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Seconde guerre mondiale - Page 32

  • Antoine Armagnac (1912-1944), héros de la Libération de l'Aude

    Non ! La rue Armagnac à Carcassonne n'est pas dédiée à une célèbre eau-de-vie. C'est l'artère qui fut donnée à un martyr de la Résistance audoise, devenu héros tragique de la Libération. Son nom lui fut donné dans les premiers jours du mois de septembre 1944, sur proposition du Comité Local de Libération, en remplacement de l'ancienne rue du Port. C'est précisément pour ne pas oublier qui fut Antoine Armagnac et pour en aviser les nouveaux habitants de Carcassonne, que nous écrivons cette chronique. Souvenons-nous que l'an passé, une journaliste de la rédaction de La dépêche avait relaté un fait divers, dans la rue de Nice (sic). Cette pigiste ne s'était sans doute pas rendue sur les lieux, près de la place Carnot, où elle aurait constaté qu'il s'agissait de la rue Denisse, marchand parfumeur au XVIIIe siècle. A ne pas confondre avec son homonyme de cinéma : Brice de Nice. 

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    Antoine Louis Marius Armagnac, fils de Louis Gustave et de Louis Constance Monié, naît le 6 avril 1912 à Quillan. Durant la Seconde guerre mondiale, ces parents habitent à Conques-sur-Orbiel où le père exerce la profession de boulanger. Après son service militaire dans la marine, le matelot Armagnac travaille à la mine d'or de Salsigne. Il en a même le titre de chef d'équipe. Le 17 août 1935, Antoine convole en juste noces avec Jeanine Roquefort, âgée seulement de 17 ans. C'est la sœur de Félix Roquefort, qui sera ensuite résistant, député et maire de Conques-sur-Orbiel. Quelques mois avant l'invasion de la zone sud par les troupes Allemandes, Antoine Armagnac se fait repérer par les partisans de Vichy. Albert Picolo, premier résistant du département de l'Aude avec Lucien Roubaud, anime et dirige à Carcassonne le journal du mouvement "Combat". C'est à ce moment qu'Armagnac les rejoint avec Michel Bruguier, Marcel Valette et Joseph Dufour.

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     Sa participation à la commémoration de la bataille de Valmy le 20 septembre 1942, à la statue de Barbès à Carcassonne, lui vaudra la répression de l'administration de Vichy. Non seulement pour y avoir défilé, mais pour également des activités de propagande contre le régime de l'Etat-Français. Albert Picolo et quelques autres sont arrêtés. Sur ordre du préfet Marc Freund-Valade, ils sont incarcérés à la Maison d'arrêt entre le 30 septembre et le 5 octobre 1942. Parmi eux, citons Michel Bruguier (étudiant), Marcel Valette (Cheminot), Joseph Dufour (Cuisinier), Michel Gambau (Plombier), Biart Jean Marie (Représentant), etc. Ils écopent d'une peine de trois à quatre mois d'emprisonnement et de 3000 francs d'amende pour menées antinationales. Dans les faits, leur libération n'interviendra que le 25 juin 1943 par décision d'un maintien d'écrou administratif. Antoine Armagnac sera jugé le 13 mai 1943 par le Tribunal civil de Carcassonne et condamné à deux mois de prison et 1000 francs d'amende. Libéré le 11 août 1943, il reprend ses activités. Traqué par la Milice, il prend le maquis avant que celle-ci ne se présente à son domicile pour l'appréhender. Au mois d'avril 1944, Jean Bringer (Myriel) le charge de constituer un noyau de résistance du côté de Pradelles-Cabardès. Ainsi naît le "Maquis Armagnac", au sein duquel son chef prend le grade de lieutenant FFI. 

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    © aude.gouv.fr

    Le maquis obligé de replier sur Trassanel est attaqué par des Allemands supérieurs en nombre et en matériel. Bien entendu, sur dénonciation... Le 8 août, le chef Armagnac tombe les armes à la main en essayant de protéger la fuite de ses camardes. La quasi totalité du maquis est décimée ; les Allemands achèveront les blessés aux couteau et à la baïonnette. Ils ne sont pas à un crime de guerre près... Le lendemain, Antoine Armagnac succombe à ses blessures. Il sera inhumé dans son village de Conques-sur-Orbiel.

