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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 325

  • Mario Vargas Llosa (Prix Nobel de littérature) évoque Carcassonne dans un de ses romans

    Est-il utile que nous vous présentions le romancier péruvien

    Mario Vargas Llosa,

    tant ses écrits sont universellement reconnus de part le monde et traduits en plusieurs langues ? Le Prix Nobel de littérature 2010 qui soutint pendant de nombreuses années le régime Castriste cubain, glissa peu à peu du communisme vers le libéralisme à partir de 1968.

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    © Wikipédia

    Comme de nombreux artistes et intellectuels, il prit l'idéal révolutionnaire en pleine figure quand il se rendit compte des effets de l'effroyable dictature soviétique sur les masses populaires - notamment au moment du printemps de Prague. Cela me fait penser à tous ceux qui sont actuellement tentés de voir en Vladimir Poutine, un idéal patriotique contre la barbarie islamiste. Méfions-nous des postures, elles cachent très souvent des ambitions bien moins avouables. Confondre tourisme et immigration dans un pays contrôlé par la propagande d'état et où toute manifestation d'opposition se termine avec une balle entre les deux yeux - comme au bon vieux temps du camarade Staline - peut avoir des conséquences inattendues sur l'idéal recherché...

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    Dans notre article hier, nous avons évoqué le séjour de Flora Tristan - féministe et défenseuse des droits des ouvriers - en 1844 à Carcassonne. Mario Vargas Llosa - citoyen péruvien, comme le père de Flora - publie en 2003 un ouvrage en langue espagnole sur les rapports entre la féministe et le petit-fils qu'elle n'a jamais connu - le peintre Paul Gauguin. Ce roman sera traduit en français et publié aux éditions Gallimard, sous le titre "Le paradis - un peu plus loin. 

    El paraiso en la otra esquina

    Le 7 avril 1803 naît à Paris la militante féministe et ouvriériste Flora Tristan, fille d'un officier péruvien au service du Roi d'Espagne et d'une bourgeoise parisienne. Un siècle plus tard, le 8 mai 1903, son petit-fils, Paul Gauguin, meurt seul et presque aveugle dans sa case des îles Marquises. Le curieux rapport entre les deux dates, tout comme les liens de parenté entre le peintre et l'activiste politique, ne sont ici que le point de départ d'un récit qui met en scène leurs vies parallèles et leur destin commun. Sous la plume de Mario Vargas Llosa, Flora Tristan et Paul Gauguin deviennent Flora et Paul - Florita l'Andalouse et Koké le Maori -, deux êtres libertaires, passionnés et profondément humains, mais hantés par une quête de l'absolu qui leur donne une dimension tragique. Ils iront jusqu'au bout de leurs rêves et ils paieront cher leur audace. Pourtant, leur chute semble aussi admirable que leur envol, car elle est porteuse d'espoir. Ce roman nous dit que le paradis qu'ils cherchaient se trouve toujours un peu plus loin, mais il le fait dans une langue qui nous le rend très proche : celle des grandes utopies politiques et artistiques qui ont marqué les temps modernes. (Source : Gallimard)

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    Timbre édité en 1984

    Le livre de Vargas LLosa reprend à son compte dans un style romancé, les aventures mouvementées de Flora Tristan à Carcassonne au sein du monde ouvrier. En voici quelques extraits...

    "Le soir même où Flora était arrivée à Carcassonne, elle eut une rencontre désagréable avec les fouriéristes locaux, qui M. Escudié à leur tête, avait organisé sa visite. Ils lui avaient retenu une chambre à l'hôtel Bonnet, au pied des remparts. Elle était déjà couchée quand les coups à la porte la réveillèrent. Le gérant de l'hôtel se confondait en excuses : des messieurs insistaient pour la voir. Il était très tard, qu'ils reviennent demain. Mais comme ils n'en démordaient pas, elle enfila une roche de chambre et sortit à leur rencontre. La douzaine de fouriéristes venus lui souhaiter la bienvenue était ivre. Elle eut un geste de dégoût. Ces bohèmes prétendaient-ils faire la Révolution en sablant le champagne, en s'imbibant de bière ? L'un d'eux qui, bafouillant et le regard vitreux, voulant à tout prix lui montrer les églises et les remparts médiévaux au clair de lune s'entendit répondre :

    - Que m'importent les vieilles pierres alors qu'il y a tant d'êtres qui ont des problèmes à résoudre ! Sachez que j'échangerais sans hésiter la plus belle église de la chrétienté contre un seul ouvrier intelligent. Ils la virent dans une telle colère qu'ils partirent.

