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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 69

  • Inédit ! Les transformations de la place Carnot au XIXe siècle

    Cœur battant de la Bastide Saint-Louis, la place Carnot dans ses contours actuels n’apparaît définitivement qu’après la construction du bâtiment de la Société générale en 1912. Les métamorphoses entreprises tout au long du XIXe siècle ont fait disparaître à jamais l’identité de cette place de marché édifiée sous Louis IX. Sur le côté Ouest se trouvait un Grand couvert comme on peut encore l’apercevoir à Montségur (Gironde), Mirepoix (Ariège) ou plus près de chez nous à Limoux.

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    Plan de la place Dauphine vers 1840. A gauche, l'emplacement du Grand couvert. En jaune, les immeubles non encore alignés sur la place. Notons qu'à cette époque la fontaine de Neptune était parfaitement centrée.

    Le Petit couvert, quant à lui, desservait sur toute sa longueur le côté nord. A l’Est, l’ensemble des immeubles avançaient d’au-moins quatre mètres en direction du centre de la place. Tous ces changements rendus indispensables par la vétusté des constructions, la sécurisation des accès et la volonté de modernisation ont défiguré la configuration médiévale. Les destructions et la mise à l’alignement qui s’ensuivirent, conformément au décret impérial du 16 décembre 1807, eurent pour effet de transformer un ensemble homogène en une dispersion de constructions hétéroclites. Celles-ci permettent néanmoins une lecture chronologique des styles architecturaux tels qu’ils furent développés tout au long du XIXe siècle, en fonction des bouleversements politiques. Impériale sous Napoléon 1er, Royale sous Louis XVIII, Dauphine sous Charles X pour perpétuer le passage de la fille de Louis XVIII, elle prend le nom de Place aux herbes jusqu’à l’assassinat de Sadi Carnot en 1887.

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    Le Grand couvert de Mirepoix (Ariège)

    A la suite d’une expertise des bâtiments entourant la place impériale, le conseil municipal avait pris la décision le 10 juin 1808 de solliciter la reconstruction du Grand couvert aux frais des propriétaires et la suppression du Petit couvert. Cette délibération devait se heurter à l’opposition des principaux intéressés, avant que le changement de régime politique ne la fasse repousser aux calendes grecques. Elle revient sur la table du conseil le 22 août 1824 avec la résolution de destruction du Petit couvert formant la maison de François Marty, afin d’élargir la voie publique et de faire cesser le danger de cette construction et de celle de M. Marabail. Le projet de reconstruction du Grand couvert prévoit l’édification dix-huit arcades et deux autres aux extrémités. Là encore, les années passent et seule la maison Combes sera reconstruite en 1827. Le Petit couvert disparaîtra avant l’avènement de la Révolution française de 1830 et l’avènement de Louis-Philippe 1er. 

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    Aspect du Grand couvert tel qu'il devait être avant 1845

    Il faudra un drame pour que la question de la destruction du Grand couvert revienne au centre des préoccupations municipales. Trois ouvriers trouvent la mort dans l’effondrement de la maison Escourrou au début des années 1840. Le 18 octobre 1843, le conseil municipal reçoit le rapport de la commission chargée de vérifier l’état de la structure des neuf maisons composant le Grand couvert : Baux, Conte, Jaffus, Lucien Cabrié, Louis Fourès, Antoine Cayrol, Blanc-Sallin, Etienne Escourrou et Barthélémy Combes. Quatre sont menacées de ruine, trois autres seraient tellement ébranlées par la destruction des premières qu’il faudrait aussi les sacrifier. Cette fois le maire Arnaud Coumes décide de donner l’alignement, déterminé par une ligne partant de la maison Peyrusse (actuel Dony) jusqu’à l’immeuble Marty-Roux (actuellement, mutuelle santé). Les propriétaires devront à leurs frais reconstruire un immeuble avec une façade sur toute la longueur. Dans le cadre de l’embellissement de la place, la ville renonce à une façade ordinaire et octroie en dédommagement la somme de 28 120 francs en contre-partie aux maîtres d’œuvre. Ceux-ci devront faire exécuter les plans dessinés par Pierre Cayrol (1788-1869), architecte municipal, par les entrepreneurs de leur choix selon un cahier de charge très précis. La pierre grise n’aura aucun défaut d’apparence et devra être prise chez le sieur Beautes à Villegly. Le mortier sera composé de 2/5 de chaux et de 3/5 de salle grenu. Les maisons Baux et Jaffus qui n’entraient pas dans la démolition sont finalement rasées avec accord des parties et intégrées aux plans de l’architecte. Les travaux débutent le 1er mars 1845 et sont achevés avant la fin du mandat d’Arnaud Coumes.

