Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 188

  • Le voyage de l'agronome anglais Arthur Young à Carcassonne en 1787

    Ce n'est pas n'importe quel sujet de la couronne britannique qui effectue durant l'été 1787, un voyage d'étude en notre Languedoc. La renommée d'Arthur Young (1741-1820) en matière d'agronomie et d'agriculture dépasse les frontières. De son passage dans la région, il nous a légué en 1794 un ouvrage en langue anglaise intitulé : Travels during the years 1787, 1788 et 1789 of the Kingdom of France. 

    Arthur_Young_(1741-1820).jpg

    © National Gallery

    Arthur Young par John Russel

    Venant de Béziers, Arthur Young se dirige vers Carcassonne le 31 juillet 1787 et l'atteindra le lendemain.

    "Traverser une montagne par une route misérable, et atteindre Beg de Rieux, qui partage avec Carcassonne, le tissu de Londrins, pour le commerce du Levant. Traverser beaucoup de déchets à Béziers. J'ai rencontré aujourd'hui un exemple d'ignorance chez un marchand français bien habillé, cela m'a surpris. Il m'avait affligé de nombreuses questions insensées, puis il m'avait demandé pour la troisième ou la quatrième fois de quel pays j’étais. Je lui ai dit que j'étais un Chinois. À quelle distance se trouve ce pays ? J'ai répondu, 200 lieux. "Dieu cents lieues ! Diable ! C'est un grand chemin !" L'autre jour, un Français m'a demandé, après lui avoir dit que j'étais Anglais, si nous avions des arbres en Angleterre ? J'ai répondu, que nous en avions quelques-uns. Avions-nous des rivières ? Oh, pas du tout. "Ah, ma foi c'est bien triste !" Cette incroyable ignorance, comparée à la connaissance universellement disséminée en Angleterre, doit être attribuée, comme tout le reste, au gouvernement."

    La perfide Albion ne s'est-elle jamais positionnée au-dessus des Français ? Deux années après le début de la Révolution française, il tombe à-propos de critiquer le changement de régime dans un pays que l'on tient pour ennemi héréditaire depuis le Moyen-âge. Le 1er août 1787, Young arrive enfin à Carcassonne.

    0455_TP.jpg

    "Quitter Béziers, pour aller à Capestang par la montagne percée. Traverser le canal du Languedoc plusieurs fois; et sur beaucoup de déchets à Pleraville. Les Pyrénées maintenant à gauche, et leurs racines à quelques lieues. A Carcassonne ils m'ont porté à une fontaine d'eau boueuse, et à une porte de la caserne; mais j'étais plus heureux de voir plusieurs grandes maisons de fabricants, qui montraient la richesse.

     A cette époque, la renommée de l'actuelle capitale audoise dépasse les frontières grâce à son production de draps qu'elle exporte vers le Levant. En 1698, l'Intendant Lamoignon de Basville indique que "La ville de Carcassonne n'est à proprement parler qu'une Manufacture. Tous les habitants sont occupés les uns à filer, les autres à carder, ceux-là à faire des étoffes. Demurat en 1731 précise que "Dans la ville de Carcassonne et dans toutes les paroisses du diocèse, on ne fait autre chose que de donner les façons nécessaires aux draps, ce qui occupe même le peuple dans quatre ou cinq diocèses voisins. Déjà avant la Révolution, Young avait écrit que "Carcassonne est une des places manufacturières les plus considérables en France." 

    couvportenarbonnaisetaylor.jpg

    Carcassonne au XVIIIe siècle

    Quand il est admis que cet endroit est l'une des plus importantes villes manufacturières de France, contenant 15 000 personnes, pourtant pas une voiture d'aucune sorte, comment un Anglais dont les commodités universelles sont répandues dans son propre pays, où je crois qu'il n'y a pas une ville de 1500 personnes dans le royaume dans laquelle les chaises de poste et les chevaux ne doivent pas être pris lorsqu'on les sollicite ! Quel contraste ! Ceci confirme le fait déductible du peu de circulation sur les routes même autour de Paris. La circulation est flagrante en France. La chaleur était si grande que je laissai Mirepoix en désordre: c'était de loin le jour le plus chaud que j'aie jamais quitté. L'hémisphère semblait presque dans une flamme avec des rayons brûlants qui rendaient impossible de tourner les yeux à plusieurs degrés de l'orbe radieux qui flambait maintenant dans le ciel.

    En effet, après avoir quitté Carcassonne, Young se rendit à Mirepoix en passant par Fanjeaux et Notre-Dame de Prouille.

    "A Mirepoix, il y a un magnifique pont de sept arches plates de 64 travées, qui coûtent 1 800 000 livres; il a été douze années érigeant, et sera fini dans deux autres. Le temps pendant plusieurs jours a été aussi beau que possible, mais très chaud; aujourd'hui la chaleur était si désagréable, que je me reposai de midi à trois heures à Mirepoix; et l'a trouvé si brûlant, que c'était un effort d'aller un demi-quart de mile pour voir le pont. Les myriades de mouches étaient prêtes à me dévorer, et je pouvais difficilement supporter la moindre lumière dans la pièce."

