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Evènements

  • Sur la trace du tableau "L'entrée de Louis XIII dans Carcassonne" disparu en 1793

    Le 25 septembre 2020 la presse régionale se fit fait écho d’une extraordinaire acquisition réalisée par le musée des Augustins de Toulouse. Ce dernier venait de mettre la main sur le fragment d’un tableau vendu aux enchères aux Etats-Unis, dont tout laissait penser que le peintre pouvait être Nicolas Tournier. Après expertise, le conservateur du musée attribua la toile à ce maître du caravagisme qui s’était établi à Toulouse à partir de 1628. Il pourrait s’agit selon toute vraisemblance d’un fragment de La bataille de Constantin contre Maxence, découpée façon puzzle par des marchands et revendue sur le marché de l’art. Toujours d’après les experts, une pratique assez courante. Ce qui nous interpella, c’est l’autre hypothèse avancée par le conservateur du célèbre musée toulousain : « Il n’a pas écarté l’idée que le fragment pourrait appartenir à un autre tableau de Nicolas Tournier, Un tableau de la période toulousaine, languedocienne, éventuellement une composition mythique, « L’entrée de Louis XIII à Carcassonne » qui a été détruit et que personne n’a jamais vu. »

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    Le fragment acquis par les Augustins de Toulouse en 2020

    À partir de cette information, nous nous sommes mis en quête de rechercher si les soupçons d’Axel Hémery pouvaient coller avec le fragment. Un tableau détruit et que personne n’a jamais vu, voilà qui ne manqua d’attiser notre curiosité… En feuilletant les délibérations du conseil général de la commune de Carcassonne pendant la période révolutionnaire, nous avons appris que ce tableau existait bien. Au moins, jusqu’au 1er février 1792. À cette date, l’assemblée municipale est saisie par l’un de ses membres « qu’un artiste, arrivé depuis quelques jours à Carcassonne, offre de réparer à bon marché le grand tableau qui se trouve dans la grande salle, représentant l’entrée de Louis treize dans Carcassonne. » De quelle grande salle s’agit-il ? Cela ne peut être que la salle des fêtes de l’ancienne maison consulaire de Carcassonne. Autrement dit, l’hôtel de ville détruit au début des années 1930 par la municipalité d’Albert Tomey. Ceci se trouve confirmé par une autre délibération du 12 décembre 1755 provenant des registres de l’Hôtel de ville, dont la copie est reproduite dans le Cartulaire de Mahul : 

    « A été dit que M. l’Intendant ayant bien voulu, par son ordonnance du deux septembre dernier, autoriser les sieurs Maire et Consuls à traiter avec le sieur Despaz, fameux peintre de la ville de Toulouse, pour la réparation du tableau placé à l’Hôtel de ville, représentant l’entrée de Louis XIII à Carcassonne, ce peintre se serait rendu en cette ville dans le mois de novembre dernier, pour le vérifier et reconnaître les réparations dont il était susceptible : qu’il en adresserait rapport le 9 du mois de novembre : et ce même jour il est convenu avec lui qu’il se chargerait de toutes les réparations de ce tableau détaillées dans son rapport, au moyen d’une somme de 684 livres, qui lui serait payée après que l’ouvrage aurait été reçu par MM. Pech de Saint-Pierre et Rivalz fils, habitants de ville, connaisseurs et amateurs en peinture et en sculpture, qui seraient priés par le Maire, Lieutenant de maire et Consuls, de vouloir procéder à cette réception : qu’ils ont proposé en conséquence à ces deux Messieurs de vouloir se charger de cette réception, ce qu’ils ont eu la complaisance d’accepter ; qu’en conséquence il s’agit de poursuivre l’autorisation de Mgr l’Intendant ; comme aussi il est mis en délibération si on agréerait l’offre du sieur Lacombe doreur de cette ville, de dorer le cadre dont le sieur Depaz s’est chargé d’orner le tableau, pour le prix de 288 livres, et de prendre les deux sommes sur le fonds de la subvention à la charge de la remplacer. »

    Le restaurateur dont il est question n’est autre que Jean-Baptiste Despax (1710-1773), artiste peintre toulousain. Élève d’Antoine Rivalz, il avait épousé sa fille. Pierre Viguerie écrit :

