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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 115

  • Pierre Thoron de Lamée (1740-1804), Maire de Carcassonne et franc-maçon

    Né le 29 octobre 1740 à Carcassonne, Pierre Thoron de Lamée appartenait à la branche anoblie de bourgeois, marchands fabricants de draps. Lamée étant un hameau de la commune de Villalier où les Thoron possédaient un château, son nom fut accroché par la particule au patronyme de la famille. Ainsi depuis quelques générations, en était-il des Thoron de Lamée, dont le père Pierre Antoine (1708-1773) avait épousé Françoise Pinel (1709-1774), fille d’un négociant dont une de nos rues porte le nom au cœur de la Bastide Saint-Louis. Il possédait également des parts de la Manufacture royale de Montolieu, dirigée son oncle et ses cousins, et avait été Consul de Carcassonne en 1755.

    thoron de lamée

    © Google maps

    Hameau de Lamée à Villalier (D101)

    Enrichi d’un titre de noblesse gagné par ses aïeux sur les comptoirs du textile, le jeune Pierre Thoron de Lamée entra au service du Comte d’Artois - le frère de Louis XVI et futur Charles X sous la Restauration - comme Officier des Suisses et de la Garde personnelle de Monsieur. Il y fit grands services et ne tarda point à être récompensé de l’honorifique titre de Chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis.

    thoron de lamée

    © mvmm.org

    Sceau de la loge à l'Orient de la Cour

    A l’Orient de Versailles, il s’était créé en 1775 une loge maçonnique au sein de laquelle figuraient des membres de la famille royale, de la Cour et de la garde du comte d’Artois : « Les trois frères Unis ». Contrairement à ce qu’affirment les détracteurs de la Franc-maçonnerie, celle-ci avait été fondée au milieu du XVIIIe siècle en Ecosse avec uniquement des gens de la noblesse ; seuls autorisés à porter l’épée. Ce fut le cas également en France jusqu’à la Révolution et l’on voit mal comment les loges auraient pu se fonder, sans l’autorisation du roi. C’est donc que Louis XV et son petit-fils à sa suite, avaient toléré les idées des Lumières qui mèneront à la fin de la Monarchie absolue et de Droit divin. On a prétendu que le ci-devant Louis Capet et ses fils faisaient partie des « Trois frères Unis » à l’Orient de Versailles. Nous n’en possédons aucune preuve, mais son cousin Orléans dit Philippe Egalité fils du futur Louis-Philippe 1er, aurait-il envoyé à l’échafaud son royal Frère, s’il l’avait été ? Nonobstant, devait-il en avoir les principes pour que l’abbé Klein chantât ce couplet au banquet rituel de la loge « Le Conseil des Elus » de Carcassonne en 1784 :

    Pour le plus chéri des Bourbons

    Notre âme se dilate

    Qu’au triple feu de nos canons

    Notre plaisir éclate

     

    Sans tablier, Louis a les mœurs

    De tout maçon, bon frère

    Tirons avec tous les honneurs

    Une santé si chère

    Notons que la loge « Les trois frères unis » allume ses feux en septembre 1775, quelques mois après le sacre du nouveau souverain, Louis le XVIe. Certains parmi vous n’y verrons qu’une coïncidence, sans doute. Trois ans plus tard, Pierre Thoron de Lamée - au service du comte d’Artois, lui-même sans doute Franc-maçon - sera initié dans cette fameuse loge militaire. A son retour à Carcassonne, le lieutenant-colonel s’affilie à « La parfaite amitié » qu’il dirigera en 1785 et achète l’année suivante, la charge de Major au gouvernement de Narbonne en remplacement de Monsieur de Saint-Affrique, démissionnaire de sa fonction. Dans cette ville, il est le vénérable de la loge "Les philadelphes" en 1790. 

