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Portraits de carcassonnais - Page 5

  • Aimé Tournier, ancien titulaire de l'orgue de la cathédrale Saint-Michel

    Aimé Tournier fut pendant presqu'un demi siècle, le titulaire incontesté et respecté du Grand orgue de la cathédrale Saint-Michel. Né à Teyssode dans le Tarn, le jeune garçon avait été atteint vers l'âge de huit ans par une maladie des yeux. Elle lui fit perdre définitivement la vue. Son seul secours fut d'être admis à l'Institut des jeunes aveugles à Paris. Son unique salut fut d'y apprendre la musique et, plus particulièrement, l'orgue avec un grand maître qui y professait. André Marchal (1894-1980), élève de Gigout au Conservatoire de Paris, lui enseigna toutes les virtuosités de cet instrument. Épargnés par les révolutionnaires de 1789, parce qu'ils permettaient de jouer la Marseillaise, les orgues de France imposent par leurs majestueuses factures. Après un passage par Castelnaudary, Aimé Tournier trouva à Saint-Michel un Cavaillé-Coll tout à fait à sa mesure. Hélas, l'orgue de 1687, fabriqué par Jean de Joyeuse, avait été remplacé depuis belle lurette. Confié pour réparation à Cavaillé-Coll à Paris, le facteur avait répondu le 3 mai 1852 : "Cet orgue, en l'état de dégradation et de vétusté des parties essentielles, exigerait une restauration équivalente à une complète reconstruction. Dans ces conditions, nous avons pensé qu'il serait préférable d'établir un nouvel orgue dans les proportions voulues pour l'église." Quelque temps après, le ministre de l'instruction publique et des Cultes écrivit à l'évêque : "Monseigneur, le buffet d'orgue destiné par l'Empereur à votre cathédrale sera prochainement envoyé à Carcassonne. Aussitôt que l'architecte, qui en a dirigé les travaux, sera de retour à Paris, il se concertera avec M. Ohnet, pour le transport de ce petit monument." Dommage que l'on ait pas divisé le buffet en deux parties pour laisser voir la rosace. 

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    Après 102 ans de bons et loyaux services, on envisagea de restaurer le Cavaillé-Coll. Le travail d'Edmond Costa consista en une remise à neuf des soufflets et de toute la mécanique, ainsi qu'en un nettoyage de la forêt de tuyaux de toutes tailles qui se cachaient derrière le buffet. Les claviers qui ne montaient qu'au fa, montent maintenant au sol. Le pédalier n'était que de 27 notes ; il en a 30 désormais. Cinq jeux supplémentaires, soit 47. On mit des jeux nouveaux pour augmenter à la fois la puissance et la clarté de l'instrument. C'est ainsi que deux cymbales sont venues apporter, avec une tonalité aigue, beaucoup plus de mordant. Un quintaton de 16 pieds, donne la tonique à la quinte. 

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    L'inauguration de l'instrument entièrement révisé, se concrétisa par un concert du Maître André Marchal. Son ancien élève, comme le veut la coutume, débuta par un morceau d'introduction. Après quoi, le vieux musicien prit possession des claviers en interprétant Purcell, Frescobaldi, Buxtehude, Marchand, Clérambault, Bach, Vierné et César Franck. Savez-vous que ce dernier avait déjà joué sur cet instrument avant sa livraison en 1852 ? 

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    Les choeurs de la cathédrale Saint-Michel

    L'abbé Escoupérié se souvient avec émotion d'Aimé Tournier : "Fidèle à son métier. Toujours présent à toutes les cérémonies, il habitait 68 rue Voltaire avec son épouse et son fils Christian. On l'accompagnait jusqu'au début de l'escalier, puis il montait seul à la tribune malgré sa cécité. Il lisait la partition en braille de la main gauche et jouait de la main droite, tout en servant du pédalier." Aimé Tournier accompagnait également les choeurs de la cathédrale, dirigés par Georges Cotte. Il enseignait la musique chez lui et accordait les pianos. Une vie toute entière vouée à l'art qui s'acheva par une terrible maladie à la fin des années 1970. Son fils, Christian, le suivit de peu à l'âge de 35 ans. Il avait épousé Carmen, la fille Soler, épicier à la Barbacane, et travaillait comme facteur d'orgue à Lodève chez Edmond Costa. Aimé Tournier est inhumé dans le cimetière de Diamatte (Tarn).

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  • Emile Laffon (1907-1957), unique "Compagnon de la Libération" Carcassonnais.