    « Le tout fut exécuté, puisque chacun voir encore (1789), avec beaucoup d’intérêt et de satisfaction, cet immense tableau bien réparé et orné d’un cadre sculpté bien doré. Il est surprenant que le corps municipal de Carcassonne n’ait pas eu l’attention de nous laisser le nom de l’excellent artiste qui fit le tableau dont il s’agit. »

    Cette question dont personne ne détient encore aujourd’hui de réponse pourrait trouver une réponse dans les archives des sieurs Despax et Rivalz, si elles sont conservées à Toulouse. En qualité de restaurateur, Despax a sûrement consigné quelque part dans son rapport le nom de l’auteur de la toile. Nous aimons à penser que la solution de l’énigme se trouverait dans quelque tiroirs de la ville rose. Jusqu’à présent, les historiens de l’art ont toujours émis l’hypothèse que Nicolas Tournier en serait le géniteur. En effet, le célèbre peintre Franc-Comtois a vécu à Carcassonne de 1622 à 1627. C’est sans doute ce qui amène le conservateur du musée des Augustins à songer que fragment puisse aussi venir du tableau Carcassonnais. 

    Toutefois, cette idée se retrouve battue en brèche. L’historien Jean-Bonnet prétend qu’il fut matériellement impossible à Tournier de peintre un tel tableau alors qu’il réalisa plusieurs commandes dans ce même temps. Rien ne permet d’étayer l’une et l’autre des affirmations puisque, d’après le conservateur, « L’entrée de Louis XIII dans Carcassonne » a été détruite et que personne ne l’a jamais vue. Qu’en est-il vraiment ? Pierre Viguerie (1737-1813) l’a vu. L’historien nous en donne une description précise dans son ouvrage « Annales ou histoire ecclésiastique et civile de la ville et du diocèse de Carcassonne, rédigé avant la Révolution.

    « Le lieu de réception est hors de la ville, auprès de la porte dite de Toulouse : on y voit deux grands ormeaux, et sur un plateau plus élevé, deux moulins à vent, situés sur la partie des remparts qui borne la ville au sud et à l’ouest.

    Au milieu du champ, Louis XIII adolescent, coiffé d’un chapeau surmonté de plumes blanches et dont une aile est abaissée, vêtu d’un pourpoint de taffetas blanc, sur le devant duquel se croisent le cordon bleu et un baudrier auquel pend l’épée renfermée dans un fourreau de couleur pourpre, s’avance vers la ville, monté sur un superbe cheval blanc, richement harnaché ; à sa droite marchent deux hérauts d’armes, revêtus de leur cotte-maille, dont la partie inférieure est chammarée de diverses couleurs disposées par bandes obliques et dans lesquelles le bleu domine : l’un tient la bride du cheval de M. De Montmorency, l’autre semble adresser la parole à un hallebardier qui est vis-à-vis de lui. Le Roi est escorté par deux hallebardiers, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, vêtus de pourpoints violets, recouverts de casaques en forme de dalmatique, de satin blanc bordées de la même couleur : ils tiennent d’une main une hallebarde appuyée sur l’épaule, de l’autre un chapeau noir orné de plumes de couleur aurore. Devant le Roi est le Duc de Montmorency, qui a mis pied à terre ; il est décoré du cordon bleu, vêtu d’un pourpoint blanc brodé en or, d’un haut-de-chausse fond noir fleuri, et tient d’une main un chapeau noir orné de plumes blanches, de l’autre il présente au Roi les quatre Consuls (qui étaient alors M. Bernard de Reich, seigneur de Pennautier, MM. Antoine Camus et jean Maffrre, bourgeois, et Jean Julia, marchand), vêtu de robes rouges, la tête découverte et à genoux (à l’exception de M. De Reich qui, en qualité de gentilhomme ou de noble n’a qu’un genoux fléchi), suivis du greffier et du Clavaire de l’Hôtel de ville, en habit noir : ils offrent au Roi un dais de brocatelle fond rouge, dont les quatre soutiens bleus sont portés par autant de valets de ville, et un huissier en robe noire. Plus loin, on aperçoit les Avocats et les Bourgeois qui ont accompagné les Consuls.

