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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 100

  • Le projet pharaonique de Canal maritime de l'océan à la Méditerranée

    L’idée d’un canal maritime des deux mers avait déjà germé dans l’esprit de Riquet et de Vauban, mais au XIXe siècle un assez grand nombre de projets seront émis ou étudiés par diverses personnes. Les différents canaux mettent en communication l’océan à la Méditerranée par une voie navigable de plus de 600 kilomètres. Or, ils ne sont accessibles qu’à de simples barques plates ; ils n’ont en effet en moyenne que deux mètres de profondeur sur dix mètres de largeur. Depuis l’établissement du chemin de fer - au milieu du XIXe siècle - le tonnage des marchandises transportées sur ces canaux n’a cessé de décroître. La batellerie s’est réduite des trois quarts et les services réguliers ont disparu. Les raisons restent multiples, mais le commerce sur l’ancien Canal royal du Languedoc ne peut résister à la vitesse du train capable de véhiculer des fardeaux huit à dix fois plus rapidement ; les tarifs pratiqués sur le Canal par la Compagnie des chemins de fer, qui en est devenue concessionnaire, sont élevés. Cette voie navigable que les Carcassonnais ne voulurent pas lors de sa construction et qui apporta un développement économique sans précédent au XVIIIe siècle, ils n’en profitèrent que peu temps quand ils finirent par la faire dévier dans la ville en 1810.

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    Le canal royal du Languedoc

    Le premier dans l’Aude et peut-être ailleurs à s’intéresser au devenir du Canal du midi fut Victor Codderens (1807-1865). Ce propriétaire, poète et écrivain né à Castelnaudary avait étudié dès 1836 la faisabilité de l’élargissement du Canal du midi afin d’y faire passer des bateaux de fort tonnage. Il communiqua en 1846 à l’ingénieur Jean Polycarpe Maguès (1777-1856), affecté au Canal du midi, son grand mémoire avec ses calculs, plans et les études sur la vallée de l’Aude et de l’Hers-mort. Cent vingt-et-une pages indiquaient les lieux les plus favorables à l’établissement des grands lacs de réserve. A cet effet, Codderens mesura entre avril et septembre au défilé d’Aliès et aux gorges de Saint-Georges, la quantité d’eau que débitait l’Aude. 

    L’ingénieur Maguès, après avoir passé deux jours à lire le mémoire de Codderens, félicita son rédacteur et l’invita à lui laisser son travail pour l’étudier plus à son aise. Deux ans après, l’inventeur transmit son dossier au Ministère des travaux publics, puis la Révolution de 1848 survint et le mémoire de Codderens fut mis aux oubliettes. Le maréchal Soult lui expliqua alors les raisons de ce désintérêt :

    « Le gouvernement, tant qu’il a à aménager l’alliance anglaise, parle le moins possible du percement de Suez et de la transformation du canal du Midi en canal maritime ; projets jumeaux qui se complètent l’un par l’autre. Il sait que tout ce qui a trait à ces deux entreprises, fait rugir de fureur les enfants d’Albion. » Le tort de Codderens c’est de n’avoir pas gardé copie de son mémoire : « J’ai dans ma tête toutes les prises d’eau de l’Ariège, de l’Agout, de l’Aude ; quant aux grands lacs de réserve, avec nos moyens d’exécutions modernes, le lac Mœris serait distancé. […] Que de nuits j’ai passées en calculs, que de souliers j’ai usés à visiter les bassins des rivières, à constater le volume de leurs eaux dans toutes les saisons, et à rechercher les localités les plus favorables pour établir les grands lacs de réserve et d’alimentation. Le percement de l’Isthme de Suez et la transformation du canal du Midi en canal maritime, changeront l’équilibre du monde ; toutes les conditions commerciales et économiques seront modifiées avantageusement. […] En 1836, 1847, 1848, j’ai été coulé, noyé dans le fleuve de l’oubli, pour avoir émis certaines vérités dans un moment peu convenable. […] Je n’ai qu’un mérite, c’est d’avoir, il y a près de trente ans, acquis par l’étude des vallées de l’Aude, de l’Orbe, la certitude que le canal maritime était possible, alors que tout le monde en contestait la possibilité. »

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    Casimir Courtejaire

    Au début des années 1860, la nécessité de relier l’océan à la Méditerranée fera naître de nouveaux projets dans l’imagination de nombreux inventeurs. Non seulement dans l’Aude, mais également dans tout le Languedoc avec l’appui des décideurs politiques relayés par la presse. A Carcassonne, Casimir Courtejaire conçoit un « Mémoire sur la construction d’un canal de l’Océan à la Méditerranée » avec cartes et plan à l’appui et l’adresse au Ministre des Travaux publics. 

