Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Portraits de carcassonnais

  • André Morelli (1875-1945), un procureur républicain victime du gouvernement de Vichy

    André Erasme Morelli naît à Bastia le 5 juin 1875. Après des études de droits à Paris, il exerce pour un temps la profession d’avocat avant d’être nommé juge suppléant à Bastia à partir du 10 novembre 1906. Le juge magistrat occupe quelques mois ces fonctions. Le 19 octobre 1909, c’est à Gray en Haute-Saône qu’il pose ses valises en qualité de substitut du procureur du tribunal de cette ville. Inscrit au tableau d’avancement de la magistrature, André Morelli bénéficie dès le 10 avril 1913 d’une promotion. Le voilà désormais procureur de la République à Narbonne. D’un point de vue plus personnel, il se marie dans la sous-préfecture audoise avec Odette Guiornaud qu’il avait rencontrée à Gray.

    Capture d’écran 2025-08-25 à 08.32.26.png

    Son arrivée au tribunal de 1ère instance de Carcassonne remonte au 30 mars 1925. Le couple Morelli habite 3, boulevard du canal ; actuellement, boulevard de Varsovie. Durant les quinze années où il représente le ministère public dans notre ville, il se montre un ardent défenseur des valeurs républicaines. Sa notoriété dépasse les frontières du Palais de justice. Homme droit et respecté, André Morelli fréquente les francs-maçons carcassonnais ; ce sera l’une des causes de ses futurs ennuis avec les collaborateurs et autres partisans du gouvernement de Vichy. Après la défaite de juin 1940, le procureur fait valoir ses droits à la retraite ; il est alors âgé de 65 ans. Son activité de magistrat cesse définitivement en novembre 1940, soit quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Pétain. Sa retraite lui permet de ne pas avoir à se soumettre au serment d’obéissance au chef de l’Etat ; serment qu’il aurait sans doute refusé de prêter en faveur d’un régime anti-républicain et autocrate. Cela ne lui évite pas pour autant d’être frappé par l’arrêté du préfet de l’Aude, condamnant les opposants politiques de Vichy. Après le succès de la manifestation républicaine du 14 juillet 1942 devant la statue de Barbès, interdite par Vichy, la répression allait s’abattre contre ceux qui y avaient participé : le député Henri Gout, le sénateur Michel Bruguier ou encore le syndicaliste Albert Picolo. André Morelli est d’abord mis en résidence surveillée à Axat le 26 octobre 1942. Le préfet Marc Freund-Valade, bras armé d’un régime d’extrême droite, alourdit la sanction envers un homme âgé à la santé fragile. Il prononce son internement administratif le 1er décembre 1942 au camp de Saint-Sulpice-la-pointe, dans le Tarn. Si Morelli parvient à obtenir sa libération en janvier 1943, les sanctions prises à son encontre éveillent l’attention des Allemands. La divulgation de ses idées gaullistes et de son appartenance à la franc-maçonnerie par M. Quitte, commissaire aux questions juives de Carcassonne, ont fait les échos du journal antisémite « Je suis partout ». Sur ordre du KDS de Montpellier, la police allemande se saisit d’André Morelli chez lui, le 8 septembre 1943. Détenu à la caserne de la Lauwe à Montpellier, il est expédié au camp de Compiègne. Le 20 juin 1944, il fait partie du convoi de déportés en direction du camp de concentration de Dachau en Allemagne. Il n’en reviendra pas. Touché par l’épidémie de Typhus, il meurt le 17 février 1945 à l’intérieur du block 30, chambre 4. Il est incinéré le même jour. Le jardin sur le devant du Palais de justice de Carcassonne porte le nom de Square André Erasme Morelli.

    _________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2025

  • Auguste Radix (1870-1927), professeur de mathématiques

    Professeur agrégé de mathématiques, Auguste Sébastien Radix enseigna pendant trente ans au lycée de Carcassonne. Il vit le jour dans l'Ain à Pizay où son père était instituteur, le 15 février 1870. Après des études à la faculté des sciences de Montpellier, il fut nommé pendant quinze mois à Apt dans le Vaucluse avant de rejoindre le lycée de Carcassonne. Dans notre ville, il contracta mariage avec une limouxine, Marie Louise Aymet. Deux enfants naîtront de cette union : Jean Félix Antoine (1899-1969) et Louise Emilie (1908-1937). La famille habita 89, Boulevard Jean Jaurès.

    esteve004.jpg

    © Sylvie David

    Claude Louis Estève

    (1890-1933)

    Claude-Louis Estève (1890-1933), professeur de philosophie bien connu à Carcassonne, ami de jeunesse de Joë Bousquet, rédigea l'oraison funèbre de son ancien maître puis collègue au lycée de la ville. Nous retranscrivons ci-dessous la prose de ce fin lettré qui ne lui survivra que six ans.