    Tout au long de la semaine passée dans la ville, ces phalanstériens de Carcassonne - avocats, experts agricole, médecins, journalistes, pharmaciens, fonctionnaires, qui s'appelaient eux-mêmes les chevaliers - furent une source permanente de problèmes. Avides de pouvoir, ils projetaient une action armée dans tout le midi de la France.Ils disaient avoir gagné à leur cause beaucoup de militaires et de garnisons entières. Dès la première réunion, Flora les critiqua avec véhémence. Leur radicalisme, leur dit-elle, servait dans le meilleur des cas à remplacer au gouvernement des bourgeois par d'autres, sans modifier le système social, et, dans le pire des cas, il provoquerait une répression sanglante qui ruinerait le mouvement ouvrier naissant. L'important était la révolution sociale, non le pouvoir politique. Leurs plans de conspiration, leurs fantasmes de violence plongeait les travailleurs dans la confusion, les éloignaient de leurs objectifs, les faisaient s'épuiser dans une action subversive à caractère purement politique, où ils s'exposeraient à être décimés par l'armée, dans un sacrifice inutile pour la cause. Les chevaliers avaient de l'influence sur le milieu ouvrier, et ils assistèrent aux réunions de Flora avec les travailleurs des filatures et des fabriques de tissus. Leur présence intimidait les pauvres qui, devant ces bourgeois, osaient à peine émettre une opinion. Au lieu d'expliquer les buts de l'Union ouvrière tu devais t'exténuer, des heures durant, à porter la contradiction à ces politicards qui enflammaient les ouvriers avec leurs plans de soulèvement armé, en vue duquel, disaient-ils, ils avaient caché dans les lieux stratégiques quantité de fusils et de barils de poudre. La perspective de prendre le pouvoir par la force, excitait malheureusement beaucoup de travailleurs. [...]

    Tu étais pour l'amour, pour les idées, pour la persuasion, contre les balles et les échafauds. C'est pourquoi tu étais exaspérée par ces effrayants bourgeois de Carcassonne, pour qui tout se résoudrait en levant des régiments et en dressant la guillotine sur les places publiques. Que pouvait-on attend de gens aussi stupides ?"

    Mario Vargas Llosa a lu sans aucun doute les notes de voyages de Flora Tristan. Dans un style littéraire très intelligible, il a vulgarisé la pensée de la féministe en se l'appropriant. A tel point que l'on se demande si l'auteur ne parle pas à travers elle, en n'en retranscrivant qu'une image subjective. Là, est l'intérêt d'avoir lu les deux récits... Nous nous ne lancerons pas dans une étude comparée - ce n'est pas l'objet de ce blog - mais cela pourrait être un sujet intéressant à étudier.

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  • Récit du séjour de l'écrivaine et féministe Flora Tristan à Carcassonne, le 31 août 1844

    A partir du 12 avril 1844, la militante socialiste et féministe française Flora Tristan entreprend un voyage à travers la France afin d'enquêter sur la condition des ouvriers en province. Elle s'arrêtera à Carcassonne du 31 août au 7 septembre 1844.

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    Flora Tristan

    (J. Laure / 1847)

    Célèbre pour ses nombreux combats, elle lutte pour que les femmes aient plus de droits, comme celui de divorcer. C'est une des premières féministes de l'histoire. Militante socialiste, elle s'est aussi battue pour améliorer les conditions de vie des ouvriers. Elle a côtoyé les milieux intellectuels et socialistes de son époque sans toujours parvenir à être acceptée du fait de l'originalité de sa personnalité.
    Flora Tristan a déjà fait de nombreux voyages. Elle s’est rendue au Pérou - le pays de ses ancêtres paternels - pour faire valoir ses droits sur l’héritage de son père. A Londres, elle a mené une enquête sur l’Angleterre industrielle et le monde ouvrier. Epuisée, elle mourra de la fièvre typhoïde à Bordeaux le 14 novembre 1844 sans avoir pu achever son Tour de France. Le 22 octobre de la même année, au cours d'une manifestation ouvrière, un monument en son honneur est érigé au cimetière des Célestins à Bordeaux. Sans aucun doute, Flora Tristan a ouvert la voie à la lutte de femmes comme Louise Michel.

