis des objets d’art et de consommation inconnus jusqu’alors, des vases, des statues, des tableaux, des lithographies, des médailles et monnaies antiques, la porcelaine de Chine, le santal du Japon, du pain d’épice et des huitres.

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    Immeuble Combéléran (1885) par l'architecte Marius Esparseil

    Les hôtels regorgent, la monnaie ruisselle, les primeurs s’enlèvent, les pâtissiers ne dorment plus et les bouchers sont sur les dents. Ah ! Bourgeois de 1830, toi qui n’avait que le couvert pour tout potage et le gloria chez Polycarpe pour distraction, que dis-tu des bazars, des caravansérails, des maisons éventrées, des remparts démolis, des rues ouvertes, des halles construites, des journaux, des kiosques et de la portion en plein vent ? L’âge d’or n’est plus un mythe, tu l’as, il a pris naissance sous une feuille de vigne et domicile au Comptoir d’Escompte. 

    Les cafés pouvaient -ils rester en arrière du progrès ? Les cafés qui sont aujourd’hui, la Maison, l’Eglise et la Bourse ont dû faire du luxe par raison. Depuis Marsal qui commença la danse et que suivirent avec entrain Delpon et Bec, cinquante café se sont mis à la queue-leu-leu rivalisant de fioritures et d’ornementations. Mais pour construire convenablement ces cafés et créer des espaces, il a fallu souvent faire des tours de forces d’architecture dont seuls étaient capables l’argent et la science.

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    Le Café Rieux, actuellement La brasserie 4 temps (Portail des Jacobins)

    Le plus fort des tours est celui que vient d’exécuter à la force du poignet, Rieux successeur de Bec. Ce café, primitivement, possédait deux salles, plus un restaurant séparés par des escaliers immondes et une cour infecte. Aujourd’hui, ces trois salles sont réunies en quelque sorte, réunies par un escalier très élégant et un hardi percement du mur qui fait le plus bonheur à l’ouvrier qui l’a entrepris. C’est admirable comme perspective et comme goût ; aussi les consommateurs abondent-ils chez Rieux, et y trouvent ce qui peut plaire à une clientèle oisive, une terrasse ombragée, des glaces à se sucer les doigts et un billard dirigé par Vignaux n°2. Le restaurant, lui, n’a pas besoin d’éloges, car il a fait ses preuves depuis longtemps.

    Faire un pareil déjeuner à Carcassonne, lire quatre journaux du crû, boire de l’eau à la Cité, compter les maisons et les fortunes nouvelles, rencontrer des gens qui changent la fuchsine en vin de Bordeaux, la vieille bourre en drap de Sedan, l’amidon en lait de vache et les canards en nouvelles ; voir ma ville fringante et animée, assister à la résurrection de mon pauvre Lazare, qui fait la belle jambe, joue au bésigue, reste fidèle à son député, crée des écoles, fonde des hospices, construit des hôpitaux, et enfin s’enrichit avec l’impôt sur les alouettes, me donne le droit de restait stupéfait et de dire que Carcassonne est une ville remplie de miracles."

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    Immeuble Fafeur, square Gambetta

    Durant cette grande période de progrès technique, de prospérité économique à Carcassonne, la ville pouvait envisager de grandes transformations urbaines. Elle ne le fit qu’à la marge grâce essentiellement à l’initiative privée de quelques propriétaires fortunés, disposés à faire bâtir de beaux immeubles. On considéra avec peu de sérieux les projets, jugés grandiloquents, de l’architecte Petit taxé de parisianisme. Les municipalités républicaines qu’il ne faut pas blâmer, préférèrent dépenser l’argent communal à des œuvres sociales jugées comme plus utiles. La sauvegarde du patrimoine et l’urbanisme ne les ont pas beaucoup concernés. Ceci malgré des caisses municipales toujours en déficit, où la politique idéologique prima sur le développement économique. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les constructions nouvelles se firent à la marge sans réelle harmonisation urbaine. A la tête du client, la ville permit à l’un ce quelle défendit à l’autre…

