Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Portraits de carcassonnais - Page 20

  • Ce Carcassonnais, fondateur de la loterie nationale...

    La loi du 31 mai 1933, promulguée au Journal Officiel de la République française, constitue l'acte fondateur de la loterie nationale. Ce que beaucoup d'entre-vous ignorent, c'est que le créateur de ce jeu de hasard fut un enfant de Carcassonne. Né le 30 novembre 1873, Henri Mouton fait d'abord ses études au lycée de la ville, avant de devenir ensuite un grand avocat attaché au barreau de Toulouse. Outre ses fonctions de juge d'instruction et de procureur dans différentes villes, il entre en 1912 au cabinet du préfet de police de Paris, Louis Lépine. Il fonde la police judiciaire dont il deviendra le directeur. 

    mouton_s.jpg

    © Société française d'histoire de la police

    Paul, Henri Mouton

    En 1930, le Carcassonnais devient Conseiller d'état. Le ministère des finances qui recherche des moyens afin de financer la caisse des calamités agricoles, demande à Henri Mouton de se pencher sur le problème. Déjà à cette époque, il existe en Europe des loteries nationales sous diverses formes. C'est cette idée que va prendre à son compte le Conseiller d'état. Dans sa forme et son organisation, la loterie espagnole inspirera la future loterie nationale française. Les gains qu'elle rapporte au trésor, ne sont pas négligeables. Dès lors, Henri Mouton devient le Président du comité chargé de l'organisation technique.

    Dixiemes.jpg

    © gueules-cassées.asso.fr

    La loterie au capital d'un milliard de francs est répartie de la sorte : 60% versés en lots et 40% au bénéfice de l'opération. Plusieurs séries de billets sont éditées avec pour chacune d'elles, un certain nombre de lots. Ces billets sont exclusivement au porteur et les gains, exempts de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières. Le décret du 23 juillet 1933 fixe les objectifs... Sur les 400 millions qui théoriquement reviendront à l'état, 100 millions seront attribués à la caisse des calamités agricoles. Les 300 millions qui restent seront affectés au budget de l'état.

    Boutiquejeux.jpg

    © gueules-cassées.asso.fr

     Le premier gagnant fut M. Bonhoure, coiffeur à Tarascon. Il empocha 7 millions de francs le 7 novembre 1933. Le gouvernement de Vichy révoqua Henri Mouton en raison de ses convictions républicaines. Réfugié dans l'Aude, il participa à un réseau de Résistance. Nous avons notamment évoqué la réunion qui se tint en juin 1944 dans sa propriété de Carcassonne, en présence de tous les chefs de la Résistance régionale. Paul Henri Mouton mourra à Paris le 17 décembre 1962. 

    mouton.jpg

    La sépulture d'Henri Mouton au cimetière Saint-Michel de Carcassonne.

    Dans la zone de la Ferrandière, une avenue porte le nom de cet illustre Carcassonnais. Ceci, sans toutefois mentionner qu'elle fut sa qualité ; une lacune préjudiciable pour l'histoire locale et plus largement, pour celle de notre pays.

    _________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • Entretien avec le philosophe et académicien Carcassonnais Ferdinand Alquié (1906-1985)

    Nous avons souvent évoqué sur ce blog la mémoire de Ferdinand Alquié, académicien et philosophe. Nous ne pouvons que regretter qu'il n'en soit pas de même dans sa ville natale... Le fonds Alquié versé à une bibliothèque municipale qui n'existe plus, dort dans un tiroir. Les heures de conférence sur le surréalisme enregistrées dans une célèbre université américaine, n'ont même pas trouvé preneur à Carcassonne. C'est dire si l'on se fout d'Alquié du quart comme du centième. A la lecture de l'entretien qu'il donna le 22 avril 1984 à l'Indépendant et que nous reproduisons ci-dessous, la tradition philosophique était selon lui l'école de la raison. On ne jète pas avec l'eau du bain des siècles de pensée structurée. Pour reprendre son expression : "chercher à bâtir la maison sans le rez-de-chausée". C'est un peu modestement ce que nous faisons ici, nous souvenir et rendre hommage à ceux qui nous ont précédés. Imagineriez-vous aujourd'hui qu'un journal local, faisant ses recettes quotidiennes avec la rubrique des faits de justice et de police, se risquerait en interviewant un philosophe ? D'ailleurs, y a t-il encore dans les rédactions locales des professionnels capables de tenir ce genre d'entretien ?

