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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 74

  • Inédit ! À la recherche du riche passé architectural du boulevard Barbès

    Comme nous l’avons fait dans l’un de nos précédents articles pour la rue Antoine Marty, nous vous proposons cette fois de remonter le boulevard Barbès (côté impair) à la recherche des beaux immeubles du XIXe siècle. Jusqu’en 1860, la population de Carcassonne vivait encore à l’intérieur des anciens remparts médiévaux rasés à la fin du XVIIIe siècle. Au sud de la Bastide, longeant les fossés comblés et transformés en parcours arboré par Mgr Bazin de Bezons, s’étendait depuis le Calvaire jusqu’au bastion Montmorency, la promenade Saint-Michel. Lui faisant face, quelques habitations avec écuries et la fonderie Bléchemit devaient dessiner les contours du Faubourg L’Araignon, ainsi dénommé le 28 décembre 1868. D’après Léon Riba (Carcassonne, ses places, ses rues / 1951), ce nom viendrait d’une déformation orthographique ; le plan de 1809 désigne l’endroit comme l’Aragnou. Il s’agit d’une prunelle sauvage communément appelée Agragnou en patois. Sa présence sur ces terrains expliquerait le sens de cette dénomination. Un peu plus bas, après la caserne de cavalerie, se trouvait le Faubourg des Jacobins en référence au couvent qui occupait l’emplacement de l’actuel théâtre municipal.

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    © Gallica

    La promenade St-Michel vers 1869

    En 1869, le plan d’alignement voté par la municipalité oblige les constructions à se positionner parallèlement et d’une manière rectiligne à la promenade Saint-Michel. De riches propriétaires viticoles, pour la plupart issus d’anciennes familles drapières de la ville reconverties dans la culture de la vigne, font édifier de beaux immeubles de style Haussmannien à partir de 1870. Parmi les tout premiers, citons l’immeuble Roger au n°91 occupé par Joseph Durand-Roger, fondeur. Un rez-de-chaussée - dévolu à un magasin ou un atelier, un premier étage richement décoré muni d’un balcon dans lequel vivent les propriétaires, un second étage moins décoré et sous les combles, les domestiques de la maison. La plupart de ces nouvelles demeures sont l’œuvre des architectes Marius Esparseil, Charles Saulnier ou encore Léopold Petit connus pour avoir participé à la reconstruction de la capitale. Par ailleurs, on doit au sculpteur Carcassonnais Jean Guilhem l’exécution de certaines façades comme par exemple celle du n° 57.

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    © Gallica

    Le Boulevard Barbès en 1890

    En 1873, la promenade Saint-Michel est entièrement remaniée et replantée ; elle devient un boulevard qui prend le nom d’Armand Barbès, en hommage au tribun républicain. A partir de 1880 et progressivement, la nouvelle numérotation se fait plus précise sur cet axe au fur et à mesure des nouvelles constructions. Ce n’est qu’à partir de 1911 qu’en souvenir de Napoléon Casimir Roumens tué à Debdou (Maroc), que la partie comprise entre la rue de la digue et la caserne est baptisée Commandant Roumens. Les numéros impairs ont néanmoins été conservés dans leur régularité jusqu’au carrefour de l’allée d’Iéna. Lieu des parades militaires, des grandes célébrations religieuses, le boulevard Barbès devient aussi le lieu où l’on négocie la vente de vin. Lors de la foire de Sainte-Catherine ou de celle dite des comportes, les courtiers se réunissent dans les nombreux cafés. A l’intérieur du café des Négociants tenu par Lapasset à l’angle de la place d’armes (Charles de Gaulle), on traite avec une poignée de main la vente à l’hectolitre de vin. Ce n’est donc pas un hasard si les grandes fortunes de la viticulture départementale ont fait construire leurs immeubles à cet endroit, tout en ayant leurs domaines parfois à plusieurs kilomètres de Carcassonne. Certains d’en être eux louent les appartements qu’ils n’occupent pas.

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    Le café Tiquet

    A l’angle de la rue de la digue, ainsi dénommée en 1868, se trouve le Café Tiquet. Sur l’imposte au-dessus de la porte située dans cette rue, nous apercevons les initiales entrelacées du propriétaire Antoine Tiquet, né à Carcassonne le 24 décembre 1847.