    Pour rester Carcassonnais, notre lycée ne possédant une classe de mathématiques spéciales, il lui avait fallu beaucoup de modestie et un manque total d'ambition. Je n'ai jamais autant regretté qu'aujourd'hui d'être un médiocre mathématicien, trop indigne d'esquisser la physionomie intellectuelle du savant qu'a été M. Radix. Les deux grands dons primordiaux lui avaient été dévolus : la vigueur de l'imagination, la rigueur de la méthode. De leur union résultaient une agilité intellectuelle, une lucidité vivace qui débrouillaient en se jouant les problèmes les plus touffus. Il était sensible à cette beauté des mathématiques que nous ne connaissions que par oui-dire et dont les initiés depuis Platon nous vantent la radieuse pureté. Mais son esprit n'a pas été sensible qu'à la beauté des nombres et des figures. Nul mieux que M. Radix n'a montré combien est sommaire la trop fameuse distinction de l'esprit de géomètrie et de l'esprit de finesse. Ce géomètre était un esprit fin. Il était épris de musique et de théâtre. Il y a un an, cher ami, j'ai eu le plaisir d'entendre à vos côtés, à Montpellier, le Barbier de Séville : je me rappelle vos remarques pleines d'humour et de compétences sur la déplorable facilité de Rossini et pourtant sur la pureté de contour de certaines de ses mélodies ; et sur le délicieux rôle de Rosine. Vous êtes un artiste, cher grand ami.

    Avec des pareils dons, M. Radix eût pu aspirer à des hautes destinées scientifiques. Malheureusement, il n'a pas été ambitieux. Et surtout, il était trop bon professeur. Il aimait trop sa classe et ses élèves, si on peur les aimer trop. Comment ne pas se rappeler sans émotion, Radix, que dans vos cent jours de maladie, déjà frôlé par l'ombre de la mort, un de vos crève-coeur, ça a été, le 1er octobre dernier, de ne pas reprendre votre travail et sembler ainsi abandonner les élèves que vous avez tant aimé ! Il faut que les élèves le sachent, et il faut qu'ils sachent aussi combien leur maître a souffert d'être alité, de rester oisif, lui qui, loin de résigner à l'effort, y avait toujours trouvé sa joie. 

    La classe... M. Radix s'y est consacré entièrement. Jamais un maître n'a montré plus de conscience ni déployé plus de zèle, et cela sans arrière-pensée égoïste. M. Radix mûrissait longuement ses leçons, il corrigeait ses devoirs avec un luxe d'annotation que l'on trouve rarement, il suivait de près le travail de ses élèves, échangeant souvent ses impressions sur leur compte avec M. le Proviseur et avec ses Collègues ; il entrait en relation avec les familles et plus d'une fois il intervint, à la prière des parents, pour ramener un jeune homme dans le bon chemin ; son ascendant sur les élèves était tel qu'il réussit presque toujours dans cette délicate mission. Il se montrait exigeant, il en avait le droit, car il donnait l'exemple du labeur ; aussi était-il adoré de ses élèves. Quel intérêt il leur portait, avec quelle persévérance et sollicitude il suivait les examens, combien de fois il a lutté contre un découragement prématuré, que de démarches il a faites auprès des membres du jury pour obtenir la révision d'un jugement erroné ; combien de candidats, connus ou inconnus, lui doivent ainsi leur succès ! Aussi la réussite devait répondre à tant de soins, la réputation professionnelle de M. Radix grandit rapidement, de toutes parts lui vinrent des témoignages de confiance, de reconnaissance qui le récompensaient, mieux que tout, de ses efforts.

    Les élèves ! Ici, M. Radix, je ne peux plus parler de vous comme collègue ou comme président de l'Amicale, mais comme ancien disciple. Tous mes amis sont vos anciens élèves, leurs pères l'étaient déjà, vous m'avez interrogé moi-même au baccalauréat. Tout ce qu'il y de mathématiciens dans l'Aude est de votre filiation spirituelle. Et dans notre grande famille, je n'ai jamais entendu parter de vous qu'avec admiration et affection. Si nous n'avons pu apprécier que de loin votre science, nous avons senti le rayonnement, quand, grâce à votre maîtrise de professeur, vos leçons si nettes, si lumineuses, se subordonnaient avec tant de simplicité à nos esprits que, nous étions ravis de nous découvrir plus intelligents et plus perspicaces que nous n'osions l'espérer. Mais surtout de quelle intimité était faite l'atmosphère de votre classe ! Si vous avez beaucoup aimé vos élèves, cher professeur, ils vous le rendent bien ! Avec quelle émotion attristée nous nous souvenons de cette aménité, de cette mansuétude  qui faisaient la saveur propre de votre caractère. il faut croire, qu'elles aussi, étaient communicatives : jusqu'à votre mort, hélas prématurée, les choses vous ont été doucement belles, doucement bonnes, et vous aviez mérité qu'il en fut ainsi.