    Après le Roi, marchant quatre seigneurs à cheval, décorés de cordons bleus : le premier, qui paraît âgé d’environ 70 ans, est vêtu d’un pourpoint rayé de noir et de jaune, de gauche à droite ; il porte la croix de l’ordre du Saint-Esprit attachée à deux rubans bleus réunis au-dessous de la poitrine ; près de lui marche un écuyer, vêtu d’un juste-au-corps rouge, ayant un haut-de-chausse rayé par bandes rouges et noires, tenant sous le bras un chapeau blanc qui pend avec grâce vers la terre, et de l’autre la bride d’un beau cheval alezan dont les crins blancs flottent sous l’encolure. Le troisième, âgé d’environ quarante-cinq ans, a près de lui un écuyer, vêtu d’un pourpoint fauve auquel tiennent des manches d’une étoffe de soie brochée en or, son haut-de-chausse est de couleur écarlate, il porte à la main un chapeau noir orné de plumes ponceau, et il est tourné vers le cavalier dans l’attitude de quelqu’un qui reçoit ses ordres. La quatrième figure est celle d’un homme d’environ 25 ans, magnifiquement drapé de velours vert brodé de galons d’or, doublé de velours cramoisi ; ses bottes sont de couleur violette."

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    Le Bastion des moulins ou de la Tour grosse

    Le 14 juillet 1622, la ville basse — par opposition à la ville haute qu’est la cité médiévale — se trouvait uniquement à l’intérieur des remparts qui la ceinturaient. La porte de Toulouse, lieu de réception de Louis XIII, était située tout en haut de la rue de Verdun. On aperçoit deux moulins à vent sur la partie des remparts qui borne la ville au sud et à l’ouest. Il s’agit selon toute vraisemblance du Bastion des Moulins — aujourd’hui, Bastion du Calvaire — à l’extrémité sud-ouest des remparts de la ville basse. La Roi adolescent, ne doit pas être entendu au sens actuel. La majorité depuis Henri III avait été fixée à 25 ans pour les hommes. En 1621, le jeune Louis XIII n’avait que 21 ans. Historiquement, il est parfaitement crédible que le Roi soit positionné à la porte de Toulouse. Quelques jours avant, lui et ses troupes, avaient soumis par la force la ville protestante de Nègrepelisse près de Montauban. La totalité de la population y avait été passée par l’épée et le bourg incendié. Louis XIII que l’on représente en majesté sur ce tableau, n’avait pas des intentions pacifiques. Il venait s’assurer de la loyauté de la ville. Il y fut reçu par les Consuls dont Bernard Rech de Pennautier, le protecteur du peintre Nicolas Tournier qui réalisa son portrait. C’est sans doute ce qui laissa supposer que l’artiste fût l’auteur de la toile. Nous savons qu’en 1632 à Narbonne, les Consuls de la ville lui demandèrent de les représenter entourant le roi Louis XIII. 

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    © Chateau de Pennautier / Lorgeril

    Bernard Rech de Pennautier par Nicolas Tournier

    Le tableau de la salle des fêtes de l’hôtel de ville de Carcassonne a t-il été détruit ? Nous savons qu’en 1792, il s’y trouvait encore et qu’une restauration était en projet. Dans la délibération communale du 6 février 1794, on apprend la chose suivante :

    « Qu’il sera placé sur la cheminée de la grande salle de la maison commune un tableau représentant la République sur un piédestal sur lequel seront inscrits ces mots : « Acte constitutionnel et le 1er article des Droits de l’homme. Le Conseil général charge le citoyen Germain de faire ce tableau et l’autorise à y ajouter tels arguments que le génie de son art lui inspirera. »

    Qui était donc ce Germain ? Selon nos recherches, il pourrait bien s’agir de Bernard Germain (1756-1845), le grand oncle du compositeur Chaurien Pierre Germain. Bernard Germain avait pour ami le peintre Jacques Gamelin, qui lui confia plus tard de le seconder dans sa classe de dessin au collège de la ville. Germain savait donc peindre et sa relation avec Gamelin a une importance pour ce qui va suivre. On peut légitimement considérer que le tableau royal ne se trouvait plus en 1794 sur la grande cheminée de la salle des fêtes. Où était-il donc passé ? Dans une autre délibération en date du 10 août 1793, il est dit :

    « Jour de la Fédération, il fut dressé un échafaudage pour brûler tous les monuments, bannières, drapeaux portant quelque marque de la royauté, ainsi que les titres de féodalité. » Sur la table des matières, on trouve cette phrase : « Brûlement des tableaux de la royauté. »

    Difficile d’envisager que la toile ait pu échapper à la tourmente de la terreur révolutionnaire. S’il restait une chance qu’il ait pu triompher de l’autodafé, elle s’évanouit à la lecture de Mahul dans son Cartulaire :

