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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 103

  • L'église du Sacré-cœur a été construite par le frère de Jorge Semprun

    Nous sommes au mois de juin 1944 ; les forces alliées viennent de débarquer en Normandie. Dans la cathédrale Saint-Michel, l’évêque de l’Aude Mgr Pays fait un vœu. Il promet ce 16 juin  devant l’ensemble des fidèles, d’élever une église au Sacré-cœur si jamais Carcassonne venait à échapper aux bombardements. Une fois la guerre terminée, cet engagement sera tenu et confié à l’abbé Belloc au sein d’une commission d’art sacré dans laquelle se trouvait notamment le chanoine Gabriel Sarraute. Carcassonne échappera aux bombardements. 

    Le 28 octobre 1948, l’abbé Belloc dévoile les premiers plans de la future église qui devrait être située dans le quartier de la Pierre-Blanche. L’avis du chanoine Sarraute est sans appel : 

    Une sorte de hangar pour avion. Chapelle plus qu’église. Quelque chose de subtilement mauvais. Façade et chevet : deux grands murs de pierre nue. Entre les deux, du ciment armé. Prix très bas - trop bas. Ces deux murs sont comme les tartines d’un sandwich ; la garniture ne vaut rien. Ils sont cintrés : ceci est plausible pour la porte, mais insensé pour le chevet : l’autel devrait être contre une sorte de demi-tour. Et pour quoi faire, grand Dieu ? A côté une tour-mat, qui fait très bien sur le plan. Mais où est l’escalier ? Les cloches, comment fera t-on un jour pour les réparer au besoin ? En faisant un échafaudage… Et elles sont placés sous un demi-toit, comme un livre entr’ouvert. Le vent, un beau jour, arracherait le tout.  Le baptistère, prévu à droite de l’entrée, avec des fenêtres cintrées tout à fait différentes des fenêtres de l’église. L’intérieur, nul, avec trois autels. On ne voit pas comment le toit, le plafond s’agenceront.

    Gonzalo Semprun

    Abbé Paul Belloc

    L’abbé Belloc ayant pris note des objections de son collègue, l’informe de son intention de lancer un concours d’architectes. Le sculpteur Iché, malgré sa méconnaissance de l’architecture, veut essayer de faire un projet et même une maquette. Il consentira, dit-il, à réaliser ce travail pour la moitié du prix. Son insistance dérange… L’abbé Belloc se tourne alors vers un ancien séminariste de Montpellier, diplômé d’architecture. Les plans de M. Rodier présentés le 26 décembre 1949 n’arriveront pas à convaincre la Commission d’art sacré, ni M. Bourély. 

    On me montre les plans de mon église du Sacré-cœur. je suis profondément déçu… Je fais des remarques. Elle sont toutes acceptées avec une facilité qui fait peur. C’est un projet élastique. L’architecte ne défend aucune de ses positions (cela doit aboutir au rejet de ce plan qui a déplu à tous les membres de la commission d’art sacré et qui a reçu le coup de grâce par une lettre « exemplaire » du P. Régamey. (Chanoine Sarraute)

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    Gonzalo Semprun Maura

    C’est alors qu’un tout jeune diplômé d’architecture va enfin réussir à convaincre tout le monde. Gonzalo de Semprun n’a que 28 ans lorsque le 14 août 1950, il décroche son premier projet architectural : L’église du Sacré-cœur de Carcassonne. Chez l’abbé Belloc le 11 janvier 1951 en sa présence, les bases du futur édifice catholique de ce nouveau quartier de la ville sont posées. Or, Gonzalo de Semprun (1922-2011) n’est pas n’importe qui… C’est tout simplement le frère de l’écrivain espagnol Jorge Semprun Maura (1923-2011) dont chacun connaît l’histoire.

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    Jorge Semprun Maura

    La première impression n’est pas mauvaise, mais je garde le silence prudent. Je vais le montrer à M. Bourély. Il est favorablement impressionné. Cet homme sait son métier. La façade archi simple, le cube du baptistère, le profil avec les dents des vitraux en soufflets, l’intérieur à la voute simple. Il y a des objections, il y a des remarques à faire, mais ce ne sera pas le rejet pur et simple comme pour le malheureux architecte de Montpellier.

