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Seconde guerre mondiale - Page 52

  • La collaboration industrielle dans l'Aude sous l'occupation

     Le 20 septembre 1944, le service du bâtiment et des travaux publics de la Délégation Générale à l'Equipement National relève une liste de 143 entreprises audoises - artisanales et non artisanales - ayant travaillé pour l'occupant Allemand. Ce grand nombre s'explique par le fait, qu'à un certain moment, l'Office de placement allemand de Carcassonne a réquisitionné en bloc un certain nombre d'entreprises ; ce fut le cas en particulier de toutes les entreprises de maçonnerie de Carcassonne.

    Cette liste comporte le degré d'implication de l'entreprise, exprimé en pourcentage. Ce taux a été calculé en faisant le rapport entre le nombre d'ouvriers travaillant sur le chantier et les effectifs de chaque patron. La note de l'ingénieur en chef au Commissaire de la République rappelle que : " Ce pourcentage n'est donné qu'à titre d'indication et qu'il est probablement assez différent de celui que l'on obtiendrait, en faisant le rapport des chiffres d'affaires des secteurs allemands et français."

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    Fortifications allemandes, avenue A. Mullot.

    Si une très grande partie d'entre-elles a exécuté ces travaux sous la contrainte de la réquisition, 31 cas ont fait l'objet d'un examen particulier. Certains entrepreneurs de maçonnerie se sont portés volontaires pour la réalisation de travaux militaires tels que casemates, blockhaus et autres tranchées anti-char. Des poursuites ont été engagées contre eux après la guerre, avec dans certains des arrestations. La circulaire ministérielle du 2 décembre 1944 "recommande aux administrations et aux Services publics concernés de s'abstenir d'attribuer aux entreprises dont l'activité en faveur de l'ennemi a eu un caractère notoire, des commandes et des marchés." Le 2 juillet 1946, suivant instructions du préfet de l'Aude, les noms de cinq entrepreneurs Carcassonnais exclus et condamnés sont affichés au tableau officiel de la mairie.

    Lettre de Louis Amiel (Maire de Carcassonne) à M. le Commandant Georges (Commandant départemental des F.F.I)

    31 août 1944

    J'ai l'honneur de vous faire part d'une résolution du Comité local de la Libération, approuvée par le Comité départemental, tendant à mettre à la charge des entrepreneurs constructeurs de fortifications, la démolition des ouvrages qu'ils ont exécuté pour le compte de l'armée allemande.

    Les conditions d'exécution de ces ouvrages ont soulevé pendant l'occupation, parmi la population, une émotion considérable. Certaines entreprises ont travaillé à forfait à des conditions honteuses que les allemands se souciaient fort peu de discuter puisqu'il s'agissait en définitive que des finances de la France. D'autres ont construit des ouvrages avec la main d'oeuvre fournie par la réquisition civile qui, durant quatre mois, a astreint nos compatriotes à de véritables travaux forcés.

    Dans tous les cas, il est de notoriété publique que les entrepreneurs des ouvrages fortifiés ont édifié, sur les deniers de la France et la sueur des Français, des fortunes scandaleuses. Il est donc logique qu'ils participent les premiers à l'oeuvre de redressement moral à laquelle nous nous attachés.

    Ces considérations ont conduit le Comité local, parfaitement d'accord sur ce point avec le Comité départemental, à vous demander de contraindre les entrepreneurs qui ont construit les ouvrages de défense allemands à les démolir immédiatement à leurs frais, à la main, avec l'obligation pour eux d'embaucher au tarif syndical, le personnel qui y travaillait et les ouvriers sans travail qui leur seront adressés.