    « Le tableau de l’entrée de Louis XIII dans Carcassonne a été brûlé en 1793, avec divers titres et papiers des Archives de l’Hôtel de ville, réputés monuments et souvenirs de la monarchie et de la féodalité. Cet acte de vandalisme fut exécuté sur l’emplacement, de forme irrégulière, situé en face de la Porte des Jacobins, entre le flanc nord de l’édifice des casernes et l’entrée du faubourg de Laraignon. »

    Autrement dit, sur l’actuelle place du général de Gaulle. Cette destruction précéda celle des archives de la Cité médiévale, au mois de novembre 1793.

    Revenons à Jacques Gamelin et à son ami Bernard Germain… Mahul précise qu’il est de tradition que le peintre Gamelin, sous un prétexte accommodé à la folie de l’époque, obtint de décoller, au couteau, les têtes des personnages du tableau, qu’il aurait sauvé de la destruction, et à l’aide desquelles il aurait exécuté, de souvenir, une esquisse de l’entier tableau. On ignore ce que seraient devenues ces précieuses reliques historiques.

    Faut-il donc conclure que le fragment récemment acquis par le musée des Augustins, pourrait provenir du découpage de notre toile, effectué par Gamelin en 1793 ? Notre réponse est formelle. C’est non. Pierre Viguerie termine sa description de « L’entrée de Louis XIII dans Carcassonne » par cette phrase : « Il faut remarquer que toutes les figures du tableau, excepté celle du Roi, ont la tête découverte. » Si l’on s’attarde sur le fragment, l’évidence nous saute aux yeux. Plusieurs hommes sont coiffés de chapeaux et de casques. Il ne peut donc s’agir de notre tableau royal. Il ne reste plus qu’à espérer, qu’une esquisse de Gamelin veuille bien se signaler comme étant la copie du tableau brûlé le 10 août 1793 à Carcassonne. 

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  • Le voyage du Marquis de Paulmy à Carcassonne et l'embellissement de la ville

    Parti de Paris le 1er juillet 1752 pour inspecter les places militaires méridionales de la France, le Marquis de Paulmy (1722-1787) traversa les provinces du Dauphiné, de la Provence, du Languedoc et du Roussillon. En carrosse, à cheval où sur les canaux, ce périple de 805 lieues soit 3800 kilomètres, amena le Secrétaire d’État de la guerre à s’arrêter dans de très nombreuses bourgades et villes fortifiées, parfois pour quelques jours ou, le plus souvent, pour quelques heures. L’ensemble de son parcours et de ses étapes est scrupuleusement détaillé dans la carte ci-dessous - collection particulière du marquis, conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal.

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    © Bibliothèque de l'Arsenal

    On ne saurait trop imaginer de nos jours toutes les contraintes liées à l’intendance et aux méandres de chemins peu assurés, ni forcément carrossables. Voyez un peu que son équipage fut en voyage jusqu’au 29 septembre, date à laquelle il s’en retourna à Fontainebleau.

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    Antoine-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, en provenance de Perpignan où il séjourna trois jours, traversa d’abord Narbonne avant de dîner à Barbaira. Il ne rejoignit Carcassonne que très tard dans la soirée et y passa la nuit du 15 septembre. Le lendemain, après avoir été accueilli par le maire et les consuls, il s’en alla inspecter la Cité et les casernes. C’est à cette occasion que le maire perpétuel, M. Beseaucèle, lui présenta une requête émanant de l’ensemble des consuls. Dans le cadre des projets d’embellissement de la ville, une nouvelle porte devrait être substituée à celle des Jacobins. Toutefois, afin de parvenir à ce remplacement, il conviendrait de démolir la demi-lune qui obstrue désormais l’entrée de la Ville basse. Appelée également ravelin ou boulevard, cette fortification avait été construite au XVIe siècle en même temps que les quatre bastions. Les Carcassonnais la nommaient le « Petit Quay ». On retrouve fréquemment dans l’architecture militaire de Vauban, ce type d’ouvrage défensif. 