    61 Alquié chez Henri Tort Nouguès.jpg

    © Droits réservés

    Entretien avec Ferdinand Alquié

    Il se murmure, il se dit tout haut et sur tous les tons que la philosophie à l’instar des économies mondiales est « en crise ». Quel est le sentiment de Ferdinand Alquié sur la question ?

    C’est très difficile de définir la crise de la philosophie. Mais je déplore que ce soit effectivement vrai… Pendant longtemps, il y avait un contact, une certaine continuité entre les grands philosophes et le grand public. Et cela venait de ce que les grands philosophes traitaient de sujets, répondaient à des questions que tout le monde se posait.
    Descartes, par exemple, démontre (on pense qu’il démontre) l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu… Si vous prenez Kant, il définit lui-même la philosophie comme devant répondre à un certain nombre de très grandes questions : Que pouvons-nous connaître ? Que devons-nous faire ? Que nous est-il permis d’espérer ? Qu’est ce que l’homme ? Il est bien évident que n’importe qui, qui a une certaine culture, se pose ces questions.

    Vous pensez qu’une cassure s’est produite avec le public…

    La cassure vient d’abord du fait que ces problèmes ne se posent plus et ne sont plus posés par les grands philosophes. Je prends par exemple Heidegger qui est le plus grand philosophe de ce siècle, d’une manière à peu près unanimement reconnue. Eh ! bien, si vous me demandez si Heidegger croit à l’immortalité de l’âme, je ne le sais pas ; s’il croit en Dieu, je ne le sais pas. Quelle morale, il conseille ? Je ne le sais pas. Et quand je prends Heidegger, je prends l’exemple le plus favorable. Car si vous prenez des philosophes français à la mode, par exemple, Derrida, si vous voulez, il n’est plus question de rien de semblable, il est question de langage, de la structure du langage.
    De ce fait, la coupure avec le public éclairé est totale. Parce que les questions que traitent les philosophes du jour, enfin pas tous et certainement pas moi, les huit dixièmes sont des questions qui n’intéressent plus personne.

    N’est-ce pas que l’objet de la philosophie s’est élargi et qu’en même temps il est devenu flou ?

    Pour moi, il ne s’est pas élargi, il s’est au contraire spécialisé, et il refuse de répondre à un certain nombre de problèmes. C’est déjà une première raison de cette décadence de la philosophie. La seconde raison est l’obscurité des philosophes actuels. Les causes en sont également nombreuses. C’est avec Kant et après lui que la philosophie a pris un langage effroyablement difficile. Si vous prenez « La phénoménologie de l’esprit » de Hegel par exemple, vous n’y comprenez strictement rien alors que si vous lisez les « Méditations métaphysiques » de Descartes, je ne dis pas que vous les comprendrez à fond, puisqu’on discute depuis Descartes pour savoir ce que cela veut dire, mais vous comprendrez quelque chose.
    Prenez encore un homme qui n’est pas un philosophe mais qui a une grande influence sur les philosophes contemporains en France , Jacques Lacan : essayez de lire du Lacan. Huit fois sur dix, on ne comprend pas ce qu’il veut dire, et même de quoi il est question.

    L’art au-delà de la raison.
    Mais ce n’est pas d’une façon plus générale propre à notre époque. L’art lui aussi est souvent incompréhensible. La poésie elle-même, suit parfois un travers identique. Même si son objet est différent, n’étant pas forcément de clarté…

    Oui, mais la poséie ça me paraît beaucoup plus normal, parce que la poésie s’efforce d’exprimer l’irrationnel.

    C’est une conception nouvelle de son rôle. Depuis le romantisme allemand. En tout cas de façon consciente.