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    Le 17 août 1945, Antoine Armagnac est cité à l'Ordre de la division à titre posthume par le général de brigade Zeller, Commadant de la 16e région militaire. On lui attribue la Croix de guerre avec étoile d'argent.

    "Un des premiers résistants de l'Aude, d'un courage exemplaire. A constitué les premières équipes de sabotage, puis celles du Cabardès, dont il a pris le commandement en mai 1944. Est glorieusement tombé à la tête de ses hommes, après une lutte héroïque contre un ennemi supérieur en nombre et en armement à Trassanel (Aude) le 8 août 1944."

    Lieutenant FFI Arnal - c'est son pseudonyme - est élevé au grade de capitaine le 1er octobre 1955 dans l'armée d'active. L'année suivante, le 8 juin 1956, sa veuve obtient de statut d'Interné-Résistant pour son mari. Enfin, Antoine Armagnac est fait Chevalier de la légion d'honneur à titre posthume le 30 décembre 1959. Son épouse, Jeanine Armagnac, mourra le 9 décembre 2014 à l'âge de 96 ans. 

    Sources 

    Notes, recherches et synthèse / Martial Andrieu

    Service historique de la défense 

    Midi-Libre / Septembre 1944

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  • Le chef du maquis de Villebazy a t-il été assassiné au sein du 81e régiment d'infanterie ?

    Cette question reste à ce jour sans réponses. Pourtant, la petite fille du Lieutenant Jacques alias Antonin Arnaud se la pose depuis plusieurs années. Comment ce chef droit et adulé de ses hommes a t-il pu disparaître dans des conditions aussi troubles ? Tué, au cours d'une méprise.

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    © Elodie Bérard

    Le lieutenant Jacques, chef du maquis de Villebazy

    Antonin Arnaud naît le 1er janvier 1924 à Lunel dans l'Hérault. Marié le 28 mars 1942 à Perpignan, il tente, comme beaucoup de jeunes, d'échapper au Service du Travail Obligatoire. Depuis février 1943, le futur réfractaire est appelé à partir travailler en Allemagne. C'est alors qu'il décide avec son épouse de s’enfuir et de rejoindre un maquis en Haute-Savoie. Il participe aux combats des Glières opposant à partir de février 1944, la Résistance à la Milice française. Arrêté par les troupes de Joseph Darnand. Il est gardé par elles dans un hôtel de Thônes avec son épouse et son fils mais réussit l’exploit de s’échapper en sautant du 2e ou 3e étage.

    A l’issu de cette évasion, il se réfugie dans l’Aude et fonde le 1er mars 1944 le maquis de Villebazy, appelé plus tard « Corps Franc Lorraine ». Lorraine, car son ancien maquis en Haute-Savoie portait ce nom. Antonin Arnaud prend le pseudonyme de Jacques, au sein de ce groupe de résistance constitué de 15 hommes en avril 1944. Il est ravitaillé par Honoré Désarnaud, futur maire de Villebazy. Ce dernier, chef cantonal de la Résistance pour le canton de Saint-Hilaire, faisait le lien entre Jean Bringer et Jacques. Au cours de l'été 1944, la Milice et les troupes Allemandes mènent des actions afin d'anéantir les maquis. Villabasy n'échappe pas à ces attaques, grâce à des dénonciateurs payés par la Gestapo. Le 18 juillet 1944, c'est Georges R qui indique son emplacement. Entre le 20 et le 23 juillet, les maquisards se replient sur Lairière, mais des accrochages ont lieu avec les Allemands qui n’ont pas cessé de les pourchasser. La veille de l'arrestation de Jean Bringer - chef FFI de l'Aude -Villebazy se replie sur Missègre à l’Est de Limoux. Au même moment, une grande réunion des chefs de la Résistance se déroule à la Digne d’Aval pour la constitution d’un nouveau maquis (Myriel, Vals adjoint d’Astier, Roubaud (chef départemental des M.U.R). C'est le lendemain, 29 juillet 1944, que Jean Bringer sera arrêté par la Gestapo.