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    © ADA 11

    Emplacement de la demi-lune devant la Porte des Jacobins 

    M. Beseaucèle ne manquait pas d’arguments afin que M. le marquis intercédât auprès du roi en faveur de sa requête. Après lui en avoir présenté le plan, il mit en avant le côté obsolète de cet ouvrage, pratiquement ruiné, en raison du déplacement de la frontière depuis le traité des Pyrénées. Avant de reprendre la route en direction de Castelnaudary, le ministre de la guerre de Louis XV promit d’en référer à M. Maréchal, ingénieur de la province du Languedoc. Il repartit de Carcassonne avec sa suite le 16 septembre 1752 au petit matin et entra dans la cité chaurienne où l’attendait le régiment d’Anjou et le 1er bataillon du régiment de Bourgogne. Il s’en retourna le lendemain, passa par Villepinte, dîna à Villedaigne et séjourna une nuit à Narbonne. C’était le 17 septembre 1752 ! Il faudra attendre plusieurs mois avant qu’une réponse ne soit donnée aux consuls de Carcassonne. Elle interviendra de la plume même du marquis, le 10 mars 1753 et sera notifiée à l’Ingénieur du Languedoc :

    « J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le 14 du mois dernier, à l’occasion de la permission que demandent les maires et consuls de la Basse ville de Carcassonne, de faire démolir la demy lune Cottée 35. D’après votre avis, le roy trouvera bon qu’elle soit détruite. Je vous prie d’informer les magistrats de cette décizion ».

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    Nous avons recréé à l'échèle l'emplacement exact de cette fortification. La partie située à l'Est s'étendait sur cent mètres de long ; à l'intérieur on avait installé une glacière. Il faut imaginer également les fossés de la ville sur l'actuel Boulevard Barbès et Roumens.

    Malgré cette réponse satisfaisante, les consuls décidèrent d’attendre avant de mettre leur projet à exécution. Il fallait d’abord trouver une utilité aux matériaux récupérés sur cette démolition. La délibération municipale du 6 juillet 1758 proposa de créer un nouveau chemin depuis le boulevard dit « de l’exécuteur » jusqu’à la Porte des Cordeliers. Dans le même ordre idée, on fixa la réparation les réparations que l’évêque souhaitait réaliser depuis la Porte des Cordeliers jusqu’au Bastion dit de Montmorency.

    Il s’agit de l’actuel boulevard Jean Jaurès, au bout duquel se trouvait le Bastion dans lequel vivait le bourreau, et de l’entrée de la rue de Verdun vers l’autre Bastion Montmorency sur le boulevard Camille Pelletan.

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    Le comblement des fossés côté boulevard Jean Jaurès

    Ce deux chemins devant s’étendre sur une partie des anciens fossés qui servait à écouler les eaux de la ville, Garipuy - Directeur des chemins de la Province - résolut d’éloigner ces fossés des remparts en les transportant sur le côté opposé. Ne resteront près des remparts que sept aqueducs découverts, servant à écouler les eaux dans les dits fossés. En conséquence de quoi, ils seront recouverts et les anciens fossés comblés par les matériaux provenant de la destruction de la demi-lune des Jacobins. On céda ces matériaux à Pélissier et une somme de plus de 3000 livres pour les travaux. Si l’on creusait sous le boulevard Jean Jaurès, on retrouverait peut-être une partie des pierres de la fortification de la Porte des Jacobins.

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  • L'inauguration du Canal des deux mers dans Carcassonne, le 31 mai 1810

    M. De Basville, intendant de la province de Languedoc, après avoir parlé dans on mémoire du 31 décembre 1698, de la perfection de l’œuvre de l’immortel Riquet de Caraman, ajoutait : « Comme il est impossible de ne pas manquer dans de si grandes entreprises, on remarque dans celle-ci une faute essentielle, c’est de n’avoir pas fait passer le Canal dans les fossés de Carcassonne, n’en étant éloigné que d’un quart de lieue. L’utilité du commerce demandait qu’il fut près de cette ville. »