    Il n’est plus question d’élargir le Canal du Midi ce qui aurait pour effet d’en suspendre le service pendant plusieurs années, mais de créer une voie navigable parallèle à celui-ci. Ce projet, qui semble le correspondant de l’isthme de Suez, est très sérieusement étudié sans être technique. Lorsqu’on le regarde de près, il reprend les idées de Codderens pour ce qui concerne l’alimentation de ce nouveau canal. Il prendrait les eaux dans les Pyrénées-Orientales, aux sources de l’Aude en y construisant par barrage d’immenses réservoirs. Le tracé partirait de La Franqui dans l’Aude, où dès le Moyen-âge il fut question d’y créer un port.

    Courtejaire divise son canal en deux sections : la première, au point culminant de Naurouse, vers la Haute-Garonne ; la seconde dans l’Aude, au même point culminant, vers la Méditerranée. Depuis le Ségala, le canal maritime se dirige vers Mas-Sainte-Puelles et Villeneuve-la-Comptal, fait un coude sur la commune de Laurac, passe entre Villasavary et Villeciscle, arrive au domaine de Saint-Geniès (hameau de Villalbe), traverse l’Aude vers Cavanac, le pied de l’Alaric et Fontcouverte. Ensuite par la plaine, il atteint Boutenac, Luc, Ornaisons. Il passe alors dans Narbonne ou dévie vers les étangs de Bages et de Sigean pour déboucher à La Franqui.

    Courtejaire écrit dans son mémoire publié en 1862 chez Pomiès à Carcassonne :

    « Au pied des coteaux, loi  des centres populeux le tracé traverse des terrains dont la valeur vénale n’atteindra pas en moyenne 2000 francs par hectare, tandis qu’en utilisant le Canal du Midi, les terrains à acheter seraient d’un prix fort élevé, ainsi que le prix d’achat du canal lui-même, dont aucun des ouvrages d’art ne peut servir. Par le nouveau tracé, il n’y aura pas un seul tunnel à construire, circonstance absolument nécessaire pour un canal maritime ; pas de villages à traverser, pas de maisons et de jardins clos à acheter ; et en fait d’ouvrages d’art importants, il n’y aura à construire que les écluses, les ponts pour franchir l’Aude, l’Orbieu, le Canal du Midi, une fois et le chemin de fer deux fois. »

    L’avantage du projet Courtejaire c’est qu’il raccourcit le trajet de 45 kilomètres sur la distance de l’actuel Canal du Midi. Il s’agit, chacun l’aura compris, de faire passer des navires ayant un fort tonnage. Là, où il ne faudrait que 60 heures pour relier Bordeaux à la Méditerranée, le contournement par la péninsule ibérique nécessite huit à dix fois plus de temps. Sans compter les avaries et les dangers du détroit de Gibraltar. Certains y voient déjà l’opportunité de relier les ports et les arsenaux de l’Ouest vers la Méditerranée ; les frégates passeraient facilement sur le canal en allégeant une partie de leur artillerie.

    Ce projet comme d’autres ne trouva pas beaucoup d’écho au sein du gouvernement de Napoléon III. Sans doute pour les mêmes raisons diplomatiques auxquelles Codderens s’était heurté sous Louis-Philippe. Toutefois, la guerre perdue de 1870 et le changement de régime vont relancer les appétits…

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    Charles Duclerc

    Le sénateur puis Président du Conseil Charles Duclerc (1812-1888) souhaite mener à bien la construction d’un canal maritime vers la Méditerranée. Il organisa une société d’études et fit sonder le sol du col de Naurouze jusqu’à la profondeur de 56 mètres. Après quoi, il chargea M. Godin de Lépinay, ingénieur en chef des ponts et chaussées, de préparer un nouveau projet. L’étude fut achevée en 1880. En fait, Duclerc ne fit que reprendre à son compte les travaux de Casimir Courtejaire à une époque où l’ancien Président de la Chambre d’agriculture de l’Aude atteignait ses 85 ans. Cela ne l’empêchait pas de se tenir au courant, via les sociétés savantes, des informations circulant sur la relance du canal maritime. Le 19 avril 1880, il écrit ce courrier à la Société languedocienne de géographie :

    Je vous ai adressé le Mémoire imprimé avec carte et plans, que j’ai publié en 1861 ; il est relatif à la partie du canal maritime entre la Franqui et Saint-Jory. Quant à celle comprise entre Saint-Jory et le Bec d’Ambez, il me faudrait assez de temps pour vous fournir un extrait ; cela m’est impossible d’ici à mercredi.