    thoron de lamée

    Signature de Thoron Lamée

    Lorsque survint la Révolution française, Pierre Thoron de Lamée resta en dehors de l’agitation politique et sauva sa tête pendant la Terreur. Quand le Consulat rétablit les fonctions de maire en 1800, Carcassonne s’administra un court moment sous la présidence provisoire de Pierre Germa. Puis, le 27 Germinal de l’An VIII (17 avril 1800), Bonaparte nomma Pierre Thoron Lamée - qui avait entre-temps fait choir sa particule - au poste de Premier magistrat de la commune. Ses adjoints furent Arnaud Besaucèle et Georges Degrand. Ce dernier avait participé à la tourmente révolutionnaire. D’abord comme agent national en l’An II (1794) puis en qualité d’administrateur du département en l’An IV (1796), tout en échappant à l’accusation de terrorisme. Protégé par Fabre de l’Aude, il s’illustrera comme maire de Carcassonne à partir de 1807 puis dans les fonctions de Sous-préfet de Castelnaudary (nommé le 24 juillet 1811). 

    Pierre Thoron de Lamée mourra à Carcassonne le 29 fructidor An XIII (16 septembre 1804) à l’âge de 64 ans. Son successeur fut Castel, aîné en 1805 avant une période de transition sous l’administration provisoire de Degrand et de Besaucèle. Pierre Thoron de Lamée s'était marié le 11 septembre 1786 dans la chapelle du château de Lasbordes (Aude) avec Claire de Foucault, sœur d'Henriette d'Hautpoul.

    thoron de lamée

    Le château de Lasbordes

    Cet illustre Carcassonnais dont ne nous savions que peu de choses jusqu’à aujourd’hui, méritait toute notre attention et nos meilleures recherches. Il a été enseveli, comme on l’écrivait autrefois, au cimetière Saint-Michel de Carcassonne et a laissé par testament olographe du 4 Thermidor An XII, un lèg de 500 francs pour les Hospices et de 300 francs au bureau de bienfaisance de la ville.

    Sources

    Archives communales de Narbonne / 1877

    Les Franc-maçons et le pouvoir / Ed. Perrin / 1986

    Franc-maçons parisiens du Grand Orient / A. le Bihan / 1966

    Du Directoire au Consulat / Colloque / Univ. de Lille / 1999

    Délibérations du Conseil municipal de Carcassonne

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019

  • Guillaume Peyrusse, baron de l'Empire et maire, accusé de fraude électorale !

    La recherche historique nous apprend dans bien des cas, qu’il ne faut pas s’en tenir aux jugements hâtifs, portés par une unique voix surtout quand celle-ci peut être jugée comme partisane. Jean Amiel, érudit de notre ville en son temps, publia en 1929 dans un livre la biographie de six Carcassonnais célèbres. Parmi eux, le baron Guillaume Peyrusse (1776-1860) qui avait été trésorier de Napoléon 1er pendant les Cent jours, semblait devoir profiter de toutes les considérations honorifiques de la part de l’auteur. Il est vrai pourtant que ce proche de l’Empereur dans ses derniers jours de l’exil à Saint-Hélène, avait été accusé prétendument à tort de s’être enrichi sur la caisse de Sa Majesté Impériale. Le maître déchu n’avait pas laissé, il faut en convenir, un bon souvenir à Peyrusse dans le troisième codicille de son testament ainsi retranscrit : « J’avais chez le banquier Tortonia, de Rome, deux à trois cent mille francs en lettres de change produit de mes revenus de l’île d’Elbe ; depuis 1815, le sieur de la Peyrusse, quoiqu’il ne fut plus mon trésorier et n’eût pas de caractère, a tiré à lui cette œuvre, on la lui fera restituer. » Cette affaire, comme un cailloux dans la chaussure, embarrassa longtemps le baron Peyrusse ; il dut s’en défendre, prouver sa bonne foi et renouveler son argumentaire après chaque attaque dont il fut l’objet au cours de sa vie politique : « Je me suis empressé dès l’arrivée en France des exécuteurs testamentaires (Bertrand, Montholon et Marchand, NDLR) de l’Empereur, de remettre l’état des fonds chef M. Tortonia (banquier) et ceux qui n’avaient pas été employés pour le service de Napoléon, dit-il. » Afin de compléter la justification, Guillaume Peyrusse publia les comptes dans un mémoire qui fut inséré dans le n°122 de « La France méridionale ». Les dépôts des pièces comptables furent, d’après lui, déposés chez un notaire. Ceci tendit à prouver que les fonds de Napoléon réalisés à la caisse du banquier, n’en étaient jamais sortis et que les lettres de change n’avaient pas été acquittées. Quant au codicille, l’Empereur a sans doute été mal informé ; on ne lui a pas annoncé que ces valeurs étaient mortes. Voilà donc pour l’explication de M. Peyrusse. A cela s’ajoutent les trois lettres des exécuteurs testamentaires attestant de la probité du trésorier, dont celle de Bertrand le 24 avril 1829 :