    Ils étaient exactement 1038 ! Depuis 2021, il n’en reste plus aucun. La ville de Carcassonne pourrait s’énorgueillir d’avoir eu parmi ses enfants l’un de ceux-là. Compagnon de la Libération, quel beau titre ! La famille Laffon était originaire de Sallèles d’Aude. Avant de migrer vers Carcassonne, le grand-père s’était établi à Mazamet comme banquier. Jules, son fils, après des études droit, prit son premier poste à Limoux comme Juge d’instruction. Il y épousa Yvonne Garretta le 18 juillet 1904. De cette union naîtront Marcelle, Émile et Marthe. 

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    La maison dans laquelle est né Émile Laffon

    Émile Laffon voit le jour à Carcassonne le 20 juin 1907. Ses parents vivent dans un bel appartement. Situé au numéro 16 de la rue du 4 septembre, il appartient à Léonce Embry, rentier de son état. En sa qualité de juge d’instruction au tribunal civil de la ville, Jules Laffon entretient d’excellentes relations parmi la bourgeoisie locale. Il est épris d’art et de littérature. Une lettre du poète François-Paul Albert invite André Gide à lui envoyer une revue, le présentant comme un l’un de ses meilleurs amis. Membre de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne, Jules Laffon inculque à ses enfants les nobles sentiments des devoirs de tout français envers son pays. Émile Laffon fait ses études à Carcassonne jusqu’en septembre 1914. Il n’est âgé que de sept ans quand ses parents quittent la ville pour s’installer à Béziers. Son père vient d’être nommé Premier président de la Cour d’appel de Nîmes. De nomination en nominations, la famille finit par se retrouver à Paris. Emile entre en classe préparatoire scientifique au lycée Louis le Grand. Admis à l’École des Mines, il en sort ingénieur.

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    « Rappelé comme lieutenant de réserve en août 1939, il est affecté à la 38e Escadre de bombardement de nuit puis au Groupe de bombardement n° 10 en avril 1940. Observateur en avion, il reçoit une citation pendant la campagne de France avant d'être démobilisé en juillet. Refusant d'exercer dans la capitale occupée, il décide de quitter le Barreau et de s'installer en zone sud, à Nice.

    Il entre bientôt en contact avec Jean Nocher, du mouvement "Franc-Tireur", et participe avec lui à la rédaction de tracts clandestins. Emile Laffon est à partir d'octobre 1942 en relation suivie avec Pierre Juliette, officier du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) en mission en France, à qui il communique des renseignements sur la production aéronautique allemande.  Appelé à Londres, il franchit, avec Jacques Maillet et Roland Pré, la frontière espagnole le 20 janvier 1943 et atteint, via Gibraltar, la Grande-Bretagne le 15 mars. Engagé dans les Forces aériennes françaises libres, il est promu capitaine en juin 1943 et finalement affecté au Commissariat à l'Intérieur, à Alger.

    Après l'arrestation de Jean Moulin à Caluire, Emile Laffon est envoyé en mission pour aider à la remise en place des organismes de la résistance. Sous le nom de Lachaud, il est déposé en France par une opération Lysander le 16 juillet 1943 et remplit une première mission au cours de laquelle il envisage la création des Comités Départementaux de Libération et la nomination de Commissaires de la République chargés de faire maintenir la loi et l'ordre républicains à la Libération. De retour en Grande-Bretagne par une nouvelle opération aérienne le 13 septembre 1943, il rapporte les premières propositions de nomination de commissaires de la République et de préfets.

    Déposé sur le terrain d'aviation Orion près de Lons-le-Saulnier, le 15 septembre 1943, il repart pour une seconde mission clandestine en France visant à mettre en place les propositions qu'il a faites et qui ont été retenues ; il prépare donc la mise en place de la nouvelle administration française de la libération, en liaison étroite avec le Conseil national de la Résistance (CNR) et les responsables de la Délégation générale en France. Son calme, sa force de caractère et de persuasion lui confèrent une autorité largement reconnue dans les cercles résistants. Il tente à plusieurs reprises de regagner Londres et, le 2 février 1944, le bateau qui doit l'y emmener, le Jouet des flots, sur lequel ont embarqué également Jacques Maillet, Emile Bollaert et Pierre Brossolette, fait naufrage dans la baie d'Audierne. Mais, contrairement à ses deux compagnons, Emile Laffon à la chance de ne pas être arrêté le lendemain. Rentré à Paris, il change d'identité (devient Martet) et reste finalement en France jusqu'à la libération.

