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Portraits de carcassonnais - Page 4

  • Pierre Cabanne (1921-2007), un grand critique d'art Carcassonnais

    Pas un mot, même une référence. Vous ne trouverez absolument rien à Carcassonne sur la vie et l’oeuvre de Pierre Cabanne. C’est un peu comme si le célèbre critique et historien de l’art, internationalement connu, n’avait jamais existé chez nous. S’il n’y était pas né, s’il n’avait pas fréquenté la chambre de Joe Bousquet et conservé tout au long de sa vie, les amitiés les plus fidèles de Jean Camberoque et de René Nelli. Tout cela a été remisé, oublié et finalement méprisé comme tant d’autres choses dont on n’a cure dans le Carqueyrolles de Bousquet. Pourtant, difficile de passer à côté des écrits et des archives radiophoniques de Cabanne pour qui s’intéresse à l’art. La bibliothèque Nationale de France recense plus de 150 livres sur Degas, Derain, Marfaing, Garouste, Picasso, etc. Sans compter les nombreux ouvrages de vulgarisation, comme Le guide des musées de France paru en 1997. L’homme offrit de magnifiques interviews, dont plus célèbre fut celle de Marcel Duchamp. Que fut réellement Pierre Cabanne ? Ce n’est pas la modeste notice Wikipédia qui put nous renseigner. Copiée à l’envie, on la retrouve sur tous les sites où l’on évoque son nom. Absolument rien à Carcassonne, mais si peu de choses en vérité ailleurs. Nous avons donc tenté de combler cette injuste lacune en rassemblant tout ce qui était épars ; dispersé dans des revues, des journaux. L’étude généalogique fut un point de départ, l’aide des souvenirs lointains de Charles Camberoque favorisa nos investigations. De mots clés en noms propres, nous sommes parvenus à obtenir le nécessaire pour une étude biographique. Pierre Cabanne ne laissa en héritage que très peu de sa vie personnelle, pas même une descendance.

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    Ici, est né Pierre Cabanne en 1921

    Pierre Marie Joseph Désiré Cabanne naît le 23 janvier 1921 à Carcassonne, au numéro 11 de la place Carnot. C’est le siège de la Société générale, où ses parents vivent dans un logement de fonction. Joseph Cabanne (1886-1958), originaire des Pyrénées-Atlantiques, occupe un poste de fondé de pouvoir dans cette agence bancaire. D’un caractère un peu taciturne, le père ne nourrit pas un grand affect pour l’art. La mère, un peu souffreteuse, confie ses douleurs au kiné Magimel. Las de l’écouter se plaindre, ce dernier lui rétorque qu’il n’exerce pas « une entreprise de caresses ». Le couple fréquente la bourgeoisie Carcassonnaise de cette époque et, notamment, la famille du poète Joë Bousquet. C’est vraisemblablement dans ce creuset que naîtra la vocation de leur fils unique pour le dessin. Pierre Cabanne suit ses études au lycée de la rue de Verdun où il a pour camarade, Noël Parayre ; futur cardiologue bien connu à Carcassonne. Après son baccalauréat, il entre à l’Ecole des Beaux-arts de Toulouse et à la faculté des Lettres. Nous sommes au début de la Seconde guerre mondiale ; il a pour professeur Yves Brayer. L’artiste peintre s’est replié dans le Tarn depuis la zone occupée. Aux Beaux-arts de Toulouse, Cabanne fait la connaissance de Michel Goedgebuer et Robert Fachard qui deviendront ses amis. Dans « La nuit folle », Jacques Henric, révèle ses conversations avec Cabanne lors d’un repas. Le Carcassonnais lui explique comment, alors jeune étudiant à Toulouse, il rendait visite à Joë Bousquet dans sa chambre : « Appelé par lui, il le retrouvait à dix heures du soir pour l’aider à trier ses lettres et ses papiers. Dans la journée, il participait à l’exécution de lithographies destinées à illustrer des plaquettes de ses poèmes. » Ce sont précisément deux dessins de Bousquet, réalisés par Cabanne que l’on retrouve dans « La chambre de Joë Bousquet », publié en 2005.

