Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 12

  • En une lettre, la France du maréchal Pétain en 1942

    Quand un état, quel qu’il soit, promulgue des lois raciales et institut le droit pour tout citoyen de dénoncer ses compatriotes touchés par le bras séculier de ces textes, voici les dérives que l’on peut attendre. L’histoire que nous allons vous raconter se passe au mois de mai 1942. À cette époque, la France a perdu honteusement une guerre qu’elle avait largement les moyens de remporter. La lâcheté des gouvernants pacifistes au pouvoir a cru pouvoir arrêter la machine infernale du nazisme par un traité, abandonnant les démocraties de l’Est à leurs bourreaux. Un armistice fut signé en juin 1940, puis la République abandonna son honneur pour le livrer à un maréchal de France cacochyme et antisémite. A partir de ce triste jour, l’État français, ainsi débarrassé des valeurs républicaines, entra dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne hitlérienne en concédant une partie de son territoire à son administration. De nombreux français de confession israélite durent passer en zone Sud pour se mettre à l’abri. Ils pensèrent légitimement que le gouvernement, installé à Vichy, ne s’en prendrait pas à ses compatriotes, dont la plupart avaient servi sous le drapeau tricolore dans les tranchées de Verdun. Nous sommes parti pour rédiger cet article d’une simple lettre figurant dans un dossier conservé aux Archives départementales de l’Aude.

    Capture d’écran 2024-02-06 à 09.26.56.png

    Fuyant Paris, occupé par la horde brune germanique, les époux Caen et leur fille Huguette  (1914-2010) parvinrent à passer la ligne démarcation. Ils venaient de laisser derrière eux leur logement cossu du XVIIe arrondissement, l’entreprise de confection et l’ensemble de leurs clients. Sarah née Schwab (1890-1968), la femme de Georges (1883-1944), déclara au Comité d’épuration de l’Aude en novembre 44 :

    « Nous nous sommes réfugiés à l’exode à Villeneuve-sur-Lot où, en raison de nos origines essentiellement française et des états de service de mon mari, Vichy n’a pas pu nous refuser l’autorisation de nous réinstaller, bien modestement d’ailleurs, afin de faire vivre nos enfants. »

    Là, dans petite cette bourgade du Lot-et-Garonne, Georges Samuel Caen relocalisa sa société qu’il appela « Textiles et confections du Sud-Ouest ». Il employa des ouvriers et des apprentis, jusqu’au jour où Fernand Nicolas, le père de l’un d’eux eut à se plaindre de leur patron. Une lettre lui fut adressée le 19 mai 1942 dont nous donnons copie ci-dessous :

    Monsieur Georges Caen,

    En réponse à votre drôle de lettre du 11 courant adressée à mon fils, je vous dirai que ce dernier a eu tort de correspondre avec vous étant fixé maintenant sur votre personnalité.

    Mon fils n’est pas un enfant d’israël (d’ailleurs, je déteste cette maudite race qui nous a fait tant de mal et qui doit disparaître totalement de France : je travaille de tout coeur à cette épuration) pour se laisser manier par vous.

    Vous n’avez pas honte ! Vouloir exiger un travail impeccable pour un veston en offrant 89 francs la pièce, alors qu’un tailleur de 8e ordre donne pour le même travail 130 francs. Vous dîtes que vous cherchez des ouvriers et des non des entrepreneurs. Cela est faux, car vous cherchez des poires.

    À l’époque quand vous étiez à Paris et Angers, c’était la belle vie, il est vrai que c’était le règne des Blum, des Gozland, des Zorbib, des Adda, des Cohen, etc…. Mais cela a changé grâce à notre vénérable maréchal Pétain. 

    Je fais suivre votre lettre à Vichy à M. Vallat, chargé de la Question Juive, pour savoir si vous êtes en règle car vraiment vos réserves sont typiques.

    Salutations

    Capture d’écran 2024-02-05 à 20.59.54.png

    L’affaire se passe à la fin du mois de mai 1942 ; les Allemands n’envahiront la zone non occupée que le 11 novembre de la même année. Donc, nous sommes toujours sous administration française à Villenueve-sur-Lot. En septembre, Georges Samuel est arrêté chez lui par la gendarmerie et conduit au camp de Pithiviers en région parisienne. Le 21 septembre, il est livré aux nazis et déporté par le convoi n°15 à destination d’Auschwitz dans des wagons à bestiaux de mille personnes. Parmi elles, des femmes et des enfants qui sont assassinés à leur arrivée, deux jours après. Georges Samuel Caen, désigné apte au travail forcé, survit un mois. Il meurt le 25 octobre 1942.