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    Maison Olivet, place Carnot (1886)

    Afin d’élargir, il fallait forcer le propriétaire à se mettre à l’alignement et donc céder une partie du terrain à la commune. Les accords sur le prix accordé au m2 se disputèrent devant les tribunaux avec des procédures à long terme. A titre d’exemple, l’obligation de recul et l’alignement des nouvelles constructions sur le côté Est de la place Carnot mettront trente ans. Tracez donc une ligne droite depuis le bord de la Société générale jusqu’à la Rotonde et voyez tout ce qu’il fallait faire reculer pour obtenir l’élargissement de la rue. Faites la même chose à partir de la base de Monoprix.

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    Exemple inharmonieux d'alignement dans la rue Clémenceau

    Entre 1919 et 1939, la municipalité Tomey souhaita faire appliquer cet élargissement dans le cadre de son plan d’embellissement ; elle dut se résoudre à l’abandonner malgré quelques résultats. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous nous trouvons dans cette rue avec des immeubles alignés et d’autres reculés. Qui sait ce que serait aujourd’hui notre ville si l’on avait écouté un certain Léopold Petit…

    Sources

    Le bon sens, Le courrier de l'Aude, la Fraternité, Le rappel de l'Aude

    Délibérations du conseil municipal

    Photos et collection

    Martial Andrieu

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  • Inédit ! L'ancienne Banque Commerciale de l'Aude, 31 rue Victor Hugo

    Lorsque l’on se promène à l’intérieur de la Bastide Saint-Louis, on peut être saisi par le nombre de très beaux immeubles aux volets clos. Nous avons souhaité nous intéresser au n°31 de la rue Victor Hugo faisant angle avec la rue Jules Sauzède. Au-dessus de l’imposte de la porte d’entrée figurent encore en lettres gravées : Banque Commerciale de l’Aude. À partir de cet indice, nous avons tenté de redonner vie à cet lieu, aujourd’hui à l’abandon. 

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    Né à Perpignan en 1810, Prosper Montès vient enseigner au Collège de Carcassonne les mathématiques spéciales. En 1838, il se marie avec Marie Loubet qui donnera naissance trois ans plus tard à un fils ; celui-ci deviendra juge au tribunal de Céret. Prosper Montès quitte ensuite le collège et crée une Institution d’enseignement privé au 31, rue du Grand Séminaire. Il s’illustre également comme l’un des fondateurs de la Société des Arts des Sciences de Carcassonne. Cet homme, éprouvé par la perte prématurée de son fils unique, va dès lors laisser l’enseignement et se lancer dans une carrière de banquier. L’Institution Montès est cédée à M. Chosset et l’ancien professeur s’associe avec MM. Raymond Sarraute (négociant) et Charles Louche (banquier) pour former une société d’Escompte et de recouvrement des effets de commerce. Une partie des locaux du numéro 31 est partagée entre l’Institution Chosset et la nouvelle banque. Le 15 novembre 1883, les trois associés se déplacent au 77, Grand rue (rue de Verdun).

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    Le décès le 2 janvier 1890 de Raymond Sarraute oblige les Prosper Montès et Charles Louche à réorganiser la direction de la banque. Désormais la Société Montès et Charles Louche et Cie au capital d’un million 200 000 francs prend le nom de Banque Commerciale de l’Aude pour une durée de dix ans, du 1er juillet 1890 au 31 décembre 1900. Parmi les membres du conseil de surveillance on retrouve de grands négociants et hommes d’affaires Carcassonnais : MM. Louis Bertrand, Pierre Castel, Armand Cavaillès, Edouard Cuin, Léon Delpon, Philippe Magné, Henri Pullès, Charles Ramel et Emile Roumens. Les bureaux reviennent au 31, rue Victor Hugo.