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    Camberoque par Pierre Cabanne

    Le fils de Jean Camberoque nous permet d’enrichir cet article d’une caricature de son père, dessinée par Pierre Cabanne en 1944. Le futur critique n’a alors que vingt-trois ans. Après la Libération, Pierre Cabanne monte à Paris et commence à se mettre au service de plusieurs journaux. Dans France-Soir en 1951, on retrouve plusieurs de ses dessins, illustrant des articles artistiques. Trois ans plus tard, l’édition de « Le chemin de croix » de Georges Bernanos s’enrichit de quatorze eaux-fortes signées de Pierre Cabanne. « Le mal du soir » de Joë Bousquet, édité Chez Bordas (autre Carcasonnais), rassemble quatre lithographies de Cabanne. Peu à peu, le dessinateur laisse place au critique d’art. Il publie des articles dans « La Gazette des Beaux-arts » et dans Combat, le journal de la Résistance. Citons à ce titre, l’étude sur Alberto Giacometti.

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    Joë Bousquet par Pierre Cabanne

    Collaborateur des principales revues d’art françaises et étrangères, réalisateur d’émissions culturelles de radio et de télévision, Pierre Cabanne est doté d’une mémoire inépuisable. C’est d’après ses pairs, l’un des plus influents critiques des trente glorieuses. En 1970, il intègre l’Ecole des Arts Décoratifs comme professeur et fonde au sein de l’institution, l’Atelier de rencontre. 

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    Hors du sérieux de ses écrits, Pierre Cabanne jouissait d’une nature blagueuse qu’il partageait avec ses amis lorsqu’il descendait au pays. Charles Camberoque se souvient : « Quand il arrivait chez nous, rue Antoine Marty, il rentrait carrément sur un vélo par la porte d’entrée et traversait la maison pour ressortir par la porte de l’atelier donnant sur la rue de Lorraine. Avec mon père, ils rivalisaient à coups de calembours et autres contrepèteries qu’ils se racontaient inlassablement à chaque fois qu’ils se retrouvaient. Les samedis soir d’été, nous avions l’habitude de partir en campagne faire des pique-nique pantagruéliques qui étaient toujours joyeux et très animés. Nous partions nombreux dans plusieurs voitures. Un jour, ou après avoir soupé dans la campagne des Corbières, nous avions décidé d’aller boire un café dans un village proche, Noël Parayre nous avertit de ne pas déconner. Il était très connu comme médecin dans ce village qui comptait beaucoup de ses patients. Nous étions donc tous restés sérieux mais, dès l’entrée du village, Pierre se mit à prendre un air de gros débile poussant des cris, bavant et se livrant à toutes sortes de délires. Cabanne attirait tous les regards et à leur tête, nous voyions ce que les gens pensaient. Voilà le docteur Parayre qui promène un de ses patients en grande difficulté. Voilà l’humour typique de Pierre ! Lui et René Nelli parlaient régulièrement d’aller faire les fcos à Limoux, mais ils ne l’ont jamais fait. »

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    © Charles Camberoque

    Pierre Cabanne en 1973

    Doté d’une grande intelligence, Cabanne n’a pas sa langue, ni sa plume dans sa poche. L’oubli dans lequel il est tombé à Carcassonne, peut s’expliquer par une vieille rancune des Carqueyrollais à sa personne. Le critique d’art s’est toujours insurgé contre les héritiers des tableaux de la collection Joe Bousquet, amis du poète. Vers 1960, ces derniers sont allés tous revendre les toiles des surréalistes au lieu de conserver toute la collection au musée de la ville. Pierre Cabanne en voulait tout particulièrement à James Ducellier, d’avoir vendu des Max Ernst pour s’acheter des camions de transport de vin pour son entreprise. Autant dire qu’ici – je suis bien placé pour le savoir – si vous osez critiquer la bourgeoisie en place, toutes les portes se ferment. Cabanne s’en fichait, il ne devait rien attendre de ces gens qu’il prenait pour des incultes. Toutefois, aujourd’hui, nous aurions toujours au musée une unique collection de Ernst, Fautrier, Masson, Arp, Dubuffet, Picasso, etc.

