Après plusieurs demandes des habitants du Quai Riquet, la municipalité de Carcassonne consentit en 1898 à voter un projet de construction d’une passerelle permettant de passer au-dessus du canal pour rejoindre la route Minervoise. La paternité de ce projet est imputable à M. Georges Hyvert, conseiller municipal et patron de la Société Docor située au Quai Riquet. Malgré cela, la perspective d’une passerelle passait en-dessous des priorités du conseil municipal ; le budget de 5500 francs qui était alloué se trouvait sans cesse repoussé tous les ans.
La passerelle de nos jours
A la séance du 17 juillet 1908, M. Hyvert éleva de nouveau voix la voix en faveur d’un projet qui lui tenait à cœur. Le conseil municipal fut unanime à en décider la prompte réalisation ; les services se mirent à l’étude. Le 5 mai 1909, le dossier complet était transmis à l’ingénieur en chef du canal du Midi et un arrêté du préfet de l’Aude, en date du 17 juin suivant, autorisait la construction de la passerelle. L’administration du canal avait toutefois formulé des conditions…
Alors même que tout était bouclé pour la réalisation d’une passerelle en fer, il fut décidé d’abandonner le matériaux si cher à Gustave Eiffel pour du béton armé. Nouveau projet, nouveau devis pour se conformer aux conditions exigées. Le 17 septembre 1909, la passerelle reçoit un nouveau baptême municipal dans l’attente de la décision préfectorale. Le 28 août 1910, un an s’était écoulé depuis que le conseil municipal avait sollicité l’autorisation de la préfecture pour traiter de gré à gré avec M. Carbou, entrepreneur à Carcassonne, concessionnaire du système Piketty. Finalement, la délibération de l’assemblée communale ne fut pas approuvée, au motif que Piketty n’était plus le seul à proposer sur le marché des constructions en béton armé. Là, où elle aurait pu répondre dans un délai assez bref, la préfecture mit une année à donner sa réponse.
La ville contrainte de revoir sa copie, mit au concours l’attribution du marché de la passerelle non sans avoir au préalable sollicité l’avis de l’administration du Canal du Midi, quatre mois après.
Le projet dressé par la ville disait :
"Aucun support intermédiaire ne pourra être établi dans l’intervalle compris entre le prolongement des faces intérieures des piles du pont, afin de ne gêner ni le halage, ni la circulation des piétons ; et aucun ouvrage d’infrastructure ne devra s’appuyer ni reposer sur les maçonneries en sous-œuvre du pont et du canal."
La Compagnie des canaux du midi fit simplement remplacer cette phrase par la suivante :
"Aucun support ne pourra empiéter sur les largeurs actuelles des chemins de halage et de contre-halage, qui sont respectivement de 3,50 m et 1,50 m dans l’emplacement pour l’ouvrage projeté."
A quelque chose près cela revenait à la même chose, mais quatre mois venaient d’être perdus. Donc, à la séance du 18 décembre 1910, le conseil municipal apporta la modification demandée et renvoya aussitôt le tout à la préfecture. Tout allait pour le mieux, mais c’était sans compter sur la Compagnie des chemins de fer du midi. Elle demanda "que l’écartement entre l’axe de la passerelle et le cordon le plus saillant du pont de chemin de fer, qui a été prévu à 1,50 m, soit porté à 2, 50 m, pour permettre à la Compagnie dans le cas où le pont aurait besoin de réparations, d’établir les échafaudages nécessaires pour l’exécution des travaux."
Nous voyons que la distance de 2,50m fut respectée
A nouveau du temps de perdu jusqu’à la séance du 5 juin 1911. Le 21 du même mois, tout était envoyé à la préfecture qui ne répondit pas avant longtemps. En 1912, la ville se plaignit que les coupes de la préfecture dans le budget ne lui permettent pas de finaliser le projet de passerelle sur le canal. Ce n’est qu’à la séance du 6 juillet 1913 que les deux projets retenus furent présentés :
- M. Picot, ingénieur des arts et manufactures à Toulouse, chef du bureau technique régional de la maison Hennebique de Paris, représenté par l’entreprise Séguier et fils à Carcassonne.
- M. Paul Piketty, représenté par M. Carbou, entrepreneur à Carcassonne.
Le concours définitif fut attribué au moins disant des deux. Ce sont les plans de M. Picot et l’entreprise Séguier qui emportèrent le marché de la construction de la passerelle. Le père et le fils Séguier, Pierre et Joseph, s’étaient associés en 1903 pour former un société situé sur la route de Limoux.
© structurae
Le pont de F. Hennebique à Châtellerault
Quant à Charles Picot, il faisait parti des 127 concessionnaires sur 38 pays ayant acquis exclusivement les droits du brevet Hennebique. François Hennebique (1842-1921) déposa en 1892 plusieurs brevets protégeant son invention du béton armé. Son premier pont (Camille-de-Hogues) sera construit selon ce procédé en 1899 à Châtellerault. En 1906, une circulaire ministérielle officialisera l’emploi du béton armé dans le bâtiment et les travaux publics.
Au mois de mars 1914, l’entreprise Séguier se mit à l’œuvre selon les plans dressés par Charles Picot et l’affaire fut enfin achevée à l’été 1914. On testa la solidité de la passerelle avec 8160 kg de sable sur le tablier et 3360 kg sur chaque escalier pendant toute une nuit. Aujourd’hui, cet ouvrage méconnu des Carcassonnais rend bien des services. Toutefois, s’il n’avait pas été là ce triste 20 juillet 1944, les Allemands n’auraient pas pu passer sur l’autre rive du canal pour assassiner d’innocentes victimes. On ne refait pas l’histoire… C’est peut-être la première fois que le procédé Hennebique de béton armé fut employé dans Carcassonne. Quant aux atermoiements de l’administration, nous vous conseillons la lecture de la pièce de théâtre de Courteline « Messieurs les ronds-de-cuir ».
Sources
Le courrier de l'Aude
Délibérations du conseil muncipal
François Hennebique / Gallica
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Commentaires
Souvenir:
Du côté de la montée de la rue Buffon entre l'escalier de la passerelle et la structure du pont une échoppe de cordonnier était installée. Un bâtit minuscule mais un artisan efficace. La cessation d'activité du cordonnier a éliminé ce mini commerce dans cette mini structure.
Souvenir:
Du côté de la montée de la rue Buffon entre l'escalier de la passerelle et la structure du pont une échoppe de cordonnier était installée. Un bâtit minuscule mais un artisan efficace. La cessation d'activité du cordonnier a éliminé ce mini commerce dans cette mini structure.
merci pour l'historique de cette passerelle oh ! combien de fois franchie les jeudi (jour de relâche scolaire ) pour rejoindre le plateau de Grazailles où habitaient les cousins ...
il est vrai que cette passerelle passe inapercue si l'on n'est pas du quartier et si l'on n'a pas l'usage - elle doit aussi rendre bien des services aux personnes du voisinage --merci pour l'avoir remise au jour comme bien d'autres monuments ou personnages tombés dans l'oubli