    Arthur_Young.jpg

    Le Président de la Chambre des Communes profite également de son séjour pour faire un certain nombre d'observations sur l'agriculture de notre région. A Carcassonne, la luzerne est coupée 4 à 6 fois, selon la pluie.

    "Le sétier de blé est de 150 livres et ils ont une bonne terre six par setterée. le setterée étant ici 1024 de huit pavés, cela fait 25000 pieds; Le produit est donc de 23 boisseaux. Les récoltes extraordinaires s'élèvent à dix sétiers. La province a un caractère beaucoup plus grand pour la fertilité qu'elle ne le mérite. Monsieur Astruc en dit: «Je ne prétends point parler de blé ou de laine: ces articles sont portés dans le Languedoc à peu près au plus haut point où ils se dirigeaient. Une jolie raison pour que l'historien naturel d'une province n'en dise plus rien! A Narbonne, il y a de la bonne laine, mais la culture du blé a peu de mérite. Un autre écrivain est proche de la vérité lorsqu'il dit: «Si l'on excepte ce qu'on appelle la plaine du Languedoc, les terres basses et les basses cévenoles, le reft, qui fait la moitié de la province, est, de tous les pays que je connais, le plus ingrat et le moins fertile."

    Sources

    Notes, synthèse et recherches / Martial Andrieu

    ____________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • Ce général controversé qui libéra Carcassonne le 21 août 1944...

    Le 16 août 1944, Paul Aussaresses (Soual)est parachuté avec le sous-lieutenant Marcel Bigeard (Aube) dans l'Ariège près de Rieucros. Les deux futurs généraux surtout connus pour leurs faits d'armes en Indochine et en Algérie, vont se distinguer sur le sol Audois. Engagés au sein des Jedburgh du S.O.E (Special Organisation Executive), ils appartiennent à l'équipe Chrysler chargée de coordonner les maquis, mener des actions de sabotages et couper la route des troupes allemandes remontant vers la Normandie. Aussaresses avait appris dans les techniques de la guérilla, le maniement des explosifs et le close-combat en Angleterre. Pour maîtriser la peur, il dut se familiariser avec la façon de pétrir un pain de plastic à la main et de placer ensuite un détonateur les yeux bandés. Tous les exercices se déroulèrent à balles réelles. Dans l'ordre de mission de l'Opération "Massingham Bilda" figure également la note suivante : "Assurez-vous que les Résistants respectent la Convention de Genève". 

    Capture d’écran 2017-12-19 à 09.23.59.png

    Le capitaine Paul Aussaresses en 1944

    Bigeard et Aussaresses se retrouvent au milieu des bois de Vira (Ariège) dans le maquis de la F.A.I (Forces Anarchistes Internationales). L’Etat-major d’Alger décida d’homologuer ce groupes de résistants. Comme il était important, l’équipe chargée de cette tâche devait comporter deux officiers supérieurs. Faute de trouver un commandant qui fasse l’affaire, le sous-lieutenant Bigeard avait été choisi à l’Ecole des Pins (Centre d’instruction des élèves agents du Spécial Organisation Executive) sur sa bonne mine et nommé commandant à titre provisoire. Bigeard se distinguera par un coup d'éclat en tentant de faire libérer les détenus de la prison de Foix. Malgré l'échec, il en sortira grandi auprès des guérilleros qui iront jusqu'à lui proposer de continuer la lutte en Espagne. Au moins Bigeard aura essayé, contrairement à la Résistance audoise qui ne tentera aucune action militaire pour faire libérer Bringer, Ramond, Roquefort et les autres. Là, n'est pas le sujet...

    image.jpg

    Avec les deux agents des Forces spéciales avaient été parachutés Sell et Chatten. Ce dernier transportait des quartz, des pads et un million que l'équipe devait remettre à un major anglais. C'était très souvent le cas pour les troupes aéroportées chargées de financer les maquis. 

    image.jpg

    "Au cours du saut, la lanière avait cédé et Chatten avait reçu la lourde besace en pleine figure. Il avait eu le nez cassé et des blessures assez sérieuses au visage. Il s’était évanoui et était tombé dans les bois sans avoir repris connaissance. A son réveil, il ne comprenait pas où il était. Il vit un chemin et se mit à marcher. Il entendit des hommes parler en Espagnol. C’étaient des maquisards. Hello ! dit tranquillement Chatten avant de s’écrouler. Son visage était complètement ensanglanté. Les Espagnols se précipitèrent. Ne pouvant le soigner, ils l’avaient confié au chef du maquis français voisin. Celui-ci l’avait fait transporter dans une clinique de Carcassonne dirigée par un médecin favorable à la Résistance (Chez Delteil. Notons qu'il était détenu à la prison avec Bringer à cette époque. NDLR). C’était risqué, puisque Carcassonne était toujours occupée."

