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Portraits de carcassonnais - Page 16

  • L'oraison funèbre de l'écrivain Pierre Sire par Joë Bousquet

    "Pierre Sire est mort à Carcassonne à cinquante-deux ans. Il avait publié des romans, quelques poésies, collaborait régulièrement aux Cahiers du sud. La biographie de cet écrivain tient en quelques lignes. Né à Coursan, il a fait ses études à Carcassonne, a séjourné un an en Espagne avant d’entrer au 81e d’Infanterie. Deux ans de service, plus de quatre ans de guerre, des mois de captivité.

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    Pierre Sire

    (1890-1945)

    Abondamment cité et décoré, il est en 1939, capitaine et chevalier de la Légion d’honneur et rejoint un bataillon alpin. Après, il connaît, comme nous tous, les humiliations de la défaite et chassé de son logis par un soudard, surmené par tous les devoirs auxquels il s’astreint, inscrit, dès 1941, dans la Résistance, il mène dans la grande misère des années sordides par une douloureuse et lucide agonie.
    Sire, comme il le disait lui-même, en s’amusant beaucoup, était un des ces Français que le Maréchal Pétain accusait d’avoir beaucoup revendiqué et peu servi ; en vérité, toute sa vie d’interne à l’Ecole Normale et les dures vacances qu’il passait avant 1914, dans un village affamé par la crise viticole, outre les douze ans vécus sous la loi des guerres, Pierre Sire, comme tous ses collègues, avait connu les humiliations du fonctionnaire payé en francs de fumée et condamné à mendier le peu qui lui était nécessaire. A t-on besoin de montrer la sottise de ce reproche qui néglige les causes et condamne les victimes, essayant de déshonorer ceux qui, n’ayant jamais connu l’aisance, n’ont pu végéter sans revendiquer. Parfois, ses yeux s’éclairaient. Avec une curiosité d’enfant, il interrogeait ses amis sur leur adolescence inactive, sur leur jeunesse dévoyée ; à la lumière de leurs paroles, il se faisait une idée de ce que la bourgeoisie paresseuse appelait le bonheur. Il s’était voué à l’enfant qu’il avait choisi avant d’être un homme et, fiancé dans l’innocence, toute sa vie, il avait entretenu une seule ambition : incarner le bonheur et l’orgueil de celle que, par un instant, il n’avait cessé d’admirer et de chérir. Son activité littéraire, son activité sociale supposaient ce don entier de sa personne qui, en le vouant à un être l’approchait de son idéal, et lui inspirait ce sentiment qui, ces dix dernières années, a fait de lui la conscience d’un groupe où personne désormais, ne peut plus se passer de son souvenir : Pierre Sire avait pitié de ceux qui doutaient.


    Une philosophie fort à la mode en ce moment, et issue, nul ne s’en étonnera, d’un cerveau gagné au nazisme, suggère que l’existence est absurde. Rien de plus admirable que le produit de cette honnête spéculation. La pensée ne peut pas donner un sens à l’existence, qui la domine et la fait ce qu’elle est ; et comme elle ne sait pas devant ce résultat, avouer son impuissance, au lieu de douter de ses propres calculs, elle doute de la vie. Or, une conviction est bien acquise aux hommes d’âge mûr. Ils ont appris à mépriser les livres, cependant ils savent que la conscience d’un homme n’est pas le fruit du temps, mais la force du temps ; ils savent que personne ne vit, ni ne meurt au hasard. On dirait que nous naissons pour affronter la vie qui nous est faite et lui substituer toute une vie que nous sommes.
    Aussi profondément déchirés par la mort de Pierre Sire, nous n’oserons cependant pas dire qu’il est mort trop tôt. Ce n’est pas à notre cœur d’appeler prématurée l’heure où sa conscience a pris la place de sa personne. Il ne nous reste qu’à interroger notre raison. Peut-être apprendra t-elle, elle qui ne connaît pas la mort, les devoirs qui nous sont dictés par cette existence entrée aujourd’hui dans la vérité et devenue pour toujours la lumière de nos mémoires.