    Le projet qui est patronné par M. Duclerc ne diffère de celui que j’ai publié en 1861 qu’en ceci : d’après mon projet, le canal passait entre Castelsarrasin et Montauban, vers Villeneuve d’Agen, vers Sauveterre et venait aboutir à la Gironde, tandis que celui de M. Duclerc viendrait aboutir à Bordeaux ; mais de la Franqui jusqu’à Saint-Jory, c’est absolument de mon projet que l'on s’est emparé. Jusqu’à ce jour, les auteurs des nombreux projets que les journaux ont publiés ont tous, et sans exception aucune, indiqué Bordeaux et Cette comme les deux points objectifs pour le Canal maritime, par la vallée de l’Aude, tandis qu’aujourd’hui M. Duclerc, adoptant les études techniques de mon projet, vient établir le canal sur la rive droite, dont le parcours entre la Franqui et Toulouse est de 43 kilomètres plus courts que de Toulouse à Cette par le Canal du Midi.

    Le projet, tel que je l’ai publié en 1861, m’a valu des éloges de la part de M. de Pittoie, chef de division du ministère des Travaux publics ; il est spécialement chargé de tout ce qui concerne les canaux : « De tous les projets qui ont paru pour la construction d’un Canal maritime, le vôtre est celui qui me convient le mieux, car il me semble qu’il ne présente aucune difficulté d’exécution." 

    J’ai reçu, dans le temps, des remerciements pour l’essai que je leur fis de tout ce qui concerne mon projet, par deux lettres émanant du Cabinet de l’Empereur, et par quatre lettres émanant de divers Ministres des Travaux publics.

    Agréez, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués et affectueux.

    C. Courtejaire 

    Malgré les efforts de Charles Duclerc pour tenter de convaincre, une commission jugeant comme aléatoires et extrêmement coûteux la réalisation de ce projet, y mettra définitivement un terme en 1882. Ainsi s’acheva tout espoir de voir se réaliser un jour, un canal maritime entre l’océan et la Méditerranée qui aurait sans doute défiguré nos campagnes. Seul le nom de Charles Duclerc passa à la postérité ; il était donc de notre devoir de rappeler les noms de Victor Codderens et de Casimir Courtejaire qui furent les véritables précurseurs de ce projet pharaonique.

    Sources

    Mémoire sur la construction d'un canal maritime / Courtejaire / 1861

    Bull. Société languedocienne de géographie / 1880

    Association française pour l'avancement des sciences / 1872

    Le courrier de l'Aude / 1865

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  • Casimir Courtejaire (1795-1887), l'extraordinaire mécène de Carcassonne

    Casimir Coutejaire naît à Carcassonne le 5 octobre 1795 dans une famille bourgeoise, enrichie grâce au commerce et à la fabrication des draps. Il est le quatrième garçon d’une fratrie de cinq enfants, qui hélas devra se débrouiller sans leur père décédé trop tôt en 1801. Eduqués sans doute avec les idéaux d’une bourgeoisie Carcassonnaise opportuniste, ayant vu tout le parti qu’elle pourrait tirer d’une révolution populaire en s’imposant au sein des administrations du nouveau régime, la famille Courtejaire suivit le mouvement. Ces marchands fabricants dont la plupart avaient été anoblis grâce à leurs réussites personnelles, se tournèrent du côté de leurs intérêts ; ils conservèrent tout de même ensuite une certaine nostalgie de l’Ancien régime et tentèrent sous la Restauration de concilier Monarchie et Révolution. C’est ainsi que l’on désigna les doctrinaires, dont le jeune Courtejaire fut un des partisans. Nous y reviendrons…