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    Cette faute lourde n’était pas imputable à Riquet. Lorsqu’il conclut la pensée du canal, il proposa aux habitants de Carcassonne de le faire passer auprès de leur ville, à condition qu’ils contribueraient pour une certaine sommes aux frais de l’entreprise. Il s’agissait d’une indemnité de 100 000 francs, qui n’eût été qu’un sacrifice momentané, parce que les administrateurs de cette ville auraient pu solliciter et obtenir du roi la permission de percevoir pendant cinq ans un droit de subvention. Mais ceux qui savent combien l’exécution des grands projets particuliers en opposition avec l’intérêt général, ne seront pas surpris que la ville de Carcassonne ait alors rejeté une proposition aussi avantageuse pour son commerce… Elle sentit plus tard tout l’imprudence d’un pareil refus ; et lorsque les Etats du Languedoc s’occupèrent d’un plan pour remédier aux ensablements périodiques du Canal par la rivière du Fresquel, les habitants de Carcassonne représentèrent, en 1777, que la construction d’un pont-aqueduc nécessitant le tracé d’une nouvelle branche, on pourrait la diriger de manière rapproché de la ville. Ils offrirent d’ailleurs de contribuer aux dépenses d’une entreprise qui devait les faire participer à des avantages qu’on avaient dédaignés dans l’origine. Leur demande fut favorablement accueillie par les Etats, qui, après une étude approfondie, arrêtèrent en 1786 le projet définitif. Les ouvrages furent commencés la même année ; la Révolution vint les interrompre.

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    Le Pont d'Iéna

    La nouvelle branche du Canal des deux mers qui a 7064 mètres de longueur et qu’on appelle Canal de Carcassonne, passe sous les murs de la ville. Elle est à peu près divisée en deux parties égales, par le bassin et l’écluse de Carcassonne. La première de ces parties comprise entre le bassin et l’écluse de Foucaud, forme une seule retenue d’environ 3000 mètres. Le bassin ou port a 11 mètres de longueur et 48 de largeur et présente un parallélogramme arrondi par les angles. A l’extrémité aval est une écluse à sas elliptique sur laquelle est construit le port de Marengo, faisant partie de la route du MInervois. Il y a en outre sur cette retenue, un ponceau-aqueduc destiné à faire passer sous le Canal les eaux du ruisseau l’Arnouse ; un pont à plein cintre d’une grande hardiesse, ayant 17,12 mètres de hauteur depuis la base du Canal jusqu’à la clé (Pont d’Iéna) ; un autre pont qui a 12 mètres d’ouverture et 7,36 mètres de hauteur (Pont de la Paix). La deuxième partie du Canal forme deux retenues, l’une entre l’écluse de la ville et celle de Saint-Jean, l’autre entre cette dernière et le pont du Fresquel, situé à l’extrémité de la nouvelle direction du canal. Il existe deux petits ponts-aqueducs sur la première retenue, un seul pont destiné au service de l’agriculture a été construit sur la seconde ; il est lié aux bajoyers de l’écluse de Saint-Jean.

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    Le plus magnifique des ponts-aqueducs est celui du Fresquel. Il est situé à 2800 mètres, Nord-Est, de la ville de Carcassonne. Ce pont a trois grandes arches sous lesquelles passe la rivière. Les eaux du Fresquel se mêlaient autrement à celles du canal, au grand détriment de la navigation et du commerce. Chargées en effet, à la moindre crue, de sable et de limon, elles formaient dans le lit du Canal des atterrissements considérables qui interceptaient la navigation, quelquefois pendant un mois entier. On était forcé de mettre la retenue à sec et d’enlever les bancs de sable à force de bras, à des prix d’autant plus élevés que ces accidents arrivaient presque toujours à l’époque des travaux agricoles. Pour éviter ces désordres, le seul parti à prendre était de relever le niveau du Canal, en profitant des chutes supérieures jusque’à un point déterminé, et d’en faire passer les eaux sur un pont-aqueduc construit sur la rivière. C’est ce projet que les Etats du Languedoc avaient adopté le 9 février 1786, et dont les tourmentes politiques suspendirent l’exécution. Repris en l’An VI, un fonds annuel de 200 000 francs, à prendre sur les revenus du Canal, fut affecté jusque’à l’entier achèvement des travaux. La première pierre du pont ne fut néanmoins posée que le 26 prairial an X (12 juin 1802) ; il fut complètement terminé huit ans après. Cet ouvrage se fait remarquer par son élégance et sa solidité ; un entablement régulier dont la corniche est composée de consoles portant triglyphes, le couronne. Sur le côté méridional passe le Canal avec le chemin de halage, le jôtédu nord supporte la route nationale de Castres à Carcassonne, sous les arches, le Fresquel roule ses flots capricieux. Tous les ouvrages nécessités par le redressement du canal ont coûté 2 millions 5570,86 francs. Le pont-aqueduc y compris ses écluses et quelques ouvrages accessoires entre dans cette dépense pour 613 998,19 francs. Les sommes employées antérieurement à l’An VI, ne peuvent être précisées avec exactitude ; on les évalue à 400 000 francs.