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    La façade réalisée par P. Cayrol sur l'emplacement du Grand couvert 

    Les premières transformations de la place du côté Est commencent durant l’année 1832. La maison de Pierre Etienne François Barthélémy Albarel (1774-1839), négociant de son état, forme un goulot d’étranglement pour accéder à la place, à l’angle de la rue Denisse et de la rue des Orfèvres (rue Courtejaire). Elle est frappée d’alignement ; son propriétaire doit faire reculer sa façade de cinq mètres pour s’aligner sur la rue des Orfèvres. Les travaux son menés en juillet 1832 par M. Gourgues, maçon, selon de toute évidence les plans de J-F Champagne. La façade reprend la forme des arcades du Grand couvert.

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    L'ancienne maison Albarel avec ses arcades 

    Deux ans plus tard, c’est la maison juste à côté appartenant de Guillaumette Daveau veuve Guinot, marchande de faïence, qui doit être sacrifiée à l’alignement. Les choses restent en l’état pendant quarante ans ; le côté Est de la place coupé en deux entre maisons alignées et non alignées. Une nouvelle fois un événement va remettre à l’ordre du jour du conseil municipal, la question de l’alignement. C’est l’incendie le 2 novembre 1869 de la maison Peyraudel sur l’emplacement actuel du Petit Moka.

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    Le Grand couvert a disparu à l'Ouest, tandis qu'à l'Est une partie des immeubles a été alignée.sur la rue Courtejaire.

    Les pompiers, éparpillés dans toute la ville à cette époque, mettront une heure à intervenir sur les lieux du sinistre. En juin 1870, la ville décide d’appliquer l’alignement des quatre maisons (Peyraudel, Olivet, Borrel, Mailhac) jusqu’à la rue Napoléon (Barbès). Il faudra attendre l’acquisition de la ruine Peyraudel par Marie Laviale, épouse Louis Bertrand, en 1879 pour qu’enfin l’on se mette à reconstruire. Les travaux sont conduits par l’architecte Charles-Emile Saulnier et achevés en 1882. Les deux magasins au rez-de-chaussée accueilleront le chapelier Blain et la librairie Salles.

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    Cinq ans plus tard, le maison Olivet acquise en 1849 à M. Bernanadelly, subit le même sort sous la férule de Jean Laffon, entrepreneur en bâtiment ; ce dernier ayant réalisé la façade du Musée des beaux-arts avec Charles-Emile Saulnier. La société John’s Club formée par Charles Biguet le 1er janvier 1900 à Carcassonne prit la succession d’Olivet. Depuis 1967, elle appartient à J-P Hillaire. C’est sans aucun doute le puis ancien magasin de vêtements de la ville avec Chonier.

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    Ancienne Maison Olivet. John's Club

    A l’angle de la place Carnot et de la rue Barbès, la maison Mailhac achetée en 1865 par Alphonse Mallaviale deviendra la propriété du chapelier Patry. Cette vieille masure restera en l’état et non alignée, en raison de nombreux procès avec la ville, jusqu’en 1909. Cette année-là, elle devint la propriété de la Société générale qui la rasa et confia les plans de son futur immeuble à l’architecte Léon Vassas. Ainsi s’acheva l’épopée de l’alignement à l’Est de la place Carnot après 80 ans de procédures.

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    Maison Almayrac-Canavy. Actuellement, Le Longchamp

    Au sud de la place Carnot, on remarquera la très belle façade du café Le Longchamp réalisée en 1894, certainement par Charles-Emile Saulnier. La famille Almayrac-Canavy, négociants en tissus, possédait un grand magasin à l’angle de la place et de la rue des halles (Chartrand), précisément où se trouve actuellement Bor, marchand de nougats. En 1893, un violent incendie ravagea l’intérieur du magasin et Almayrac s’agrandit en faisant l’acquisition de l’immeuble voisin. En bordure du toit se trouve une statue en fonte représentant Saint-Vincent de Paul.

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    D’après nos recherches, il s’agit d’une copie en fonte de l’œuvre de Raphael Casciani que l’on peut admirer à l’intérieur de l’église Saint-Vincent de Paul dans le Xe arrondissement de Paris. Casciani, sculpteur-éditeur, possédait un atelier de fabrication de statues religieuses dans la capitale.