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    Le jardin Pierre et Maria Sire au pied du Pont vieux

    Il y a trois parts à distinguer dans l’existent de Pierre Sire. d’abord, le confident et les disciple de Claude Estève, qui prépare, avec Mme Sire, ses premiers livres dans sa solitude studieuse de Cailhau. Cet officier - revenu à 25 ans de la guerre - ne pense qu’à recommencer ces études. Il sait qu’un homme est tout ce qui existe moins le peu qu’il est lui-même. Il n’a pas de protecteurs, il n’a nulle ambition. Comme Claude Estève qui, en sortant de Normale Sup s’est mis à l’école des poètes de vingt ans, il recommence sa culture, il travaille.


    Un jour, un poste sera libre au lycée de Carcassonne. Quelques amis voient le Préfet de l’Aude, lui demandent quelles démarches il faut entreprendre pour caser Pierre Sire au chef-lieu. « Fichez-moi la paix avec vos recommandations » répond l’administrateur avec force. « Il s’agit du meilleur maître du département. Qu’il demande le poste et nous le lui donnons, son inspecteur et moi. Mais il n’a que des désavantages professionnels à l’obtenir ». Pierre Sire était un excellent professeur. Il ne prenait pas un grand souci de ses intérêts professionnels. Il demanda et obtint le poste de Carcassonne. Ainsi s’ouvrit la deuxième période de sa vie qui se confond, comme nous le verrons bientôt, avec l’activité du groupe audois. Notons enfin avec respect et émotion que la mort de Pierre Sire intervient à l’apogée de la troisième période, celle qui faisait de lui le maître et l’initiateur de ceux que des ambitions et des goûts artistiques avaient d’abord réunis.


    Un jour, sous son influence, et sans cesser de former une association intellectuelle, nous comprenons qu’écrire n’est pas un jeu. Ce qui est l’intérêt des lettres, c’est la réalité sociale qu’elles mettent en jeu. Sire nous persuade que l’écrivain est l’élu d’une société d’esprits, et qu’il ne parle bien aux hommes que s’il a conscience de parler en leur nom. Cette période avait été préparée par les relations quotidiennes jadis entretenues avec le grand socialiste Frantz Molino.
    Depuis longtemps, Roubaud était des nôtres. C’est l’honneur de Sire d’avoir compris le premier que journalistes, théoriciens du socialisme, militants du progrès politique et moral avaient beaucoup à nous apprendre et devaient entrer d’office dans notre association de travailleurs. Guille, Milhaud, Vals devenaient nos amis et nous nous avisions que nos buts étaient les mêmes. Une association France-URSS allait se fonder à Carcassonne et nous demander de collaborer avec elle. On jetait, avec notre ami M. Lavielle, les bases d’un Cercle français co-anglais. Sire était l’homme de tous ces projets et si nous l’avons bien compris, il en serait l’âme désormais."

    Nos articles sur Pierre Sire

    http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/tag/pierre+sire

    http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/archive/2017/03/05/le-jardin-pierre-et-maria-sire-224133.html

    Source

    Midi-Libre / Avril 1945

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  • Qui était Paul Didier (1889-1961) dont une rue porte le nom à Carcassonne ?

    La famille Didier avait quitté sa Lorraine natale en 1871 refusant l'annexion de celle-ci à l'Empire Allemand, après la défaite de Napoléon III. Elle émigrait alors dans l'Aude où l'un de ses fils, se mariait à Moux avec la fille de Ferdinand Théron (1834-1911), député de la 2e circonscription du département. Elu Radical-Socialiste de 1871 à 1905, le beau-père s'était distingué par son opposition au Second Empire. Son gendre, élève à l'Ecole Normale Supérieure - docteur en science et agrégé de chimie - n'en fut pas moins contestataire, à tel point qu'on lui refusera l'accès à Saint-Cyr pour motif politique.