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    Pont-aqueduc du Fresquel

    Le baron Trouvé, alors préfet de l’Aude, hâta le moment où le Canal vint passer sous les murs de la ville. Aussi à peine eût-il reçu le rapport qui lui annonçait l’achèvement des ouvrages, qu’il s’empressa de porter cette nouvelle à la connaissance du maire : « Vous jugerez sans doute, lui écrivait-il le 7 mai 1810, qu’une époque aussi intéressante mérite d’être célébrée avec toute la solennité des sacrifices qu’a faits les gouvernement pour le seul intérêt de vos concitoyens, et l’espoir bien fondé d’une grande amélioration dans leur commerce. »

    Le conseil municipal s’étant réuni le 12 mai, arrêta le programme de la fête, qui fut fixée au 31 du même mois. Pour en offrir un récit aussi exact que possible, nous avons le texte de M. Daniel, secrétaire général de la Préfecture de cette époque :

    Le 25 mai 1810, tous les travaux nécessaires pour assurer la nouvelle navigation furent terminés. Dès le 26 une foule immense de citoyens se porta à l’écluse pour assister à l’introduction des eaux dans leur nouveau lit, dont le préfet devait donner le signal. Ce magistrat, accompagné de son secrétaire général et assisté du maire de Carcassonne, se rendit, à six heures du soir, au moins de contact du grand Canal et de celui qui devait en changer la direction. Une rigole latérale, au milieu de laquelle était placé un châssis à deux vannes, avait été établie pour régler l’introduction des eaux. L’ingénieur ordinaire et des entrepreneurs, reçut le préfet et le conduisit à la rigole. A 7 heures, le premier magistrat du département ouvrit le cadenas qui fixait les chaînes des vannes, et tout aussitôt une immense acclamation saluait l’entrée des eaux dans le Canal des deux mers dans le Canal de Carcassonne. Le lendemain, dès la pointe du jour, tous les habitants de la ville se pressaient sur les bords du Canal et du bassin, émerveillés de cette admirable métamorphose, et ne pouvant s’arracher à un spectacle qui devait leur plaire à tant de titres.

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    L'épanchoir de Foucaud

    Le 31 mai, jour fixé pour l’inauguration solennelle, commença tristement. La pluie, qui n’avait cessé de tomber pendant les trois jours qui vient précédé, durait encore à quatre heures du matin ; le ciel mit pourtant fin à ses rigueurs, et comme s’il eût voulu prendre aussi sa part de la fête, notre soleil du midi brilla quelques heures après de tout son éclat ; aussi, vit-on accourir en groupe nombreux les habitants des communes voisines ; de Carcassonne à Foucaud, une immense multitude couvrait la route ; c’était la population en masse, la garnison au bruit éclatant des fanfares, qui se rendaient à la fête.

    Au-dessus de l’écluse de Foucaud, dix bateaux ornés de guirlandes et de draperies, suivi de plusieurs barques marchandes dont on apercevait au loin les mâts pavoisés, stationnaient sur le Canal, n’attendant que le signal du départ. La compagnie des grenadiers et cette des chasseurs, de la garde nationale, formaient deux lignes prolongées sur les bords du nouveau lit ; elles étaient précédées par 30 hommes d’élite de la compagnie de réserve, commandés par le lieutenant Durmer, et par un nombreux détachement de la gendarmerie impériale, sous les ordres du lieutenant Rivenq. Sur la rive voisine du bateau-amiral, on remarquait l’escadron de la garde nationale à cheval, commandé par M. Raymond Rivals-Gincla, receveur-général du département ; les autres officiers : MM. Sicre, Degrand, Joseph Rolland, Darles.

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    Au premier range des fonctionnaires en costume, on remarquait : MM. Claude-Joseph Trouvé, préfet de l’Aude ; Daniel, secrétaire général ; Etienne Albarel, président de la cour de justice criminelle ; Arnaud-Ferdinand de Laporte, baron de l’Empire, évêque du diocèse ; Lacaux et Lamarre, chanoines ; Florainville, colonel de la 10e légion de gendarmerie impériale ; Raymond Rolland, président du tribunal civil ; Darles, président du tribunal de commerce ; Georges Degrand, maire de Carcassonne. Les ingénieurs du Canal : MM. Clausade, Pin, Maguès, Lespinasse.