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    Pierre Cabanne s’était marié à Carcassonne en 1963 avec Claude Bonnéry. Il décéda le 24 janvier 2007 à Meudon, rue Léonie Rouzade ; le même jour que l’Académicien Jean-François Deniau. Il est inhumé au cimetière de Fanjeaux. Sans enfants, sa collection fut vendue chez Drouot en 2014 et dispersée.

    pierre cabanne

    © Charles Camberoque

    Exposition à la Galerie Boissière en 1965. Au premier plan, Claude Bonnéry, épouse de Pierre Cabanne. A l'arrière plan, Maurice Sarthou.

    "Que l’on parle du Midi, et l’on pense aussitôt soleil, couleurs éclatantes, rigolades, pétanque et jolies filles ; mais il y a un Midi sombre, austère, grave, un Midi où le soleil lui-même est prisonnier de ses propres reflets comme un miroir qui n’aurait reçu que des larmes.

    Une lumière glauque éclaire des pierres nues, des troncs séchés, des villages à demi-abandonnés, la mélancolie, la solitude. Le Midi noir se situe entre les étangs de Sigean et de la Nouvelle, la mer, la Clape rugueuse où le cimetière marin des Auzils, qui fut celui de Valéry, balance ses pins pleins de rumeurs sourdes, et les Corbières carcasse grise et rougeâtre clouée au sol par les lames des cyprès. Un poète en a dit l’envoûtement : Joë Bousquet. Un peintre le répète qui fut son ami : Camberoque. Ces deux hommes, le mort et le vivant, ont lié à jamais nos cœurs à ce pays d’ombre, de pierre et de sel.

    Il  arrive chaque jour que des peintres «montent » du Midi à Paris pour conquérir la capitale ; ici, il s’agit de bien d’autre chose que l’ « à nous deux » ridicule de Rastignac : Camberoque n’est que de passage. Il ne cherche pas à convaincre ou à séduire mais à montrer comment il exprime les longs et fervents dialogues qu’il entretient entre son pays et lui. Il dépose ses tableaux sous nos regards comme les parcelles vivantes du dernier royaume privilégié où une race d’hérétiques a installé ses repaires ; il est non le témoin, l’imagier ou le flâneur qui plante son chevalet dans les bons coins mais le familier des phantasmes ou des mystères qu’il fait lever pour en conjurer la malfaisance et en dresser le constat. Sur le sol cathare les hommes ne composent guère, ils sont tout d’une pièce, inébranlables comme le roc. La peinture de Camberoque leur ressemble, solide et dure, dénuée de concessions et d’artifices ;  il est impossible de la délier de ses racines, mais on ne saurait pourtant la considérer comme un produit « régional ». Par ses exigences et ses résonances, son contenu humain, elle atteint l’absolu.

    Le désordre et la confusion actuels l’isolent. Elle s’est déployée dans le silence, la voici maintenant, cette œuvre que nous n’imaginions pas aussi sensible sous son écorce, installée en nous, prisonniers involontaires de ses sortilèges. Ne serait-ce point que chaque tableau ne nous rappelle rien d’autre - ni théories, ni maîtres, ni modes – mais qu’il dépouille le réel de ses apparences pour le revêtir d’une chair nouvelle. Il y a toujours, Degas le disait, un peu de sorcellerie dans la création. Toute œuvre d’art est à la fois engloutissement et délivrance, corps arraché à la terre qui l’enlisait ; l’univers minéral de Camberoque nous rend complices d’un étrange phénomène : son œuvre est désormais la nôtre parce que nos regards n’auraient pu l’imaginer." Pierre Cabanne.

    Galerie Boissière Expo du 4 Mars au 3 avril 1965

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  • Sur la trace du tableau "L'entrée de Louis XIII dans Carcassonne" disparu en 1793