    « Sur la demande de M. le baron Peyrusse, ancien trésorier de l’Empereur Napoléon dans l’île d’Elbe, je déclare qu’il résulte des faits à ma connaissance, des renseignements qui m’ont été donnés, ainsi que des comptes de M. Tortonia, duc de Bracciano. Que les sommes provenant des lettres de change envoyées à Rome en 1814 et 1815 pour le service de l’île d’Elbe, et dont la valeur a pu être réalisée, ont été dépensées par M. Tortonia, conformément aux dispositions qu’il a reçues à cet effet, et qu’aucune partie n’en a été remise à M. Peyrusse. Que les autres lettres de change ayant été protestées, et ce banquier n’ayant pu par la suite des évènements de 1815 en faire effectuer le paiement, il les renvoya à M. Peyrusse qui s’empressa de les faire mettre à la disposition des exécuteurs testamentaires à leur arrivée en France. Que le deuxième paragraphe du troisième codicille au testament de l’Empereur, a été rédigé par Sa Majesté dans une supposition qui s’est trouvée sans fondement et qui tenait à la difficulté où s’est trouvé le testateur d’avoir des nouvelles exactes de ses affaires. »

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    © Alain Pignon

    Guillaume Peyrusse

    La Gazette du Languedoc aima très souvent se rappeler au bons souvenirs de M. Peyrusse en ce qui concerne l’affaire du testament. Particulièrement, à partir de l’instant où il fut nommé maire de Carcassonne par Louis-Philippe, le 12 décembre 1832. « Ma carrière politique n’a eu qu’un acte. J’ai été de la dernière volonté de l’Empereur, alors que 300 exemplaires du n°122 de la France méridionale et 500 exemplaires du Moniteur et le dépôt de toutes les pièces chez le notaire ont fait connaître à ma ville l’erreur de Sa Majesté à mon égard […] La loi me protège, mais votre loyauté me rassure. » En janvier 1833, « La Tribune des départements » manifeste dans des termes peu élogieux sa désapprobation : « Il faut qu’un pouvoir soit tombé bien bas pour être obligé de livrer les emplois publics à des hommes comme ceux-là, car nous aimons mieux croire à son impuissance à éviter le vice, qu’aux sympathies qu’il pourrait inspirer. »

    Malgré les démentis de toutes sortes, le testament manuscrit de Napoléon menait la vie dure à son ancien trésorier. Ainsi, « L’histoire de France » de l’abbé de Montgaillard (Tome 3, p.158), dont le frère avait été en indélicatesse avec Peyrusse au moment de la chute de l’Empire, rappela ce que ce dernier s’évertuait à vouloir faire disparaître. 