    Suivant l’exemple de son grand frère Antoine, sous-lieutenant dans l’armée napoléonienne et blessé le 16 janvier 1809 à Mosquefa (Catalogne) avec le 7e régiment de ligne, Casimir et Charles Théodore s’engagent également dès que l’âge le leur permet. Ce dernier, au sein du 2e bataillon du 3e grenadiers à pied, ne reviendra pas de la campagne de Saxe en 1813. Le lieutenant de gendarmerie de la Garde impériale Casimir Courtejaire sortira sans péril des défaites militaires de l’Empereur, se dissimula comme les autres pendant le retour de la monarchie et ne prendra pas part à l’épisode des Cent jours. Il vécut à Paris avec son jeune frère Constantin qui y mourut le 2 septembre 1878, jusqu’à la fin du règne de Charles X. Quand intervient la Révolution de juillet 1830, Courtejaire se range avec l’armée derrière les émeutiers à Paris. Le moniteur du 3 août 1830, nous apprend que l’épée d’Henri IV qui se trouvait à la bibliothèque, tomba « aux mains d’un jeune défenseur des libertés publiques, M. Courtejaire. Le 30 juillet, il en fit remise à l’Etat-major de la 3e légion. » Après cet épisode qui devait provisoirement faire naître un espoir du côté des partisans d’une monarchie apaisée, Casimir Courtejaire rentra chez lui à Carcassonne. Plusieurs anciens de la Grande armée l’y attendaient, mais pas seulement…

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Casimir Courtejaire en 1843

    Entre le 6 et le 11 mars, des émeutes populaires éclatent à Carcassonne afin de protester contre l’interdit prononcé par Mgr de Gualy à l’encontre du curé de Saint-Vincent. Une partie des habitants investit l’église et les rues adjacentes. Le préfet se rend sur place et donne l’ordre à la la garnison de faire évacuer l’église. Il requiert le magistrat de la ville afin que celui-ci fasse renforcer l’hôtel de ville par la Garde nationale. Depuis le clocher, on lance des pierres sur la cavalerie, les magistrats sont pris à partie par la foule et la Garde nationale les laisse à la merci des émeutiers. A l’exception des gardes nationaux Casimir Courtejaire et d’Alphonse Gourg de Moure qui couvrirent courageusement les magistrats de leur corps. Malgré cela, l’ancien général et vicomte d’Arnaud fut tué par une pierre.

    A la suite de ces évènements, le ministre Casimir Perrier supprima la Garde nationale de Carcassonne et décora le préfet. Ce n’est que l’année suivante qu’elle fut réorganisée ; le 3 juillet 1833, la compagnie des grenadiers jusque-là commandée par Courtejaire, nommait les officiers. Il se porta candidat avec le soutien de Peyrusse, maire de Carcassonne. Les libéraux majoritaires à Carcassonne choisirent Dauré, ancien de la vieille armée. Courtejaire fut ramené au grade de caporal, car tous les candidats libéraux l’emportèrent sur ceux de la doctrine.

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    © Domainedegondal

    Le domaine de Gondal

    On ne sait trop de qui Casimir Courtejaire tint une fortune aussi considérable, car si l’on raconte qu’il reprit ses activités industrielles à son retour à Carcassonne, aucune preuve ne peut en témoigner. En 1834, il fait l’acquisition du domaine de Gondal situé sur la commune de Palaja, transforme les terres stériles en une oasis de fraîcheur par un système d’irrigation innovant alimenté depuis un petit barrage d’un hectare de superficie sur 7 mètres de profondeur. Le domaine bénéficie ainsi d’un magnifique jardin d’agrément de 12 000 arbres plantés, avec de l’eau qui circule librement et qui ensuite sert à l’arrosage des prairies. Dix ans plus tard, Casimir Courtejaire achète le 30 septembre 1843 à M. Hertz, l’ancien couvent des Jacobins transformé en salle de spectacle après la Révolution.

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    Le cloître des Jacobins rasé vers 1930

    Il louera les locaux à la ville de Carcassonne et fait certainement en même temps l’acquisition du bel immeuble qui est contiguë, 6 rue des orfèvres (rue Aimé Ramond). Sur ce dernier point nous n’avons pas de preuves, mais sa mère était décédée le 7 avril 1837 au n°6 de la rue de la mairie. Cela pourrait être un début d’explication.