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    © http://www.patrimoine-histoire.fr

    L'original se trouve dans l'église Saint-Vincent de Paul à Paris

    Quant à la présence de St-Vincent de Paul sur le toit de l’immeuble Almayrac-Canavy, elle s’explique par le fait que Pierre Canavy était un membre éminent de la Société Saint-Vincent de Paul de Carcassonne.

    Sources

    Délibérations du conseil municipal

    Le courrier de l'Aude, La fraternité, le Bon sens

    Etat-civil / ADA 11

    Recensement de la population

    Les recherches sont effectuées à 350 km de Carcassonne depuis un poste d'ordinateur

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  • Albert Oustric (1887-1971) ou le Bernard Tapie Carcassonnais des années 30

    Fils de Léonce Oustric, originaire de Conques-sur-Orbiel et propriétaire du café de l’Ambigu à Carcassonne, Albert Oustric (1887-1971) est envoyé à Toulouse afin de poursuivre ses études. Le jeune homme doit y renoncer assez rapidement sur un coup de tête et s’engage comme démarcheur chez Cusenier, la société en spiritueux. Attiré par l’argent gagné facilement sur un tapis de casino,Oustric se prend de passion pour le poker dont il devient l’un des grands virtuoses de la ville rose.

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    Le café de l'Ambigu, boulevard de la préfecture à Carcassonne

     Il lâche la vente des liqueurs, se lie d’amitiés nocturnes avec la jeunesse dorée fréquentant les casinos et finit par apprendre le métier de croupier. Il devait s’installer à Vichy lorsque la mobilisation générale est décrétée en 1914. A cause d’une adénite cervicale, il passe toute la guerre dans l’usine d’armement Lagelouze où il se met opportunément en bon rapport avec la clientèle. Oustric qui avait hérité en 1910 d’une chute d’eau dans les Haute-pyrénées s’associe avec Henri Manuel et Haardt en 1917 pour créer une société de transport de force. Le placement des titres se fait par l'intermédiaire de la banque Richard Klehe & Compagnie de Toulouse, la Société générale et la banque Clarac frères de Pamiers. En juin 1919, Oustric « monte » à Paris et ouvre avec ses deux associés une banque située 5 rue Scribe au nom de Oustric & compagnie et au capital de 1 million de francs. Deux ans plus tard, il épouse dans le beau monde Marie Madeleine Germaine de Régny (1881-1929) ; le couple vit rue Auber dans une petite maison. Après des premiers coups d’éclats boursiers, la réputation du Carcassonnais enfle sur la place de Paris et les clients lui confient leur épargne. Poker, bars, jongleries des premiers millions, copie des habitudes de Wall-street, rien n’égare Oustric. Il fonde deux holdings qui lui permettent de recycler l’argent des épargnants, dans de multiples sociétés qu’il côte en bourse tout en étant l’administrateur de celles-ci.

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    Riccardo Gualino

    Sa rencontre avec Riccardo Gualino en 1925 va être déterminante… L’industriel italien, fondateur de la SNIA VIscosa, possède non seulement une énorme fortune mais surtout de gros appuis politiques, sauf en France. Il va se proposer d’aider Oustric dans sa conquête industrielle et financière en échange de quoi, le banquier ferait intervenir ses amitiés politiques. Gualino souhaiterait que la SNIA Viscosa fasse son entrée sur le marché boursier parisien. En juin 1926, Oustric intercède auprès de Raoul Péret, ministre des Finances. Le droit est enfin accordé et la capitalisation est un succès, puisque 500 000 actions trouvent preneurs.

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    Oustric fait l’acquisition de 17 sociétés dans le textile et l’habillement, de maisons de haute-couture (Marchal, Sarlino, les blanchisseries Thaon, Paris foncier, Giraudon, l’Union vie, les établissements Desurmont, Valentin Bloch, la société française des automobiles Ford). Il devient membre du conseil d’administration de Peugeot et prend le contrôle de la banque Adam. Les actions des mines boliviennes du Huanchaca atteignent des sommets. La banque Oustric totalise 127 millions francs, bien en-dessous du milliard de chiffre d’affaires de la holding franco-italienne créée avec Gualino. Albert Oustric mène grand train dans la jet-set : appartement boulevard Malesherbes, propriété au Cap d’Ail, yacht privé en Méditerranée, etc. La réussite de ce fils de cafetier carcassonnais s’étale sur papier glacé dans les gazettes mondaines.