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    Trois ans plus tard, c’est Charles Louche qui, le 13 mars 1893, est emporté par la maladie. Prosper Montès, l’unique fondateur, s’entoure alors de Robert Saurel et de Paul Coste, employés de banque. Un changement qui ne dure pas puisque Prosper Montès s’éteint le 4 juillet 1894 à l’âge de 84 ans. Le 17 juillet 1894, la Banque Commerciale de l’Aude devient Saurel, Coste et Cie suite à un acte de sous seing privé dressé par Maître Bausil, notaire à Carcassonne. L’immeuble de Prosper Montès affermé à la Banque Commerciale de l’Aude jusqu’en 1900 pour 4500 francs annuel est mis alors en vente par ses héritiers. Robert Saurel, son épouse Marie Salvaire et son fils Raymond s’y installent. C’est ce dernier qui reprend les affaires à la mort de son père avec un nouvel associé M. Labrousse puis avec M. Sibra. La Banque commerciale de l’Aude et Banque du Roussillon réunis possèdent des bureaux à Castelnaudary, Limoux et Sigean et deux succursales : la banque Cazaban et Cie à Carcassonne et la banque Joreau et Cie à Narbonne. Ses principes activités résident dans le prêt accordé aux viticulteurs.

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    Agence de la CACB à Orleansville (Algérie)  en 1959

    En 1959, La Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque (CACB), fondée en 1948, rachète plusieurs établissements dont la Banque Commerciale de l’Aude et Banque du Roussilon réunis. L’absorption de l’établissement Carcassonnais signe la fin de l’indépendance de la Banque Commerciale de l’Aude fondée en 1890. Il ne reste que plus que le titre sur l’immeuble du 31, rue Victor Hugo et certainement quelques souvenirs dans la mémoire de nos lecteurs.

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  • L'inauguration du Canal des deux mers dans Carcassonne, le 31 mai 1810

    M. De Basville, intendant de la province de Languedoc, après avoir parlé dans on mémoire du 31 décembre 1698, de la perfection de l’œuvre de l’immortel Riquet de Caraman, ajoutait : « Comme il est impossible de ne pas manquer dans de si grandes entreprises, on remarque dans celle-ci une faute essentielle, c’est de n’avoir pas fait passer le Canal dans les fossés de Carcassonne, n’en étant éloigné que d’un quart de lieue. L’utilité du commerce demandait qu’il fut près de cette ville. »

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    Cette faute lourde n’était pas imputable à Riquet. Lorsqu’il conclut la pensée du canal, il proposa aux habitants de Carcassonne de le faire passer auprès de leur ville, à condition qu’ils contribueraient pour une certaine sommes aux frais de l’entreprise. Il s’agissait d’une indemnité de 100 000 francs, qui n’eût été qu’un sacrifice momentané, parce que les administrateurs de cette ville auraient pu solliciter et obtenir du roi la permission de percevoir pendant cinq ans un droit de subvention. Mais ceux qui savent combien l’exécution des grands projets particuliers en opposition avec l’intérêt général, ne seront pas surpris que la ville de Carcassonne ait alors rejeté une proposition aussi avantageuse pour son commerce… Elle sentit plus tard tout l’imprudence d’un pareil refus ; et lorsque les Etats du Languedoc s’occupèrent d’un plan pour remédier aux ensablements périodiques du Canal par la rivière du Fresquel, les habitants de Carcassonne représentèrent, en 1777, que la construction d’un pont-aqueduc nécessitant le tracé d’une nouvelle branche, on pourrait la diriger de manière rapproché de la ville. Ils offrirent d’ailleurs de contribuer aux dépenses d’une entreprise qui devait les faire participer à des avantages qu’on avaient dédaignés dans l’origine. Leur demande fut favorablement accueillie par les Etats, qui, après une étude approfondie, arrêtèrent en 1786 le projet définitif. Les ouvrages furent commencés la même année ; la Révolution vint les interrompre.