    A l’instar des anciens bonapartistes, Peyrusse avait choisi de se ranger derrière la personne de Louis-Philippe après les évènements de juillet. A ce propos, il ne tarissait pas d’éloges sur le descendant de la branche des Orléans et s’était fait, semble t-il, un grand nombre d’adversaires du côté des légitimistes et des républicains. Pour exemple, citons les louanges à son roi au moment des fêtes organisées le 1er mai pour la Saint-Philippe : « Carcassonnais, nous célébrons le 1er mai la fête de Louis-Philippe. La France ne pouvait confier en de plus dignes mains, le soin de veiller sur son repos, sur sa gloire, sur ses institutions. La noble tâche que le vœu national lui a imposé s’accomplit. » La messe qui s’ensuivit à la cathédrale Saint-Michel fut présidée par le préfet en habit avec l’ensemble des budgétivores, d’après la chronique. Pour autant, l’action municipale de Peyrusse dans les deux premières années de son mandat se passa sans problèmes notables. Là, où les événements se bousculèrent c’est au moment des élections municipales de novembre 1834. A cette époque, un collège électoral élisait le maire et les conseillers municipaux.

    peyrusse guillaume

    Louis-Philippe 1er, roi des Français

    Le 27 novembre 1834, les votes avaient débuté dans la salle de hôtel de ville par la 1ère Section selon le découpage électoral de Carcassonne. Deux candidats favorables au maire avait été élus, mais il fallait attendre le lendemain pour se prononcer sur le troisième siège. Le 28 novembre, les électeurs se rendirent aux urnes avec l’idée de surveiller le maire, soupçonné d’être capable de fraude pour éviter l’opposition démocratique des légitimistes et des Républicains. Plusieurs bulletins avaient déjà été remis au président du bureau de vote qui les avait successivement déposés dans l’urne, lorsqu’un membre du bureau crut s’apercevoir que Peyrusse substituait des bulletins cachés dans sa main gauche à ceux, que sa main droite recevait des votants. L’opération répétée trois ou quatre fois, suscita l’émoi chez le secrétaire qui en fit reproche au maire. 

     - Monsieur, répliqua Peyrusse, vous ne soutiendrez pas votre accusation.

    - Je la soutiens sur l’honneur, et j’invoque le témoignage des scrutateurs qui vous assistent.

    Sur leur réponse, le maire suspendit la séance et se retira dans son cabinet.

    - Il faut l’arrêter, disent les uns, puisque nous le prenons en flagrant délit. Il faut le fouiller et faire vider ses poches.

    Dans la foulée, une protestation fut rédigée et adressée au préfet de l’Aude et au procureur du roi. En voici la teneur :

    Nous, membres et scrutateurs du bureau désigné par la loi pour procéder aux opérations de l’assemblée communale de la 1ère section.

    Considérant que, pendant que l’on procédait aux votes, M. le maire, président du bureau, après avoir exigé que MM. les électeurs lui remissent leurs bulletins, y substituait des bulletins étrangers, et les introduisait dans l’urne à la place des bulletins véritables.

    Considérant qu’une pareille fraude a été pratiquée notamment, à l’égard des bulletins remis par MM. Projet Bernard, Saïsset, commandant en retraite.

    Considérant que déjà, dans la journée du 27, les sous-signés avaient cru s’apercevoir de ce qu’il y avait d’équivoque dans la conduite de ce même fonctionnaire, président les élections de cette journée, mais qu’ils avaient dû garder le silence parce qu’ils n’avaient acquis aucune preuve certaine de fraude.

    Considérant qu’à l’appui de cette constatation, les soussignés ont remarqué que M. le maire s’est retiré de l’assemblée et s’est empressé de quitter le fauteuil de la présidence pour passer dans un cabinet particulier, quand il a vu que la fraude était reconnue et signalée aux électeurs votants, par l’un des membres du bureau.

    Considérant qu’un pareil fait porte atteinte grave à la validité des élections de la première section, en même temps qu’il est de nature à livrer au mépris public et à la vindicte des lois, ceux des membres du bureau qui pourraient être soupçonnés de s’en être rendus les complices.

    Considérant qu’il est dès lors de l’honneur et de la dignité du bureau de ne pas continuer de présider à des opérations viciées par un acte frauduleux, quelque extraordinaire qu’il puisse paraître.