    Je ne le crois pas. Je crois que chez les grands poètes classiques, par exemple, Raci,e, il y a souvent un double sens : le sens logique et au-delà du sens logique un sens proprement poétique qui est aussi rationnel que celui de différents auteurs modernes.
    Dans la mort de Phèdre, les vers :
    « Et la mort dérobant à mes yeux la clarté, rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté » qui sont des vers admirables. Il est bien évident que d’un point de vue rationnel, cela ne veut rien dire du tout. Donc, nous sommes dans un ordre qui est aussi rationnel que celui des poètes modernes. La différence c’est que chez Racine, vous avez toujours les deux sens.
    C’est comme dans la peinture. Un grand peintre était autrefois un monsieur qui faisait des tableaux ressemblant au réel et en même temps beaux.
    La philosophie avant, si je puis dire, débarrassé la peinture de la reproduction du réel, il ne reste plus que l’autre élément. Chez le poète c’est assez pareil, mais la poésie contemporaine, je crois, répond bien à quelque chose d’éternel.

    60 Alquié chez Henri Tort Nouguès Cité Carcassonne.jpg

    © Droits réservés

    Henri Tort-Noguès et Ferdinand Alquié à Carcassonne

    La raison est-elle encore le moteur de la réflexion des nouveaux philosophes ?

    Les nouveaux philosophes c’est autre chose ! Je n’ai pas pour eux une très grande estime… (SILENCE). Ils me sont néanmoins assez sympathiques. Ils ont du reste rendu certains services intellectuels parce que, avant eux, le marxisme était était une espèce de dogme. Si l’on n’était pas marxiste, on était considéré comme un imbécile. Ils ont quand même sur ce plan changé les choses, mais je ne peux pas dire que ce qu’ils ont apporté sur le plan proprement philosophique soit de véritable valeur. Il n’y a pas de contenu. Ce sont des invectives… Je ne crois pas que ce sont de bons philosophes mais je ne nommerai personne.

    Enseigner, n’est pas jouer.
    On se méfiait naguère de l’enseignement de la philosophie, parce qu’elle était jugée subversive. Aujourd’hui, c’est sa « subjectivité » qui semble être en cause. En tout cas, la méfiance demeure.

    Je vous demanderai ce que vous appelez « On » ?

    Disons, l’opinion publique.

    Alors je crois que l’opinion publique a raison de se méfier non pas de la philosophie, mais de la façon dont on enseigne.
    Je n’ai jamais voulu signer les différentes protestations qu’on m’a soumises pour défendre la philo. Cela sous n’importe quel ministère. Ceci pour la raison suivante : quand on enseignera la philosophie dans les classes de philosophie, je serai à la tête du combat pour qu’on augmente les horaires. Mais, vu que la plupart des classes de philosophie sont devenues des classes de pur et simple bavardage sur l’actualité politique du jour, je ne vois pas du tout pourquoi on augmenterait les horaires.
    Il y a des gens qui ne font plus du tout de philosophie… qui est un personnage génial…. Mais la philosophie ne se réduit pas à Nietzche.
    Les professeurs ne veulent plus rien enseigner. Ils se mettent à l’écoute de leurs élèves et déclarent que ceux-ci en savent plus qu’eux. Et que le professeur n’a pas à transmettre un savoir…
    Nous sommes l’un des rares pays où l’on enseigne la philo dans les classes secondaires. La supériorité de l’enseignement français venait de là. La classe de philosophie était une révélation pour tout le monde !

    Mais nous retrouvons la subvention.