    De sa fortune considérable, Casimir Courtejaire compte bien en tirer le meilleur pour assouvir sa passion pour la peinture. Entre 1841 et 1845, il se rend à Rome où il acquiert une grande partie de la collection de tableaux du cardinal Fesch (1763-1839), oncle maternel de Napoléon 1er.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    David en prière obtient la cessation de la peste / Guiseppe Sacchi (XVIIe)

    (Don Courtejaire / Collection du cardinal Fesch)

    Cet homme avisé dans ses placements d’argent sera à la tête de plusieurs conseil d’administration financier, comme celui de la Caisse d’Epargne qu’il contribue à fonder, le Comptoir d’Escompte, la Banque de France. Ce que l’on doit surtout retenir et que l’on a oublié, c’est son projet de canal maritime entre l’Océan et la Méditerranée. En 1861, il présente un mémoire en ce sens au Ministre des travaux publics ; nous y reviendrons dans un prochain article. Président de la Société centrale d’agriculture de l’Aude en 1863, Courtejaire institue les Comices agricoles de l’Aude qui ne dureront que peu de temps après la fin de sa présidence. 

    L’homme d’affaire ne se mêla pas de politique où du moins de tenta pas de se faire élire. Toutefois, il fréquente le cercle royaliste dans lequel on retrouve son collègue Castel (de la Reille) de la chambre d’agriculture. Il reçoit même chez lui en 1862, le comte de Mérode-Westerloo, membre royaliste de la chambre des représentants de Belgique, et le duc de Levis-Mirepoix, son beau-frère, lors de leur visite de la cité médiévale.

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    © domainedegondal

    Anciennes colonnes du couvent des Jacobins

    A l’âge de 79 ans, Casimir Courtejaire qui rédige depuis longtemps déjà ses vœux testamentaires, songe au devenir de sa fortune. Célibataire et sans enfants, il prend la résolution en 1874 de léguer à la ville de Carcassonne une grande partie de ses biens de son vivant et jusqu’à son décès. Le 13 octobre, le conseil municipal entérine la donation de la salle de spectacle (couvent des Jacobins) à la commune, à la condition qu’elle en conserve la destination. Cette dernière décide que le buste du bienfaiteur sculpté par Henry Marie Maurette (1834-1898) serait placé dans le foyer de la dite salle.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Courtejaire fait également don en 1876 de son immeuble de la rue des orfèvres attenant au théâtre pour construire le futur hôtel de ville après sa mort. Sous condition de restaurer le cloître pour servir de promenoir au public et de payer une rente viagère à deux parents de 3000 et 1500 francs. Outre l’ensemble de ses tableaux provenant de la collection du cardinal Fesch, le mécène offre la somme de 30 000 francs pour que la ville achète des œuvres d’art pour le musée (Acte chez Me Mouton). Isidore Nelli, Andrieu, Roumens et Geneste sont mandatés par la commission d’achat pour effectuer cette transaction à Paris. Le conseil municipal votera le 21 avril 1883 une somme de 2395,80 francs pour l’aménagement d’une salle destinée à recevoir les tableaux de la donation Courtejaire. Un an plus tard, la ville reçoit 80 000 francs supplémentaires dont 60 000 pour l’achat de tableaux et 20 000 afin qu’elle construise une nouvelle galerie dans la cour pour relier le musée à la bibliothèque. Elle devra compter dix arches dans le même genre que le cloître de l’ancien couvent des Jacobins.

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    Galerie dans la cour du musée des Beaux-arts

    Si la dépense venait à dépasser la somme offerte, Courtejaire s’engagerait à en régler la différence. C’est sans doute cette proposition qui poussera la ville à s’exécuter, car Casimir Courtejaire avait regretté que la commune ne réalisât pas la fontaine monumentale au rond-point du portail des Jacobins, malgré la somme de 50 000 francs qu’il se proposait d’offrir.

    A toutes ces libéralités au profit de la ville de Carcassonne, il convient d’ajouter les legs à l’Hospice et aux Petites sœurs des pauvres pour créer des lits pour les vieillards dans ces deux établissements. Un mois avant sa mort, Casimir Courtejaire laissa 6000 francs à la cathédrale pour la construction du chaire à prêcher.