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    Le Pont d'Iéna

    La nouvelle branche du Canal des deux mers qui a 7064 mètres de longueur et qu’on appelle Canal de Carcassonne, passe sous les murs de la ville. Elle est à peu près divisée en deux parties égales, par le bassin et l’écluse de Carcassonne. La première de ces parties comprise entre le bassin et l’écluse de Foucaud, forme une seule retenue d’environ 3000 mètres. Le bassin ou port a 11 mètres de longueur et 48 de largeur et présente un parallélogramme arrondi par les angles. A l’extrémité aval est une écluse à sas elliptique sur laquelle est construit le port de Marengo, faisant partie de la route du MInervois. Il y a en outre sur cette retenue, un ponceau-aqueduc destiné à faire passer sous le Canal les eaux du ruisseau l’Arnouse ; un pont à plein cintre d’une grande hardiesse, ayant 17,12 mètres de hauteur depuis la base du Canal jusqu’à la clé (Pont d’Iéna) ; un autre pont qui a 12 mètres d’ouverture et 7,36 mètres de hauteur (Pont de la Paix). La deuxième partie du Canal forme deux retenues, l’une entre l’écluse de la ville et celle de Saint-Jean, l’autre entre cette dernière et le pont du Fresquel, situé à l’extrémité de la nouvelle direction du canal. Il existe deux petits ponts-aqueducs sur la première retenue, un seul pont destiné au service de l’agriculture a été construit sur la seconde ; il est lié aux bajoyers de l’écluse de Saint-Jean.

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    Le plus magnifique des ponts-aqueducs est celui du Fresquel. Il est situé à 2800 mètres, Nord-Est, de la ville de Carcassonne. Ce pont a trois grandes arches sous lesquelles passe la rivière. Les eaux du Fresquel se mêlaient autrement à celles du canal, au grand détriment de la navigation et du commerce. Chargées en effet, à la moindre crue, de sable et de limon, elles formaient dans le lit du Canal des atterrissements considérables qui interceptaient la navigation, quelquefois pendant un mois entier. On était forcé de mettre la retenue à sec et d’enlever les bancs de sable à force de bras, à des prix d’autant plus élevés que ces accidents arrivaient presque toujours à l’époque des travaux agricoles. Pour éviter ces désordres, le seul parti à prendre était de relever le niveau du Canal, en profitant des chutes supérieures jusque’à un point déterminé, et d’en faire passer les eaux sur un pont-aqueduc construit sur la rivière. C’est ce projet que les Etats du Languedoc avaient adopté le 9 février 1786, et dont les tourmentes politiques suspendirent l’exécution. Repris en l’An VI, un fonds annuel de 200 000 francs, à prendre sur les revenus du Canal, fut affecté jusque’à l’entier achèvement des travaux. La première pierre du pont ne fut néanmoins posée que le 26 prairial an X (12 juin 1802) ; il fut complètement terminé huit ans après. Cet ouvrage se fait remarquer par son élégance et sa solidité ; un entablement régulier dont la corniche est composée de consoles portant triglyphes, le couronne. Sur le côté méridional passe le Canal avec le chemin de halage, le jôtédu nord supporte la route nationale de Castres à Carcassonne, sous les arches, le Fresquel roule ses flots capricieux. Tous les ouvrages nécessités par le redressement du canal ont coûté 2 millions 5570,86 francs. Le pont-aqueduc y compris ses écluses et quelques ouvrages accessoires entre dans cette dépense pour 613 998,19 francs. Les sommes employées antérieurement à l’An VI, ne peuvent être précisées avec exactitude ; on les évalue à 400 000 francs.

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    Pont-aqueduc du Fresquel

    Le baron Trouvé, alors préfet de l’Aude, hâta le moment où le Canal vint passer sous les murs de la ville. Aussi à peine eût-il reçu le rapport qui lui annonçait l’achèvement des ouvrages, qu’il s’empressa de porter cette nouvelle à la connaissance du maire : « Vous jugerez sans doute, lui écrivait-il le 7 mai 1810, qu’une époque aussi intéressante mérite d’être célébrée avec toute la solennité des sacrifices qu’a faits les gouvernement pour le seul intérêt de vos concitoyens, et l’espoir bien fondé d’une grande amélioration dans leur commerce. »