    Les allemands n'étaient pas regardant sur les sommes demandées par ces entreprises de travaux publics, car la France payait 400 millions de francs par jour au titre de l'armistice de 1940. Sans compter, bien entendu, les bénéfices de tous ordres qu'ils retiraient de l'aryanisation. C'est à dire, de la spoliation des entreprises et des biens appartenant aux juifs, après leur assassinat dans les camps. Je laisse le lecteur apprécier le caractère moral de l'enrichissement des entreprises, collaborant volontairement avec l'occupant. Certaines d'entre-elles ont disparu depuis, mais d'autres sont passées du statut de petit artisan avant-guerre à une importante société, après les lois d'amnistie du milieu des années 1950. Certes, leurs dirigeants ont été condamnés à des amendes et exclus des marchés publics ; dans les faits, les pénalités financières furent modestes en rapport de ce qu'ils avaient gagné. L'Indignité nationale avec confiscation des biens n'a pas toujours été prononcée ou a été minorée en appel, quand ces personnes profitant de quelques complicités n'ont pas retrouvé tout simplement une belle virginité morale au sein du milieu associatif ou politique.

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    © ADA 11

    Maquis Faïta à Buc (Aude)

    Qu'ont pensé les proches des résistants - morts au combat ou déportés - quand ils ont vu réapparaître dans les villes, ces anciens entrepreneurs du bâtiment ou commerçants enrichis grâce au détournement de la répartition pour inonder le marché noir, faire l'acquisition d'immeubles, d'hôtels ou tout simplement construire des maisons secondaires à la mer ? J'en ai beaucoup entendu me dire : "Maintenant, ce sont eux qui nous donnent des leçons." Eh ! oui, on ne s'enrichit pas en se cachant dans le maquis, on risque sa peau et celle de sa famille chaque jour. On mange ce que l'on trouve et parfois rien pendant quelques jours... Pendant ce temps, d'autres ont choisi une voie moins exemplaire mais bien plus lucrative.

    Sources

    Archives de l'Aude

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  • Le 3 juin 1944, la police rafle 200 jeunes sur ordre des nazis dans Carcassonne.

    Nous sommes le samedi 3 juin et le dimanche 4 juin 1944 à Carcassonne. C'est jour de foire... Des agents français accrédités par l'Office du placement Allemand par un service dont le siège est à Marseille, investissent l'ensemble des cafés, la gare, les stations d'autobus et les maisons de tolérance. Sur ordre du service du placement allemand, situé 22 rue Strasbourg, elle appréhende et rafle plus de 200 jeunes français suspectés d'être réfractaires au S.T.O (Service du Travail Obligatoire). Une quarantaine de ces personnes sont retenues et confiées à la garde de la police urbaine de Carcassonne. Elles sont destinées à partir travailler de force en Allemagne pour alimenter l'effort de guerre des nazis. 

    Dans un courrier du 5 juin 1944 adressé au Chef du gouvernement de Vichy, le préfet de l'Aude indique :

    "Je suis immédiatement intervenu auprès de la Feldkommandantur pour demander qu'un fonctionnaire français qualifié assiste aux opérations de criblage. Le colonel, commandant la Feldkommandantur, a accepté la désignation de M. Bousquet, délégué départemental du Commissariat général à la main d'oeuvre."

    Selon le préfet, sa réclamation auprès des services allemands contre l'arrestation de jeunes gens à peine âgés de 18 ans et en situation régulière, a permis finalement de ne retenir que 27 individus sur 40.

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    © Musée de la résistance

     

    Personnes partant pour l'Allemagne. Prévenir au plus vite la famille pour porte les bagages à l'Office de placement Allemand, 15 place Carnot.

    Bourgeois Jean / 29.2.1920 à Aulnay sous bois / Rue de la mairie. Carcassonne 

    Domenech François / 29.5.1923 à Barcelone / Névian

    Armerio Joseph / 19.5.1925 à Béziers / Rue Capeau. Béziers

    Farran René / 9.6.1922 à Sérignan / 10, rue faïence. Béziers

    Gilbert Robert / 5.9. 1918 à Béziers / 5, rue Viennet Béziers

    Guardia Julien / 13.11.1915 à Barbastro / 10, rue Dugommier. Carcassonne

    Jeanjean Gustave / 18.7.1920 à Montjeaux / 39, av Gambetta. Béziers

    Miquel Yvon / 10.3.1912 à Aspiran / 10, rue Subleyras. Montpellier

    Ferrer Joseph / 8.3. 1917 à Narbonne / 21, rue dupleix. Narbonne

    Sylvestre François / 18.1.1919 à Quillan / 28, rue du port. Carcassonne

    Soules Émile / 2.1.1913 à Carcassonne / 59, rte de Limoux. Carcassonne

    Tricarico Jacques / 26.3.1925 à Béziers / 27, rue Corneillan. Béziers

    Taparel Roger / 31.7.1925 à Villassavary / Bassan (34)