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    Paul Didier en 1911

    C'est dans ce creuset très républicain que naît Paul Didier, le 15 novembre 1889 à Carcassonne. Après de brillantes études secondaires au lycée de la ville, le jeune Didier fait ses études de droit et devient Rédacteur principal au Ministère de la Justice. En 1911, il s'inscrit au barreau de Paris puis est mobilisé en 1914 eu sein du 112e régiment d'infanterie. Un an après l'armistice de 1918, le concours de la magistrature en poche, Paul Didier est affecté au tribunal de Béziers. Il n'y restera que deux ans avant d'entrer à la Chancellerie en 1922 ; il réside à Paris au n°5 rue de la santé.

    Le cycliste

    Ce que l'on sait moins et que nous avons pour ainsi dire découvert, c'est que Paul Didier fut un champion du cyclisme sur piste. L'Agence de photographies Rol publia ses exploits que la Bibliothèque Nationale de France conserve précieusement dans ses tiroirs. 

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    Paul Didier vainqueur du Prix Fournier le 13 février 1910

    Le magistrat possédait en dehors des prétoires une activité sportive, parmi les plus en vue de l'époque. Un véritable pistard, champion des vélodromes parisiens. 

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    Au départ (à gauche) sur le vélodrome du Parc des Princes, le 27 mai 1912

    La carrière sportive de Paul Didier s'achèvera vers 1926. En 1921, il participait encore au Championnat de vitesse sur piste en finissant 1er de la 4e série. Cet homme constitué d'un esprit sain dans un corps sain possédait toutes les qualités de la sagesse au service des valeurs pour lesquelles il ne transigea jamais. Nous le verrons par la suite...

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    Paul Didier à la fin de sa carrière sportive 

    Le magistrat

    Quelques semaines seulement après l'entrée en fonction du gouvernement de Vichy, le magistrat - passé sous-directeur du sceau chargé des naturalisations -s'oppose aux mesures xénophobes de l'Etat Français.  Il est écarté le 22 septembre 1940 et mis dans un placard. L'acte constitutionnel du 14 août 1941 obligeant tout magistrat à prêter serment de fidélité à Pétain, Paul Didier s'y refusera en raison de ses convictions républicaines. Il est seul frondeur parmi l'ensemble des magistrats. D'abord suspendu en guise de sanction, il est ensuite arrêté sur ordre du ministre de l'intérieur et enfermé au camp d'internement de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Libéré en 1942, il est assigné à résidence à Moux (Aude) puis mis à la retraite d'office le 11 août 1942.

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    Paul Didier avec sa robe d'hermine

    Le Résistant

    A Moux, le magistrat ne reste pas inactif et participe aux actions des réseaux de Résistance de Lézignan. A la Libération, le Comité départemental de Libération le nommé Vice-président du Conseil municipal de Moux. Un honneur pour ce village qui ferait bien de s'en souvenir... 

    "Telle une ombre légère, furtive, le Président Didier passe. Long, mince, pâle jusqu'à la quasi transparence... Pour le définir, on en appelle au doux Pascal : "L'homme n'est qu'un roseau..." Le Président est courageux comme un autre est turbulent ou vulgaire. C'est une question  de tempérament. Son courage, toujours présent, fait partie de sa structure. Il est cela, indispensablement, comme est indispensable la respiration à l'être vivant. Indépendant par respect de soi-même. Par dignité aussi. Qu'une pointe d'orgueil se mêle à cette disposition d'esprit, c'est vraisemblable. Mais c'est de l'orgueil de qualité.

    Il eut à subir, voici quelques mois, la conséquence de son indépendance : une bombe fut déposée devant son logis et éclata. Le miracle est que, si l'appartement fut détruit, sa famille sortit indemne de l'attentat. Il présidait une audience quand on vint l'informer de l'évènement. Il suspendit les débats et revint quelques minutes plus tard : "Messieurs, une bombe vient d'éclater à mon domicile. Excusez-moi de vous avoir interrompus. L'audience est reprise."