    Nous sommes le 21 août 1944, les Américains tendent une embuscade sur la route d'Alet-les-Bains mais se heurtent à des blindés Allemands. Le lieutenant Paul Swank qui commandait l'OG est tué avec son radio. Aussaresses laisse Bigeard avec ses Espagnols de la FAI et arrive à Limoux

    "Lorsque je suis arrivé à Limoux, laissant Bigeard s’occuper du maquis de la FAI, j’ai vu 2000 hommes qui attendaient pendant que leurs chefs palabraient. Il y avait eu en effet une grande discussion entre le chef du maquis d’infanterie alpine, le commandant Allaux (Maurice Allaux. NDLR), les rescapés de l’OG et un chef FTP. La question était de savoir s’il fallait attaquer Carcassonne ou attendre qu’elle se libère d’elle-même. J’ai dit à Sell que de telles hésitations étaient dangereuses. Les Allemands risquaient de se ressaisir. La 11e division à propos de laquelle nous devions obtenir des renseignements pouvait se retrancher dans la ville. J’ai pressé Allaux de se mettre en route sans attendre les FTP. Il a accepté."

    ddeg1430_colonel_maury_comp.jpg

    © ADA 11

    Lucien Maury (Frank), chef du maquis de Picaussel. Il s'engagea ensuite en Indochine

    Dans la Résistance Audoise de Lucien Maury, il est dit que Guy David s'embarqua vers Carcassonne avec l'avant-garde du maquis de Picaussel composée de deux détachements : une petite escorte dotée d'un fusil-mitrailleur et une section amenée par Maurice Allaux. Guy David raconte qu'il avait pour mission d'installer le Comité de Libération à la Préfecture et d'écarter les menaces Allemandes sur la ville. Lucien Maury (Frank) lui aurait alors présenté le capitaine Soual (Aussaresses) : "Un grand garçon, mince, qui porte avec élégance une tenue d'officier anglais." Il lui est sympathique d'emblée. Soual lui propose de les accompagner pour renseigner le commandement allié sur la situation à Carcassonne. Apparement, ils ont des objectifs communs. Toutefois, la détermination du FFI Guy David d'en découdre, se retrouve nuancée par Aussaresses, au sujet des moyens dont dispose la Résistance pour empêcher les Allemands de traverser Carcassonne. Il faut éviter de nouveaux massacres, comme celui du Quai Riquet la veille. Dans les mémoires d'Aussaresses, la version Guy David se trouve contredite :

    "Je suis parti en reconnaissance avec Sell, une dizaine d’hommes et un radio que m’avait affecté Bigeard. Allaux m’avait dit que des policiers pourraient nous aider. Nous sommes entrés dans Carcassonne au culot. Je me suis rendu au commissariat. J’ai demandé au commissaire (Fra. NDLR) d’occuper tous les points importants de la ville (la mairie, la préfecture, la poste) et les défendre du mieux qu’il pouvait en attendant l’arrivée du maquis. Bien sûr, nous avons foncé à la clinique où était Chatten. Après 24 heures d’une attente angoissante, l’infanterie alpine est arrivée."

    Guy David raconte sa prise la préfecture en mettant Aussaresses au second plan. Difficile de dire qui a raison, mais chacun essaie de s'en attribuer le bénéfice. Qui délivra Carcassonne : Londres ou Picaussel ?

    "Nous entrons déjà dans les faubourgs de Carcassonne. Les passants, regardent, surpris, ces soldats bizarrement accoutrés qui foncent vers le cœur de la ville. Le temps de comprendre, d'esquisser un geste, nous sommes déjà passés... La préfecture... Je saute de la voiture et je demande au capitaine Talon de m'attendre là avec son équipe. Soual (Aussaresses) désire m'accompagner. A mon tour d'hésiter... Après tout, il représente les Forces Françaises Libres... Je préfère aussi ne pas me trouver seul devant tous ces gens que je connais pas. Et puis, dans son uniforme anglais tout neuf, il fera bonne impression, meilleure que moi sans doute. Je m'aperçois pour la première fois que ma tenue donne des signes très évidents de fatigue."

    Avec subtilité, Guy David expose le ressentiment des maquisards envers Londres. Les uns sont propres et fraîchement parachutés, les autres épuisés par trois années de clandestinité. Les maquis de l'Aude, surtout communistes, se plaignirent du peu d'armes parachutées par Londres. En effet, les alliés craignaient que les communistes ne s'en servent ensuite pour prendre le pouvoir. Faut-il en vouloir aux résistants de terrain d'avoir un peu gonflé leurs récits d'une trop grande gloire ? Notre travail d'historien consiste à tenter de s'approcher de la vérité. Guy David poursuit son récit en mettant en avant les craintes qu'une colonne Allemande ne traverse Carcassonne. Personne ne serait alors en mesure de la stopper ; ces objections avaient été relevées par Aussaresses au départ de Limoux. Fort heureusement, celle que l'on signala aux portes de Carcassonne se dérouta vers le Nord, et ne traversa pas la ville.

    Unknown.jpg

    La clinique du Dr Delteil en 1944

    "Nous avions eu de la chance : les Allemands ne nous avaient pas attaqués, préférant filer vers le nord. Il me fallait maintenant tendre des embuscades pour obtenir les renseignements dont j’avais besoin à propos de la 11e division allemande. Un de mes groupes, disposé à l’Ouest de Carcassonne et constitué de résistants locaux, était commandé par un réserviste de la coloniale. Il accrocha un groupe allemand qui contre-attaqua et les résistants - une trentaine - furent capturés. Ceux qui étaient en uniforme furent désarmés et libérés, mais six combattants en civil furent exécutés."