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    Plaque, rue des Bahutiers à Bordeaux

    Les notes prises lors de son voyage inachevé restèrent longtemps dans un tiroir. En 1910, le fils d'Eléonore Blanc, amie de Flora Tristan remit le manuscrit à Jules Puech qui en publia certains passage dans son ouvrage "La vie et l'oeuvre de Flora Tristan", édité en 1925. Après sa mort en 1957, le manuscrit fut retrouvé en 1970 et publié trois ans plus tard sous son titre originel.

    "Le Tour de France. Etat actuel de la classe ouvrière sous l'aspect moral - intellectuel - matériel."

    Fort de cet enseignement trouvé au gré de nos recherches sur la toile, nous nous sommes mis en quête de vous faire partager des extraits de son passage à Carcassonne. Le récit ne manque pas de piquant sur l'attitude des bourgeois et des défenseurs locaux des luttes ouvrières. Flora Tristan arrivera dans la capitale audoise par le bateau-poste du Canal du midi et logera à l'hôtel Bonnet, 41 rue de la mairie.

    31 octobre 1844

    Il m'est arrivé ici la première inconvenance que j'aie eue à souffrir depuis mon départ de Paris. - Hier je rentre à minuit - je me couche et à deux heures je suis réveillée par une personne qui frappe à ma porte en me disant : - "Mme Flora Tristan, il y a là des hommes qui demandent à vous parler." - Je dis que je suis couchée, qu'on vienne demain. - On insiste, on prétend qu'ils ont quelque chose d'important à me dire. - Je leur dis de monter que je sache ce que c'est. - Je me lève, je jette un châle, j'entrebâille ma porte et je demande ce que l'on me veut - j'aperçois une grande figure pâle, ombragée de grands cheveux à la romantique pendant en désordre sur ses épaules. - Cette même figure me répond : - "Madame, nous sommes du groupe de fouriéristes de la ville de Carcassonne - nous avons appris votre arrivée ce soir et nous venons pour avoir l'honneur de causer avec vous concernant plusieurs points de la doctrine sur lesquels vous n'êtes pas d'accord avec nous." - "Messieurs, leur dis-je fort sèchement, l'heure est mal choisie - si vous voulez venir demain à midi, je serai à votre disposition pour discuter avec vous." Il reprit : - Mon Dieu, Madame, dix minutes seulement d'entretien nous suffiraient." - Ceci me fit comprendre que lesdits fouriéristes étaient ivres. - Je leur dis donc avec encore plus de sècheresse : - "Messieurs, je ne puis vous recevoir - à demain si cela vous convient." Quel supplice pour moi d'être obligée de fréquenter des gens qui me sont antipathiques par leur esprit, leur manières et surtout leurs moeurs. [...] Il est bien représenté le fouriérisme ici par des individus qui passent leur vie en orgies !

    La nuit a été fort orageuse après cette visite à 2 heures du matin - je me rendormais non sans beaucoup de peine mais voilà qu'à 4 heures du matin je suis réveillée de nouveau. Cette fois c'était par une musique épouvantablement bruyante, des clairons, trompettes, etc... et cela sous me fenêtres. Dans le premier moment je crus que c'était une sérénade que les individus de la nuit voulaient me donner. Je me lève - il faisait petit jour - j'entr'ouvre mon volet et la première figure que j'aperçois c'est encore cette mine pâle aux long cheveux sales de la nuit ! [...] Ce matin j'eus l'explication. dans l'hôtel loge le général et chaque dimanche on vient le réveiller par cette Diane. Comprend-on que 60 ou 100 voyageurs doivent être réveillés tous les dimanches à 4 heures du matin parce qu'il plaît à un général de se loger dans un hôtel garni !