    Quand j’étais jeune, les parents craignaient que la philosophie, en éveillant les esprits des élèves, des doutes sur la foi religieuse ne leur fit perdre cette foi et la philosophie était suspecte à ce titre. Je ne crois plus que ce soit le cas. Elle est suspecte parce que beaucoup de parents s’aperçoivent que ce qu’on leur enseigne sous un nom, n’a plus ni tête ni queue…
    Je connaissais un père d’élève dont la fille voulait préparer Sèvres (Normale sup). Il me dit de convoquer sa fille pour savoir ce qu’elle savait. Je m’aperçus en quelques questions qu’elle ne savait absolument rien… Qu’est-ce qu’une idée générale ? Un concept ? L’induction la déduction ? Le syllogisme ? Zéro, zério, zéro…
    Je lui demande comment elle a fait pour être reçue au bachot. Elle me répondit : Oh ! vous savez, il y a toujours un texte parmi les trois sujets. J’ai pris ce texte et j’ai répété en gros ce qu’il voulait dire. J’ai eu 12 et j’ai été dispensée de l’oral…
    Mais enfin votre professeur vous a fait cours ? J’ai vu alors que ce cours qu’elle m’a montré, était une comparaison entre la civilisation blanche et la civilisation noire. Ce cours prétendait montrer que la civilisation noire était supérieure à la nôtre, que nous avions détruit cette civilisation…
    La philosophie telle qu’on l’enseigne dans l’enseignement secondaire pourrait être supprimée sans que l’on ressente le moindre mal.

    Ferdinand Alquié, qui reconnaît que « de son temps, il a existé de mauvais professeurs », a le sentiment qu’à présent le mal est profond et qu’il ronge tout l’édifice, de bas en haut

    Moi, qui adorais enseigner, je vous jure que dans mes dernières années de Sorbonne, j’étais tellement écœuré que j’ai pris ma retraite sans drame. L’enseignement supérieur est devenu impossible… Impossible, comme de construite une maison qui n’aurait pas de rez-de-chaussée.

    Entre Dieu et le néant.
    La mort, Dieu, où allons-nous ?
    Vous n’êtes guère optimiste quant au devenir de notre civilisation…

    Je suis extrêmement inquiet. Je suis même assez triste… Je suis triste d’abord d’être vieux… Sentir s’approcher la mort est une chose triste mais sentir, qu’en même temps que vous, meurt autour de vous ce que vous avez aimé et ce pourquoi vous vous êtes battu, c’est encore plus triste, parce que la consolation qu’on peut avoir quand on sent s’approcher la mort, c’est de se dire par exemple : J’ai passé ma vie à expliquer Descartes, Kant… Penser que tout le monde s’en fout, c’est horrible.

    Avez-vous la foi ?

    Je vous répondrai que je n’en sais rien. c’est une question que je me pose sans cesse. Je vous répondrai que je désire l’avoir. Je ne peux pas dire que je suis un négateur de la foi, mais je ne peux pas dire non plus que je l’ai.
    Le mot foi lui même exclut la notion de certitude… Mais mettons que j’ai un doute profond….plus qu’un doute profond. L’église catholique déclare que personne ne sait s’il a la foi ou pas.

    Je pense dont je suis… surréaliste.
    Comment peut-on être cartésien et surréaliste ?