    En avril 1944 il est nommé Délégué chargé des Affaires civiles par Alexandre Parodi, délégué général. Le 25 août 1944, le jour de la libération de Paris. Emile Laffon est nommé Secrétaire général du Ministère de l'Intérieur et prend immédiatement ses fonctions. Démobilisé en septembre 1945, il démissionne du Barreau et est immédiatement nommé, en raison de ses grandes compétences administratives, Gouverneur civil de la zone française d'occupation en Allemagne à Baden Baden.

    Il devient ensuite, en 1947, le premier président des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais. En novembre 1952 Emile Laffon devient PDG de la Société Le Nickel. Administrateur de plusieurs sociétés, il participe à la création de la Compagnie française des Minerais d'Uranium en 1955. En mai 1957, il prend la présidence de la Société des Mines de Fer de Mauritanie. » (Musée de la Résistance)

    Émile Laffon décède subitement le 20 août 1957 à son domicile, 18 avenue La Bourbonnais. Son corps repose dans le cimetière de Cuxac-Cabardès dans l’Aude.

    "Ses états de service n’indiquent pas à ceux qui n’ont pas eu le bonheur de le connaître, ce sont les qualités de cœur, la charmante ironie, l’élégance moral de cet homme extraordinaire qui, quelque grands que fussent les événements auxquels il participa, les domina toujours de son intelligence et de son courage."

    (Jacques Maillet / Revue La France libre, 1958)

    Décorations

    • Officier de la Légion d'Honneur
    • Compagnon de la Libération - décret du 26 septembre 1945
    • Croix de Guerre 39/40
    • King's Medal for Courage (GB)

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  • Pierre Cabanne (1921-2007), un grand critique d'art Carcassonnais

    Pas un mot, même une référence. Vous ne trouverez absolument rien à Carcassonne sur la vie et l’oeuvre de Pierre Cabanne. C’est un peu comme si le célèbre critique et historien de l’art, internationalement connu, n’avait jamais existé chez nous. S’il n’y était pas né, s’il n’avait pas fréquenté la chambre de Joe Bousquet et conservé tout au long de sa vie, les amitiés les plus fidèles de Jean Camberoque et de René Nelli. Tout cela a été remisé, oublié et finalement méprisé comme tant d’autres choses dont on n’a cure dans le Carqueyrolles de Bousquet. Pourtant, difficile de passer à côté des écrits et des archives radiophoniques de Cabanne pour qui s’intéresse à l’art. La bibliothèque Nationale de France recense plus de 150 livres sur Degas, Derain, Marfaing, Garouste, Picasso, etc. Sans compter les nombreux ouvrages de vulgarisation, comme Le guide des musées de France paru en 1997. L’homme offrit de magnifiques interviews, dont plus célèbre fut celle de Marcel Duchamp. Que fut réellement Pierre Cabanne ? Ce n’est pas la modeste notice Wikipédia qui put nous renseigner. Copiée à l’envie, on la retrouve sur tous les sites où l’on évoque son nom. Absolument rien à Carcassonne, mais si peu de choses en vérité ailleurs. Nous avons donc tenté de combler cette injuste lacune en rassemblant tout ce qui était épars ; dispersé dans des revues, des journaux. L’étude généalogique fut un point de départ, l’aide des souvenirs lointains de Charles Camberoque favorisa nos investigations. De mots clés en noms propres, nous sommes parvenus à obtenir le nécessaire pour une étude biographique. Pierre Cabanne ne laissa en héritage que très peu de sa vie personnelle, pas même une descendance.

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    Ici, est né Pierre Cabanne en 1921