    Lundi 2 septembre 1844

    Ah ! Cela ne marche pas et voici trois jours que je suis ici et je n'ai pas encore vu un seul ouvrier.

    Mercredi 4 septembre 1844

    Enfin j'ai vu hier soir une trentaine d'ouvriers réunis. Je ne peux pas juger du degré d'intelligence de ces hommes, car je n'ai pas pu les faire parler parce qu'ils ont été intimidés par la présence de 10 bourgeois chevaliers qui étaient venus là exprès pour les empêcher de parler et pour les intimider. Je suis très mécontente de cet Hugues Bernard*. Voilà un homme qui tient les ouvriers de la ville dans sa main et qui ne veut pas les éclairer.

    *Hugues Bernard était un jeune militant de 31 ans, fils d'un professeur et professeur lui-même à Carcassonne. Il faisait partie des sociétés secrètes et fut expulsé du territoire français le 5 avril 1852 par le gouvernement du Second Empire. Inquiété suite à l'attentat du 14 janvier 1858 contre le Prince-président Napoléon, il est prévenu d'attentat et se réfugie à Londres. (Source : ADA 11 / 1 M 426-431)

    Au lieu de se mettre à ma disposition, de m'aider - pas du tout, il a agi dans le sens contraire parce qu'il voit bien que je vais apporter une grande idée qui doit le renverser lui, le meneur en chef du département. C'est cet homme et ses pareils qui ont conçu pour le Midi un plan de révolte désastreux pour la France. Ces hommes veulent soulever tout le Midi depuis T... jusqu'à Avignon. Ils le peuvent parce qu'il y a peu de troupe. Ils disent au peuple que ce sera dans le but de délivrer Paris et Lyon et changer le gouvernement pour en mettre un à l'avantage du peuple - et toutes sortes de blagues que le malheureux peuple du Midi, ignorant, croit sans pourvoir examiner. Mais moi je vois bien ce que ces chevaliers désirent - soulever le Midi, des populations ignorantes, méchantes et féroces - c'est tout simplement établir la guerre civile. Ce serait rompre l'unité de la France. Ce sera faire un gâchis effroyable. Dans ce gâchis, ils trouveraient à pêcher - ces braves chevaliers - joueraient au comte de Provence - l'un se ferait chef militaire dans la province d'Avignon, l'autre de Nîmes - celui-ci se trouverait à Toulouse - cet autre à Montpellier. Oh ! ces gaillards se placeront bien. Ils auront bon gîte, bonne table partout - beaux habits galonnés, beaux chevaux - et tout ce train de maison au dépens de ce bon peuple qui, cette fois serait dupe pour tout en entier de ces farceurs de chevaliers.

    Partout dans le Midi, c'est de même ! C'est dégoûtant à voir de près. Des hommes qui se connaissent, se méprisent, se calomnient affreusement et vont souper joyeusement ensemble ! dans le Nord, il n'y a pas d'exemple d'une pareille prostitution. [...] Lorsque ces misérables chevaliers reconnaissent dans un ouvrier une grande et belle nature, ils s'empressent de corrompre cet ouvrier afin de s'en faire un instrument évitant qu'il devienne pour eux un obstacle. Oh ! ouvriers, il vaudrait mieux garder Louis-Philippe et M. Guizot pendant 300 ans que de tomber entre les griffes de ses misérables sous-bourgeois !

    A parler de cet avocat Marcou, honnête homme quoique doutant de tout ! Son respect pour le peuple - posé au point de ne pouvoir le servir ! - son exaltation en amour - sa faiblesse - se reprochant naïvement d'avoir fait deux Annuaires du département payés chacun 500 frs. Une naïveté très grande...

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    Jacques Théophile Marcou né en 1813 était le fils d'un professeur qui avait été le maître d'Armand Barbès. Militant du parti républicain sous la Monarchie de Juillet, il joua un rôle en 1848 et fut en 1852, inculpé pour l'affiliation à une société secrète et d'excitation à la guerre civile. Sa qualité de chef du parti socialiste le plus influent du département et d'ancien rédacteur du journal La fraternité, suffit à le faire expulser. Il vécut du 6 septembre 1870 jusqu'en 1871 à Barcelone. En 1880, il est député et devint sénateur en 1885, mais abandonna son rôle de leader de la gauche. Il fut également maire de Carcassonne. 