    Le 25 septembre 2020 la presse régionale se fit fait écho d’une extraordinaire acquisition réalisée par le musée des Augustins de Toulouse. Ce dernier venait de mettre la main sur le fragment d’un tableau vendu aux enchères aux Etats-Unis, dont tout laissait penser que le peintre pouvait être Nicolas Tournier. Après expertise, le conservateur du musée attribua la toile à ce maître du caravagisme qui s’était établi à Toulouse à partir de 1628. Il pourrait s’agit selon toute vraisemblance d’un fragment de La bataille de Constantin contre Maxence, découpée façon puzzle par des marchands et revendue sur le marché de l’art. Toujours d’après les experts, une pratique assez courante. Ce qui nous interpella, c’est l’autre hypothèse avancée par le conservateur du célèbre musée toulousain : « Il n’a pas écarté l’idée que le fragment pourrait appartenir à un autre tableau de Nicolas Tournier, Un tableau de la période toulousaine, languedocienne, éventuellement une composition mythique, « L’entrée de Louis XIII à Carcassonne » qui a été détruit et que personne n’a jamais vu. »

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    Le fragment acquis par les Augustins de Toulouse en 2020

    À partir de cette information, nous nous sommes mis en quête de rechercher si les soupçons d’Axel Hémery pouvaient coller avec le fragment. Un tableau détruit et que personne n’a jamais vu, voilà qui ne manqua d’attiser notre curiosité… En feuilletant les délibérations du conseil général de la commune de Carcassonne pendant la période révolutionnaire, nous avons appris que ce tableau existait bien. Au moins, jusqu’au 1er février 1792. À cette date, l’assemblée municipale est saisie par l’un de ses membres « qu’un artiste, arrivé depuis quelques jours à Carcassonne, offre de réparer à bon marché le grand tableau qui se trouve dans la grande salle, représentant l’entrée de Louis treize dans Carcassonne. » De quelle grande salle s’agit-il ? Cela ne peut être que la salle des fêtes de l’ancienne maison consulaire de Carcassonne. Autrement dit, l’hôtel de ville détruit au début des années 1930 par la municipalité d’Albert Tomey. Ceci se trouve confirmé par une autre délibération du 12 décembre 1755 provenant des registres de l’Hôtel de ville, dont la copie est reproduite dans le Cartulaire de Mahul : 

    « A été dit que M. l’Intendant ayant bien voulu, par son ordonnance du deux septembre dernier, autoriser les sieurs Maire et Consuls à traiter avec le sieur Despaz, fameux peintre de la ville de Toulouse, pour la réparation du tableau placé à l’Hôtel de ville, représentant l’entrée de Louis XIII à Carcassonne, ce peintre se serait rendu en cette ville dans le mois de novembre dernier, pour le vérifier et reconnaître les réparations dont il était susceptible : qu’il en adresserait rapport le 9 du mois de novembre : et ce même jour il est convenu avec lui qu’il se chargerait de toutes les réparations de ce tableau détaillées dans son rapport, au moyen d’une somme de 684 livres, qui lui serait payée après que l’ouvrage aurait été reçu par MM. Pech de Saint-Pierre et Rivalz fils, habitants de ville, connaisseurs et amateurs en peinture et en sculpture, qui seraient priés par le Maire, Lieutenant de maire et Consuls, de vouloir procéder à cette réception : qu’ils ont proposé en conséquence à ces deux Messieurs de vouloir se charger de cette réception, ce qu’ils ont eu la complaisance d’accepter ; qu’en conséquence il s’agit de poursuivre l’autorisation de Mgr l’Intendant ; comme aussi il est mis en délibération si on agréerait l’offre du sieur Lacombe doreur de cette ville, de dorer le cadre dont le sieur Depaz s’est chargé d’orner le tableau, pour le prix de 288 livres, et de prendre les deux sommes sur le fonds de la subvention à la charge de la remplacer. »

    Le restaurateur dont il est question n’est autre que Jean-Baptiste Despax (1710-1773), artiste peintre toulousain. Élève d’Antoine Rivalz, il avait épousé sa fille. Pierre Viguerie écrit :

    « Le tout fut exécuté, puisque chacun voir encore (1789), avec beaucoup d’intérêt et de satisfaction, cet immense tableau bien réparé et orné d’un cadre sculpté bien doré. Il est surprenant que le corps municipal de Carcassonne n’ait pas eu l’attention de nous laisser le nom de l’excellent artiste qui fit le tableau dont il s’agit. »

    Cette question dont personne ne détient encore aujourd’hui de réponse pourrait trouver une réponse dans les archives des sieurs Despax et Rivalz, si elles sont conservées à Toulouse. En qualité de restaurateur, Despax a sûrement consigné quelque part dans son rapport le nom de l’auteur de la toile. Nous aimons à penser que la solution de l’énigme se trouverait dans quelque tiroirs de la ville rose. Jusqu’à présent, les historiens de l’art ont toujours émis l’hypothèse que Nicolas Tournier en serait le géniteur. En effet, le célèbre peintre Franc-Comtois a vécu à Carcassonne de 1622 à 1627. C’est sans doute ce qui amène le conservateur du musée des Augustins à songer que fragment puisse aussi venir du tableau Carcassonnais. 