    Pierre Marie Joseph Désiré Cabanne naît le 23 janvier 1921 à Carcassonne, au numéro 11 de la place Carnot. C’est le siège de la Société générale, où ses parents vivent dans un logement de fonction. Joseph Cabanne (1886-1958), originaire des Pyrénées-Atlantiques, occupe un poste de fondé de pouvoir dans cette agence bancaire. D’un caractère un peu taciturne, le père ne nourrit pas un grand affect pour l’art. La mère, un peu souffreteuse, confie ses douleurs au kiné Magimel. Las de l’écouter se plaindre, ce dernier lui rétorque qu’il n’exerce pas « une entreprise de caresses ». Le couple fréquente la bourgeoisie Carcassonnaise de cette époque et, notamment, la famille du poète Joë Bousquet. C’est vraisemblablement dans ce creuset que naîtra la vocation de leur fils unique pour le dessin. Pierre Cabanne suit ses études au lycée de la rue de Verdun où il a pour camarade, Noël Parayre ; futur cardiologue bien connu à Carcassonne. Après son baccalauréat, il entre à l’Ecole des Beaux-arts de Toulouse et à la faculté des Lettres. Nous sommes au début de la Seconde guerre mondiale ; il a pour professeur Yves Brayer. L’artiste peintre s’est replié dans le Tarn depuis la zone occupée. Aux Beaux-arts de Toulouse, Cabanne fait la connaissance de Michel Goedgebuer et Robert Fachard qui deviendront ses amis. Dans « La nuit folle », Jacques Henric, révèle ses conversations avec Cabanne lors d’un repas. Le Carcassonnais lui explique comment, alors jeune étudiant à Toulouse, il rendait visite à Joë Bousquet dans sa chambre : « Appelé par lui, il le retrouvait à dix heures du soir pour l’aider à trier ses lettres et ses papiers. Dans la journée, il participait à l’exécution de lithographies destinées à illustrer des plaquettes de ses poèmes. » Ce sont précisément deux dessins de Bousquet, réalisés par Cabanne que l’on retrouve dans « La chambre de Joë Bousquet », publié en 2005.

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    Camberoque par Pierre Cabanne

    Le fils de Jean Camberoque nous permet d’enrichir cet article d’une caricature de son père, dessinée par Pierre Cabanne en 1944. Le futur critique n’a alors que vingt-trois ans. Après la Libération, Pierre Cabanne monte à Paris et commence à se mettre au service de plusieurs journaux. Dans France-Soir en 1951, on retrouve plusieurs de ses dessins, illustrant des articles artistiques. Trois ans plus tard, l’édition de « Le chemin de croix » de Georges Bernanos s’enrichit de quatorze eaux-fortes signées de Pierre Cabanne. « Le mal du soir » de Joë Bousquet, édité Chez Bordas (autre Carcasonnais), rassemble quatre lithographies de Cabanne. Peu à peu, le dessinateur laisse place au critique d’art. Il publie des articles dans « La Gazette des Beaux-arts » et dans Combat, le journal de la Résistance. Citons à ce titre, l’étude sur Alberto Giacometti.

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    Joë Bousquet par Pierre Cabanne

    Collaborateur des principales revues d’art françaises et étrangères, réalisateur d’émissions culturelles de radio et de télévision, Pierre Cabanne est doté d’une mémoire inépuisable. C’est d’après ses pairs, l’un des plus influents critiques des trente glorieuses. En 1970, il intègre l’Ecole des Arts Décoratifs comme professeur et fonde au sein de l’institution, l’Atelier de rencontre. 

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    Hors du sérieux de ses écrits, Pierre Cabanne jouissait d’une nature blagueuse qu’il partageait avec ses amis lorsqu’il descendait au pays. Charles Camberoque se souvient : « Quand il arrivait chez nous, rue Antoine Marty, il rentrait carrément sur un vélo par la porte d’entrée et traversait la maison pour ressortir par la porte de l’atelier donnant sur la rue de Lorraine. Avec mon père, ils rivalisaient à coups de calembours et autres contrepèteries qu’ils se racontaient inlassablement à chaque fois qu’ils se retrouvaient. Les samedis soir d’été, nous avions l’habitude de partir en campagne faire des pique-nique pantagruéliques qui étaient toujours joyeux et très animés. Nous partions nombreux dans plusieurs voitures. Un jour, ou après avoir soupé dans la campagne des Corbières, nous avions décidé d’aller boire un café dans un village proche, Noël Parayre nous avertit de ne pas déconner. Il était très connu comme médecin dans ce village qui comptait beaucoup de ses patients. Nous étions donc tous restés sérieux mais, dès l’entrée du village, Pierre se mit à prendre un air de gros débile poussant des cris, bavant et se livrant à toutes sortes de délires. Cabanne attirait tous les regards et à leur tête, nous voyions ce que les gens pensaient. Voilà le docteur Parayre qui promène un de ses patients en grande difficulté. Voilà l’humour typique de Pierre ! Lui et René Nelli parlaient régulièrement d’aller faire les fcos à Limoux, mais ils ne l’ont jamais fait. »