    Aussaresses évoque ici un évènement qui n'est jamais mis en avant pas la Résistance audoise. Selon lui, les officiers de la Wehrmacht respectaient la Convention de Génève. Bien entendu, pas les Waffen-SS ni la Gestapo. Ils fusillaient les combattants en civils considérés comme terroristes, mais respectaient l'uniforme. Attention, ceci n'engage que lui. Venant d'un officier d'active, on peut cependant le croire.

    "Je me tenais au nord de Carcassonne où j’avais constitué une section avec des mitrailleuses Hotchkiss. Nous avons ouvert le feu pour couper la route aux convois d’infanterie mécanisée qui montaient au Nord. L’accrochage fut très sérieux. Mon objectif était de les clouer sur place et de bloquer la route, mais ils étaient nombreux et se défendaient désespérément. J’ai dû appeler l’aviation et six chasseurs Spitfire d’Alger sont arrivés in extremis pour nous appuyer. Du coup, les Allemands n’ont pas été en mesure de contre-attaquer mais ont finalement réussi à se dégager en emportant leurs morts et leurs blessés. Nous avons fait des prisonniers."

    Il doit s'agir de l'attaque de Pennautier au cours de laquelle l'avion de James Millard Ashton est allé s'écraser sur le domaine de Gougens. Le 24 août 1944, Guy David raconte que l'avant-garde de Picaussel amenée par Allaux et René Brun, renforcée du capitaine Aussaresses et du détachement Gayraud, attaqua une colonne Allemande près du carrefour de Villegailhenc. Le bilan fut de cinq tués et deux blessés dans les rangs des FFI. L'Aude était définitivement libérée.

    "Le régiment de l’infanterie alpine du commandant Allaux avait rejoint la première armée et la ville était sous le contrôle des FTP qui avaient déjà exécuté une dizaine de collaborateurs. Il fallait éviter les excès et arbitrer entre résistants authentiques et collaborateurs déguisés. Ce fut un autre aspect de ma mission. Je retrouvai finalement le major auquel nous devions remettre les quartz, les pads et le million. Mais il était en civil et nous parut suspect."

    Unknown.jpg

    Noël Blanc alias Charpentier

    Aussaresses resta deux semaines à Carcassonne et fit la connaissance "d'un garçon sympathique nommé Charpentier, un Vosgien. Le BCRA l’avait envoyé pour préparer les parachutages, notamment en balisant les terrains. Charpentier connaissait bien la clinique où Chatten avait été soigné. Son directeur, le docteur D (Delteil), était un patriote et Charpentier avait remarqué les deux jolies infirmières qui l’assistaient." Il fut ensuite envoyé par le Comité de Libération enquêter sur un maquis installé du côté de la mine d'or de Salsigne. Son existence était suspecte car il se trouvait dans ses rangs d'anciens miliciens passés à la Résistance pour se blanchir de leurs crimes. Finalement, le chef se disculpa en arguant qu'il avait fait des actions contre les Allemands. "J’appris plus tard que son chef (de ce maquis) avait trouvé la mort dans un accident d’automobile. Quant aux miliciens qu’il avait enrôlés, ils eurent sans doute l’astuce, comme bien d’autres, de s’enrôler dans l’armée de libération pour finir de se blanchir. Je suppose qu’ils ont été décorés." Ces miliciens s'enrôlèrent ensuite dans la légion étrangère ; ils constituèrent le bataillon des réprouvés. Il est exact parmi ceux qui revinrent, certains furent décorés. Quand Aussaresses revint à Carcassonne, il chercha Charpentier. On lui apprit qu'il avait été assassiné (le 4 septembre 1944. NDLR). Il alla s'informer auprès du commissaire de police Fra qui "resta évasif, évoquant une rivalité entre Londres et les FTP."

    L’équipe Chrysler repartit dans une superbe voiture américaine pilotée par Ronald Chatten, tout à fait remis de son accident. L’automobile avait été mis à disposition par le Comité de Libération de Carcassonne : c’était une Graham-Paige blanche confisquée à un collaborateur. Leur débriefing eut lieu au début du mois d’octobre à la Special Force Unit number 4 installée à Villeneuve-lez-Avignon. Ils rendirent longuement compte de leur mission devant les officiers anglais et américains et rédigèrent leur rapport. Le million destiné au major fut restitué à un officier qui jeta le sac dans un coin de la pièce sans même vérifier son contenu. Ainsi s'acheva l'aventure des Forces Spéciales Jedburgh dans l'Aude.

    Générale_Paul_Aussaresses_.jpg

    Le général Paul Aussaresses défraya la chronique dans les années 90, lorsqu'il se justifia sur l'usage de la torture pendant de la guerre d'Algérie. Le Président de la République, Jacques Chirac, obtint que l'on lui retirât son légion d'honneur. Cet article n'a pas pour objet de prendre position sur l'attitude de Paul Aussaresses après la Seconde guerre mondiale.