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    Le 30 novembre 1952, Mgr Pierre-Marie Puech posa la première pierre de l’église lors d’une bénédiction à laquelle ne put assister son prédécesseur. En effet, Mgr Pays venait de disparaître après une longue maladie. C’est le 9 mai 1954, après neuf ans de gestation, que le Sacré-coeur de Carcassonne est consacré. L’abbé Belloc restera le curé desservant de cette paroisse jusqu’à son décès. Gonzalo de Semprun connu surtout pour ses peintures, se retira vers Nice. Il est inhumé à Saint-Etienne-de-Tinée.

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    Mgr Puech pose la première pierre

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    Le Sacré-coeur

    Sources

    Archives manuscrites du chanoine Sarraute

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  • Jean-Baptiste Marragon (1741-1829), ce député-maire de Carcassonne qui vota la mort du roi

    Jean Baptiste Marragon naît à Luc-sur-Aude le 4 juillet 1741 au sein d’une famille bourgeoise dont le père Philibert, occupe les fonctions de directeur puis de procureur fondé de la manufacture d’Auterive. Avant la Révolution française, il détient la charge de commis du directeur-général du Canal royal du Languedoc et ne tarde pas à faire la connaissance de la fille de celui-ci. Catherine-Barbe Miran qu’il épouse le 19 juin 1782 à l’église St-Roch de Paris, apporte surtout dans la corbeille du mariage une immense fortune sur laquelle Jean-Baptiste Marragon va s’appuyer pour nourrir bientôt ses ambitions politiques. Il passera du statut de commis à celui de Conseiller des finances des travaux du Canal du midi.

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    Métairie de Mansencal, devenue Maragon

    A Carcassonne, la famille vit à l’ancienne métairie de Mansencal située en bordure de Cazilhac, connue aujourd’hui sous le nom de Maragon. C’est du moins ainsi qu’on la trouve orthographiée sur la carte de Cassini. Il est possible que le deuxième R se soit perdu avec le temps. Quant à Mansencal, seigneurs de Vénerque (Haute-Garonne), l’une des filles de Bernard Reich de Pennautier avait épousé Pierre-François de Sevin de Mansencal, conseiller au parlement de Toulouse en 1650. Le carron de Vivès dans la Ville-basse devint même carron de Mansencal en 1780. Il est fort probable que la famille Marragon ait acquis la métairie aux Mansencal, car l’un des fils Jean Philbert, né à Paris en 1790, en était encore le propriétaire jusqu’à sa mort en 1834.

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    L'hôtel Besaucèle devint la propriété de J-B Marragon, rue de Verdun

    Lorsque l’insurrection éclate en juillet 1789 à Paris, Jean-Baptiste Marragon devient chef du bataillon de la Garde nationale de Carcassonne. Député de la ville à l’Assemblée diocésaine pour l’élection des Etats-généraux de 1789, il est ensuite brillamment élu au premier tour de scrutin des Assemblées primaires (Section des Jacobins).

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    © Ader-Paris.fr

    Lettre manuscrite de J-B Marragon

    Du mois de février 1790 au 2 décembre 1791, on propulse cet homme ambitieux au poste de maire de Carcassonne. En vérité, il aspire à de plus hautes fonctions qu’il ne tarde pas à atteindre… Par 363 voix contre 184, Marragon parvient à se faire élire comme député de l’Aude à la Convention nationale le 5 septembre 1792. Il interviendra à la tribune de l’Assemblée nationale afin d’indiquer que le calme est revenu dans son département suite émeutes sur la libre circulation des grains ; que seul le régiment de Noailles reste sur place. Il demandera que l’on accorde la protection aux travaux commencés pour faire passer le Canal du midi dans Carcassonne.

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    Procès de Louis XVI

    Le 15 janvier 1793, il fait partie des députés qui votent la mort du dernier roi des français, sans lui accorder de sursis.

    "Une nation outragée, opprimée, une nation contre la liberté et la sûreté de laquelle on a conspiré, a le droit de punir le conspirateur quel qu'il soit, et, dans ce cas-la, elle peut se prescrire des règles particulières et de circonstance, sans avoir égard aux lois positives, s'il en existait. Il est donc absurde de dire que les formalités ont été violées.
    J'ai voté hier pour la ratification par le peuple ; j'avais considéré que cette ratification par la nation entière était la mesure la plus imposante à opposer aux puissances de l'Europe. Je crois même, dans ce moment-ci, qu'il est nécessaire au moins d'avoir une sanction tacite et présumée, qui produirait le même effet.
    Louis a été convaincu de conspiration contre la liberté et la sûreté de la nation française. Ce crime chez tous les peuples est puni de la peine capitale ; fidèle à mon devoir de mandataire, persuadé qu'il n'appartient qu'au souverain de commuer la peine ou de faire grâce, je vote pour la mort."