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    Jean Bringer

    Depuis 72 ans, on nous ressert la même explication : Fernand Fau, agent de la Gestapo infiltré dans la Résistance, se présente chez Maurel à Carcassonne. Ce dernier est agent de liaison de Jean Bringer. Fau a paraît-il une lettre signée de Jacques - chef du maquis de Villebazy -dans laquelle il demande des ordres de repli à Bringer (Myriel). Son maquis aurait été attaqué par les Allemands. Maurel se rend alors à la clinique du Bastion (Dr Delteil) où se trouve Bringer avec René Chiavacci (agent de liaison). La clinique Delteil servait de lieu de réunion à la Résistance. Bringer rédige alors les ordres et part accompagné de Chiavacci et de Maurel remettre la réponse à Fau pour Jacques. Peu de temps après Chiavacci puis Bringer sont arrêtés par Fau et la Gestapo. Cette version supposerait que Antonin Arnaud (Jacques) soit dans la combine, ou ait fait preuve de légèreté vis à vis de Fau.

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    © ADA 11

    René Bach

    Regardons de plus près... Qui raconta cette version ? René Bach, agent de la Gestapo, à son procès en juillet 1945. Fernand Fau lui aurait raconté l'arrestation de Bringer, dans l'après-midi au siège du SD. Il fit cette déposition devant la Cour de Justice. Le problème, c'est que Fau sera éliminé par le Résistant Robert le 19 août 1944 sans que l'on puisse l'interroger. Mme Bringer s'étonnera que l'on n'ait pas cherché à le prendre vivant... Bach n'a jamais été un témoin oculaire de l'arrestation de Bringer, on s'en tient donc à ce que lui aurait rapporté le Gestapiste Fau. Maurel aurait pu en témoigner ; curieusement, il ne se présentera pas au procès de Bach. On ne l'interrogera pas ; il n'y pas même une déposition de sa part dans l'instruction. Il était en vie et vivait dans les Haute-Pyrénées, car nous avons retrouvé sa trace. Quant à Chiavacci, Bach l'accusera d'avoir désigné Bringer à ces services, comme étant le chef de la Résistance. Les nombreuses contradictions de Chiavacci permettent de le penser. Or, ce dernier était connu pour être un homme de main de la Résistance, agent de liaison sans envergure. Nous savons que Bringer avait imposé une cloisonnement très strict des différents services de la Résistance audoise. Certes, Chiavacci connaissait Bringer, mais les agents de liaisons n'étaient pas mis dans la confidence ni des projets, ni des chefs de réseaux.

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    La clinique du Bastion

    Chiavacci a été arrêté quelques heures avant Bringer devant l'école du Bastion, avec de sa compagne - infirmière à la clinique Delteil. Amenés à la Gestapo route de Toulouse, elle sera relâchée et ira prévenir Delteil. Ce dernier restera, au lieu de s'enfuir. Il sera arrêté quelques temps après. Entre temps, pourquoi Delteil n'a t-il pas cherché à prévenir Bringer ? Là encore, enfumage à Carcassonne ! Non, Jean Bringer n'a pas été arrêté sur le boulevard Barbès, comme certains l'écrivent, mais vers 14h30 sur le Pont d'Artigues. Après la réunion de midi à la clinique où il vit à ses dépens l'agent Fernand Fau, il remonta déjeuner chez ses logeurs dans la rue Alfred de Musset. Où se rendait-il à 14H30 sur le pont d'Artigues ? A une réunion où devait se trouver Francis Vals (Chef du Comité de Libération et futur député socialiste). La Gestapo trouva sur lui des Bons du trésor de la banque d'Alger. Evidemment, pour savoir cela il faut aller fouiller dans les archives du Service Historique de la Défense. En 1953, Daraud (chef de la police politique à la Libération) déclarera que plusieurs fois il mit en garde Bringer de ne plus aller à la clinique Delteil. Qu'il ne voulut pas l'écouter. Que lui-même ne s'y rendait plus depuis longtemps, cela lui faisait peur."