    Sources

    Mémoires de P. Aussaresses

    La Résistance audoise / Lucien Maury

    Notes, recherches et synthèses / Martial Andrieu

    _______________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • Entretien avec le philosophe et académicien Carcassonnais Ferdinand Alquié (1906-1985)

    Nous avons souvent évoqué sur ce blog la mémoire de Ferdinand Alquié, académicien et philosophe. Nous ne pouvons que regretter qu'il n'en soit pas de même dans sa ville natale... Le fonds Alquié versé à une bibliothèque municipale qui n'existe plus, dort dans un tiroir. Les heures de conférence sur le surréalisme enregistrées dans une célèbre université américaine, n'ont même pas trouvé preneur à Carcassonne. C'est dire si l'on se fout d'Alquié du quart comme du centième. A la lecture de l'entretien qu'il donna le 22 avril 1984 à l'Indépendant et que nous reproduisons ci-dessous, la tradition philosophique était selon lui l'école de la raison. On ne jète pas avec l'eau du bain des siècles de pensée structurée. Pour reprendre son expression : "chercher à bâtir la maison sans le rez-de-chausée". C'est un peu modestement ce que nous faisons ici, nous souvenir et rendre hommage à ceux qui nous ont précédés. Imagineriez-vous aujourd'hui qu'un journal local, faisant ses recettes quotidiennes avec la rubrique des faits de justice et de police, se risquerait en interviewant un philosophe ? D'ailleurs, y a t-il encore dans les rédactions locales des professionnels capables de tenir ce genre d'entretien ?

    61 Alquié chez Henri Tort Nouguès.jpg

    © Droits réservés

    Entretien avec Ferdinand Alquié

    Il se murmure, il se dit tout haut et sur tous les tons que la philosophie à l’instar des économies mondiales est « en crise ». Quel est le sentiment de Ferdinand Alquié sur la question ?

    C’est très difficile de définir la crise de la philosophie. Mais je déplore que ce soit effectivement vrai… Pendant longtemps, il y avait un contact, une certaine continuité entre les grands philosophes et le grand public. Et cela venait de ce que les grands philosophes traitaient de sujets, répondaient à des questions que tout le monde se posait.
    Descartes, par exemple, démontre (on pense qu’il démontre) l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu… Si vous prenez Kant, il définit lui-même la philosophie comme devant répondre à un certain nombre de très grandes questions : Que pouvons-nous connaître ? Que devons-nous faire ? Que nous est-il permis d’espérer ? Qu’est ce que l’homme ? Il est bien évident que n’importe qui, qui a une certaine culture, se pose ces questions.

    Vous pensez qu’une cassure s’est produite avec le public…

    La cassure vient d’abord du fait que ces problèmes ne se posent plus et ne sont plus posés par les grands philosophes. Je prends par exemple Heidegger qui est le plus grand philosophe de ce siècle, d’une manière à peu près unanimement reconnue. Eh ! bien, si vous me demandez si Heidegger croit à l’immortalité de l’âme, je ne le sais pas ; s’il croit en Dieu, je ne le sais pas. Quelle morale, il conseille ? Je ne le sais pas. Et quand je prends Heidegger, je prends l’exemple le plus favorable. Car si vous prenez des philosophes français à la mode, par exemple, Derrida, si vous voulez, il n’est plus question de rien de semblable, il est question de langage, de la structure du langage.
    De ce fait, la coupure avec le public éclairé est totale. Parce que les questions que traitent les philosophes du jour, enfin pas tous et certainement pas moi, les huit dixièmes sont des questions qui n’intéressent plus personne.

    N’est-ce pas que l’objet de la philosophie s’est élargi et qu’en même temps il est devenu flou ?

    Pour moi, il ne s’est pas élargi, il s’est au contraire spécialisé, et il refuse de répondre à un certain nombre de problèmes. C’est déjà une première raison de cette décadence de la philosophie. La seconde raison est l’obscurité des philosophes actuels. Les causes en sont également nombreuses. C’est avec Kant et après lui que la philosophie a pris un langage effroyablement difficile. Si vous prenez « La phénoménologie de l’esprit » de Hegel par exemple, vous n’y comprenez strictement rien alors que si vous lisez les « Méditations métaphysiques » de Descartes, je ne dis pas que vous les comprendrez à fond, puisqu’on discute depuis Descartes pour savoir ce que cela veut dire, mais vous comprendrez quelque chose.
    Prenez encore un homme qui n’est pas un philosophe mais qui a une grande influence sur les philosophes contemporains en France , Jacques Lacan : essayez de lire du Lacan. Huit fois sur dix, on ne comprend pas ce qu’il veut dire, et même de quoi il est question.

    L’art au-delà de la raison.
    Mais ce n’est pas d’une façon plus générale propre à notre époque. L’art lui aussi est souvent incompréhensible. La poésie elle-même, suit parfois un travers identique. Même si son objet est différent, n’étant pas forcément de clarté…

    Oui, mais la poséie ça me paraît beaucoup plus normal, parce que la poésie s’efforce d’exprimer l’irrationnel.

    C’est une conception nouvelle de son rôle. Depuis le romantisme allemand. En tout cas de façon consciente.