    Durement affectée par le krach boursier d’octobre 1929, la banque Oustric se déclare en faillite. Elle s’avère frauduleuse… Oustric est jeté en prison et sa libération provisoire lui est refusée en septembre 1930. Le 12 novembre 1930, une plainte émane de M. Vuillaume, actionnaire et commissaire aux comptes de la Société générale de chaussures française, avec constitution de partie civile pour abus de confiance et escroquerie. Ce dernier aurait disposé des actions du portefeuille de la société pour ses actions en bourse et a englouti l’avoir des actionnaires. Il est nculpé également pour hausse illicite car les valeurs préconisées par Bourse et finance ont été cotées fictivement par trois banquiers : Oustric, Beudel et Marnier. Oustric a vidé le portefeuille de sa holding pour spéculer et par des faux en écritures, il l’a constitué débitrice de sa banque.

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    Raoul Péret, ministre des finances

    L’effondrement d’Oustric provoque la faillite de la banque Adam le 4 novembre 1930. Gualino ne peut lui venir en aide, lui-même se trouve sous le coup d’une mise en accusation par le gouvernement fasciste italien. On conspue Oustric dans les journaux et l’affaire devient politique grâce à la plume du Canard enchaîné. Le ministre Raoul Péret fut avocat conseil d’Oustric avant son entrée au gouvernement. Il fit entrer la SNIA Viscosa en bourse lorsqu’il était aux finances. D'autre part, alors même qu'il était à la Justice, il continuait à percevoir des émoluments (plus de 100 000 francs par an), tout en ralentissant le travail des enquêteurs. Péret est arrêté et mis en prison le 31 mars 1931 avant d’être acquitté le 23 juillet. Le 4 décembre 1930, le gouvernement Tardieu démissionne suite à l’affaire Oustric.

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    Albert Oustric écope de 18 mois de prison et 5000 francs d’amende le 17 juin 1935 pour infraction à la loi sur les sociétés, suite au jugement rendu par la cour d’appel de Paris. Il mourra le 16 avril 1971 à Toulouse après avoir ruiné des centaines d’épargnants et provoque une grave crise politique. La banque Oustric & Compagnie et ses filiales laissèrent un passif cumulé d'1,5 milliard de francs qui mit plusieurs décennies à être apuré.

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    Albert Oustric à son procès

    Sources

    Le Figaro, le Canard enchaîné, Le Parisien, le Populaire

    Recensement militaire, Etat-Civil

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  • Inédit ! Les mémoires de l'abbé Cunnac sur la Libération de Carcassonne

    Cela fait longtemps que nous possédions ce témoignage manuscrit émanant du journal de bord du chanoine Cunnac, directeur du Petit Séminaire (Ecole Saint-Stanislas) et ancien président de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne. Il évoque non seulement sa vision des événements tragiques de la Libération, mais surtout les sentiments partagés par une partie des catholiques carcassonnais fréquentant le Petit séminaire à cette époque. Si nous avons attendu avant de diffuser ce document exceptionnel, c’est avant tout parce que nous sommes aujourd’hui en mesure de l’analyser avec le recul nécessaire. Vous trouverez des renvois de notes que nous avons rédigés afin d’éclairer le lecteur. 

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    Joseph Cunnac né à Pépieux

    (1870-1956)

    L’année 1944 devait être dramatique et sanglante ; mais dès le début on avait quelque impression d’un raz-de-marée qui se préparait sourdement. Au mois de janvier le comité des anciens élèves (Saint-Stanislas, NDLR), reconnaissant le caractère précaire de la situation supprimait la réunion traditionnelle, et fixait au 8 juin la messe du souvenir, avec la prière pour le Grand Retour1.

    En France, les choses se gâtaient. Depuis quelque temps la réaction anti-allemande, le « Maquis » ,faisait des progrès inquiétants pour l’occupant qui de temps à autre exécutait une répression impitoyable, comme aux grottes de Limousis2. Peu à peu c’était toute la population qui leur devenait suspecte, malgré l’abnégation patriotique des prétendus « collaborateurs » (il y en avait, mais très clairsemés) qui se dévouaient au maintien de l’ordre civil3 ; et les sévices4 pleuvaient : expulsions, amendes, prison. Le 8 juin ne vit qu’une ombre de réunion, où l’on entendit uniquement le secrétaire et le trésorier. L’association (anciens élèves de St-Stanislas, NDLR) perdit quelques membres notables : un ancien vice-président, Joseph Cros, un ex-polytechnicien, Jules de la Soujeole, et le chanoine Sabarthès ; mais la mort qui suscita le plus de regrets fut celle du jeune Sabin Astourié, dont l’admirable conduite dans l’hôpital ennemi où il était de service fut l’objet d’un vrai concert de louanges.