    Cette thèse complotiste peut être renforcée par le fait que Chiavacci et Delteil ne partiront pas à Baudrigues le 19 août 1944. Au lieu d'être exécutés avec Bringer et Ramond, il seront relâchés par les Allemands lors de leur départ. Delteil ira même témoigner en faveur du sous-chef de la Gestapo de Carcassonne à son procès en 1953 à Bordeaux. Quant à Maurel - employé SNCF, né à Verzeille-, la Gestapo ira perquisitionner chez lui mais ne réussira pas à l'arrêter. Un coup de chance ? 

    Revenons un peu à l'ordre de repli qu'aurait demandé par lettre Jacques à Jean Bringer...Ceci est une pure invention, car la veille (28 juillet 1944) le maquis de Villebazy s’était déjà replié sur Missègre. Il n’avait pas besoin des ordres de Myriel puisqu’il s’était déjà replié. De plus, lors de la grande réunion qui s’est tenue ce jour-là à La digne d’aval, Myriel a pu être tenu au courant de ce repli. Sachons que le maquis de Villebazy était placé sous les ordres de Négrail, chef du secteur de Limoux. La digne d’Aval et Missègre en faisaient partie.

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    La maison qui logeait Bringer avant son arrestation


    Il nous semble que jamais Jacques n’a demandé un ordre de repli à Myriel. La lettre amenée par Fau aurait pu être faussement signée de Jacques et le mot de passe donné par un complice. Bringer serait ainsi tombé dans un piège. Quels complices ? Chiavacci et Maurel ne sont sans doute que la face immergée de l'iceberg. Curieusement, Chiavacci bien qu’emprisonné par la Gestapo et à la Libération, par la Police politique, finira ses jours tranquillement. Pourquoi aurait-on dénoncé Bringer ? Les mobiles ne manquent pas : Politique, financement de la Résistance, vols des parachutages.

    L'engagement de Jacques dans le 81e régiment d'infanterie

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    © Centre de la mémoire combattante

    Le général Zeller à Carcassonne en décembre 1944

    La fille d’Antonin Arnaud vient de naître. Nous sommes quelques mois après la Libération de l’Aude et l’ancien chef du maquis de Villebazy décide de continuer le combat contre les Allemands. Il s’engage avec le 81e RI formé à Carcassonne le 15 décembre 1944 par le général Zeller. Le lieutenant « Jacques » conserve son grade d’ancien FFI dans le 1er bataillon commandé par le capitaine Frank, alias Lucien Maury. Ce dernier avait été le chef du maquis de Picaussel dans l’Aude. Dans ce même bataillon, se trouvent le capitaine Martinet et le lieutenant Fontrouge.

    Le 16 février 1945 à quatre heures du matin à Niffer (Alsace), Jacques décède à la suite de ses blessures. Une rafale de mitraillette l'atteint à la tête et au thorax. L' acte de décès est dressé par Jacquemond Marius, sous-lieutenant au 81e régiment d’infanterie, sur la déclaration de Camarata Jean, médecin adjoint au 81e RI et de Arrecot Paul, infirmer au 1er bataillon du 81e RI. Les circonstances de la mort de Jacques ne sont pas très claires... 

    "La veille de sa mort, Antonin Arnaud, réussit l’exploit en plein jour sur le nez des blockhaus ennemis, de s’emparer d’un canot pneumatique camouflé sous la berge et utilisé par les patrouilles allemandes pour passer le Rhin. Il a supplié son chef de bataillon (Lucien Maury, NDLR) de lui laisser traverser le Rhin pour opérer une reconnaissance en territoire allemand. Mais si, en raison du dispositif peu dense cette opération est facile pour les patrouilles nocturnes de l’ennemi, la réciproque n’est pas vraie. Le chef de bataillon s’est donc refusé à sacrifier des hommes de l’autre côté du Rhin où l’ennemi est puissamment organisé." (Annuaire des anciens du 81e RI - Lucien Maury)

    De son côté, le capitaine Piquemal (Bataillon du Minervois) rapporte que : "Ricaud fait un rapport à Régis Bès sur les circonstances de la mort de Jacques : le lieutenant a dit à ses hommes qu’à partir de ce soir, il n’y aurait plus de sommations. Ordre de tirer à vue. Peu de temps après, Jacques était atteint - suite à une méprise, par une rafale de mitraillette tirée à bout portant par l’un de ses hommes."