    Je ne le crois pas. Je crois que chez les grands poètes classiques, par exemple, Raci,e, il y a souvent un double sens : le sens logique et au-delà du sens logique un sens proprement poétique qui est aussi rationnel que celui de différents auteurs modernes.
    Dans la mort de Phèdre, les vers :
    « Et la mort dérobant à mes yeux la clarté, rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté » qui sont des vers admirables. Il est bien évident que d’un point de vue rationnel, cela ne veut rien dire du tout. Donc, nous sommes dans un ordre qui est aussi rationnel que celui des poètes modernes. La différence c’est que chez Racine, vous avez toujours les deux sens.
    C’est comme dans la peinture. Un grand peintre était autrefois un monsieur qui faisait des tableaux ressemblant au réel et en même temps beaux.
    La philosophie avant, si je puis dire, débarrassé la peinture de la reproduction du réel, il ne reste plus que l’autre élément. Chez le poète c’est assez pareil, mais la poésie contemporaine, je crois, répond bien à quelque chose d’éternel.

    60 Alquié chez Henri Tort Nouguès Cité Carcassonne.jpg

    © Droits réservés

    Henri Tort-Noguès et Ferdinand Alquié à Carcassonne

    La raison est-elle encore le moteur de la réflexion des nouveaux philosophes ?

    Les nouveaux philosophes c’est autre chose ! Je n’ai pas pour eux une très grande estime… (SILENCE). Ils me sont néanmoins assez sympathiques. Ils ont du reste rendu certains services intellectuels parce que, avant eux, le marxisme était était une espèce de dogme. Si l’on n’était pas marxiste, on était considéré comme un imbécile. Ils ont quand même sur ce plan changé les choses, mais je ne peux pas dire que ce qu’ils ont apporté sur le plan proprement philosophique soit de véritable valeur. Il n’y a pas de contenu. Ce sont des invectives… Je ne crois pas que ce sont de bons philosophes mais je ne nommerai personne.

    Enseigner, n’est pas jouer.
    On se méfiait naguère de l’enseignement de la philosophie, parce qu’elle était jugée subversive. Aujourd’hui, c’est sa « subjectivité » qui semble être en cause. En tout cas, la méfiance demeure.

    Je vous demanderai ce que vous appelez « On » ?

    Disons, l’opinion publique.

    Alors je crois que l’opinion publique a raison de se méfier non pas de la philosophie, mais de la façon dont on enseigne.
    Je n’ai jamais voulu signer les différentes protestations qu’on m’a soumises pour défendre la philo. Cela sous n’importe quel ministère. Ceci pour la raison suivante : quand on enseignera la philosophie dans les classes de philosophie, je serai à la tête du combat pour qu’on augmente les horaires. Mais, vu que la plupart des classes de philosophie sont devenues des classes de pur et simple bavardage sur l’actualité politique du jour, je ne vois pas du tout pourquoi on augmenterait les horaires.
    Il y a des gens qui ne font plus du tout de philosophie… qui est un personnage génial…. Mais la philosophie ne se réduit pas à Nietzche.
    Les professeurs ne veulent plus rien enseigner. Ils se mettent à l’écoute de leurs élèves et déclarent que ceux-ci en savent plus qu’eux. Et que le professeur n’a pas à transmettre un savoir…
    Nous sommes l’un des rares pays où l’on enseigne la philo dans les classes secondaires. La supériorité de l’enseignement français venait de là. La classe de philosophie était une révélation pour tout le monde !

    Mais nous retrouvons la subvention.

    Quand j’étais jeune, les parents craignaient que la philosophie, en éveillant les esprits des élèves, des doutes sur la foi religieuse ne leur fit perdre cette foi et la philosophie était suspecte à ce titre. Je ne crois plus que ce soit le cas. Elle est suspecte parce que beaucoup de parents s’aperçoivent que ce qu’on leur enseigne sous un nom, n’a plus ni tête ni queue…
    Je connaissais un père d’élève dont la fille voulait préparer Sèvres (Normale sup). Il me dit de convoquer sa fille pour savoir ce qu’elle savait. Je m’aperçus en quelques questions qu’elle ne savait absolument rien… Qu’est-ce qu’une idée générale ? Un concept ? L’induction la déduction ? Le syllogisme ? Zéro, zério, zéro…
    Je lui demande comment elle a fait pour être reçue au bachot. Elle me répondit : Oh ! vous savez, il y a toujours un texte parmi les trois sujets. J’ai pris ce texte et j’ai répété en gros ce qu’il voulait dire. J’ai eu 12 et j’ai été dispensée de l’oral…
    Mais enfin votre professeur vous a fait cours ? J’ai vu alors que ce cours qu’elle m’a montré, était une comparaison entre la civilisation blanche et la civilisation noire. Ce cours prétendait montrer que la civilisation noire était supérieure à la nôtre, que nous avions détruit cette civilisation…
    La philosophie telle qu’on l’enseigne dans l’enseignement secondaire pourrait être supprimée sans que l’on ressente le moindre mal.

    Ferdinand Alquié, qui reconnaît que « de son temps, il a existé de mauvais professeurs », a le sentiment qu’à présent le mal est profond et qu’il ronge tout l’édifice, de bas en haut

    Moi, qui adorais enseigner, je vous jure que dans mes dernières années de Sorbonne, j’étais tellement écœuré que j’ai pris ma retraite sans drame. L’enseignement supérieur est devenu impossible… Impossible, comme de construite une maison qui n’aurait pas de rez-de-chaussée.