    Entre tous les élèves que M. Radix avait formés, parmi les meilleurs, il a eu la joie de compter deux enfants, deux esprits d'élite, et aussi le fils de notre regretté collègue M. Bosc qu'il y a 10 jours à peine nous pleurions. Et ç'avait été un lien de plus entre lui et notre cher lycée, dont il était le premier professeur, le professeur-type, celui auquel les élèves se plaisent à penser, plus tard, quand ils regrettent leurs années de jeunesse, d'études et de succès.

    Ses dernier moments ont accompli sa vie ; près de mourir, il a songé aux siens plus qu'à lui-même, puis s'est endormi. Au nom de l'Amicale et en mon nom personnel, que la famille de M. Radix, si cruellement éprouvée, veuille bien trouver ici un écho à sa douleur et l'expression de notre affectueuse amitié ! Adieu, Radix ! Nous ne laisserons rien pervertir de ce qui nous vient de vous.

    ___________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2025

  • Henri Daraud (1905-1989), facteur et accordeur de pianos

    Durant toute sa carrière, Henri Daraud fut appelé à accorder les pianos des plus grands instrumentistes mondiaux, tels que Cziffra . À Antibes-Juan-les-pins, les organisateurs du festival de jazz n’auraient pas confié à d’autres le soin de préparer le Steinway de Duke Ellington, de Count Basie ou encore d’Oscar Petterson. Tel un concertiste, il fallait même qu’il opère sur place en habit à queue-de-pie. Sa fille se souvient. « Un jour papa me dit  : accompagne moi, je dois accorder le piano au théâtre de Carcassonne, et je voudrais te présenter un grand bonhomme comme on en rencontre peu. Je le suis donc. Papa commence à accorder le piano et arrive sur scène Yehudi Menuhin avec son violon. Moment magique de connivence entre les deux autour de notes et de sons. Ensuite papa me présenta à Menuhin qui me dit combien il appréciait le travail de mon père, tout en finesse et à l’écoute. Et nous avons assisté au concert depuis les coulisses. Un merveilleux violoniste, un homme simple.

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.41.11.png

    Marie-Louise et Henri s'étaient mariés le 29 octobre 1940

    Henri Daraud naît le 20 septembre 1905 à Carcassonne, 50 rue de la République. Très tôt, il développe un goût prononcé pour la musique. Avec son frère aîné François (1901-1989), il joue du saxophone  dans les orchestres d’harmonie. À cette époque, il s’agit de la Société lyrique Sainte-Cécile de Carcassonne, dirigée par Michel Mir. Henri possède un don du ciel ; il a l’oreille absolue.

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.39.59.png

    C’est-à-dire qu’il est capable de reconnaître précisément la fréquence de n’importe qu’elle note, sans aucun repère. C’est ce talent qu’il va exploiter en devenant facteur d’instrument, puis accordeur. Sur les conseils de personnes avisées, ses parents l’envoient à Paris chez Selmer et à la prestigieuse école des pianos Pleyel. À Carcassonne, il fait l’acquisition du local d’un coiffeur à l’angle des rues de la mairie et Courtejaire, dont il refera la façade en 1955. Il y installe son commerce de vente et de réparations de piano, dans la lignée de Gillon ; l’ancien marchand d’instrument de la ville. 

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.44.37.png

    Faisant partie de l’AFARP (Association Française des Accordeurs et Réparateurs de Piano), il est à l’origine de la création de l’école du Mans dans les années 1970. Henri Daraud y transmet son savoir à des élèves qui se revendiqueront de son héritage. C’est de nos jours l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique. Vers la fin de sa vie, cet homme aussi discret, humble que sympathique formule le voeu de créer un musée dédié à l’histoire du piano. Cette idée sera reprise par son fils Jean-François et Jean-Jacques Trinques, lui-même accordeur, en hommage à Henri, décédé le 29 janvier 1989. Ils démarchent Raymond Chésa, le maire de Carcassonne. Celui-ci, peu porté sur la musique, ne se montrera pas intéressé. C’est auprès de Jean-Paul Dupré, député-maire de Limoux, qu’ils trouveront une oreille attentive.

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.49.49.png

    © Musée du piano 

    En 2002, le premier musée de France consacré au piano est inauguré dans une chapelle désacralisé de la cité blanquetière. Aujourd’hui, ce lieu dispose d’une collection impressionnante. Il propose également  une programmation de concerts de musique classique. Si l’on oublie de mentionner le nom d’Henri Daraud, son âme veille en ce lieu saint de l’harmonieuse Euterpe. Tout comme plusieurs de ses propres pianos.

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.43.06.png

    Pendant des années, le magasin Daraud de Carcassonne fut le rendez-vous des musiciens, mais aussi des mélomanes. Marie-Louise, puis sa fille Geneviève vendirent les disques vynils des plus grands interprètes classiques, jazz et variétés. On en vit défiler un certain nombre pour des séances de dédicaces. Autant dire qu’à Carcassonne, la famille Daraud fut à la musique ce que Félix Bergèse fut au rugby.

    Capture d’écran 2025-05-28 à 09.51.25.png

    Henri Gougaud en dédicace. A l'arrière, Marie-Louise Daraud.

    _____________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2025