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    Nos différents recoupements permettent de dater la construction de l’établissement autour de 1874. Les anciens ont connu le Grand Café du Nord à cet endroit, avant qu’il ne devienne la Brasserie du Dôme. Nous nous sommes toujours demandés pour quelle raison ce café avait perdu le Nord, car il se trouve à l’Est. Le Grand café du Nord, propriété de M. Soum, se trouvait depuis 1859 en face du square André Chénier. Racheté en 1884 par Arnaud Laporte, ce dernier débaptise l’établissement et lui donne le nom de Grand Café Continental. C’était encore le Conti de Pierre Pavanetto jusqu’en 1992. A cet endroit, le Grand Café du Nord prenait tout son sens. Il avait pour pendant, le Café du Midi sur le boulevard Barbès près de la cathédrale. Quant au Café du Nord de l’angle de la rue de la digue, il le devient au début du XXe siècle sous la direction de Léon Bourniquel.

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    Au n°3, la famille Roquefère est propriétaire en 1887 avant que M. Boussaguet n’en prenne possession. C’est actuellement le centre de radiologie du Dôme.

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    Au n°13, l’avocat Osmin Nogué et Jeanne Sarraut habite cet immeuble en 1901. Osmin Nogué, membre du Parti radical, avait été élu maire de Carcassonne en 1919 par les conseillers municipaux. C’est grâce à son refus qu’Albert Tomey parvint à endosser l’écharpe. Jeanne Sarraut était la sœur d’Albert et de Maurice Sarraut, fondateur de la Dépêche du midi.

    Au n°19, le cabinet de Maître Pistre, avoué. On retrouve son nom dans de nombreux actes de vente sur surenchère ou saisie immobilière. Maître Rey prit sa succession.

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    Au n° 21. Le 30 juillet 1863, Alfred de Rolland achète une maison à deux corps de logis dépendant de la succession de François Esprit Melchior de Salles (ancien agent voyer). C’est à cette époque le n°11, faubourg des Jacobins. Cette maison possède un jardin donnant dans la rue Saint-Georges (rue Marceau). Alfred de Rolland (1831-1900), membre de la famille connue sous le nom de Rolland du Roquan autrefois propriétaire de l’hôtel particulier qui sert de mairie actuellement, occupait les fonctions de secrétaire du Comité royaliste de l’Aude. Il était également le président de la Croix-Rouge. Nous estimons que la façade a été remaniée suite au plan d’alignement de 1869. Madame Louise de Christol, veuve d’Etienne de Rolland († 1914 à Paris), vend la maison à M. Sentenac.

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    Au n°23. C’est la maison du célèbre peintre Carcassonnais Philippe Emile Roumens (1825-1901) et de son épouse Rose Sauzède. De très nombreuses riches familles ont été portraiturées dans son atelier. Il vivait là avec son épouse, la sœur du maire Jules Sauzède. Leur fils Christian Napoléon Casimir Roumens (1864-1911) avait été tué à Debdou en 1911. Il est connu sous le nom de Commandant Roumens, ceci explique que l’on ait baptisé cette partie du boulevard Barbès avec son nom.

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    Au n°33. Le café Durand appartient à Joachim Durand et à son épouse Louise Laguerre. Joachim avait adopté le fils naturel de son épouse ; il mourra prématurément à Limoux à l’âge de 26 ans en 1906. Connu à ses débuts sous le nom de Brasserie moderne, l’établissement possède une grande salle au 1er étage. La très jolie façade date du début des années 1880. Ce commerce s’appelait alors Le café du Grand Orient et était tenu par Jean Cardouat. On y faisait les réunions de l’Union syndicale des tailleurs de pierre et maçons ; l’un d’entre eux a sûrement sculpté la façade qui a l’aspect d’un théâtre. Lorsque Cardouat met la clé sous la porte, Durand reprend la direction puis vend l’établissement à François Almayrac le 19 février 1914. C’est à cette époque qu’il prend le nom de Grand Café des Américains. Les lettres sont encore visibles en haut de la façade. Il communiquait par l’arrière avec la rue Capelet dans laquelle se trouvaient les femmes de mauvaise vie, comme l’on disait autrefois.