    Entre Dieu et le néant.
    La mort, Dieu, où allons-nous ?
    Vous n’êtes guère optimiste quant au devenir de notre civilisation…

    Je suis extrêmement inquiet. Je suis même assez triste… Je suis triste d’abord d’être vieux… Sentir s’approcher la mort est une chose triste mais sentir, qu’en même temps que vous, meurt autour de vous ce que vous avez aimé et ce pourquoi vous vous êtes battu, c’est encore plus triste, parce que la consolation qu’on peut avoir quand on sent s’approcher la mort, c’est de se dire par exemple : J’ai passé ma vie à expliquer Descartes, Kant… Penser que tout le monde s’en fout, c’est horrible.

    Avez-vous la foi ?

    Je vous répondrai que je n’en sais rien. c’est une question que je me pose sans cesse. Je vous répondrai que je désire l’avoir. Je ne peux pas dire que je suis un négateur de la foi, mais je ne peux pas dire non plus que je l’ai.
    Le mot foi lui même exclut la notion de certitude… Mais mettons que j’ai un doute profond….plus qu’un doute profond. L’église catholique déclare que personne ne sait s’il a la foi ou pas.

    Je pense dont je suis… surréaliste.
    Comment peut-on être cartésien et surréaliste ?

    Pour moi la réponse est extrêmement simple. L’essence de ma philosophie se définit ainsi : c’est que l’objet n’est pas l’Etre, c’est-à-dire que tout ce qui nous apparaît à titre d’objet à un arrière-fond ontologique qui ne nous est pas accessible. Ça c’est une idée fondamentale et l’expérience philosophique que j’ai eue depuis que je suis enfant est celle-là. Je me suis toujours dit, et spontanément, tout ce que je vis et que j’appelle le monde réel est fait de qualités sensibles.
    Il est bien évident que la neige ne se sent pas froide, qu’elle ne se voit pas blanche et pourtant cela est. Et nous sommes sûrs que cela demeurera quand nous serons plus là pour le voir.
    Ça c’est une idée qu’on trouve chez tous les philosophes et notamment chez Kant. C’est la fameuse chose en soi qui s’oppose au phénomène. Descartes dans la « méditation première » commence à mettre le monde en doute, c’est-à-dire qu’il n’est pas sûr que le monde existe, à comparer l’état de veille et l’état de rêve, à dire qu’il n’est pas sûr qu’il ne rêve pas, puis finalement il trouve l’Etre d’abord dans Dieu et il déclare que Dieu est incompréhensible : Incomprehensibilitas ratio formalis Dei est.
    Dans les philosophes que j’aime, qu’il s’agisse de Descartes ou de Kant, l’essentiel est l’affirmation d’un arrière fond ontologique qui ne se confond pas avec l’objet.
    Or, si nous passions maintenant aux surréalistes, ils n’ont jamais dit autre chose. Et si nous prenons la démarche surréaliste telle qu’elle est, c’est sans cesse l’attente des signes. Vous savez l’importance qu’a chez Breton la notion de signe. Or, s’il guette des signes, c’est qu’il guette quelque chose qui fait signe. Et ce quelque chose, il ne sait pas ce que c’est.
    Sur le plan proprement conceptuel, vous pouvez dire bien sûr que Descartes et Breton, c’est absolument le contraire. Par exemple, Descartes croit en Dieu, Breton est athée. Mais je n’ai pas connu d’esprit plus profondément religieux que Breton. Il était sans cesse à attendre quelque chose qui était le monde visible. Pour moi, ces deux démarches, bien qu’absolument distinctes, l’une raisonnante l’autre poétique, recouvrent une expérience profonde qui est la même.
    Je dois dire que Breton n’en a jamais convenu. Je lui ai dit 100 fois la chose et il me répondait que Descartes c’était le rationalisme. Les Français répètent sans cesse d’une manière imbécile « nous sommes cartésiens ». Quand j’entends « nous autres cartésiens », je sais que c’est une connerie qui va suivre. !
    Il est normal que Breton ait été horripilé par tout ça et qu’il ait pensé que Descartes en était la source. Cela vient de ce que les gens ne comprennent rien à Descartes. C’est le plus irréationnaliste des philosophes. Il est le seul à avoir dit, et là, c’est inouï, que Dieu est le libre créateur des vérités éternelles. C’est-à-dire que 2 et 2 font 4 son des vérités librement créées par Dieu et qui aurait pu les créer autrement. 2 et 2 pourraient faire 5. Même les philosophes catholiques (St-Thomas, etc.) estiment que Dieu est soumis à la logique. Sur le plan de l’irrationnel, on peut pas aller plus loin que Descartes. Or, Descartes passe pour le champion du rationalisme ! Il n’y a pas plus surréaliste que ça.
    Je pense donc qu’on peut perte cartésienne et surréaliste, non seulement d’une manière parce que je le suis mais je pense que je le suis d’une manière absolument cohérente.