    Le conseil municipal s’étant réuni le 12 mai, arrêta le programme de la fête, qui fut fixée au 31 du même mois. Pour en offrir un récit aussi exact que possible, nous avons le texte de M. Daniel, secrétaire général de la Préfecture de cette époque :

    Le 25 mai 1810, tous les travaux nécessaires pour assurer la nouvelle navigation furent terminés. Dès le 26 une foule immense de citoyens se porta à l’écluse pour assister à l’introduction des eaux dans leur nouveau lit, dont le préfet devait donner le signal. Ce magistrat, accompagné de son secrétaire général et assisté du maire de Carcassonne, se rendit, à six heures du soir, au moins de contact du grand Canal et de celui qui devait en changer la direction. Une rigole latérale, au milieu de laquelle était placé un châssis à deux vannes, avait été établie pour régler l’introduction des eaux. L’ingénieur ordinaire et des entrepreneurs, reçut le préfet et le conduisit à la rigole. A 7 heures, le premier magistrat du département ouvrit le cadenas qui fixait les chaînes des vannes, et tout aussitôt une immense acclamation saluait l’entrée des eaux dans le Canal des deux mers dans le Canal de Carcassonne. Le lendemain, dès la pointe du jour, tous les habitants de la ville se pressaient sur les bords du Canal et du bassin, émerveillés de cette admirable métamorphose, et ne pouvant s’arracher à un spectacle qui devait leur plaire à tant de titres.

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    L'épanchoir de Foucaud

    Le 31 mai, jour fixé pour l’inauguration solennelle, commença tristement. La pluie, qui n’avait cessé de tomber pendant les trois jours qui vient précédé, durait encore à quatre heures du matin ; le ciel mit pourtant fin à ses rigueurs, et comme s’il eût voulu prendre aussi sa part de la fête, notre soleil du midi brilla quelques heures après de tout son éclat ; aussi, vit-on accourir en groupe nombreux les habitants des communes voisines ; de Carcassonne à Foucaud, une immense multitude couvrait la route ; c’était la population en masse, la garnison au bruit éclatant des fanfares, qui se rendaient à la fête.

    Au-dessus de l’écluse de Foucaud, dix bateaux ornés de guirlandes et de draperies, suivi de plusieurs barques marchandes dont on apercevait au loin les mâts pavoisés, stationnaient sur le Canal, n’attendant que le signal du départ. La compagnie des grenadiers et cette des chasseurs, de la garde nationale, formaient deux lignes prolongées sur les bords du nouveau lit ; elles étaient précédées par 30 hommes d’élite de la compagnie de réserve, commandés par le lieutenant Durmer, et par un nombreux détachement de la gendarmerie impériale, sous les ordres du lieutenant Rivenq. Sur la rive voisine du bateau-amiral, on remarquait l’escadron de la garde nationale à cheval, commandé par M. Raymond Rivals-Gincla, receveur-général du département ; les autres officiers : MM. Sicre, Degrand, Joseph Rolland, Darles.

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    Au premier range des fonctionnaires en costume, on remarquait : MM. Claude-Joseph Trouvé, préfet de l’Aude ; Daniel, secrétaire général ; Etienne Albarel, président de la cour de justice criminelle ; Arnaud-Ferdinand de Laporte, baron de l’Empire, évêque du diocèse ; Lacaux et Lamarre, chanoines ; Florainville, colonel de la 10e légion de gendarmerie impériale ; Raymond Rolland, président du tribunal civil ; Darles, président du tribunal de commerce ; Georges Degrand, maire de Carcassonne. Les ingénieurs du Canal : MM. Clausade, Pin, Maguès, Lespinasse.

    A 10 heures sonnâtes, une salve d’artillerie annonça le commencement de la fête. La première cérémonie fut la bénédiction des eaux du Canal par Mgr de Laporte, revêtu de l’étole pastorale ; après cette consécration de l’Ouvre à laquelle il avait pris une si grande part, M. L’ingénieur en chef Georgest, prononça un discours, où furent éloquemment énumérés les efforts qu’avaient coûté l’entreprise et les avantages qu’en devait retirer la ville.