    Le 13 avril de la même année, lorsqu’il s’agit d’accuser Marat, il préféra s’abstenir jugeant l’instruction insuffisante. Sous le Directoire, il occupe la place de secrétaire puis de président du Conseil des Anciens le 21 décembre 1797. A ce titre et à la suite d’un rapport dont il fut l’auteur, il fit déclarer nuls les droits de la famille Riquet-Caraman sur le Canal du Languedoc. On décréta que la République s’emparerait de ce monument industriel.

    Son mandat s’acheva au mois de mai 1798, mais Jean-Baptiste Marragon poursuivit sa carrière dans la diplomatie. A Hambourg, le ministre plénipotentiaire fut chargé de surveiller les émigrés. De retour à Paris, il fut nommé commissaire du Directoire près de l’administration des canaux intérieurs, et obtient grâce à son ami Cambacérès en 1800, la place de receveur général de l’Hérault. Il vécut à Paris dans un opulente retraite quand la la loi de 1816 exila les régicides.

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    Dominique Ramel de Nogaret

    Avec son cousin germain, Dominique Ramel de Nogaret, il passa ses dernières années à Bruxelles où il acheta une maison dans la rue Notre-Dame-des-neiges. C’est là qu’il rendit son dernier soupir le 1er avril 1829 à l’âge de 88 ans.

    Sources

    Dictionnaire des régicides / Gibourg / 1793

    P-V du Directoire exécutif / Cheynet / An V - An VIII

    Cartulaire de Mahul / Vol. VI

    Biographie universelle / Michaud / 1843

    L'hôtel de Rolland / G. Jourdanne / 1896

    Etat-civil / ADA 11

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  • Charles de Gaulle en visite à Carcassonne chez son ami le colonel Soulet

    Le colonel Fulcran Soulet, qui après la débâcle de 1940 aurait aimé rejoindre de Gaulle à Londres, en fut empêché par sa période captivité à Soest puis par le décès de son épouse ; elle le laissa avec cinq enfants. En 1943, il prend sa retraite à Carcassonne et y demeure jusqu'à son décès. Ce n'est qu'en 1947, au moment où le général de Gaulle fonde le R.P.F (Rassemblement du Peuple Français) que Fulcran Soulet reprend contact avec celui qui fut son grand ami de promotion à Saint-Cyr. Le Major de celle-ci fut Alphonse Juin, futur maréchal de France dont on connaît les exploits en Italie. Le général de Gaulle qui ne manquait pas d'humour parfois un peu caustique disait lorsqu'on l'interrogeait sur son ancien camarade : "Juin. Mais de quelle année ?" En effet, tous ces hauts gradés de 1940 n'avaient pas de suite suivis les pas du grand Charles. Qu'importe !

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    Le général à Carcassonne en 1952

    Le colonel Soulet qui habitait dans la rue Aimé Ramond (N°15) reçut son légendaire ami chez lui, au moment où celui-ci lançait le mouvement RPF ; Fulcran Soulet en était le délégué départemental.

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    La maison de F. Soulet où fut reçut Charles de Gaulle

    De Gaulle m'avait donné rendez-vous à trois kilomètres de Perpignan, sur la route venant de Narbonne. J'y étais à l'heure prévue (9 h) avec ma voiture dans laquelle avait pris place mon compagnon Romersa. L'auto de De Gaulle était là, lui-même près du chauffeur et Mme de Gaulle à l'intérieur avec le colonelde Bonneval. Après les salutations d'usage, nous rejoignons un groupe de compagnons que le chef très dynamique M. Fa, a rassemblés dans un cinéma. Après la séance, sans contact avec la population catalane, nous prenons la route de Quillan par Saint-Paul-de-Fenouillet où j'ai fait préparer un repas de midi pour cinq personnes : Mme de Gaulle, son mari, de Bonneval, le chauffeur et moi-même. À l'entrée du village, quelques gendarmes et une trentaine de curieux sont sur la route. Je m'arrête au pied de l'escalier qui conduit à la salle de restaurant, mais de Gaulle, qui a mis pied à terre, m'interpelle : « Comment ? ? mais tu m'as « foutu » une tournée électorale ? ? — Pas du tout ! lui dis-je, j'ai prévu une halte-repas, les couverts sont mis là-haut!» et je lui montre l'escalier. « Jamais de la vie ! grogne-t-il : on ne s'arrête pas ! achète-nous un peu de pain, quelques tranches de jambon, un litre d'eau minérale, et nous déjeunerons sous un sapin, un peu plus loin sur le bord de la route ! » — « Soit ! ».