    Carcassonne, métropole intellectuelle.
    Ne pas se méprendre. Même si des signes nous indiquent que toute vie intellectuelle n’est pas morte à Carcassonne (heureusement), l’essentiel de ce propos est restituer dans les années 20-30. Mais, n’anticipons pas, les noms vont rafraîchir les mémoires. Vous avez la réputation dans le milieu philosophique d’être un homme de rigueur. Est-ce qu’elle est le fait de votre enseignement ou n’est-elle pas le fait de votre nature d’homme méditerranéen ?

    Je suis né à Carcassonne presque par hasard… Du point de vue du sang, je ne suis pas du tout Audois, mais je suis resté très attaché à Carcassonne où j’y ai de nombreux amis.

    Charles Cros, rationaliste et poète, Pierre Reverdy, Joë Bousquet, Joseph Delteil, René Nelli, Jacques Roubaud, le professeur J. Ruffié, Ferdinand Alquié…. Une liste magistrale. Avez-vous le sentiment d’appartenir à une lignée de Sud spécifique.

    Il est frappant que parmi les noms que avez cités, il y a des gens qui étaient l’objet d’une grande admiration de la part d’André Breton.
    C’est le cas de Charles Gros, c’est plus que le cas pour Reverdy puisque le manifeste du Surréalisme s’inspira directement de lui. Bousquet, lui n’était pas surréaliste à proprement parler. Il a signé de nombreux manifestes, il avait pour le surréalisme une grande admiration, je ne dis pas qu’elle était réciproque. Je crois que ce serait fausser des idées - et sur le surréalisme et sur Joë Bousquet - que de les assimiler, bien que dans mon livre sur la philosophie du surréalisme, j’ai cru devoir finir par deux textes relatifs à Joê Bousquet dans la chambre duquel j’ai été, si l’on peut dire, initié ; où j’ai connu le surréalisme à ses tout débuts.
    Il y a très peu d’hommes à qui je dois quelque chose et qui m’ont vraiment appris. Parmi eux, il y a le professeur de musique de Carcassonne qui s’appelle Michel Mir, il y a Estève en philosophie, qui m’as appris beaucoup de choses. Il y a mon père qui était professeur de physique, Emile Bréhier à la Sorbonne, Laporte, Gilson à la Sorbonne. Il y a Darbon à Bordeaux. Ça c’est ce qu’on peut appeler mes maîtres.

    Ballard Alquié Les Sire et Estève.jpg

    © Droits réservés

    Balard, Sire, Estève et Alquié

    Reçu avec mention très bien au bachot, F. Alquié, jeune Carcassonnais débarque dans une grande Khâgne de Paris où il va retrouver René Nelli et 95 condisciples. Ne vous inquiétez pas pour lui : il y fut aussitôt le premier de la classe. Une preuve, assure t-il, de la valeur de son professeur de philosophie à Carcassonne : Estève.

    Je ne peux que lui rendre hommage. Le rôle d’Estève a d’ailleurs toujours été minimisé en ce qui concerne Joë Bousquet. Je crois que sans Estève, Bousquet ne serait pas devenu ce qu’il est devenu. Estève avait un sens de la vie extraordinaire. Se promener dans la rue avec lui était inouï.

    Et René Nelli ?

    Nelli était dans une classe en dessus de moi, mais nous avons été en Khägne ensemble. Nous avons eu douze ans ensemble. J’ai toujours été l’ami de Nelli. Il est exact qu’il y avait à Carcassonne, aussi bien à ce moment là (les années 20) que quand j’y étais professeur de philosophie (1932 à 1937), un milieu exceptionnel.

    Viennent alors les noms de Bousquet, Molino, Sire et Maria Sire. Carcassonne était bien une métropole culturelle. Une preuve supplémentaire ? La voici :
    Michel Mir avait fondé ici une association de concerts symphoniques. J’y jouais du violon. C’était une époque où les disques de phonographes ne donnaient que de petites opérettes ou « Les cloches de Corneville ». La radio n’existait pratiquement pas. A Montpellier même, il n’y avait pas d’association de concerts symphoniques. J’ai joué des symphonies de Mozart, de Beethoven. C’était médiocre, mais enfin nous jouions de grands musiciens.

    64 F Alquié Académie des Sciences Morales et Politiques.jpg

    © Droits réservés

    Au-delà de la nostalgie.
    Sur le pommeau de son épée d’académicien, Ferdinand Alquié a voulu voir figurer un symbole de la nostalgie. Il a choisi le mythe platonicien de Phèdre, c’est-à-dire de l’âme tirée par un cheval noir et un cheval blanc qui chute puis s’incarne après avoir suivi le cortège des dieux. Mais l’âme se souvient de la beauté ineffable qu’elle a vue parmi les dieux. Et naît l’amour…
    Je suis d’une certaine façon un philosophe de la nostalgie, estime F. Alquié et c’est assez dire sa quête d’une arrière monde, « des choses qui sont derrière des choses ». Si le poète court immédiatement à cet univers englouti sous les apparences, le philosophe chemine, lui, au pas de la « raison » n’en concevant nulle jalousie. Tous deux selon le mot de Descartes s’approprient « des semences de vérité comme en un silex ». L’antenne extrême de leurs âmes dissemblables touche au même paradis, entre le ciel étoilé et la loi morale.

    ________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017