    Toutefois, cette idée se retrouve battue en brèche. L’historien Jean-Bonnet prétend qu’il fut matériellement impossible à Tournier de peintre un tel tableau alors qu’il réalisa plusieurs commandes dans ce même temps. Rien ne permet d’étayer l’une et l’autre des affirmations puisque, d’après le conservateur, « L’entrée de Louis XIII dans Carcassonne » a été détruite et que personne ne l’a jamais vue. Qu’en est-il vraiment ? Pierre Viguerie (1737-1813) l’a vu. L’historien nous en donne une description précise dans son ouvrage « Annales ou histoire ecclésiastique et civile de la ville et du diocèse de Carcassonne, rédigé avant la Révolution.

    « Le lieu de réception est hors de la ville, auprès de la porte dite de Toulouse : on y voit deux grands ormeaux, et sur un plateau plus élevé, deux moulins à vent, situés sur la partie des remparts qui borne la ville au sud et à l’ouest.

    Au milieu du champ, Louis XIII adolescent, coiffé d’un chapeau surmonté de plumes blanches et dont une aile est abaissée, vêtu d’un pourpoint de taffetas blanc, sur le devant duquel se croisent le cordon bleu et un baudrier auquel pend l’épée renfermée dans un fourreau de couleur pourpre, s’avance vers la ville, monté sur un superbe cheval blanc, richement harnaché ; à sa droite marchent deux hérauts d’armes, revêtus de leur cotte-maille, dont la partie inférieure est chammarée de diverses couleurs disposées par bandes obliques et dans lesquelles le bleu domine : l’un tient la bride du cheval de M. De Montmorency, l’autre semble adresser la parole à un hallebardier qui est vis-à-vis de lui. Le Roi est escorté par deux hallebardiers, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, vêtus de pourpoints violets, recouverts de casaques en forme de dalmatique, de satin blanc bordées de la même couleur : ils tiennent d’une main une hallebarde appuyée sur l’épaule, de l’autre un chapeau noir orné de plumes de couleur aurore. Devant le Roi est le Duc de Montmorency, qui a mis pied à terre ; il est décoré du cordon bleu, vêtu d’un pourpoint blanc brodé en or, d’un haut-de-chausse fond noir fleuri, et tient d’une main un chapeau noir orné de plumes blanches, de l’autre il présente au Roi les quatre Consuls (qui étaient alors M. Bernard de Reich, seigneur de Pennautier, MM. Antoine Camus et jean Maffrre, bourgeois, et Jean Julia, marchand), vêtu de robes rouges, la tête découverte et à genoux (à l’exception de M. De Reich qui, en qualité de gentilhomme ou de noble n’a qu’un genoux fléchi), suivis du greffier et du Clavaire de l’Hôtel de ville, en habit noir : ils offrent au Roi un dais de brocatelle fond rouge, dont les quatre soutiens bleus sont portés par autant de valets de ville, et un huissier en robe noire. Plus loin, on aperçoit les Avocats et les Bourgeois qui ont accompagné les Consuls.

    Après le Roi, marchant quatre seigneurs à cheval, décorés de cordons bleus : le premier, qui paraît âgé d’environ 70 ans, est vêtu d’un pourpoint rayé de noir et de jaune, de gauche à droite ; il porte la croix de l’ordre du Saint-Esprit attachée à deux rubans bleus réunis au-dessous de la poitrine ; près de lui marche un écuyer, vêtu d’un juste-au-corps rouge, ayant un haut-de-chausse rayé par bandes rouges et noires, tenant sous le bras un chapeau blanc qui pend avec grâce vers la terre, et de l’autre la bride d’un beau cheval alezan dont les crins blancs flottent sous l’encolure. Le troisième, âgé d’environ quarante-cinq ans, a près de lui un écuyer, vêtu d’un pourpoint fauve auquel tiennent des manches d’une étoffe de soie brochée en or, son haut-de-chausse est de couleur écarlate, il porte à la main un chapeau noir orné de plumes ponceau, et il est tourné vers le cavalier dans l’attitude de quelqu’un qui reçoit ses ordres. La quatrième figure est celle d’un homme d’environ 25 ans, magnifiquement drapé de velours vert brodé de galons d’or, doublé de velours cramoisi ; ses bottes sont de couleur violette."