    Viseux René / 18.7.1924 à Paris / 46, bd Pétain. Carcassonne

    Vidoni Gianino / 17.8.1916 à Trasaghis (Italie) / 37, rue de l'hôpital. Avignon

    Bertholio Henri / 25.6.1915 à Florensac / Cussac (24)

    Pages Étienne / 26.12.1919 à Argeliers / La digne d'aval

    De Madaillan François / 14.6.1925 / La loubatière

    Denat Émile / 4.7.1922 à Villalier / Villalier

    Garrigues Raoul / 24.4.1926 à Prédelles / Trèbes

     

    Source

    ADA 107W145

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  • Le poète Louis Aragon et son épouse ont habité à Carcassonne

     

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    Louis Aragon

    (1897-1982)

    Le poète surréaliste Louis Aragon et son épouse Elsa Triolet s'installeront à Carcassonne durant trois mois, à partir du mois d'août 1940. Comme de très nombreux écrivains et artistes fuyant la capitale occupée par l'armée allemande, ils trouveront refuge en zone libre. Nous allons voir comment et dans quelles conditions, leur périple les a amené dans la capitale audoise.

    Le communiste

    Aragon est d'abord un intellectuel sympathisant du Parti communiste qui se félicite de la signature du pacte Germano-soviétique de 1939. Il suit la ligne du camarade Staline comme tous les communistes français et invite son gouvernement à se lier avec l'URSS. L'article qu'il écrit le 29 août 1939 dans "Ce soir" - journal dont il a la direction - provoque l'arrestation des communistes et l'interdiction du PC. Aragon se réfugie à l'ambassade du Chili sous la protection de son ami Pablo Neruda.

    "Le pacte de non-agression avec l'Allemagne, imposé à Hitler qui n'avait pas d'autre possibilité que de capituler ainsi ou de faire la guerre, c'est le triomphe de cette volonté de paix soviétique. (…) Et que ne vienne pas ici comparer le pacte de non-agression germano-soviétique qui ne suppose aucun abandon de la part de l'URSS aux pactes « d'amitié » qu'ont signés les gouvernements toujours en exercice en France et en Angleterre avec Hitler : ces pactes d'amitié avaient pour base la capitulation de Munich… L'URSS n'a jamais admis et n'admettra jamais de semblables crimes internationaux. Silence à la meute antisoviétique ! Nous sommes au jour de l'effondrement de ses espérances. Nous sommes au jour où l'on devra reconnaître qu'il y a quelque chose de changé dans le monde et que, parce qu'il y a l'URSS, on ne fait pas la guerre comme on veut."

    La débâcle de l'armée française

    Après la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne, suite à l'attaque de la Pologne, Louis Aragon est incorporé comme médecin-auxiliaire. Il se trouve à la frontière belge et dirige une unité sanitaire composée d'étudiants. Le 26 mai 1940, Louis Aragon obtient une citation à l'ordre de la brigade. Pris dans la poche de Dunkerque avec une grande partie de l'armée française, il réussit à joindre l'Angleterre vers Plymouth. Le 2 juin 1940, il revient en France avec son unité et débarque à Brest. Après avoir été fait prisonnier à Angoulême, il s'évade avec six automobiles et trente hommes. On lui décerne une citation à l'ordre de l'armée pour avoir sous le feu de l'ennemi et au péril de sa vie, ramassé de très nombreux blessés. 

    L'armistice de juin 1940

    Louis Aragon tente de se rapprocher de son épouse Elsa, réfugiée à Bordeaux. Lui, se trouve à Ribérac en Dordogne. Le 28 juin 1940, ils se retrouvent enfin à Javerlhac où ils restent quelques jours. Il écrit "le lilas et les roses" et est démobilisé le 31 juillet 1940.

    Ô mois des floraisons, mois des métamorphoses

    Mai qui fut sans nuage et juin poignardé

    Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses

    Ni ceux que le printemps dans les plis a gardés

    À Carcassonne...