    Dès qu’il eût cessé de parler, la flottille précédée par le bateau qui portait le corps de musique, se mit en marche vers la ville ; les chevaux qui la trainaient étaient comme leurs conducteurs, parés de rubans et de lauriers ; la foule entassée sur les deux rives les accompagne et arrive avec eux à l’entrée du port. Là, le spectacle le plus magnifique vient frapper tous les yeux.

    Du côté de la ville, sur un amphithéâtre orné de guirlandes, de trophées et d’emblèmes, on distingue tout le beau sexe Carcassonnais ; les remparts et le bastion voisins sont couverts de spectateurs, les élèves du Grand séminaire assistent à la fête sur la plateforme de la tour de Saint-Vincent. Du côté Nord, la colline de Gougens offre un amphithéâtre naturel, où sont entassés de milliers de curieux. On voit au centre une chapelle élégamment décorée, entourée par la compagnie à cheval, les grenadiers et les chasseurs ; le reste des troupes borde les deux rives.

    A peine le bateau-amiral eût-il paru à l’entrée du port, qu’un immense cri de Vive l’Empereur ! s’élança de toutes ces poitrines. A cette acclamation succédèrent les salves d’artillerie et les fanfares de la musique, dirigée par M. Escudier aîné. A la vue de l’évêque quittant le bateau pour se rendre au milieu du clergé, dans la chapelle que nous avons décrite, le plus profond silence s’établit et la messe fut célébrée par M. L’abbé Pinel, succursaliste de Saint-Vincent. Immédiatement après, le prélat, s’approchant du port en bénit les eaux, puis se tournant vers cette immense multitude inclinée devant lui, il pria le ciel de répandre sur elle tout ses bénédictions. La flotille toujours suivie par la population se rendit ensuite au pont aqueduc du Fresquel. Ce monument était pavoisé de drapeaux aux armes de France et d’Autriche : on y lisait cette inscription par le Préfet : « L’hymen unit deux empires. Le commerce lie tous les peuples. »

    Il y eut le soir danses publiques, jeu du mât graissé, dont la nouveauté excita dans la population la joie la plus bruyante. A 5 heures, une table de 80 couverts réunissait dans la belle salle de l’Hôtel de ville, les principales autorités, M. De Cambon, descendant de Riquet et les cinq militaires qui avaient été mariés et dotés le mois précédent par la munificence de Napoléon. Le préfet porta un toast à LL. MM. l’Empereur et la nouvelle Impératrice Marie-Louise, dont les fêtes nuptiales coïncidaient avec l’inauguration du Canal de Carcassonne.

    Au même moment, des banquets étaient offerts aux divers corps de troupes qui avaient participé à la fête, et une gratification à tous les ouvriers qui avaient été occupés aux ouvrages du Canal, en même temps que les aliments aux familles indigentes.

    Un superbe feu d’artifice qui devait clore les réjouissances publiques ne put être tiré par suite d’une humidité persistante : la population fut ainsi privée du bouquet de la journée. Il n’en fut pas de même pour les invités au bal de la préfecture que les danses les plus animées et un souper splendide retinrent dans les salons officiels jusque’à la matinée du lendemain.

    Telle fut la fête par laquelle nos pères voulurent consacrer la réparation de la faute commise pat leurs aïeux. Elle fut populaire au plus haut degré ; car elle inaugurait un moment, dont le bienfait devait profiter à toutes les classes. Aussi toutes furent unanimes dans leur reconnaissance pour le gouvernement qui les en dotait, et pour les fonctionnaires qui avaient si bien exécuté la volonté impériale. 

    Nota Bene

    Le creusement du Canal à Carcassonne sous Napoléon Ier a également été effectué par les soldats étrangers, prisonniers des guerres de l'Empire.

    Sources

    Eugène Birotteau / 1er décembre 1849

    M. Daniel, secrétaire général de la préfecture / 1810

    Le Courrier de l’Aude

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