    (Madeleine Jacob / Libération / 20 octobre 1952)

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    Paul Didier meurt à Paris le 22 mai 1961. Voici ci-dessous un extrait de l'hommage funèbre de l'Avocat général Lambert à l'audience solennelle de la Cour d'appel de Paris le 16 septembre 1961.

    "Et maintenant, messieurs, nous devons nous recueillir avec une ferveur particulière, car nous allons évoquer la mémoire d'un magistrat qui fut, comme naguère un écrivain célèbre, "un monument de la conscience humaine".

    Septembre 1941 ! Il y a vingt ans ! Notre pays était au fond de l'abîme. La presse de Paris, contrôlée par l'ennemi, annonçait ce jour-là que, sur une place de notre capitale, une musique militaire (dont point n'est besoin de préciser la nationalité) jouerait un hymne à la gloire de la Germanie victorieuse. Mais dans cette atmosphère, dans ce climat, ces mêmes feuilles ne pouvaient cependant pas dissimuler que, la veille, venait de s'accomplir un des hauts faits de l'histoire de la magistrature française : le Président Paul Didier, à cette juge au Tribunal de la Seine, avait refusé le serment imposé par "L'Ordre nouveau". Le lendemain, il était arrêté et devait être bientôt dirigé sur ce camp d'internement de Châteaubriant qui a laissé de si dramatiques souvenirs.

    Peu de temps avant la rentrée judiciaire de 1941, les juristes de la Résistance, avertis de la prochaine obligation du serment, avaient sollicité les instructions de ceux qui dirigeaient la lutte clandestine. Devait-on répondre par des démissions massives ? Laisser se démasquer ceux qui étaient déjà engagés dans l'action secrète contre l'occupant ? "Gardez-vous en bien, fut-il répondu, mais il serait bon, néanmoins, que l'un de vous assumât cette forme de résistance ouverte." C'est alors que Paul Didier décida que, s'il devait n'y en avoir qu'un, "il serait celui-là".

    Messieurs, le souvenir du Président Didier nous a conduit à rappeler une des périodes les plus sombres de notre histoire, mais qui fut fertile en actes de courage et d'abnégation. Le geste de Paul Didier fut l'un d'eux."

    La promotion 1987 de l'Ecole de la magistrature porte le nom de Paul Didier. Il repose au cimetière de Moux dans l'Aude depuis 1961.

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    © Jacques Blanco

    Une rue qui finit en impasse porte le nom de ce magistrat dans le quartier du Méridien. Tout un symbole chez nous... Nous remercions Jacques Blanco de nous avoir signalé cette rue, ce qui a permis d'établir une relation avec la photographie d'un cycliste que nous possédions.

    Sources

    Recherches et Synthèse / Martial Andrieu

    Bibliothèque Nationale de France

    La Résistance audoise / Lucien Maury

    Recensement militaire / ADA 11

    Le blog de P. Poisson

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  • Osmin Nogué (1865-1942), avocat et chansonnier

    Osmin Nogué naît à Carcassonne le 6 novembre 1865 d'un père, employé aux lignes télégraphiques, originaire de Tarbes. L'intelligence du jeune Nogué se fait très vite remarquer de ses professeurs, notamment au lycée de garçons de la ville où il se distingue comme un brillant élève. Après ses études de droit et un exil momentané à Paris, l'avocat revient à Carcassonne et s'installe 59, boulevard du musée. C'est aujourd'hui, le boulevard Camille Pelletan.