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    © Ministère de la culture

    La chaire à prêcher dans la cathédrale Saint-Michel

    Cette homme extraordinaire qui méritait un tel travail de recherche et de synthèse fut décoré de la médaille de Sainte-Hélène, puis de la Légion d’honneur le 23 août 1876. Si nous avons actuellement un musée d’une telle richesse c’est grâce à sa générosité. Ne l’oublions pas ! Le jour de son enterrement le 2 avril 1887, une foule immense de Carcassonnais avait salué sa dépouille mortelle sur son passage, malgré la pluie. Cette même foule qu’une rumeur avait fait rassembler devant la mairie quelques années plus tôt, pensant qu’on distribuait l’argent de ses dons. A Carcassonne, la culture est toujours passée au troisième plan des priorités municipales. Il bon de rappeler que l’héritage que nous possédons provient en grande majorité de bienfaiteurs et d’amoureux des arts, membres de la Société des Arts et des Sciences de la ville. En retour, Carcassonne mit 55 ans à construire le nouveau théâtre et la nouvelle mairie. Malgré une rue qui porte son nom, les Carcassonnais ignorent la vie du personnage qui lui est rattachée.

    Sources

    Le moniteur / Le droit / Le courrier de l'Aude

    Fichier des soldats de l'Empire / S.H.D

    www.stehelene.org / Médaillés de Ste-Hélène

    Cartulaire de Mahul / Vol. 6 (1ère partie)

    Délibérations Conseil municipal / ADA 11

    Etat-Civil / ADA 11

    Base léonore / Légion d'honneur

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  • Que savez-vous de l'Hôtel de Rolland, rue Aimé Ramond ?

    © Alain Pignon

    Jean François de Cavailhés (1720-1784), anobli pour avoir gardé la charge de secrétaire du roi pendant vingt ans, projette d’acquérir des immeubles dans le carron de Vivès afin d’y faire construite un grand hôtel particulier. Les premiers achats débutent en 1746 avec la demeure du sieur Charles Pascal, marchand drapier et ancien Consul de Carcassonne dont le fils fondera en 1734 la Manufacture royale de draps de Montolieu.

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    Plan du carron de Vivès avant 1746

    Ainsi que nous le voyons sur le plan ci-dessus, il s’agit de l’immeuble le plus grand de ce carron. Quatre ans plus tard, Cavailhés fait l’acquisition de  deux maisons - numérotées 36 et 37 - appartenant à la famille Fourès et, petit à petit de l’ensemble des habitations situées sur le plan. Le plan du futur hôtel particulier est confié à Guillaume Rollin (1685-1761), architecte de la province du Languedoc en 1735. On doit à cet homme remarquable, la façade de l’hôtel de ville d’Alès, l’hôpital général d’Uzès, l’ancien évêché d’Alès et bien d’autres réalisations dans le Gard.

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    Ancien évêché d'Alès réalisé par G. Rollin

    Les travaux débutent au mois de février 1751 sous la direction du sieur Lechevalier. Il s’agit de Jean Vincens dit Lechevalier († 12 août 1760 à Carcassonne), originaire de Caudebronde. La livraison de l’hôtel particulier interviendra dix ans plus tard, en janvier 1761. Le coût total, en comptant l’achat des terrains, avoisine les 172 000 livres soit près de 2 millions d’euros. Il faut dire que Jean François de Cavailhés recruta les meilleurs artisans de son temps et ne lésina pas sur les moyens dont il pouvait disposer.

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    L’ensemble des neuf balcons donnant sur la rue de la Pélisserie (Aimé Ramond) et les escaliers à l’intérieur de l’hôtel sont l’œuvre de Michel Bertrand dit Castres, maître serrurier à Carcassonne. Cet excellent dessinateur aurait, dit-on, donné ses premières leçons à Jacques Gamelin.

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    La façade de style Louis XV se pare de mascarons en pierre de Pezens sculptés par Dominique Nelli, d’origine florentine et arrière grand-père de René Nelli.

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    A l’intérieur, toutes les pièces bénéficient de cheminées en marbre d’Italie sculptées par Barata et Louis Parant (1702-1772). On doit au premier, la fontaine de Neptune sur la place Carnot et au second, les armes qui figuraient sur le portail des Jacobins. Elles furent hélas martelées au moment de la Révolution française. Parent avait passé neuf ans de sa vie aux travaux du Palais de l’Escurial à Madrid, puis à ornementer la façade du Capitole à Toulouse.