    Capture d’écran 2024-02-06 à 09.14.48.png

    L'arrivée des déportés à Auschwitz

    Sarah et ses enfants furent épargnés, sans que l’on en connaisse la raison. Ils se réinstallèrent à Paris après la guerre. Huguette, leur fille, s’était mariée avec André Paul Blum. De leur union naquit Martine en 1939 à Paris et Alain (1940-1987) à La Baule. Le traumatisme d’avoir été ainsi pourchassés en raison de leur religion poussa la famille à solliciter un changement de nom. Le 1er mars 1946, les Blum devinrent Brieu. 

    Sources

    ADA 11, Etat civil de Paris et de Vesoul, YadVashem, Généanet

    ______________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2024

  • "Shayt iz toyt" : "Le silence, c'est la mort, en yiddish.

    Communiqué de l'Agence France Presse, repris par de nombreuses rédactions en France et à l'étranger, à l'issue de la cérémonie en mémoire des mineurs juifs raflés le 31 janvier 1944 à Salsigne.

    France 24, Orange Actu, France Inter, France 3 Occitane, Times of Israel, Le Monde.

    Ces mineurs, venus de Roumanie, de Hongrie, d'Allemagne et de Pologne pour fuir le nazisme, avaient été arrêtés le 31 janvier 1944 par des soldats allemands guidés par un interprète français. Douze d'entre eux mourront au camp d'Auschwitz, où ils sont déportés quelques jours plus tard. Puis, plus rien. Le silence pendant des décennies. Jusqu'à septembre 2016, lorsque Martial Andrieu raconte leur histoire sur son blog. Après un décret ordonnant l'ouverture d'archives, ce chanteur lyrique et historien amateur de 52 ans s'intéresse au procès en juillet 1945 de René Bach, un Alsacien accusé de collaboration. C'est lui qui, travaillant avec la Gestapo, se trouve avec les militaires allemands lors de la rafle de Salsigne.

    Capture d’écran 2024-02-02 à 11.18.56.png

    © Lionel Bonaventure / AFP

    Martial Andrieu, né à Carcassonne, à une quinzaine de kilomètres de la mine d'or, déniche dans ces archives plusieurs témoignages, dont ceux du seul survivant et d'un autre mineur juif ayant réussi à se cacher, qui lui permettent de reconstituer le drame.

    Roses jaunes

    Mais il faut attendre encore deux ans pour que son récit attire l'attention d'un habitant des environs, Frédéric Ogé, 72 ans, ancien chercheur au CNRS, qui alerte l'un de ses amis ayant travaillé à la mine, la plus grande d'Europe, jusqu'à sa fermeture en 2004.

    Ce dernier, Robert Montané, 70 ans, n'est pas juif, mais veut rendre hommage à ces camarades ouvriers dont il ignorait l'existence. Il dépose un bouquet de roses - jaunes comme l'étoile de David - devant le monument "à la mémoire des mineurs et métallos de la montagne Noire" le 4 décembre 2018, jour de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs, puis chaque année après ça.

    Capture d’écran 2024-02-02 à 11.20.46.png

    © Lionel Bonaventure / AFP

    Frédéric Ogé (d), ancien chercheur au CNRS, et Robert Montané, ancien mineur, devant le mémorial des mineurs de Salsigne pour honorer la rafle oubliée de treize mineurs juifs en janvier 1944, le 31 janvier 2024 dans l'Aude

    Ce 31 janvier 2024, il n'est plus seul à se tenir là. Il remercie, ému, une petite foule d'habitants, d'élus et de membres de communautés juives des alentours, avant de donner la parole à Yossy Alves, secrétaire général de l'association Culture et patrimoine juifs de Narbonne.

    C'est cette association qui, sous l'impulsion de MM. Ogé et Montané, a organisé la commémoration de la rafle de Salsigne, 80 ans jour pour jour après le drame.

    Les deux septuagénaires et Martial Andrieu - absent pour cause de concert à Limoges - "ont lutté contre l'oubli du temps et de la honte", salue Yossy Alves.

    "Shayt iz toyt", dit-il encore. "Le silence, c'est la mort, en yiddish."

    "Frères en humanité"

    "On le leur devait", déclare à l'AFP M. Montané. "Ils sont morts par la barbarie et la connerie humaine de ceux qui les ont dénoncés."

    "Le malheur, c'est que certains ont été envoyés à la mort parce que c'étaient des êtres humains de confession israélite, et ils ont été oubliés", regrette quant à lui M. Ogé.

    Derrière un champ de panneaux solaires, on aperçoit au loin le chevalement rouillé du puits Castan, vestige de l'époque où les hommes fouillaient encore les profondeurs en quête d'or.

    Capture d’écran 2024-02-02 à 11.24.23.png

    © Lionel Bonaventure / AFP

    "Robert, Frédéric, Martial, je me permets de vous appeler par vos prénoms car pour moi, aujourd'hui, vous êtes des frères de mémoire", lance la rabbin Ann-Gaëlle Attias, avant de prononcer le kaddich.