    Les soussignés protestent contre la partie de ces opérations, déjà faites, et déclarent se retirer du bureau, afin de ne pas voir leur responsabilité et dignité d’homme et de citoyen compromise.

    En se retirant, les soussignés, formant la majorité du bureau, émettent le voeu que les bulletins déjà reçus, soient mis entre les mains d’un notaire ou autre officier public, afin qu’ils puissent plus tard servir à la justification des faits avancés dans le présent acte.

    En même temps, il demandent l’insertion de la présente protestation au procès-verbal. En foi de quoi, les présentes ont été rédigées et remises, après signature, entre les mains de M. le maire, le tout avant le dépouillement du scrutin. Signé, Boulac, Journet père et Germain père.

    Le 29 novembre 1834, lendemain de l’élection, quatorze électeurs sollicitèrent l’annulation su scrutin des 27 et 28 novembre. Les motifs furent exposés. On constata que le dépouillement de la veille ne donnait que 22 suffrages à M. Marti-Roux - opposant à Peyrusse - alors qu’une enquête réalisée postérieurement au scrutin lui en accordait 40. M. Rouby, électeur de la section, protesta contre le fait que l’urne avait été abandonnée et que trois membres n’étaient plus présents dans le bureau où se tenait le vote. M. Mossel ajouta n’avoir pas pu voter car le bureau avait été abandonné le 28 ; une affirmation complétée par M. Bernard attestant que le bureau était effectivement déserté et que seuls Peyrusse et Germain se trouvaient près de la cheminée.

    Le Conseil de préfecture, présidé par le préfet et MM. Sicard-Blancard, David-Barrière er Renard, fut chargé dans un premier temps d’examiner la requête des plaignants. Dans son délibéré du 9 décembre 1834, il valida l’élection du 27 novembre de MM. Cazanave et Coumes, mais déclara nulle celle du 28 novembre remportée par M. Jaffus. Estimant que l’arrêté « n’examina pas le fond de la question de validité ; c’est-à-dire la fraude coupable qui avait amené un résultat inattendu, le conseil de préfecture cassa uniquement le scrutin du 28 novembre pour irrégularité de forme », l’avocat des parties civiles M. Crémieux, porta l’affaire devant le Conseil d’état. Une réponse à la défense de M. Peyrusse fut même rédigée sur douze pages par les plaignants et signée de MM. Fages (avocat et bâtonnier), Rouby (Propriétaire) et Trinchan (avocat, capitaine de la Garde Nationale et conseiller municipal).

    peyrusse guillaume

    Désormais, les soupçons de fraude électorale mettaient Guillaume Peyrusse sous la menace des sanctions prévues par les articles 111,112 et 114 du Code pénal. A Carcassonne, en faisant jouer ses relations, il avait pu obtenir la mansuétude du conseil de préfecture. Qu’en serait-il à Paris ? Poursuivant malgré cela ses fonctions de maire, l’ancien trésorier de l’Empereur articula sa défense autour de la menace. Quiconque osera (journalistes ou scrutateurs) après « toutefois qu’il aura obtenu l’autorisation nécessaire du Conseil d’état », l’accuser de fraude sera immédiatement poursuivi devant la justice pour calomnie. Loin d’avoir été impressionnés, les signataires de la protestation se saisirent de l’occasion pour sommer le maire de venir s’expliquer avant les tribunaux. Quant au préfet, le doute sur sa neutralité n’était plus permis depuis qu’il avait annoncé en janvier 1835 en envoyant au ministre la liste pour nomination du maire et des adjoints : 