    Les choses allaient si mal que par prudence les vacances furent avancées ; je traçai comme en 40 un plan de travail qui serait contrôle à la rentrée. Vers le 10 août commencèrent les violences. Les maquisards ou résistants, de plus en plus osés, grossis dans le midi de la pègre des révolutionnaires espagnols5, lancèrent une menace de représailles contre les femmes des collaborateurs ou légionnaires. Sur ce, la mairie me pria de recueillir une cinquantaine de ces femmes avec leurs enfants, que les chefs de famille6 ne pouvaient protéger en raison de leur service, mais le 14 août la situation s’aggrava à la suite du décrochage de l’envahisseur que le débarquement de Provence refoulait vers le Rhin ; harcelés par les résistants, ils répliquaient par des massacres. La situation de nos protégées devint intenable, et on résolut de les expédier le 15 au matin par autobus de l’autre côté du Rhône7. Je convoquai ces malheureuses à la chapelle et dans une réunion inoubliable , je les exhortai à se confier en la providence ; nous priâmes ensemble. Le lendemain 15 août, ayant entendu la messe elles partirent, pour revenir, hélas, deux jours après, à la suite d’une course affolée jusqu’à Beaucaire d’où on les refoule jusque’à Perpignan ; là on le abandonne…8

    En rentrant de la réunion du 14 août, je vis arriver dans mon bureau un ancien élève, Louis G9, qui venait se confesser. Il me dit : « Tous les miens insistent pour que je disparaisse, sinon je serai tué, mais disparaître serait s’avouer coupable, et je n’ai rien à me reprocher. Je viens me confesser et Dieu fera le reste. » Pauvre petit !

    Sur ces entrefaites Hélène me pria d’aller baptiser un petit Bernard, second de la nichée, à Fonsorbes près de Toulouse. Le baptême eut lieu le jour même de Saint Bernard. Le lendemain je rentrais à Toulouse avec Paul, le papa, pour regagner Carcassonne. Mais à la descente du tacot nous fûmes accueillis par des coups de fusil : la ville était en état de guerre civile, les allemands étant partis dans la journée. Nous eûmes de la peine à parvenir jusque chez mes amis, en nous glissant d’un abri de porte à l’autre ; une femme blessée tomba devant nous. J’espérais quitter e mauvais lieu dès le lendemain mais les allemands avaient détruit une partie de la voie ferrée, laquelle serait inutilisable pendant une semaine. Je pris pension pour la nuit chez Hélène, et pour mes repas à l’Institut Catholique où le supérieur, l’aimable P. Marty et son économe accueillaient l’intrus à bras ouverts. Tout en savourant ma guigne j’allais chaque soir à la gare, longeant les murailles pour me mettre à l’abri des balles qui pleuvaient des toits. Le samedi, j’apprends qu’un train allait partir l’après-midi pour Castelnaudary. Mes bagages furent vite prêts et mes devoirs d’hôte remplis ; le soir je pus coucher à Saint François-Xavier. Sur mon chemin je rencontrai Mademoiselle Melliès qui me retint à déjeuner pour le lendemain. Ma messe dite, j’allai aux nouvelles ; j’appris que le train continuerait à onze heures sur Carcassonne. J’étais tellement à bout de patience que je ne fis excuser par mon hôtesse qui me comprit mais n’en fut pas moins peinée. A midi, je rentrais à l’Ecole. Il me semblait que je revenais du Kamtchakha. 