    Ce Fages et le trappiste Barbieux, homme rusé, perdu, dégoûtant ! Cet Escudier est un homme en son genre - un mot dit par lui le dépeint : "Que voulez-vous, Madame, un cheveu m'entraîne". Cet homme a tous les vices des civilisés de la pourrie civilisation - gourmand - débauché, dépensier, paresseux et pourtant son coeur n'est pas vicié. [...] Je donnerai 6 lignes à cet homme qui sort de l'ordinaire - un individu souillé de tous les vices de la civilisation et protestant énergiquement contre cette civilisation. Il faut l'entendre parler des Rolland (les Rolland sont les gens les plus riches de la ville et par conséquent les plus bêtes, les plus encroutés, les plus conservateurs et les plus ridicules de tous les épiciers de Carcassonne.

    Les Rolland étaient fabriquant de draps. Leur prospérité remonte à Antoine Rolland (1687-1787). La maison principale était à Carcassonne et fabriquait jusqu'à 12 000 pièces de draps par an. A la fin du XVIIIe siècle une crise économique compromit sérieusement cette prospérité et le XIXe siècle ne redonna pas à cette maison son lustre passé. Il reste aujourd'hui l'hôtel de ville de Carcassonne, appelé Hôtel de Rolland et qui leur a appartenu jusqu'en 1977.

    Marcou, Barbier, Fages et toute cette bande de vauriens, remplissent la même mission - et c'en est une - ils courent de café en café pour déblatérer contre les riches - ils les montrent au doigt, les signalent, les stigmatisent et les Rolland, avec tout leur or sont impuissants devant le jugement de ces vauriens, ils tremblent devant eux, n'osent entamer la discussion, les saluent lorsqu'ils passent, en un mot ils en ont peur. Ils ont raison, car les tirades, les moqueries, les jeux de mots des vauriens contre les riches, accumulent sur leurs têtes des haines implacables. Et le jour venu, les Rolland porteront leurs têtes devant les vauriens qui, à leur tour inexorables, ne leur feront pas merci.

    A l'ancienne manufacture royale

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    Notre seconde séance - 100 ouvriers - pas d'intelligence, aussi je n'ai su que leur faire une harangue révolutionnaire. [...] En résumé - sous le rapport moral assez bon - intellectuel mauvais - ordre politique - et par conséquent aujourd'hui très arriéré - matériel mauvais - des journées de 1,50 francs à 2 francs. Les femmes 60 centimes à 80.

    Un mot des actionnaires de la Manufacture royale (filage de laine) : "Madame Tristan est venue chez nous pour embaucher les ouvriers, mais nos ouvriers sont trop éclairés pour se laisser séduire par les promesses des charlatans politiques - ils s'en sont moqué et l'ont pris pour une sorcière." Voilà comment les maîtres font parler les ouvriers ! A dire deux mots de cette Manufacture, sale, dégoûtante ! 4 pouces de graisse sur le plancher. "Pour conserver les briques" dit le contremaître - cet homme gagne 50 francs par mois - il est entré là à 7 ans - sa fille y travaille déjà à 7 ans. Les petits enfants gagnent 8 sous, les filles 12-15-18-20 sous - les hommes 25-30 sous - 2 francs à 2,50 francs au plus - de longs chômages - le tout a un aspect dégoûtant - et certes les pauvres ouvriers n'ont pas l'air fort éclairés.

    A noter les propos et calomnies débités sur moi par les bourgeois aux ouvriers - des horreurs sur moi. Du reste ce qui a été dit partout : - "Elle a quitté son mari" - "Elle a été assassinée" - "Elle a eu des amants" - "Elle est saint-simonienne envoyée, etc... Tout ceci du reste dénote la corruption des habitants, car pour dire et croire à de pareilles calomnies il faut être soi-même fort corrompu. Ils disent que M. Escudier était resté chez moi jusqu'à 2 heures du matin et qu'il devait être mon amant. Les gens de ce pays, à ce qu'il paraît, ne peuvent pas croire qu'un homme reste chez une femme sans être son amant. A noter le vol de l'hôtel : 1 francs l'orgeat.