    Le lieutenant Antonin Arnaud obtient la citation suivante à titre posthume le 24 mars 1945 du Lieutenant-colonel Gauvin (81e RI), accompagnée de la Croix de guerre avec étoile de bronze.
    "Chef de Corps Franc. Officier intrépide, brave jusqu’à la témérité, volontaire pour toutes les missions dangereuses. Est tombé mortellement frappé au cours d’une embuscade sur les bords du Rhin, à l’Est de Niffer, le 15 février 1945." 
    Le 18 décembre 1946, Mme Arnaud reçoit l’avis de décès avec la mention « Mort pour la France », ainsi que deux attestations de décès pour que ces enfants puissent être adoptés par la Nation.

    Tué ou assassiné

    D'après des militaires que nous avons interrogés, le tir par méprise serait pratiquement impossible. Si nous retenions l'hypothèse d'un acte volontaire de la part de l'un des hommes, il faudrait étudier les raisons d'un éventuel règlement de compte. Soit, on a fait payer à Jacques l'arrestation de Bringer. Ceci nous paraît improbable compte tenu de ce que nous avons exposé plus haut. Soit, une vengeance s'est opérée au sein du bataillon. Qui pouvait lui en vouloir ? Au mois de juin 1944, Jacques fit fusiller Marcel Basque au sein de son maquis, accusé d'être un milicien et d'avoir volé le châtelain de Ladern. Y avait-il l'un de ses frères dans le 81e régiment d'infanterie ? Est-ce l'œuvre d'un résistant ayant, comme beaucoup, rejoint le maquis en juillet 1944, où d'un milicien engagé dans le bataillon pour se blanchir de ses fautes ? Notons la présence de B dans le 2e bataillon du 81e RI qui transporta le corps du capitaine Charpentier, assassiné dans la clinique Delteil le 6 septembre 44. Il y a aussi M qui sera condamné en 1952 par le tribunal militaire de Bordeaux pour assassinats et vols. 

    Sources

    Archives du Service Historique de la Défense

    Archives de l'Aude

    Annuaire des anciens du 81e RI

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  • Petits tripatouillages politiques à Carqueyrolles après la Libération

    Nous savons par le témoignage de Lucien Roubaud, alors chef du Comité Régional de Libération, qu'un petit nombre de résistants intellectuels, fréquentant la chambre de Joë Bousquet s'étaient organisés afin de se distribuer les postes au moment de la Libération. Dans la Résistance audoise (Lucien Maury / 1980), Roubaud ne paraît pas tendre avec le creuset littéraire de la rue de Verdun.

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    Lucien Roubaud

    "Existait aussi à Carcassonne un groupe de résistants qui se préoccupaient de choisir les hommes devant occuper les postes importants à la Libération. Je le sais, car un émissaire est venu me proposer le poste d'Inspecteur d'Académie. J'ai décliné cet honneur, Gilbert de Chambrun, alerté, est venu contacter ce groupe qui a refusé de faire autre chose que la propagande orale et la préparation de l'après-libération."

    Cette réflexion doit être éclairée par un évènement survenu au début de l'été 1944. Le mot propagande prend ici tout son sens dans sa bouche. En effet, lors d'une réunion du Comité Régional de Libération, une vive altercation opposa Gilbert de Chambrun et Lucien Roubaud d'une part, à Henri Noguères et Francis Missa d'autre part. Ces derniers, membres du Parti Socialiste clandestin, souhaitaient faire de la propagande afin de placer les socialistes après-guerre au sein des futurs comités de libération. A contrario, Roubaud qui n'était d'aucun parti à cette époque, même s'il avait des sympathies pour le communisme, ne voulait pas entendre parler des socialistes. Il fallait d'abord libérer militairement la région. La commission des conflits du Conseil National de la Résistance fut saisie ; elle donna raison à Roubaud. La haine et la rancune fut si féroce que dans l'Histoire de la Résistance d'Henri Noguères (5 volumes), il n'y a pas une ligne sur Roubaud. Cherchez un nom de rue dans Carcassonne à celui qui, avec Albert Picolo - un autre oublié - organisa la Résistance dans notre ville. Vous n'en trouverez pas... Plus la Libération de l'Aude approcha et plus la politique d'avant-guerre reprit ses droits. Au sein des comités, on plaça les hommes pour remplacer les Vichystes à la tête des mairies, préfecture, Conseils départementaux, etc.  Charpentier, chef des parachutages de l'Aude, sera retrouvé mort entre Palaja et le Mas des cours le 6 septembre 1944. L'enquête conclura que le Résistant fut tué dans la clinique Delteil par le Dr Cannac. Lors du procès de ce meurtre, une partie des résistants Carcassonnais dira que Charpentier était un traitre ; l'autre partie, extérieure au département défendra la victime comme un authentique patriote. Or, Charpentier était un protégé d'Henri Noguères, dont il défendra la mémoire en se portant partie civile. La pauvre victime n'a t-elle pas fait les frais d'une vengeance sur fond de querelle politique ? Tout ceci mérite réflexion...