    "Rien ne vous obligeait à honorer (...) la mémoire de ces treize ouvriers qui n'étaient ni de votre religion, ni de la même nationalité que vous. Vous avez su voir en eux vos frères en humanité."

    A la fin de la cérémonie, la foule s'avance pour déposer, une à une, les roses jaunes distribuées par Frédéric Ogé.

    Robert Montané n'en est pas. Rejoint dans le devoir de mémoire par ces dizaines de personnes, il se tient fièrement sur le côté, parmi les quatre porte-drapeaux.

    © AFP / 2024

    Il n'est pas de plus belle émotion pour un passionné d'histoire comme moi, que de voir son travail bénévole récompensé de la sorte. Tous mes remerciements à Frédéric et à Robert car, sans leur opiniâtreté, il n'y aurait jamais eu d'hommage et encore moins cette audience nationale.

    ___________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2024

  • Le domaine de Romieu, du XVIIe siècle à aujourd'hui

    La Métairie de Brons, ainsi dénommée sur un plan de 1679, avait été bâtie sur un ancien oppidum romain à la sortie de la ville en direction de Bram, non loin de la voie romaine. En 1852, le procès verbal de la séance de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne nous renseigne sur la découverte d'une mosaïque romaine lors de travaux de défoncement à cet endroit, dans la partie la plus basse de l'Estagnol. D'après nos recherches, la métairie aurait appartenu au sieur Jean Brons, huissier de justice seigneuriale de Conques.

    Capture d’écran 2024-01-30 à 14.53.38.png

    Carte de Cassini de 1740

    À une date que nous ne sommes pas en mesure de préciser, la métairie de Brons devint Romieu. On peut tout même situer le changement de propriétaire entre 1729 et 1740, grâce à deux cartes. Marc-Antoine Romieu (1706-1786), marchand drapier de son état, en devint l'acquéreur. Fils de Pierre Romieu, ancien Consul de Carcassonne,  il avait épousé Catherine Marragon (1728-1775), la fille d'un autre riche fabricant de draps. Comme la majeure partie des riches bourgeois de la ville, les époux Romieu résidaient dans une belle demeure de la Bastide en laissant le travail de leurs propriétés à des métayers. C'est donc ainsi que le domaine prit le nom de Romieu.

    Capture d’écran 2024-01-30 à 18.45.44.png

    Après la Révolution française, le domaine de Romieu passa entre les mains de la famille Maraval qui le conserva une centaine d'années. Juges au tribunal civil et d'une grande fortune, ils n'eurent pas le désir de modifier à nouveau l'appellation du domaine. Ils transformèrent leurs terres en vignes, au milieu du XIXe siècle, comme l'ensemble des propriétaires audois. Sous la houlette de Joseph Maraval (1881-1954), véritablement passionné d'agriculture et d'irrigation, son domaine se rendit célèbre grâce aux expérimentations des nouvelles machines. A la fin du XIXe siècle, la crise du Philloxéra entraîna progressivement la ruine des exploitants.

    Malgré son mariage en 1907 avec Marie Antoinette Fondi de Niort, Joseph Maraval ne parvint pas à maintenir les comptes de son exploitation à flot. Un beau parti pourtant que la fille du Conseiller général réactionnaire du canton de Niort-de-Sault. Un opposant farouche à République laïque, ce Marcien Fondi de Niort ! Anti-Dreyfusard, soutien des ligues monarchistes et contre les aides aux classes laborieuses. Ses prises de positions, très brillantes d'un point de vue intellectuel, nourrissaient tous les combats contre les radicaux-socialistes dans le Courrier de l'Aude. Seul Dieu trouvait de grâce à ses yeux. D'ailleurs le mariage de sa fille avec Joseph Maraval fut assez rocambolesque. Célébré dans l'église de Grèzes par Mgr de Beauséjour, il fut l'objet d'un procès pour lequel l'évêque fut condamné à 50 francs d'amende. La loi interdit tout mariage religieux avant de passer à la mairie.

     Joseph Maraval, trop dispendieux et passionné par ses courses de chevaux, n'eut pas d'autre choix que de vendre son domaine à Germain Gazel, après la Première mondiale. Déjà en 1901 de grandes parcelles avaient été  cédées à la ville de Carcassonne pour la construction d'une terrain militaire, puis en 1936 du Stand de tir. Triste fin pour M. Maraval qui dut finir ses jours dans un appartement à Toulouse. Le domaine de Romieu appartient toujours à la petite-fille de Germain Gazel. 

    Capture d’écran 2024-01-30 à 18.36.07.png

    Autrefois, on accédait au domaine depuis le Canal du Midi directement par un chemin. C'était bien plus simple pour débarquer ou embarquer les futailles directement sur les péniches. La construction de la rocade a bouleversé ce tracé historique.

    ____________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2024