    Carcassonne était devenue un repaire de bandits. Tous les résistants prétendus ou occasionnels, acoquinée à l’infâme lie des communistes espagnols, avaient constitué une espèce de Comité de Salut public10. Sous prétexte de châtier les collaborateurs, ils assouvissaient leurs pires instincts et faisaient main-basse sur tous les suspects. De ces derniers, neuf sur dix étaient de très honnêtes gens dont le tort avait été de se prêter au maintien de l’ordre, sans véritable rapport avance l’Allemand11. Sur ces malheureux, la plus sauvage méchanceté, sans trêve, épuisa ses diaboliques sévices : coups brutaux, brûlures à l’essence enflammée, coups de pieds dans le ventre… Mon pauvre G passa pour toutes ces atrocités avec son ami Jacques P ; l’un et l’autre les subirent avec une patience de martyrs. On en fusilla un troisième, René E12, à la grande joie de la tourbe et surtout des femmes, à qui il fallut cacher le lieu et l’heure des exécutions. Dix pages ne suffiraient pas à énumérer tous les attentats de cette période dans notre seule ville ; la plupart en exécution des sentences d’un abominable tribunal dit « de l’épuration ». Le tribunal de 93 et ses sans-culottes étaient dépassés13.

    Enfin, les autorités légales arrivèrent à reprendre les rênes et tout rentra dans l’ordre14. Toute la France avait comme connue les mêmes horreurs, mais nulle part Carcassonne n’arriva second. Pendant ce temps, nos soldats avaient fait, eux, de bonne besogne15. Le double débarquement de Provence et d’Italie développait ses poussées ardentes et refoulait l’Allemand chez lui, en attendant de le réduire à merci. Mais le grand jour de l’armistice était encore loin. Il arriva enfin ; et comme Saint-Martin en 1918, ce fut Saint-Michel, lui aussi un peu nôtre, qui nous l’apporta le 8 mai 1945. Le Christ, une fois de plus, avait aimé les Francs.

    Notes

     

    1. Il s’agit de Notre-Dame du Grand Retour
    2. C’est la grotte de Trassanel dans laquelle périrent de nombreux résistants en août 1944, assassinés par les nazis sur dénonciation d’un habitant de Fournes-Cabardès.
    3. Autrement les Miliciens. Créée en février 1943 pour le maintien de l’ordre avec la bénédiction des Allemands, elle se transforma au printemps 1944 en un groupement répressif et violent au service des nazis. Son chef Darnand avait prêté serment de fidélité à Hitler et revêtu l'uniforme de la Waffen SS.
    4. Les chefs fanatisés de cette milice torturaient ceux qui ravitaillaient les maquis dans leur caserne de l’asile de Boutte-Gach, route de Toulouse. Ainsi mourut entre leurs mains, un habitant de Villebazy dont le nom figure au monument aux morts de la commune.
    5. Les républicains espagnols majoritairement communistes avaient fui la répression de la dictature franquiste et s’étaient réfugiés en France. Là, ils menaient le combat contre les nazis au sein de leurs propres maquis ou des maquis F.T.P
    6. Il s’agit des chefs de la milice 
    7. Les familles de miliciens quittèrent Carcassonne par convoi le 15 août 1944 vers Montpellier après Darnand en eut donné l’ordre. 
    8. Le convoi ne put passer le Rhône. Il fut dérouté vers Perpignan. Là, les chefs donnèrent l’ordre de dispersion. Les subalternes furent livrés à leur sort avec leurs familles et rentrèrent chez eux pensant ne pas être inquiétés. Ceux qui commandaient sauvèrent leurs vies en passant en Espagne. Hébergés par le régime de Franco, il prirent ensuite la direction de l’Argentine et rentrèrent en France en 1951 au moment de l’amnistie.
    9. Louis G, âgé de 20 ans, qui avait été seulement condamné à de la prison par la cour martiale en septembre 1944, fut assassiné de la pire des manières en rentrant à la prison. Il eut droit notamment aux pieds et aux mains dans la presse à papier…
    10. Cour martiale
    11. Les condamnés à mort avaient portés les armes contre la Résistance et aidés les Allemands dans leurs opérations contre les maquis.
    12. Le plupart étaient des jeunes français de 20 ans qui s’étaient engagés soit par conviction familiale, soit pour éviter le S.T.O, dans la Milice. D’autres jeunes français, s’engagèrent dans la Résistance.
    13. L’abbé Cunnac de conviction royaliste comme beaucoup de membres du haut clergé audois n’avait jamais accepté la Révolution française.
    14. Ce n’est qu’au mois d’octobre que le général de Gaulle fit désarmer les Milices patriotiques communistes et que les cours martiales furent remplacées par des cours de justice. Tous les chefs de la résistance locale mirent fin à l’épuration sauvage. 
    15. Il y a ici un paradoxe. L’abbé Cunnac reconnaissait « nos soldats" en 1945 dans les rangs desquels figuraient de nombreux résistants. Parmi eux, des communistes.

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