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    Ancien salon de musique

    Les modelages de plâtre dans les appartements sont à mettre au crédit d’un dénommé Faure et les dorures à Jean-Pierre Sacombe (né le 31 mars 1719 à Carcassonne). Ce dernier avait pour père Pierre qui ornementa le plafond à caissons de la chapelle des Jésuites.

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    Les tapisseries d'Aubusson avec les fêtes de village de Téniers

    La richesse du mobilier dans les appartements n’avait rien à envier à la richesse architecturale de l’hôtel. L’une de ses pièces possédait ainsi dix fauteuils en Aubusson et un canapé, acquis avant 1785. Les murs recouverts de tapisseries d’Aubusson possédaient deux panneaux représentant les fêtes champêtres, peintes par David Téniers. Les tableaux originaux avait été achetés pour Catherine II de Russie ; ils figurent au catalogue du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. 

    • Une fête au village, millésime 1646. Autrefois dans la collection du marquis d’argentin, et plus tard, dans cette du Duc de Choiseul.
    • Fête de village, millésime 1648. Téniers s’y est représenté lui-même avec sa femme et des personnages de sa famille.

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    • La même pièce sans les tapisseries d'Aubusson

    Ces tapisseries figuraient encore dans l’hôtel en 1903 lorsque Raymond de Rolland en était le propriétaire. Elles ont dû terminer leur séjour à Carcassonne quand Raymond de Rolland eut besoin d'argent ; très probablement chez l’antiquaire Lambrigot, rue de Verdun. Dieu seul sait où elles se trouvent actuellement.

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    Cette belle demeure, improprement nommée « Hôtel de Rolland » par égard pour son dernier propriétaire, devrait porter le nom de celui qui l’a fait bâtir : Jean François de Cavailhés. Lorsqu’il mourut en 1784, son fils Jean François Bertrand de Cavailhés de Lasbordes, le reçut en héritage. Il resta qu’une quarantaine d’années dans la famille, avant d’être acquis par Jacques Rose Voisins le 22 prairial an IX (11 juin 1801) pour 45 000 francs. Ce marquis de Voisins, descendant du fidèle lieutenant de Simon de Montfort, qui n’avait purgé sa dette au moment de sa mort, contraint sa veuve à ce délester de l’hôtel le 19 avril 1813. Son nouveau propriétaire, M. Talamas, n’en profita  qu’une année avant lui aussi de passer à trépas.

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    Armes de la famille Rolland d'Exceville

    "D'azur au chevron d'or, accompagné en chef de trois étoiles du même et en pointe d'une levrette courant, aussi d'or, accolée de gueules."

    A l’audience du 9 mars 1815, c’est  Antoine Joseph Gérard de Rolland, Conseiler général et fils du dernier Juge-Mage de Carcassonne, qui emporta l’immeuble avec l’ensemble du mobilier. Quelques mois plus tard, lors du passage du duc d’Angoulême à Carcassonne, Joseph de Rolland (1776-1855) logea son aide de camp le vicomte de Champigny.

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    Son fils, Charles Raymond Louis de Rolland du Roquan (1829-1904) en hérita. Musicien et mécène, il fit tenir salon musical dans son hôtel particulier tous les lundis. Son épouse, Agathe Caroline de Nugon y chantait les airs du répertoire d’opéra accompagnée au piano par Paul Lacombe. Sans héritier, la fortune de Charles alla à son neveu Raymond en 1904 qui, n’ayant qu’à vivre de ses rentes, se ruina au jeu d’argent.

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    L'hôtel de Rolland vers 1910

    L’hôtel qui venait d’être classé à l’inventaire des monuments historiques le 14 novembre 1923 malgré l’opposition de son propriétaire, fut vendu l’année suivante et Raymond de Rolland se retira à Conques-sur-Orbiel. Sa fille se maria avec un Aurifeuille ; elle donna naissance à Guy qui fut en 1992 le conseiller général  R.P.R et le maire de Couiza. Pendant un demi-siècle, l’hôtel de Rolland devint la propriété du Crédit Agricole puis, en 1977, de la ville de Carcassonne.

    Sources

    Nous avons complété le travail de Gaston Jourdanne publié en 1896 sur l'Hôtel de Rolland, par le fruit de nos recherches  matérialisées en rouge dans le texte.

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