    Pour moi la réponse est extrêmement simple. L’essence de ma philosophie se définit ainsi : c’est que l’objet n’est pas l’Etre, c’est-à-dire que tout ce qui nous apparaît à titre d’objet à un arrière-fond ontologique qui ne nous est pas accessible. Ça c’est une idée fondamentale et l’expérience philosophique que j’ai eue depuis que je suis enfant est celle-là. Je me suis toujours dit, et spontanément, tout ce que je vis et que j’appelle le monde réel est fait de qualités sensibles.
    Il est bien évident que la neige ne se sent pas froide, qu’elle ne se voit pas blanche et pourtant cela est. Et nous sommes sûrs que cela demeurera quand nous serons plus là pour le voir.
    Ça c’est une idée qu’on trouve chez tous les philosophes et notamment chez Kant. C’est la fameuse chose en soi qui s’oppose au phénomène. Descartes dans la « méditation première » commence à mettre le monde en doute, c’est-à-dire qu’il n’est pas sûr que le monde existe, à comparer l’état de veille et l’état de rêve, à dire qu’il n’est pas sûr qu’il ne rêve pas, puis finalement il trouve l’Etre d’abord dans Dieu et il déclare que Dieu est incompréhensible : Incomprehensibilitas ratio formalis Dei est.
    Dans les philosophes que j’aime, qu’il s’agisse de Descartes ou de Kant, l’essentiel est l’affirmation d’un arrière fond ontologique qui ne se confond pas avec l’objet.
    Or, si nous passions maintenant aux surréalistes, ils n’ont jamais dit autre chose. Et si nous prenons la démarche surréaliste telle qu’elle est, c’est sans cesse l’attente des signes. Vous savez l’importance qu’a chez Breton la notion de signe. Or, s’il guette des signes, c’est qu’il guette quelque chose qui fait signe. Et ce quelque chose, il ne sait pas ce que c’est.
    Sur le plan proprement conceptuel, vous pouvez dire bien sûr que Descartes et Breton, c’est absolument le contraire. Par exemple, Descartes croit en Dieu, Breton est athée. Mais je n’ai pas connu d’esprit plus profondément religieux que Breton. Il était sans cesse à attendre quelque chose qui était le monde visible. Pour moi, ces deux démarches, bien qu’absolument distinctes, l’une raisonnante l’autre poétique, recouvrent une expérience profonde qui est la même.
    Je dois dire que Breton n’en a jamais convenu. Je lui ai dit 100 fois la chose et il me répondait que Descartes c’était le rationalisme. Les Français répètent sans cesse d’une manière imbécile « nous sommes cartésiens ». Quand j’entends « nous autres cartésiens », je sais que c’est une connerie qui va suivre. !
    Il est normal que Breton ait été horripilé par tout ça et qu’il ait pensé que Descartes en était la source. Cela vient de ce que les gens ne comprennent rien à Descartes. C’est le plus irréationnaliste des philosophes. Il est le seul à avoir dit, et là, c’est inouï, que Dieu est le libre créateur des vérités éternelles. C’est-à-dire que 2 et 2 font 4 son des vérités librement créées par Dieu et qui aurait pu les créer autrement. 2 et 2 pourraient faire 5. Même les philosophes catholiques (St-Thomas, etc.) estiment que Dieu est soumis à la logique. Sur le plan de l’irrationnel, on peut pas aller plus loin que Descartes. Or, Descartes passe pour le champion du rationalisme ! Il n’y a pas plus surréaliste que ça.
    Je pense donc qu’on peut perte cartésienne et surréaliste, non seulement d’une manière parce que je le suis mais je pense que je le suis d’une manière absolument cohérente.

    Carcassonne, métropole intellectuelle.
    Ne pas se méprendre. Même si des signes nous indiquent que toute vie intellectuelle n’est pas morte à Carcassonne (heureusement), l’essentiel de ce propos est restituer dans les années 20-30. Mais, n’anticipons pas, les noms vont rafraîchir les mémoires. Vous avez la réputation dans le milieu philosophique d’être un homme de rigueur. Est-ce qu’elle est le fait de votre enseignement ou n’est-elle pas le fait de votre nature d’homme méditerranéen ?

    Je suis né à Carcassonne presque par hasard… Du point de vue du sang, je ne suis pas du tout Audois, mais je suis resté très attaché à Carcassonne où j’y ai de nombreux amis.

    Charles Cros, rationaliste et poète, Pierre Reverdy, Joë Bousquet, Joseph Delteil, René Nelli, Jacques Roubaud, le professeur J. Ruffié, Ferdinand Alquié…. Une liste magistrale. Avez-vous le sentiment d’appartenir à une lignée de Sud spécifique.