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    © Charles Camberoque

    Pierre Cabanne en 1973

    Doté d’une grande intelligence, Cabanne n’a pas sa langue, ni sa plume dans sa poche. L’oubli dans lequel il est tombé à Carcassonne, peut s’expliquer par une vieille rancune des Carqueyrollais à sa personne. Le critique d’art s’est toujours insurgé contre les héritiers des tableaux de la collection Joe Bousquet, amis du poète. Vers 1960, ces derniers sont allés tous revendre les toiles des surréalistes au lieu de conserver toute la collection au musée de la ville. Pierre Cabanne en voulait tout particulièrement à James Ducellier, d’avoir vendu des Max Ernst pour s’acheter des camions de transport de vin pour son entreprise. Autant dire qu’ici – je suis bien placé pour le savoir – si vous osez critiquer la bourgeoisie en place, toutes les portes se ferment. Cabanne s’en fichait, il ne devait rien attendre de ces gens qu’il prenait pour des incultes. Toutefois, aujourd’hui, nous aurions toujours au musée une unique collection de Ernst, Fautrier, Masson, Arp, Dubuffet, Picasso, etc.

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    Pierre Cabanne s’était marié à Carcassonne en 1963 avec Claude Bonnéry. Il décéda le 24 janvier 2007 à Meudon, rue Léonie Rouzade ; le même jour que l’Académicien Jean-François Deniau. Il est inhumé au cimetière de Fanjeaux. Sans enfants, sa collection fut vendue chez Drouot en 2014 et dispersée.

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    © Charles Camberoque

    Exposition à la Galerie Boissière en 1965. Au premier plan, Claude Bonnéry, épouse de Pierre Cabanne. A l'arrière plan, Maurice Sarthou.

    "Que l’on parle du Midi, et l’on pense aussitôt soleil, couleurs éclatantes, rigolades, pétanque et jolies filles ; mais il y a un Midi sombre, austère, grave, un Midi où le soleil lui-même est prisonnier de ses propres reflets comme un miroir qui n’aurait reçu que des larmes.

    Une lumière glauque éclaire des pierres nues, des troncs séchés, des villages à demi-abandonnés, la mélancolie, la solitude. Le Midi noir se situe entre les étangs de Sigean et de la Nouvelle, la mer, la Clape rugueuse où le cimetière marin des Auzils, qui fut celui de Valéry, balance ses pins pleins de rumeurs sourdes, et les Corbières carcasse grise et rougeâtre clouée au sol par les lames des cyprès. Un poète en a dit l’envoûtement : Joë Bousquet. Un peintre le répète qui fut son ami : Camberoque. Ces deux hommes, le mort et le vivant, ont lié à jamais nos cœurs à ce pays d’ombre, de pierre et de sel.

    Il  arrive chaque jour que des peintres «montent » du Midi à Paris pour conquérir la capitale ; ici, il s’agit de bien d’autre chose que l’ « à nous deux » ridicule de Rastignac : Camberoque n’est que de passage. Il ne cherche pas à convaincre ou à séduire mais à montrer comment il exprime les longs et fervents dialogues qu’il entretient entre son pays et lui. Il dépose ses tableaux sous nos regards comme les parcelles vivantes du dernier royaume privilégié où une race d’hérétiques a installé ses repaires ; il est non le témoin, l’imagier ou le flâneur qui plante son chevalet dans les bons coins mais le familier des phantasmes ou des mystères qu’il fait lever pour en conjurer la malfaisance et en dresser le constat. Sur le sol cathare les hommes ne composent guère, ils sont tout d’une pièce, inébranlables comme le roc. La peinture de Camberoque leur ressemble, solide et dure, dénuée de concessions et d’artifices ;  il est impossible de la délier de ses racines, mais on ne saurait pourtant la considérer comme un produit « régional ». Par ses exigences et ses résonances, son contenu humain, elle atteint l’absolu.

    Le désordre et la confusion actuels l’isolent. Elle s’est déployée dans le silence, la voici maintenant, cette œuvre que nous n’imaginions pas aussi sensible sous son écorce, installée en nous, prisonniers involontaires de ses sortilèges. Ne serait-ce point que chaque tableau ne nous rappelle rien d’autre - ni théories, ni maîtres, ni modes – mais qu’il dépouille le réel de ses apparences pour le revêtir d’une chair nouvelle. Il y a toujours, Degas le disait, un peu de sorcellerie dans la création. Toute œuvre d’art est à la fois engloutissement et délivrance, corps arraché à la terre qui l’enlisait ; l’univers minéral de Camberoque nous rend complices d’un étrange phénomène : son œuvre est désormais la nôtre parce que nos regards n’auraient pu l’imaginer." Pierre Cabanne.

    Galerie Boissière Expo du 4 Mars au 3 avril 1965

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