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    Le Bastion des moulins ou de la Tour grosse

    Le 14 juillet 1622, la ville basse — par opposition à la ville haute qu’est la cité médiévale — se trouvait uniquement à l’intérieur des remparts qui la ceinturaient. La porte de Toulouse, lieu de réception de Louis XIII, était située tout en haut de la rue de Verdun. On aperçoit deux moulins à vent sur la partie des remparts qui borne la ville au sud et à l’ouest. Il s’agit selon toute vraisemblance du Bastion des Moulins — aujourd’hui, Bastion du Calvaire — à l’extrémité sud-ouest des remparts de la ville basse. La Roi adolescent, ne doit pas être entendu au sens actuel. La majorité depuis Henri III avait été fixée à 25 ans pour les hommes. En 1621, le jeune Louis XIII n’avait que 21 ans. Historiquement, il est parfaitement crédible que le Roi soit positionné à la porte de Toulouse. Quelques jours avant, lui et ses troupes, avaient soumis par la force la ville protestante de Nègrepelisse près de Montauban. La totalité de la population y avait été passée par l’épée et le bourg incendié. Louis XIII que l’on représente en majesté sur ce tableau, n’avait pas des intentions pacifiques. Il venait s’assurer de la loyauté de la ville. Il y fut reçu par les Consuls dont Bernard Rech de Pennautier, le protecteur du peintre Nicolas Tournier qui réalisa son portrait. C’est sans doute ce qui laissa supposer que l’artiste fût l’auteur de la toile. Nous savons qu’en 1632 à Narbonne, les Consuls de la ville lui demandèrent de les représenter entourant le roi Louis XIII. 

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    © Chateau de Pennautier / Lorgeril

    Bernard Rech de Pennautier par Nicolas Tournier

    Le tableau de la salle des fêtes de l’hôtel de ville de Carcassonne a t-il été détruit ? Nous savons qu’en 1792, il s’y trouvait encore et qu’une restauration était en projet. Dans la délibération communale du 6 février 1794, on apprend la chose suivante :

    « Qu’il sera placé sur la cheminée de la grande salle de la maison commune un tableau représentant la République sur un piédestal sur lequel seront inscrits ces mots : « Acte constitutionnel et le 1er article des Droits de l’homme. Le Conseil général charge le citoyen Germain de faire ce tableau et l’autorise à y ajouter tels arguments que le génie de son art lui inspirera. »

    Qui était donc ce Germain ? Selon nos recherches, il pourrait bien s’agir de Bernard Germain (1756-1845), le grand oncle du compositeur Chaurien Pierre Germain. Bernard Germain avait pour ami le peintre Jacques Gamelin, qui lui confia plus tard de le seconder dans sa classe de dessin au collège de la ville. Germain savait donc peindre et sa relation avec Gamelin a une importance pour ce qui va suivre. On peut légitimement considérer que le tableau royal ne se trouvait plus en 1794 sur la grande cheminée de la salle des fêtes. Où était-il donc passé ? Dans une autre délibération en date du 10 août 1793, il est dit :

    « Jour de la Fédération, il fut dressé un échafaudage pour brûler tous les monuments, bannières, drapeaux portant quelque marque de la royauté, ainsi que les titres de féodalité. » Sur la table des matières, on trouve cette phrase : « Brûlement des tableaux de la royauté. »

    Difficile d’envisager que la toile ait pu échapper à la tourmente de la terreur révolutionnaire. S’il restait une chance qu’il ait pu triompher de l’autodafé, elle s’évanouit à la lecture de Mahul dans son Cartulaire :

    « Le tableau de l’entrée de Louis XIII dans Carcassonne a été brûlé en 1793, avec divers titres et papiers des Archives de l’Hôtel de ville, réputés monuments et souvenirs de la monarchie et de la féodalité. Cet acte de vandalisme fut exécuté sur l’emplacement, de forme irrégulière, situé en face de la Porte des Jacobins, entre le flanc nord de l’édifice des casernes et l’entrée du faubourg de Laraignon. »

    Autrement dit, sur l’actuelle place du général de Gaulle. Cette destruction précéda celle des archives de la Cité médiévale, au mois de novembre 1793.