    Me voilà parti au village voisin (Caudiès) où j'achète le nécessaire plus un couteau, car de Gaulle n'en a sûrement pas ! Au retour, le Général, qui n'a pas quitté sa voiture, me remercie. Je lui souhaite bon appétit en ajoutant: « je te retrouverai sur la route, car, avec mon compagnon, nous allons déjeuner au bistrot de Pradelles ».


    Vers midi, nos deux voitures sont de nouveau réunies sur la route de Quiltan où une surprise nous attend. Le commandant de gendarmerie de l'Aude m'aborde à l'entrée du gros bourg. « Une foule vous attend sur la place, me dit-il et la salle toute proche du cinéma « Le Familia » est pleine à craquer ». « Qu'est-ce que je vais prendre ! dis-je à Romersa. De Gaulle a mis la tête à la portière et paraît furieux ! « C'est bien la réunion électorale que je redoutais », me dit-il. « Pas du tout ! » ai-je répondu, c'est tout simplement la population de la haute vallée de l'Aude qui veut voir de Gaulle ! et le cinéma d'en face est bondé ! Il faut t'y faire ! ». À ce moment précis, l'attitude du Général change subitement et son visage devient souriant. Il descend de voiture et je le conduis à travers la foule (un vrai bain !) jusqu'au cinéma où j'ai fait réserver une loge pour Madame de Gaulle. Tout à fait détendu, il traverse la salle sous les applaudissements des assistants debout et décoiffés. Il refuse de monter sur la scène : « Je suis assez grand... et la scène est vide!» — Au premier rang, le conseiller général de Belvis qui m'avait demandé d'être présenté à de Gaulle. Dès que mon ami lui tend la main, voilà mon élu local qui fond en larmes, sanglote et ne peut prononcer un seul mot ! « Mais qu'est-ce qui vous arrive, lui dit le général, il n'y a pas de quoi pleurer ! au contraire ! » — Mais le conseiller ne peut maîtriser ses larmes et de Gaulle l'abandonne pour une courte allocution frénétiquement applaudie.


    La tournée se poursuit jusqu'à Carcassonne où une foule moins dense (car les élus sont moins chauds) nous attend dans mon jardin privé. Nouvelle allocution sous une pluie battante qui nous oblige à nous abriter au salon pendant que Madame de Gaulle bavarde dans la pièce voisine avec quelques amies. Après un frugal casse-croûte, j'accompagne le Général et sa suite jusqu'à Saint-Ferréot d'où ils partiront demain pour Paris.


    Est-ce dans la vallée de l'Aude que le général de Gaulle affronta son premier grand « bain de foule » ?

    (Deux camarades de promotion : quelques souvenirs sur Charles de Gaulle, Espoir N°18, 1977)

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    Le 26 avril 1971, le colonel Soulet inaugura chez lui une stèle en mémoire de Charles de Gaulle. Ce médaillon en bronze de 40 centimètres de diamètre est l'œuvre d'André Journet. Chaque 18 juin et 9 novembre, l'association "Action fidélité au général de Gaulle" présidée par Maître Claude Cals, rendait hommage à l'illustre personnage.

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    © Chroniques de Carcassonne

    M. Fulcran Soulet, André Tomasini et Jean-Pierre Cassabel

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    Mairie de Lamorlaye

    Quand Fulcran Soulet mourut en 1982, la maison de Carcassonne fut vendue au Dr Soum. Le médaillon fut donné par le fils du colonel Soulet à la mairie de Lamorlaye (Oise). Il se trouve toujours à côté de l'Hôtel de ville.

    Les autorités Carcassonnaises ne seraient-elles pas bien inspirées de signaler par une plaque sur la façade de ce n°15, la présence en ce lieu du général de Gaulle ? La Fondation Charles de Gaulle où j'ai puisé ces renseignements y serait sans doute sensible. Merci également à Alain Pignon pour son aide précieuse.

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