    Il est frappant que parmi les noms que avez cités, il y a des gens qui étaient l’objet d’une grande admiration de la part d’André Breton.
    C’est le cas de Charles Gros, c’est plus que le cas pour Reverdy puisque le manifeste du Surréalisme s’inspira directement de lui. Bousquet, lui n’était pas surréaliste à proprement parler. Il a signé de nombreux manifestes, il avait pour le surréalisme une grande admiration, je ne dis pas qu’elle était réciproque. Je crois que ce serait fausser des idées - et sur le surréalisme et sur Joë Bousquet - que de les assimiler, bien que dans mon livre sur la philosophie du surréalisme, j’ai cru devoir finir par deux textes relatifs à Joê Bousquet dans la chambre duquel j’ai été, si l’on peut dire, initié ; où j’ai connu le surréalisme à ses tout débuts.
    Il y a très peu d’hommes à qui je dois quelque chose et qui m’ont vraiment appris. Parmi eux, il y a le professeur de musique de Carcassonne qui s’appelle Michel Mir, il y a Estève en philosophie, qui m’as appris beaucoup de choses. Il y a mon père qui était professeur de physique, Emile Bréhier à la Sorbonne, Laporte, Gilson à la Sorbonne. Il y a Darbon à Bordeaux. Ça c’est ce qu’on peut appeler mes maîtres.

    Ballard Alquié Les Sire et Estève.jpg

    © Droits réservés

    Balard, Sire, Estève et Alquié

    Reçu avec mention très bien au bachot, F. Alquié, jeune Carcassonnais débarque dans une grande Khâgne de Paris où il va retrouver René Nelli et 95 condisciples. Ne vous inquiétez pas pour lui : il y fut aussitôt le premier de la classe. Une preuve, assure t-il, de la valeur de son professeur de philosophie à Carcassonne : Estève.

    Je ne peux que lui rendre hommage. Le rôle d’Estève a d’ailleurs toujours été minimisé en ce qui concerne Joë Bousquet. Je crois que sans Estève, Bousquet ne serait pas devenu ce qu’il est devenu. Estève avait un sens de la vie extraordinaire. Se promener dans la rue avec lui était inouï.

    Et René Nelli ?

    Nelli était dans une classe en dessus de moi, mais nous avons été en Khägne ensemble. Nous avons eu douze ans ensemble. J’ai toujours été l’ami de Nelli. Il est exact qu’il y avait à Carcassonne, aussi bien à ce moment là (les années 20) que quand j’y étais professeur de philosophie (1932 à 1937), un milieu exceptionnel.

    Viennent alors les noms de Bousquet, Molino, Sire et Maria Sire. Carcassonne était bien une métropole culturelle. Une preuve supplémentaire ? La voici :
    Michel Mir avait fondé ici une association de concerts symphoniques. J’y jouais du violon. C’était une époque où les disques de phonographes ne donnaient que de petites opérettes ou « Les cloches de Corneville ». La radio n’existait pratiquement pas. A Montpellier même, il n’y avait pas d’association de concerts symphoniques. J’ai joué des symphonies de Mozart, de Beethoven. C’était médiocre, mais enfin nous jouions de grands musiciens.

    64 F Alquié Académie des Sciences Morales et Politiques.jpg

    © Droits réservés

    Au-delà de la nostalgie.
    Sur le pommeau de son épée d’académicien, Ferdinand Alquié a voulu voir figurer un symbole de la nostalgie. Il a choisi le mythe platonicien de Phèdre, c’est-à-dire de l’âme tirée par un cheval noir et un cheval blanc qui chute puis s’incarne après avoir suivi le cortège des dieux. Mais l’âme se souvient de la beauté ineffable qu’elle a vue parmi les dieux. Et naît l’amour…
    Je suis d’une certaine façon un philosophe de la nostalgie, estime F. Alquié et c’est assez dire sa quête d’une arrière monde, « des choses qui sont derrière des choses ». Si le poète court immédiatement à cet univers englouti sous les apparences, le philosophe chemine, lui, au pas de la « raison » n’en concevant nulle jalousie. Tous deux selon le mot de Descartes s’approprient « des semences de vérité comme en un silex ». L’antenne extrême de leurs âmes dissemblables touche au même paradis, entre le ciel étoilé et la loi morale.

    ________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017

  • Jean Amiel (1882-1964), érudit et écrivain oublié

    Jean Amiel naît à Limoux le 9 février 1882. Son père, qui porte le même prénom que lui, est tailleurs d'habits, et Françoise Sabadie, sa mère, veille à l'éducation de ses enfants. Après des études chez les Frères des Ecoles Chrétiennes à Carcassonne, il exerce un temps le métier de son père puis se tourne vers le journalisme. Ses petites chroniques paraissent alors dans "Le télégramme".