    Revenons à Jacques Gamelin et à son ami Bernard Germain… Mahul précise qu’il est de tradition que le peintre Gamelin, sous un prétexte accommodé à la folie de l’époque, obtint de décoller, au couteau, les têtes des personnages du tableau, qu’il aurait sauvé de la destruction, et à l’aide desquelles il aurait exécuté, de souvenir, une esquisse de l’entier tableau. On ignore ce que seraient devenues ces précieuses reliques historiques.

    Faut-il donc conclure que le fragment récemment acquis par le musée des Augustins, pourrait provenir du découpage de notre toile, effectué par Gamelin en 1793 ? Notre réponse est formelle. C’est non. Pierre Viguerie termine sa description de « L’entrée de Louis XIII dans Carcassonne » par cette phrase : « Il faut remarquer que toutes les figures du tableau, excepté celle du Roi, ont la tête découverte. » Si l’on s’attarde sur le fragment, l’évidence nous saute aux yeux. Plusieurs hommes sont coiffés de chapeaux et de casques. Il ne peut donc s’agir de notre tableau royal. Il ne reste plus qu’à espérer, qu’une esquisse de Gamelin veuille bien se signaler comme étant la copie du tableau brûlé le 10 août 1793 à Carcassonne. 

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  • La vie extraordinaire d'Edouard Ourliac (1813-1848), ami de Balzac

    Jean Louis Edouard Ourliac naît le 1er août 1813 à Carcassonne dans l’actuelle rue Aimé Ramond, autrefois Carron de Danty (Section de la Fraternité). On peut situer son habitation entre les rues Courtejaire et Chartrand. Le général, fusillé à Lille en 1816, était un ami d’enfance de son oncle Jean Louis (1771-1849). Ceci peut donc confirmer le voisinage de ces deux familles dans le quartier.

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    Le fils de Jacques Ourliac (1778-1848), négociant en draps, devait sans doute manifester quelques turbulences à l’école pour que son père l’envoyât en pension chez les Lazaristes de Montdidier (Somme). Comment un homme si peu attiré pour le fait religieux, a-t-il pu choisir cette communauté fondée par Saint-Vincent-de-Paul ? Certains conseils d’un prêtre ont sans doute pu l’y conduite. Edouard Ourliac y demeura jusqu’à sa première communion, époque où ses parents vinrent habiter Paris dans la rue Saint-Roch. C’est-à-dire, selon toute vraisemblance, durant l’année 1824. On l’envoya au Collège royal Louis le Grand, où il ne se montra guère plus discipliné. Dans La folle nuit, il s’épanche sur les regrets de ses années d’études : « Tout mon regret dans la suite de ma vie, a été de ne pouvoir apporter dans les affaires sérieuses, dans mes travaux, dans certaines démarches, d’où peut être dépendait mon sort, le zèle, les soins, la religieuse application et tous les efforts attentifs que j’ai employés dans ma jeunesse en des occupations qui semblent moins graves, telles par exemples, qu’une partie de chose aux hannetons, le moulage en plâtre du visage d’un de mes amis, une représentation d’ombres chinoises, une école buissonnière aux près Saint-Gervais, etc. »

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    Quelques temps après avoir quitté Louis-le-Grand, il trouva un emploi dans l’administration des hospices où il resta une dizaine d’années. Entre les rébarbatives additions et annotations dans un cahier, les service des Enfants-trouvés lui conservait quelques loisirs. Il se mit à produire deux premiers livres, dont Jeanne la noire publié en 1833. Cet ouvrage rappelle l’histoire d’une révolte qui, à Carcassonne, pendant la terreur, entraîna Jeanne Establet vers la guillotine. 