    En définitive cette ville de Carcassonne s'est montrée pitoyable. Les bourgeois assez riches pour avoir peur de moi et me calomnier. Les ouvriers assez lâches pour avoir peur de la pratique. Une seule personne s'est montrée assez bien. Et qui, grand Dieu, un agent subalterne de la police. Cet homme que je ne puis pas nommer, venant me prévenir un matin que l'on faisait un rapport sur moi et qu'on l'envoyait à Toulouse afin que la police ait l'oeil sur mes démarches dès mon arrivée.[...]

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    Cette ville m'a laissé de tristes souvenirs. Il n'est resté dans cette ville que 400 petits livres. Je pensais d'après ce qu'on m'avait dit qu'il en faudrait au moins 2000. Mais non, ils ne lisent pas. Les chevaliers se garderaient bien de leur dire : "Instruisez-vous".[...] Misérables chevaliers, c'est vous qui leur avez dit de ne pas lire, parce que vous savez fort bien que dès qu'ils sauront comprendre, ils vous rejetteront avec mépris et colère. Ce que disait Millet en parlant de Hugues Bernard :

    "Tenez, Madame Tristan, voilà ce qui nous dégoûte nous autres ouvriers - c'est de voir que tous ceux qui se posent comme nos défenseurs nous exploitent, se moquent et vivent à nos dépens - et empirent notre position par le mal qu'ils nous font. Nous autres ouvriers avons assez d'intelligence pour voir le jeu ignoble de tous ces farceurs-là, mais nous n'avons ni assez d'intelligence, ni assez de force pour les en empêcher."

    Je n'en finirai pas avec ce Carcassonne. M. Trinchant, avocat éminemment patriote révolutionnaire, etc. qui selon Saissac tient la ville de Carcassonne dans sa main - n'a pas voulu me recevoir - faisant dire qu'il était à la campagne. Que voulez-vous que je dise à cette femme qui est communiste ? Je réprouve ses idées. D'ailleurs, je ne me mêle plus de rien. 

    L'avocat Trinchant, né à Limoux en 1793, socialiste, fut membre du Club des Carmes fondé le 11 décembre 1848 par les actionnaires et les rédacteurs de la Fraternité, organe des doctrines socialistes. En 1837, Fages et Trinchant, avocats, sont traduits devant la Cour d'Assises de Montpellier pour avoir publié un écrit renfermant des offenses à la famille royale. En 1848, Trinchant joua un rôle actif à Carcassonne, il fut même préfet du 27 mars au 12 juin 1848. Il fut de nouveau préfet au début de la IIIe République, du 13 mars au 7 août 1871, succédant à son ami Marcou dans ces fonctions. Trichant est mort en 1887.

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    La tombe de Flora Tristan au cimetière de la Chartreuse de Bordeaux

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  • L'histoire du Grand hôtel Bonnet, rue A. Ramond

    Le Grand hôtel Bonnet a été fondé vers 1824 dans l'un des deux immeubles qui furent choisi pour loger le comte de Peyre et sa suite, lors de la tenue des Etats du Languedoc en 1701 à Carcassonne.

    Lettre de Louis XIV

    Chers et bien aimés, ayant ordonné la convocation et l'assemblée des Etats de notre province de Languedoc pour l'année présente en notre ville de Carcassonne au dernier jour d'Aoust prochain et à cette fin fait expédier nos lettres et commissions requises et nécessaires, nous vous en avons bien voulu donner avis par celle-ci et vous dire que vous avez à vous y trouver pour ouir les remontrances et propositions qui y seront faites par nos députés et sur icelles nous donner la satisfaction  que nous nous sommes toujours promise de votre fidélité et dévotion au bien de nos affaires et repos de notre royaume, ainsi qu'avez ci devant fait en bons et loyaux sujets, et n'y faites faute. Car tel est notre plaisir.

    Donné à Versailles le 10e jour de juillet 1701.