    Je ne fais pas de présentation du maire ; il est probable que l’instruction commencée contre M. Peyrusse devant la Cour Royale de Montpellier aura le résultat que nous espérions ; dans ce cas, c’’est M. Peyrusse que je proposerai. » Si fait, qu’en attendant, le gouvernement de Louis-Philippe le nomma Sous-intendant militaire à La Rochelle malgré l’affaire en cours. Guillaume Peyrusse bénéficiait de sérieux appuis auprès du roi et pour l’attaquer devant le Conseil d’état, fallait-il encore obtenir une autorisation royale. Le garde des sceaux présenta une requête afin de savoir si le Conseil d’état devait délibérer pour autoriser le ministère public à poursuivre le maire sur les délits de fraude électorale. Or, le rapporteur n’avait pas encore rendu ses conclusions et Carcassonne s’administrait sans maire. Les adjoints proposés sans être consultés, refusèrent. Les sortants durent cesser leurs fonctions à l’expiration de celles-ci, au commencement de 1835. Peyrusse restait le premier magistrat de la commune, lorsqu’arriva la séance houleuse du conseil municipal du 7 mai exhortant Monsieur le baron à quitter ses fonctions. Le 10 juin, le conseiller municipal Sarrand qui lui succédera déclare : « Quand bien même M. Peyrusse aurait qualité légale pour rester en fonction, les mêmes considérations morales qui l’avaient fait s’abstenir de présider le conseil après l’invitation expresse qui en fut faite dans la séance du 7 mai, lui faisait devoir de ne plus participer à aucun acte d’administration, jusqu’à ce qu’il eût victorieusement repoussé devant les tribunaux et l’opinion publique, l’accusation de faux portée contre lui ! » Le maire sera absent des séances jusqu’au mois d’août et remplacé par Plauzoles et Sarrand.

    Après que le Conseil d’état a déclaré finalement ne pas avoir de motifs suffisants pour « poursuivre M. Peyrusse à raison des fraudes électorales qu’on lui impute », le maire fit une timide réapparition à la fin septembre 1835. On ne reviendra pas sur la chose jugée, on ne s’en tiendra donc qu’aux conditions dans lesquelles elle le fut. Par ordonnance du 12 septembre 1835, le roi Louis-Philippe sur proposition d’Adolphe Thiers, nomma à nouveau Peyrusse au poste du maire de Carcassonne. Dans le mois qui suivit, le baron Peyrusse dut se résoudre à démissionner en raison de la fronde menée contre lui au sein du conseil municipal par ses collègues. Il sera remplacé le 23 novembre 1834 par Louis Sarrand - un ancien des campagnes napoléoniennes, boiteux en raison d’une mauvaise blessure de guerre, qui accepta malgré l’avis défavorable de son conseil de famille.

    peyrusse guillaume

    © Alain Pignon

    Louis Sarrand

    Guillaume Peyrusse avait-il réellement faussé les élections communales de la 1ère section de Carcassonne ? Y a t-il eu une kabbale montée contre lui par certains de ses collègues, comme le laisse supposer Jean Amiel dans sa biographie « Six Ataciens célèbres » ? Les conclusions d’Amiel tendant à exonérer l’ancien maire, ne s’appuient que sur ce qu’en dit Mahul dans son Cartulaire. C’est-à-dire seulement quelques lignes : « Des écrits contradictoires sur ces débats furent publiés de part et d’autre, à Carcassonne, par la voie de la presse locale durant le cours de l’année 1835. Les écrits publiés pour l’inculpation sont signés par les chefs habituels de l’opposition politique de l’époque. » Jean Amiel, à son corps défendant, ajoute : « C’est tout. Nous avons fait des recherches personnelles qui ne nous ont rien donné de plus. C’est peu. L’on en conviendra. »

    Et pour cause… Jacques Alphonse Mahul était le cousin germain de Guillaume Peyrusse. Ancien doctrinaire, haï de la population pour ses positions antisociales et contre la liberté de la presse lors de son mandat de député, il dut abandonner la politique et se faire oublier avec son Cartulaire. Que Guillaume Peyrusse ait été attaqué par les légitimistes Bourbons et les Républicains semble acquis, mais le conseil municipal Orléaniste lui était favorable. A moins que quelques anciens bonapartistes comme Sarrand, passés comme lui à Louis-Philippe, n’aient eu une quelconque rancune à son endroit. L’histoire le révèlera t-elle un jour ? La réhabilitation de Guillaume Peyrusse interviendra lors du passage de Napoléon III à Carcassonne avec la remise de la Légion d’honneur en 1852, après avoir chanté les louanges de Louis-Philippe. Les hommes sont ce qu’ils sont, le temps ne les changera pas.