    Venus à Carcassonne pour rejoindre l'éditeur Gallimard qui possédait une propriété à Azille, le couple Aragon retrouve Julien Benda, Jean Paulien, Pierre Seghers et René Magritte chez Joë Bousquet - 53, rue de Verdun. Ce dernier avait ouvert sa porte à tous ses compagnons de littérature. 

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    Chez Mlle Bayle - 24, route minervoise - Louis et Elsa demeurent d'août à décembre 1940 à l'étage d'un restaurant appelé "La grillade". Ils n'ont plus aucun revenu ; ils paient leur logeuse avec leurs droits d'auteur. Aragon rencontre Jean Paulhan dans un café de la ville ; il lui lit "Les lilas et les roses". Avec ce dernier, il va organiser la résistance intellectuelle au nazisme en montant une stratégie pour déjouer la censure de Vichy. Le 10 octobre 1940, Aragon et Paulhan mettent au point un code contre la censure.

    "Dès Carcassonne, écrit Saoul. Aragon avait établi un plan de résistance littéraire légale. Son difficile combat durant la drôle de guerre lui avait prouvé qu'il pouvait continuer d'exprimer ses sentiments profonds par ses vers. Dans les nouvelles conditions créées par la défaite, l'occupation hitlérienne, le gouvernement Pétain, les censures de la Gestapo et de Vichy, il fallait organiser légalement, par le moyen de la poésie, un mouvement de résistance littéraire qui utiliserait avec la fiction et les contradictions de la Zone libre toutes les publications les plus diverses."

     Dans la cuisine de l'appartement où Pierre Seghers et Aragon se retrouvent régulièrement, le poète remet à son ami plus de la moitié des poèmes du "Crève-coeur".

    "Les douleurs ne ressemblent pas, varient à l'infini. Ainsi le sombre malheur que nous éprouvâmes à Carcassonne, aux derniers mois de 1940 ne ressemblait-il à aucune des peines jusque-là connues. Une mélancolie comme l'immobile eau noire du canal, noire comme les cyprès de cette ville.

    La citadelle croulante et factice...

    Le vent. Et notre seul havre, la chambre obscure de Joë Bousquet, seule lumière, seule âme de cette ville aux portes closes, inhumaine. Non, il y avait notre logeuse, une vieille demoiselle qui s'était prise d'affection pour nous, et de nous voir si démunis, ne sachant qu'entreprendre, qui était prête à acheter une épicerie pour nous en confier la gérance." (Elsa Triolet)

    Le 2 septembre 1940, le général Weygand décerne à Aragon la médaille militaire et la Croix de guerre avec palme. À Carcassonne, un dîner est organisé par J. Bousquet en l'honneur de cette distinction. Les écrivains Pierre et Maria Sire sont chargés de la besogne. Ainsi, autour d'une table dressée chez les Sire (18, rue porte d'Aude) dans la Cité médiévale, se trouvent Joë Bousquet, Louis Aragon, Elsa Triolet, René Nelli et son épouse. Bousquet épingle sa propre décoration de 1918 sur la veste d'Aragon.

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    La maison Pierre et Maria Sire à la Cité

    Durant la seconde moitié de décembre 1940, le couple Aragon quitte Carcassonne. Il se rend avec Pierre Seghers à Villeneuve-les-avignon. L'éditeur installa le couple aux Angles, dans une maison de curé.

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    Louis Aragon, Elsa Triolet et Pierre Seghers en 1941 à Villeneuve-les-avignon

    © Wikipedia

    Que reste t-il du séjour de Carcassonne à Louis Aragon ?

    Plusieurs poèmes dont "Ombres", "Richard II Quarante", "Zone libre", "Les croisés"...

    Que reste t-il de Louis Aragon à Carcassonne ?

    Pas même une plaque sur la façade du 24, route minervoise...

    Remerciements

    Madame Sylvie David

    Abbé Jean Cazaux

    Sources

    Le temps des Bohèmes / Dan Franck

    Aragon, un destin français / Pierre Juquin

    Minuit / Dan Franck

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