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    N° 41 et 43. Dans cette très grande et luxueuse maison vivait Gabriel Marie dit Léon Peirière (1851-1949) ; l’un des plus riches propriétaire viticole du département. Marié à Caunes-Minervois le 31 juillet 1877 avec Marie Bernadette Jeanne Juliette Fortanier, il possédait de nombreux domaines dont le château de Salause (Caunes-Minervois) et de Vaissière (Azille). Son père Alphonse Peirière faisait partie du Comité royaliste et avait co-fondé le Courrier de l’Aude. Cet immeuble date probablement du début des années 1880 ; il possède à l’arrière sur la rue des Amidonniers de très belles écuries dont les box ont été conservés. Sur le devant, la façade du boulevard Barbès possède au dernier étage une verrière. C’est là que le couple s’adonnait à sa passion pour la peinture en bénéficiant des conseils d’Emile Capelle. La très grande richesse de M. Peirière ne put lui rendre son épouse bienaimée, écrasée à Paris par un ascenseur en 1897. 

    Au n°53. Nous ne reviendrons pas sur la fonderie Bléchemit et sur le patronage de l’Œuvre dont nous avons évoqué la mémoire avant-hier.

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    Au n°57. Construite pour Gabriel Roux (1820-1899), minotier à Maquens, au n°16 du faubourg Laraignon, cette maison aurait été sculptée par Jean Guilhem vers 1882. Nous retrouvons des dessins identiques dans une maison du 23 rue des Amidonniers, dont nous avons la certitude qu’elle fut décorée par Guilhem.

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    Au n°61. La maison de ce marchand de laine est orné au-dessus de la porte de la sculpture d’un mouton. Nizier Armand Pouzols, né à Limoux en 1812 avait bâtir cet immeuble au n°18 du faubourg Saint-Michel. Il sera transmis à son fils Léon, propriétaire du domaine Saint-Pierre à Saissac avant d’être vendu en 1886 après son décès par sa veuve. Le photographe Numa Verdier dont on retrouve le nom au dos de nombreux portraits habitait également à cet endroit.

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    Au n°65. François Baychelier y tenait une épicerie au rrez-de-chaussée à la fin du XIXe siècle.

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    Au n°69. Cette belle maison sur étages avec une terrasse appartenait à André Antoine Trémolière. Ce riche propriétaire vivait là avec son épouse Marie Paul et ses enfants. Le couple était originaire de Canet d’Aude.

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    Au n°85. A l’angle de la rue de la rivière et du boulevard, l’immeuble saisie à Pascal Coucharière, négociant. Joseph Durand-Roger en fit l’acquisition par jugement de surenchère. C’était en 1873, le n°28 du faubourg Saint-Michel. Cela nous donne une idée de sa date de construction.

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    Au n° 91. Anciennement, 32 faubourg de l’Araignon. Cet immeuble de type haussmannien a été bâti pour le compte de M. Roger, beau-père de François Joseph Michel Durand, fondeur de son état. C’est très certainement le premier immeuble de ce type a avoir été construit sur le boulevard vers 1872. Marius Esparseil pourrait en être l’architecte.Né à Comigne, François Durand avait épousé Charlotte Elisabeth Roger. Il vivait là avec ses enfants tout en s’occupant des affaires de sa fonderie, square Gambetta. 

    Nous arrêtons ici nos pas en face du bastion du Calvaire en espérant avoir réussi à retracer l’histoire de ce boulevard, jadis si riche. Lorsque vous l’emprunterez désormais, peut-être aurez-vous un autre regard sur les beaux immeubles alignés sur toute sa longueur. Il mérite toute notre attention.

    Sources

    La méthodologie de recherche a été la même que celle qui nous a permis de réaliser l'article sur la rue Antoine Marty. C'est-à-dire beaucoup de patience, de temps, de réflexion et de comparaisons pour arriver à ce résultat absolument inédit.

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  • L'histoire inédite de la fonderie Carcassonnaise Bléchemit

    Sur le territoire d’Hayange dans l’actuel département de Moselle, existait au Moyen-âge une forge Blechschmidt ou nouvelle forge construite par un hayangeois en compagnie d’un forgeron de Moyeuvre. On notera que la plupart des dénominations de ces forges sont de forme germanique. En allemand, Blech signifie feuille et Smit, frapper ; ceci nous renvoie bien à l’image du forgeron. Si nous ajoutons également qu’un blechsmiede n’est autre qu’un ferblantier, alors il ne fait plus aucun doute sur l’origine de la famille Blechschmidt, venue de Montcenis près du Creusot (Saône-et-Loire) pour créer une fonderie à Carcassonne. Le père Jean Blechschmid n’était-il pas lui-même mouleur à la fonderie royale du Creusot ? Ses fils, Nicolas (1782-1848) et Pierre (1792-1853) avaient semble t-il quitté Montcenis pour s’établir dans le sud de la France. A Bruniquel (Tarn-et-Garonne), Pierre devait épouser le 31 octobre 1810 Marthe Roussoulières (1776-1815) qui donnera naissance à Pierre Bléchemit (Bruniquel 1811-Béziers 1891). Nous formons l’hypothèse que le nom germanique de Blechschmidt fut abandonné aux portes du Languedoc au moment de la naissance de leurs enfants et de l’enregistrement sur le registre de l’état-civil. Nous imaginons fort bien qu’au pays de l’accent qui chante, on ait entendu Blechemit.