    Jean Amiel.jpg

    © Collection Martial Andrieu

    Lorsqu'il passe le conseil de révision en 1902, on apprend qu'il exerce la profession de librairie à Carcassonne où il réside, 12 rue de la Liberté. Il est réformé à cause d'une hypertrophie du cœur, mais participera quand même à la Grande guerre, sans toutefois pouvoir prétendre en 1933 à la carte d'ancien combattant. Jean Amiel se marie en 1906 et ouvre sa librairie, 50 rue de la gare. En 1919, il est à l'initiative de la création du "Comité Saint-Régis". Le trésorier est Auguste Rougé, rue du Palais prolongée. Cette association organise des procession au tombeau de Saint-François Régis, né en 1599 à Fontcouverte. Jean Amiel qui en l'animateur le plus fervent, rédige une plaquette pour les pèlerins tout en continuant à publier des chroniques dans les journaux locaux.

    JF-Regis.jpg

    Saint-François Régis

    "Dès 1909 il publie une série de plaquettes intitulées "Mes veillées littéraires" bientôt suivies, en 1911, par une présentation de "La Bibliothèque Publique de Carcassonne" qu'il lui serait bien difficile de reconnaître de nos jours diluée qu'elle est dans une Bibliothèque de l'Agglomération ! En 1919 il révèlera le 1er autographe du poète révolutionnaire et audois, André Chénier; celui-ci n'avait que 9 ans lorsqu'il apposa "d'une main déjà sûre" sa signature sur un acte de baptême le "12ème de Juin 1771". Il se fera connaître vraiment en 1928 en republiant une oeuvre d'histoire locale "L'Histoire des Antiquités et Comtes de Carcassonne" de Guillaume Besse qui ne se trouvait qu'en de rares exemplaires chez les érudits ou les bibliothèques locales." (Au nom de tous les Amiel / Jean-Louis Amiel)

    amiel.jpg

    En 1929, il écrit "Six ataciens célèbres", "La vie amoureuse et tragique d'André Chénier" et "Le fait de Fontcouverte". "La maison de St André" en 1931, sur l'hôtel particulier de François II de St André, bourgeois drapier. "La Vie et les Mémoires de Delphine Roumieux 1830-1911" en 1936 aux Méridionales à Nîmes et un certain nombre d'opuscules et ouvrages dont "Petite vie illustrée de St J-F de Régis", "Album souvenir de Fontcouverte" et sur des personnalités audoises comme l'écrivain Henri Bataille ou Charles Cros  sur "Le révérend-père Clément Cathary S. J. (1828-1863) Missionnaire de Madagascar" (1957), etc.

    md1041489652.jpg

    "Il tira de l'oubli plusieurs figures de l'histoire audoise et d'autres encore comme "Le libraire Jean-Baptiste Lajoux et ses fils (1786-1873)" une famille carcassonnaise de l'édition, ou analysa certains rapports de personnalités, comme "St Jean-François Régis et le St Curé d'Ars" qui ne parut qu'après sa mort, en 1969 ; il fit aussi des communications diverses comme celle sur "Le nom des tours de la Cité" en 1929 à la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude dont il était un fervent membre, article réédité d'ailleurs en 1981."

    Capture d’écran 2017-11-28 à 19.07.48.png

    Jean Amiel que l'on appelait également Jean d'Atax, en référence au fleuve Aude ainsi nommé par les Romains, était un brillant autodidacte amoureux de son département. Comme beaucoup de ses semblables, il est tombé dans l'oubli. Grâce à quelques recherches que nous avons entreprises et au travail biographie de Jean-Louis Amiel, nous vous présentons cet hommage. Jean Amiel est mort le 15 avril 1964 à Toulouse.

    Sources

    Au nom des Amiel / Jean-Louis Amiel

    Recensement militaire / ADA

    Annuaire de l'Aude / 1921

    www.nom-amiel.org

    ______________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017