    C’est à cette époque qu’Ourliac se lia avec des étudiants qui n’étudiaient pas, qu’il fréquenta les spectacles et ne fit que rêver… Parmi ses amis qu’il fréquente impasse du Doyenné, il y a Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Camille Rogier et Auguste Préault. Toute cette jeunesse vit une espèce de vie de bohème, mais non de misère. Elle s’encanaille, batifole et passe son temps à deviser sur l’avenir : « Edouard Ourliac venait tous les matins nous voir. C’était son chemin pour aller aux Enfants-Trouvés. La plupart du temps, il nous trouvait plongés dans le sommeil des paresseux et des poètes. Chaque jour il nous apportait des Nouvelles à la main […] Nous n’avions pas d’argent, mais nous vivions en grands seigneur. Ces dames de l’Opéra soupaient chez nous vaille que vaille, et daignaient danser pour nous à la fortune de leurs souliers. Edouard Ourliac était le Montfleury de la troupe. »

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    Vers 1840, Ourliac quitta son emploi pour se consacrer pleinement à l’écriture. L’éditeur Desessarts qui venait de publier son roman Suzanne, lui offrit assez d’argent pour se lancer. Il ne quitta plus sa plume dont sortirent Nouvelles, Romans et pièces de théâtre. Sa prose se lit dans la Revue des deux mondes, La revue de Paris et même Le Figaro, à peine créé. C’est Honoré de Balzac qui l’y fit entrer, dit-on. L’auteur de La comédie humaine lui trouvait un talent comparable à celui d’Alfred de Musset. Il lui fit même écrire la préface de César Birotteau, publié pour la première fois au Figaro. C’est peut-être même Edouard Ourliac qui lui proposa le nom des Carcassonnais Birotteau, né comme lui en 1813. Il deviendra plus tard maire de la ville. L’oncle de cet homme fut vicaire général du séminaire de Carcassonne. Est-ce lui qui conseilla au père Ourliac d’envoyer son fils chez les Lazaristes ? Le séminaire se trouvait à deux pas de la maison natale d’Edouard. 

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    Honoré de Balzac

    Balzac, selon les dires de Monselet, considérait Ourliac comme un confrère. Il lui proposa de collaborer avec lui pour le théâtre. Ainsi le Carcassonnais écrivit-il en entier le second acte de Vautrin. Par un malheureux hasard, Ourliac se maria en 1842 avec la fille d’un chef de bureau du ministère de la marine. De cette union, naquit Françoise Caroline le 26 mars 1843. Au fur et à mesure que sa notoriété grandit, sa santé déclina. Les médecins ne donnèrent pas grand espoir au mal de poitrine qui le rongeait. Sa bonne humeur et son esprit taquin s’en trouvèrent altérés. Ourliac glissa peu à peu dans la religion la plus rigoriste et alla s’installer chez son père. Il passa l’hiver 1846 à Pise en Italie, puis accepta une place dans les bureaux de la marine. En avril 1848, Jacques Ourliac fut emporté par l’âge et Edouard sollicita le refuge chez les Frères de Saint-Jean-de-Dieu. Il y mourut trois mois plus tard le 31 juillet 1848. On l’inhuma au cimetière du Montparnasse. Balzac eut ces mots : « Je viens de perdre le merveilleux collaborateur de ma vieillesse. »

    Sa veuve se remaria le 28 avril avec Adolphe Pilleux ; elle finit sa vie en 1867. Sa fille, Claire Marie Françoise épousa Charles Jean Grandmougin, homme de lettres et Chevalier de la légion d’honneur. Elle décéda le 7 décembre 1909 à Neuilly-sur-Seine à l’âge de 66 ans. Le couple n’eut pas d’enfants et Charles Grandmougin se remaria avec une artiste dramatique plus jeune que lui. Il n’existe donc pas de descendant direct d’Édouard Ourliac dont une rue porte son nom dans Carcassonne depuis 1901. Elle se trouve derrière la caserne Laperrine.

    Sources

    Six acadiens célèbres, Jean Amiel, 1929

    Le Figaro, 16 août 1913

    Cartulaire de Mahul

    Recherches généalogiques

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