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    Osmin Nogué

    Nogué se rapproche des milieux radicaux-socialistes et épouse le 2 octobre 1894, la fille du maire de Carcassonne Omer Sarraut. De cette union avec Jeanne Sarraut (1876-1963), naîtront trois enfants : Cécile Nogué (1895-1981), Yvonne Nogué (1899-1909) et Maurice Nogué (1904-1994). Le grand malheur du couple sera la perte tragique et brutale de leur fille Yvonne, décédée à l'âge de dix ans d'une phlébite orbitaire.

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    Osmin Nogué en représentation théâtrale

    L'avocat participe à la vie de nombreuses associations culturelles... Dans la Compagnie d'Art dramatique l'Athénée, il est au Comité d'honneur. A la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, il est membre depuis juillet 1897 grâce à Marius Robert et Jean Philibert. Son action humanitaire se fait remarquer au sein de la Commission des hospices, où chacun loue les bienfaits de Monsieur le Vice-Président.

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    Cet homme, oublié de nos jours, restera bâtonnier au Tribunal de 1er instance de Carcassonne de 1908 à 1909 et de 1935 à 1936. Quatre mandats au cours desquels, il s'assura le respect de l'ensemble de ses confrères. Lorsque l'on a une telle position dans la vie sociale et civile, on peut qu'être attirer par la politique surtout avec de fortes idées républicaines. Adversaire résolu de Gaston Faucilhon, adjoint de Sauzède puis maire de Carcassonne, Nogué fait entendre sa voix comme conseiller municipal. En vérité c'est politiquement un sympathisant du radicalisme, incarné par les Sarraut. Il dirige même à Carcassonne "La dépêche de Toulouse" et représente le syndicat des journalistes.

    En 1924, son beau-frère Maurice Sarraut lui fait obtenir la légion d'honneur ; il sera élevé au grade d'officier en 1938 et choisira son confrère Henri Malric pour sa réception. Osmin Nogué restera tout de même neuf années de 1919 à 1928, conseiller général du canton ouest. Ne souhaitant pas se représenter devant les électeurs, Albert Tomey prendra son siège en 1928.

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    Sous le pseudonyme de Jacques Aubin, Nogué fait publier en 1922 sous la forme de chroniques de la société Carcassonnaise, un livre imprimé chez Gabelle. Les illustrations sont du caricaturiste Dantoine et le texte est assez savoureux. Il dépeint les méandres d'une ville à l'hygiène douteuse et aux mœurs incarnées par des personnages d'une exaltante typicité.

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    La prieuvre

    Quand sur le boulevard le noble Barreau passe,

    Serviette sous le bras et le front soucieux,

    Il ne se doute pas qu'il est suivi des yeux

    Par un monstre tapi dans son antre rapace

    Le Fisc sombre pieuvre à l'appétit puissant,

    Le Fisc aux mille bras tapissés de ventouses

    Dont les hydres de mer se montreraient jalouses, 

    Le guette pour l'étreindre et lui sucer le sang.

     

    Barreau te reposant sur d'anciens privilèges,

    Tu te croyais naïf, protégé contre lui,

    Tu vivais sans soucis, mais qui peut aujourd'hui

    Du succube goulu fuir traquenards et pièges ?

    Barreau, plein de savoir mais de candeur pétri,

    Tu tombes à ton tour dans les filets perfides

    De l'odieux calmar aux suçoirs myriafides

    Et te voici couché, pâle et le front meurtri !

     

    Mengué, le rabatteur du monstre enflé de lucre,

    T'a poussé doucement vers le gouffre profond

    Où notre humanité se liquéfie et fond,

    Comme un café brûlant voit fondre un grain de sucre.

    Aspirés par la bouche avide de l'impôt

    Tu vois tes fiers enfants, infortunés confrères,

    Dans la poche du fisc verser leurs honoraires,

    Pauvres, exsangues, nus, les os trouant la peau.

     

    Mais tout ceci n'est qu'une image

    Rien qu'une image en vérité,

    Vite à présent tournons la page

    Et voyons la réalité.

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    La tombe de la famille Nogué, cimetière St-Vincent

     

    Sources

    Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

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