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    © CUCM, document Écomusée, reproduction D. Busseuil.

    Fonderie royale du Creusot

    Il semble que la famille a établi une fonderie à Toulouse, car en 1833 on retrouve sur l’annuaire de Sébastien Bottin, la fonderie Bléchemit. Le journal des Pyrénées-Orientales nous apprend qu’au mois de janvier 1835, le sieur Bléchemit aîné, fondeur en fer et en cuivre, établit à Carcassonne une fonderie dans laquelle se confectionneront les pièces nécessaires pour mécaniques, les rampes d’escalier, les balustrades de balcon, les marteaux de forge. L’usine est située hors la ville, vis-à-vis le Calvaire. La famille Bléchemit dépose donc ses bagages dans la capitale audoise au n°48 de la rue du marché. Il y a là le patriarche de Montcenis qui mourra en 1853 à Carcassonne, son fils Pierre (né à Bruniquel) et son épouse Marthe, mais également l’oncle Nicolas.

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    Les bâtiments de l’usine se trouvent 14, Faubourg l’Araignon, le long de la promenade Saint-Michel. Ils communiquent par l’arrière à la rue des Amidonniers et par l’entrée principale sur l’actuel n°55 du boulevard Barbès. Thérèse Fonquergne († à Carcassonne, le 27 septembre 1856), épouse du patron de la fonderie, mettra au monde sept enfants. Aucun des garçons n’atteindra l’âge adulte, sauf Pierre (Quillan 1841- Carcassonne 1875) qui épousera Clara Célina Andrieu. Il s’associe avec son père le 22 janvier 1866 pour former la société Bléchemit père et fils, chez Maître Fabre, notaire à Castelnaudary.

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    Au mois de novembre 1870, le gouvernement républicain en guerre contre la Prusse lance un appel à l’industrie privée. Les mécaniciens et les fondeurs, dont les anciens députés avaient si dédaigneusement rejeté le concours, collaborent activement à la défense nationale. La fonderie Marsal de Carcassonne fabrique un grand nombre d’articles en cuivre ou fer forgé pour la cavalerie. A la fonderie Bléchemit, l’ouvrier mouleur Maurin a imaginé un nouveau système de canon à aiguille se chargeant par la culasse. Un modèle en bois de cette arme a été fait et soumis à l’examen du Comité de défense siégeant à Tours. Pendant ce temps, tous les ouvriers de chez Blechemit sont mobilisés à la fabrication des éperons, boucles et autres articles pour la cavalerie. Le journal Le bon sens note que  M. Béchemit, malgré l’insuffisance de son outillage, est arrivé à pouvoir livrer 50 paires d’éperons par semaine et plus de 200 garnitures complètes de fourniment au même prix que la maison Godillot de Paris, qui avait eu jusqu’ici le monopole de ces fournitures. En 1871, la fonderie fournit à l’armée des roues pour affût, avant-train pour l’artillerie.

    Nous n’avons pas trouvé précisément le nombre de personnes travaillant à la fonderie Bléchemit, mais le rapport sur l’incendie survenu au mois d’août 1873 nous apprend que sans l’intervention des pompiers et des hussards, 40 ouvriers se seraient retrouvés au chômage. Le sinistre fera un mort ; le hussard Prou s’est brisé le crâne à cause de la chute d’une volige depuis le toit. 

    Deux ans plus tard, Pierre Bléchemit père, cède à son fils la totalité de ses parts de la fonderie. La société est dissoute le 17 octobre 1873 ; Pierre Bléchemit fils devient le seul propriétaire, mais pas pour longtemps. Il décède au mois de mai 1875 à l’âge de 33 ans, laissant sa veuve pour seule héritière. Faute de repreneur, celle-ci n’a pas d’autre choix que de se dessaisir de la fonderie. Dans un premier temps, elle vend à François Placard en 1877 l’ensemble des machines et des outils ainsi que 625 m2 de terrain sur l’allée d’Iéna. C’est là que Plancard fera édifier les bâtiments de son entreprise, repris ensuite par les matériaux Geynes avant d’être transformés en station service.