    A 10 heures sonnâtes, une salve d’artillerie annonça le commencement de la fête. La première cérémonie fut la bénédiction des eaux du Canal par Mgr de Laporte, revêtu de l’étole pastorale ; après cette consécration de l’Ouvre à laquelle il avait pris une si grande part, M. L’ingénieur en chef Georgest, prononça un discours, où furent éloquemment énumérés les efforts qu’avaient coûté l’entreprise et les avantages qu’en devait retirer la ville.

    Dès qu’il eût cessé de parler, la flottille précédée par le bateau qui portait le corps de musique, se mit en marche vers la ville ; les chevaux qui la trainaient étaient comme leurs conducteurs, parés de rubans et de lauriers ; la foule entassée sur les deux rives les accompagne et arrive avec eux à l’entrée du port. Là, le spectacle le plus magnifique vient frapper tous les yeux.

    Du côté de la ville, sur un amphithéâtre orné de guirlandes, de trophées et d’emblèmes, on distingue tout le beau sexe Carcassonnais ; les remparts et le bastion voisins sont couverts de spectateurs, les élèves du Grand séminaire assistent à la fête sur la plateforme de la tour de Saint-Vincent. Du côté Nord, la colline de Gougens offre un amphithéâtre naturel, où sont entassés de milliers de curieux. On voit au centre une chapelle élégamment décorée, entourée par la compagnie à cheval, les grenadiers et les chasseurs ; le reste des troupes borde les deux rives.

    A peine le bateau-amiral eût-il paru à l’entrée du port, qu’un immense cri de Vive l’Empereur ! s’élança de toutes ces poitrines. A cette acclamation succédèrent les salves d’artillerie et les fanfares de la musique, dirigée par M. Escudier aîné. A la vue de l’évêque quittant le bateau pour se rendre au milieu du clergé, dans la chapelle que nous avons décrite, le plus profond silence s’établit et la messe fut célébrée par M. L’abbé Pinel, succursaliste de Saint-Vincent. Immédiatement après, le prélat, s’approchant du port en bénit les eaux, puis se tournant vers cette immense multitude inclinée devant lui, il pria le ciel de répandre sur elle tout ses bénédictions. La flotille toujours suivie par la population se rendit ensuite au pont aqueduc du Fresquel. Ce monument était pavoisé de drapeaux aux armes de France et d’Autriche : on y lisait cette inscription par le Préfet : « L’hymen unit deux empires. Le commerce lie tous les peuples. »

    Il y eut le soir danses publiques, jeu du mât graissé, dont la nouveauté excita dans la population la joie la plus bruyante. A 5 heures, une table de 80 couverts réunissait dans la belle salle de l’Hôtel de ville, les principales autorités, M. De Cambon, descendant de Riquet et les cinq militaires qui avaient été mariés et dotés le mois précédent par la munificence de Napoléon. Le préfet porta un toast à LL. MM. l’Empereur et la nouvelle Impératrice Marie-Louise, dont les fêtes nuptiales coïncidaient avec l’inauguration du Canal de Carcassonne.

    Au même moment, des banquets étaient offerts aux divers corps de troupes qui avaient participé à la fête, et une gratification à tous les ouvriers qui avaient été occupés aux ouvrages du Canal, en même temps que les aliments aux familles indigentes.

    Un superbe feu d’artifice qui devait clore les réjouissances publiques ne put être tiré par suite d’une humidité persistante : la population fut ainsi privée du bouquet de la journée. Il n’en fut pas de même pour les invités au bal de la préfecture que les danses les plus animées et un souper splendide retinrent dans les salons officiels jusque’à la matinée du lendemain.

    Telle fut la fête par laquelle nos pères voulurent consacrer la réparation de la faute commise pat leurs aïeux. Elle fut populaire au plus haut degré ; car elle inaugurait un moment, dont le bienfait devait profiter à toutes les classes. Aussi toutes furent unanimes dans leur reconnaissance pour le gouvernement qui les en dotait, et pour les fonctionnaires qui avaient si bien exécuté la volonté impériale. 

    Nota Bene

    Le creusement du Canal à Carcassonne sous Napoléon Ier a également été effectué par les soldats étrangers, prisonniers des guerres de l'Empire.

    Sources

    Eugène Birotteau / 1er décembre 1849

    M. Daniel, secrétaire général de la préfecture / 1810

    Le Courrier de l’Aude

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