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    © Médiathèque de Carcassonne

    Joë Bousquet par Bernon

    Revenons au groupe d'intellectuels dont parle Roubaud, désireux selon lui de se partager les postes. Le 28 décembre 1944, on apprend dans le Midi-Libre que le poète Joë Bousquet va devenir le président du Syndicat d'Initiative. Jusqu'à présent, le Dr Jean Girou occupait ces fonctions.

    "Il faudra, dit J. Bousquet, lui assigner dès maintenant un but assez lointain. Ce but pourrait être de jeter les bases d'une société franco-anglaise. Ce ne sera pas une simple succursale de la société franco-anglaise de Paris. Cette société sera autonome et son but sera de faire coopérer les deux pays par le dedans, par l'âme même et non pas seulement par la tête. Carcassonne est le lieu rêvé pour la réalisation de tels projets. Il est difficile de trouver en France un lieu plus apte à faire séjourner des Anglais pendant un temps relativement long. Il pourrait s'établir une entente entre les hôteliers pour que cette publicité soit commune. Une deuxième conséquence d'un ordre différent serait de toujours servir le Syndicat d'Initiative pour favoriser l'échange scolaire des jeunes gens et jeunes filles entre l'Angleterre et la France. On pourrait chaque année envoyer quelques bons sujets aptes à profiter des voyages et de même nous recevrions en France des jeunes Anglais et jeunes Anglaises. Une troisième conséquence serait de ressusciter l'ancien bulletin du Syndicat d'Initiative, mais en élargissement grandement sa portée. On demanderait à d'excellents écrivains d'y apporter leur talent et nous pourrions ainsi donner à ce bulletin un intérêt international. Il serait possible également de s'adresser aux directeurs des revues anglaises, pour qu'ils nous fassent parvenir des livres édités en langue anglaise. Il se constituerait ainsi assez rapidement une précieuse bibliothèque. Enfin, pour assurer l'unité d'action de l'hôtellerie audoise, il serait nécessaire d'obtenir la création d'une fédération des hôteliers audoise."

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    © Musée de Narbonne

    Jean Girou

    Si Bousquet prenait la tête du Syndicat d'Initiative, le Dr Girou devait-il en être alors exclu ? Les tripatouillages sur fond de querelles politiques et de règlements de comptes battaient leur plein. Nous n'avons pas trouvé, pour le moment, d'enquête du comité d'épuration concernant Jean Girou. Toutefois, l'ancien président de l'ordre des médecins de l'Aude s'était rangé plutôt du mauvais côté. Il restera président de l'ESSI (Syndicat d'Initiative de l'Aude) jusqu'en 1963, année où il on lui indiqua la sortie. Dans un courrier à René Nelli, il manifeste son amertume.

    "Merci d'abord pour le témoignage d'amitié dans mon éviction scandaleuse de l'ESSI à Carcassonne menée par Sablayrolles avec la complicité de Drevet, Noubel et Bonnafous."

    A la lumière de ces quelques réflexions, il appartient à chacun désormais de se faire une idée sur la vie politique Carcassonnaise, telle qu'elle fut menée depuis la Libération. 

    Sources

    ADA 11

    Archives Nationales

    Midi-Libre / 18.12.1944

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