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    © Collection J. Blanco

    Le patronage de l'Œuvre au début du XXe siècle

    L’ancienne fonderie Bléchemit devient la propriété des Frères des écoles chrétiennes qui comptent y installer l’une des deux écoles libres de garçons qu’ils projettent  de créer en ville. Le 2 juillet 1879, le patronage de l’Œuvre est créé 2, rue Neuve du Mail (Marceau Perrutel) sous l’impulsion de l’abbé Combes. Si la loi républicaine n’interdit pas les écoles libres à la condition qu’elles respectent la laïcité, les frères n’obtiendront pas immédiatement de la mairie le droit d’ouvrir leur établissement. Les bâtiments de l’usine considérés comme impropres à accueillir des enfants doivent faire l’objet d’une réhabilitation. L’abbé Combes raconte dans son ouvrage que nous avons pu consulter grâce aux bonnes grâces de Jacques Blanco, qu’au commencement les familles rechignèrent à envoyer leurs enfants. Avec un peu de publicité, leur nombre augmenta. A tel point qu’il fallut envisager d’agrandir à peu de frais. Alors, tous les apprentis bénévoles de tous les métiers se réunirent pour démolir et reconstruire. Cela ne fut pas suffisant, mais grâce à de généreuses subventions on parvint à tout rebâtir. En fait, le patronage organisait chaque année un grand concert avec le concours bénévoles des compositeurs et musiciens de la ville (Baichère, Scheurer, Barbot…) afin de récolter des fonds au profit des écoles chrétiennes. Le 21 décembre 1884, Mgr Billard bénit la chapelle de l’Œuvre et inaugura le nouvel immeuble. C’est de nos jours le lycée privé Saint-François.

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    Vue sur l'emplacement de l'ancienne fonderie

    Lorsqu’on se projète sur la structure des bâtiments de ce lycée, on se rend compte effectivement qu’il n’est que le fruit d’un assemblage hétéroclite. Dans la rue Marceau Perrutel, deux corps de bâtiment de l’ancienne usine laissent penser qu’ils ont subsisté à la démolition, tout comme la façade donnant sur le boulevard Barbès. Nous pensons que sa grande ouverture qui devait éclairer les ateliers de l’usine, ressemble en tous points à l’architecture industrielle des fonderies observée le plus souvent en France au XIXe siècle. Ce serait ici l’unique vestige de l’ancienne fonderie Bléchemit dont nous venons de retracer l’histoire d’une manière tout à fait inédite.

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    © patrimoine.blog.lepelerin.com

    Quand nous comparons l'ouverture sur le Boulevard Barbès avec celles de la fonderie d'Ecurey dans la Meuse ci-dessus, on peut rapprocher nos hypothèses.

    Sources

    Histoire d'Hayange / Pierre Xavier Nicolay / Tome 1 - 1937

    Le bon sens, le Courrier de l'Aude

    Livre de l'abbé Combes

    Etat-Civil / ADA 11

    Annuaires Didot Bottin

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  • L’Eldorado de Carcassonne à la fin du XIXe siècle