                                     Louis signé

    Dans le Carron Danty - compris entre les rues Pelisserie (Ramond), Saint-Michel (Voltaire) et les traverses des Orfèvres (Courtejaire) et Saint-Michel (Chartran) - les deux maisons furent remises en l'état pour un coût total de 1500 livres. La première avait appartenu aux Roux de Puivert et à la présidente Danty ; au XIXe siècle c'est la famille de Dominique Laperrine - époux de Pauline d'Hautpoul - qui en prit possession. A l'intérieur, on trouve un escalier datant de la Restauration.

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    Le N° 6 rue Chartran

    Le N° 6 de la rue Chartran appartenait en 1729 à Gabriel Maurel - conseiller - de la même famille des Maurel de la Pujade dont le père était marchand. En 1701, on l'avait fait communiquer avec la maison du futur hôtel Bonnet, dans laquelle coucha Charles de Groslée Virville, premier chambellan de SAR Gaston de France et lieutenant-général pour le roi en la province du Languedoc. Il était accompagné de François de Vissec, gouverneur de la Cité de Carcassonne. M. de Danty, maire perpétuel, fut chargé d'organiser cet évènement.

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    Au début du XIXe siècle, François Bonnet - traiteur de son état - fonde avec son épouse Marie Affigne, un hôtel de voyageurs au N°41 de la rue de la mairie, actuelle rue A. Ramond. Il transforme bien entendu l'ancien immeuble dans lequel, il offre également un service de bains. Le guide du voyageur de 1834 fait référence de l'établissement comme possédant bains, remises, écuries et bonne table. Le couple Bonnet peut compter sur l'aide d'Alphonse Bibent - Maître d'hôtel- marié à Victorine Bonnet et sur Irma Bonnet mariée à Achille Sarrail - le fils du Président du Tribunal de Commerce.

    Le personnel en 1851

    Montagné Pierre (Cuisinier / 24 ans)

    Cammat Paul (Cuisinier / 19 ans)

    Ourmet Paul (Garçon de salle / 30 ans)

    Calvairac Louis (Garçon de chambre / 32 ans)

    Galibert Guillaume (Garçon de salle / 24 ans)

    Galibert Pierre (Garçon de salle / 19 ans)

    Ruffié Raymond (Garçon d'écurie / 41 ans)

    Bouscasse Marie, son épouse

    Molinié (Fille de service / 65 ans)

    Paul Eléonore (Fille de service / 20 ans)

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    En 1854, l'hôtel Bonnet est dirigé par M. Rouan. En 1875, l'ensemble du mobilier et des voitures est venue aux enchères publiques.

    Le 1er octobre 1892, la gérance de l'hôtel passe entre les mains de Lucien Nartus - ancien chef de cuisine des plus grandes maisons bourgeoises. L'établissement refait à neuf entre dans la modernité sous l'ère de M. Reillat qui se verra décerner par le Touring Club de France, le diplôme d'hôtelier avec médaille d'argent. C'est l'âge d'or de l'hôtel, qui après avoir accueilli des notabilités comme M. de Lagrénée - ambassadeur de France en Espagne en 1850 - verra passer le cinéaste Louis Feuillade avec sa troupe en 1908 et l'aviateur Jules Védrines en 1911.

    Un an après, M. Fourcade rachète l'hôtel qui possède le chauffage central, des salles de bains, une grande salle de dîner, le garage et des omnibus pour tous les trains. Malheureusement, la Grande guerre va interrompre l'activité hôtelière, puis y mettre un terme. A partir du 23 avril 1915 et jusqu'au 20 décembre 1918, le Grand hôtel Bonnet et ses 118 lits sert d'abord d'annexe N°51 puis d'Hôpital de campagne.

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    Aujourd'hui, les Affaires de sociales de la ville de Carcassonne occupent les locaux de l'ancien Hôtel Bonnet. Il reste encore dans la cour quelques vestiges de son prestigieux passé. Nous espérons contribuer à faire connaître l'histoire oubliée de Carcassonne qui mériterait bien autre chose que ce qu'elle est devenue...

    Sources

    La presse locale

    Mémoires de la Soc des Arts et Sciences / 1909

    ADA 11 (Etat-civil et recensement) 

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