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    Le baron Peyrusse est inhumé dans le cimetière Saint-Vincent. Sa tombe a été restaurée et une plaque apposée par les soins de l'Association des Amis de la ville et de la Cité.

    Sources

    La tribune des départements, La tribune littéraire et politique, La quotidienne, La gazette du Languedoc, Le moniteur universel, Le figaro / 1832 à 1835

    Six Ataciens célèbres / Jean Amiel / 1929

    Délibérations du Conseil municipal de Carcassonne

    Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

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  • La Cité de Carcassonne par Antoine Guillemet (1841-1918)

    Elève de Corot et plus tard proche de Manet, Monet et Courbet, Jean Baptiste Antoine Guillemet est considéré comme l'un des maître du paysage de la fin du XIXe siècle. Il naît à Chantilly en 1841 de Louise Durosoy dont il porte pour un temps le nom, en l'absence de père connu. Ce n'est que deux ans plus tard qu'Arsace Guillemet consentira à le reconnaître. Au mois de février 1911, le journal "L'excelsior" nous apprend que le peintre "achève à l'atelier un tableau d'imposantes dimensions, où la Cité dresse ses nobles murs et ses tours sarrasines au-dessus du vieux pont romain et des campagnes aux lignes fermes, dans joie du soleil." Il est probable que Guillemet ait posé son chevalet durant l'année 1910 sur les bords de l'Aude en contrebas du Pont vieux. La couleur du feuillage nous laisse penser que ce fut à l'automne, par l'une de ces après-midi où le soleil n'a pas encore quitté sa belle exposition. La barque près de la rive du fleuve témoigne de la présence d'une sablière à cet endroit. En effet, les ouvriers procédaient à l'extraction du sable et l'importaient sur leurs embarcations ; ceci se retrouve sur des cartes postales de cette époque. Ceci pourrait également expliquer le choix de l'endroit que Guillemet aurait pu repérer grâce à une photographie. Autre détail... Nous avons trouvé des Guillemet natifs de plusieurs villages de l'Aude au XVIIIe et XIXe siècle, notamment à Saint-Hilaire. Au XVIe siècle, un curé du chapitre cathédral de Carcassonne s'appelait Guillemet. Est-ce à dire qu'il avait de la famille dans l'Aude ?

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    En 2019, le lieu où Guillemet posa son chevalet à la même époque. 

    Cette toile, Guillemet la présenta au Salon des Artistes Français en avril 1911 avec un autre tableau tiré de son pinceau, "La plage de Villiers". Si "La Cité de Carcassonne" remporta le premier tour de scrutin, elle fut battue au second tour par une toile de Renard. Les gazettes de l'époque rapportent : "Il nous découvre un quadrilatère ensoleillé, solidement bâti sur sa hauteur, avec, dans le bas, une vaste vallée, dont la fraîcheur n'a rien à envier ni à Equien, ni à Moret, paysages favoris du grand paysagiste." (Le soleil / 29 avril 1911). "La Cité de Carcassonne, bellement peinte par Guillemet, est un petit paysage, simple esquisse, mais du plus vigoureux accent et enlevée comme par jeu." (La Gazette de France). On apprend que cette toile était destinée au Musée du Luxembourg. Elle sera acquise par l'Etat suite à l'exposition de l'Ecole des Beaux-arts et viendra ensuite enrichir les collections du Musée des Beaux-arts de Carcassonne.

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    Aujourd'hui, elle se trouve dans le bureau du secrétariat du maire à Hôtel de ville de Carcassonne. Elle y jouit d'une belle lumière et d'un bel emplacement, remarqué par tous ceux qui ont ensuite rendez-vous dans le bureau du premier magistrat de la ville. 

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