    Dans ce Faubourg du Palais, nouvellement construit et dont nous avons parlé lors de précédents articles, se sont établis avocats, notaires, architectes et industriels. Les terrains pris sur d’anciennes parcelles agricoles à de riches propriétaires comme Joseph Teisseire, juge au Tribunal civil de Carcassonne, ont permis l’édification de très belles demeures. En cette seconde moitié du XIXe siècle, la bonne société aime se divertir dans les café-concerts et les salles de spectacles à l’instar des cabarets parisiens de la butte Montmartre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les artistes parisiens lors de leurs tournées nationales figurent à l’affiche de l’Alcazar ou des Folies Carcassonnaises. Quand cette dernière salle de spectacle ferme définitivement son rideau en 1880 sur le boulevard du canal (face à l’actuel collège Varsovie), Joseph Théodore Sabatier achète un terrain dans le faubourg du palais. Aidé par son épouse Marie Adélaïde Peyre, limonadière de son état, le négociant fait bâtir à partir du printemps 1882 une nouvelle salle : L’Eldorado. En un temps record, l’entrepreneur Barthélémy Marty, charpentier à Rouvenac, fait élever un bâtiment dessiné selon les plans de l’architecte Léopold Petit. A peine n’a t-on pas le temps d’essuyer les plâtres que l’Eldorado est inauguré le 14 juillet 1882 malgré un manque évident de finitions. En vérité, les décorations et ornements prévus par le toulousain Ganin ne seront jamais achevés faute de moyens suffisants : « De gracieuses cariatides devaient encadrer la loge centrale et les loges d’avant-scène. Chaque chapiteau séparant les loges intermédiaires devait recevoir les attributs de musique des plus fins. La coupole devait être encadrée dans des arcs-doubleaux sur pendentifs supportés eux-mêmes par de grandes colonnes corinthiennes. Tous les tons de la salle devaient être , or vert, or jaune sur fonds de velours grenat. L’argent fit défaut, l’architecte ne put exécuter ses plans. Cette salle inachevée, bien éclairée par de magnifiques lampes à arc produit toutefois son effet ; l’acoustique est très réussie. »

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    L'Eldorado pouvait s'inspirer de celui de Paris

    Son fondateur ne survivra pas longtemps après l’inauguration. Emporté brutalement par la maladie au mois d’octobre 1882, l’affaire sera déclarée en faillite peu de temps après. La veuve Sabatier conserva néanmoins le bâtiment qu’elle mit en location entre les mains de plusieurs gérants. On ne compte pas le nombreuses descentes de police et les contraventions pour infractions à la loi sur les jeux de hasards. En fait de théâtre, c’est également durant la nuit un tripot où l’on joue à la boulotte ou au baccara. Fermé pendant quelques temps, l’Eldorado-Concert finit par réouvrir le 14 novembre 1889, mais la valse des directeurs se poursuit. Monsieur Teisseire, le plus sérieux d’entre-eux diversifie les activités de la salle pour une meilleure rentabilité.

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    Eloi Ouvrard

    Les meilleures vedettes de la scène parisienne comme les comiques troupiers Polin ou encore Ouvrard, remplissent de joie une assistance fournie. Nous n’évoquons pas ici le nom du célèbre interprète de « J’ai la rate qui se dilate, j’ai le fois qui est pas droit », mais celui de son père, Eloi Ouvrard (1855-1938). Il faut dire qu’à Carcassonne, le public, même à cette époque, boudait quelque peu l’opéra lui préférant la légèreté des opérettes et des revues. Les troupes en garnison assuraient la recette de ces soirées pas toujours du meilleur goût.

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    L’Eldorado pouvait également servir de tribune politique lors des élections municipales aux divers candidats, mais également de salle d’enchères. Pour exemple, citons du 16 au 19 juillet 1895 l’extraordinaire vente sur saisie du riche mobilier du château de Malves sur la tête de Catherine D’Esquieu, épouse du marquis d’Alex. Il ne serait pas étonnant que les Gamelin, Le Sueur autres Pillement, provenant de cette collection, ne se soient pas ensuite retrouvés dans l’actuel Musée des Beaux-arts de la ville.

    À partir du 15 novembre 1896, l’Eldorado devient la salle des Beaux-arts. On y donne des concerts de musique symphonique dirigé par Michel Mir, sous l’égide du président de la Société des Beaux-arts de Carcassonne, M. Gaston Barbot. L’année suivante, MM. Testut et Mosnier se rendent acquéreur de la gérance et du matériel de l’ancien Eldorado qui appartenait à Louis Gayraud. Ces deux hommes, visiblement peu recommandables, poursuivent des activités illégales de jeu de hasard dans une arrière-salle de l’Eldorado. Louis Jean Pierre Gayraud fait saisir l’établissement en janvier 1898, ce qui lui vaut une visite bourre-pif de la part de Testut. Le 19 mars 1898, l’Eldorado est mis en vente après saisie immobilière.

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    Emplacement de l'Eldorado, à l'angle des rues d'Alsace et du Palais.

    La salle de l’ancien Eldorado devait ensuite souffrir des conséquences de la Grande guerre. Dans les années 1930, elle sera entièrement rasée pour construire le Dispensaire d’hygiène sociale du département de l’Aude. On l’appelle désormais le Centre médico-social de Carcassonne centre. A travers ces recherches inédites, voilà un lieu totalement réhabilité dans son histoire et son emplacement, déterminé avec exactitude.

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