Ce dimanche 4 janvier 1987, je n'étais âgé que de 16 ans quand je me rendis avec mon père au stade Albert Domec. Le temps quoique un peu froid, laissait resplendir le soleil de l'hiver sur la pelouse. Toutes les conditions étaient réunies afin que nous assistions à une belle affiche de rugby à XIII, entre deux clubs mythiques du championnat. Le XIII Catalan auréolé de plusieurs titres, avait fait parler de lui ces dernières saisons par la brutalité de ses joueurs sur le terrain. Depuis 1981, on se souvenait de la bagarre générale pendant la finale entre les Perpignanais et Villeneuve ; le match avait duré cinq minutes. Hélas, pour ce sport régulièrement diffusé sur les chaînes nationales, les exploits belliqueux du XIII Catalan allaient mettre fin aux retransmissions. Il fallait croire qu'en ce mois de janvier 1987, le rugby à XIII n'avait pas encore touché le fond avec ces sportifs qu'on serait tenter de traîter de voyous, voire d'assassins.
L'ASC XIII
Dans la tribune d'honneur de Domec, dès la sortie des joueurs vers la pelouse, les invectives venant du groupe de "supporters" Perpignanais, commençaient à donner le ton. Toute la première mi-temps ne fut qu'intimidations et bagarres sur le terrain. Déjà, les frères Naudo de l'équipe visiteuse, s'étaient distingués en allumant la mèche contre Albérola. A la 51e minute, l'arbitre M. Carrière excluait Hébert du XIII Catalan. Les deux équipes rivales entraient au vestiaire sur un score de parité : 6 à 6. En seconde mi-temps, des canettes de bière commençaient à nous pleuvoir sur la tête. Juste au moment où Jean-François Daré venait par un superbe mouvement à l'aile, de marquer le second essai de l'ASC.
Jean-François Daré, 3/4 centre de l'ASC
A la 76e minute, alors que Daré allait sans doute plier le match par un autre essai en coin, le n°7 du XIII Catalan le stoppait brutalement dans sa course vers l'en-but. Ces images sont demeurées immortelles dans ma mémoire et je ne les avais pas revues depuis 30 ans. Hier, j'ai visionné sur le site de l'INA l'ensemble des journaux télévisés relatant cette tragédie, avec toutes les interviews et résumés de l'époque.
On y voit clairement le joueur catalan en blanc (cercle rouge) le bras tendu, aller chercher le porteur du ballon (flèche bleue). Il s'agit de Thierry Naudo, le numéro 3 du club Perpignanais. A cet égard, les conclusions des journalistes ne laissent pas de doute sur ce fait de jeu : il s'agit d'une agression caractérisée.
"A la 76e minute, l'attaquant Carcassonnais, Jean-François Daré a été victime d'une manchette donnée par le joueur Catalan Thierry Naudo. Jean-François Daré, 32 ans, employé municipal à Carcassonne, avait été admis hier soir à l'hôpital de Rangueil de Toulouse, dans un coma dépassé de stade 4, provoqué par un œdème au cerveau." (FR3 Montpellier)
Nous avons trouvé un article publié dans le journal de Singapour "The straits times", publié trois jours après le drame. En voici un passage...
"The Carcassonne club secretary Louis Fernandez said there was no suggestion of foul play. Club president Dr Philippe Ourliac said : "Daré was running at full speed when he was stopped in his tracks by a tackle. The effect on the brain would be similar to someone hitting the windscreen of a car in a collision."
Etendu sur le sol et ne bougeant plus, l'arbitre a mis une minute avant d'arrêter le match. Une minute pendant laquelle, Jean-François Daré a avalé sa langue. Pendant vingt minutes, les secours ont tenté de le ranimer mais déjà le joueur ne donnait plus de signe de vie. L'ambulance a fait son entrée sur la pelouse, emporta la victime et le match reprit. Pour l'anecdote, l'ASC gagna 10 à 7 ; staff et joueurs se rendirent ensuite à une réception avec les partenaires du club à la discothèque Le privé. Le lendemain matin on apprenait que Daré n'avait pas survécu. Naudo lui avait fracturé les cervicales ; une autopsie a été ordonnée par la justice, ainsi qu'une enquête.
L'ASC déclara qu'elle refuserait de jouer contre le XIII Catalan, tant que des décisions exemplaires n'étaient pas prises. Cette affaire mit en émoi le monde du sport local et national. Plusieurs équipiers de JF Daré s'exprimèrent. Philippe Gril déclara : "Nous avons peur quand nous rentrons sur un stade. De ça, nous n'en voulons plus." Hervé Guiraud : "Il faut éliminer les brebis galeuses. Ils récidivent tous les dimanches, on ne les punit pas assez." De son côté, Palanques (International de l'équipe du Pontet) affirme qu'il "refusera de jouer en Equipe de France tant qu'un Perpignanais en fera partie."
Les joueurs du XIII Catalan répondirent à Palanques par la voix de Guy Lafforgue : "Avec les paroles de Palanques, on va vers des incidents" et d'Yvan Grésèque " Il ne faut pas oublier que le XIII Catalan est très jalousé à cause du palmarès qu'il obtient depuis de nombreuses années."
Jacques Soppelsa
Le président de la Fédération de rugby à XIII indiqua qu'en cas de délit reconnu par la justice, il n'hésiterait pas à demander l'exclusion du XIII Catalan. Le Dr Francis Mourgue (Président de la commission des clubs) fit cette déclaration à la presse : "Les présidents des clubs plaident coupables d'avoir laissé se développer des errements sanctionnables, mais nous n'avons rien dit et laissé faire."
La déclaration de Justin Salgado, le président du XIII Catalan, cherche à disculper Thierry Naudo de toute faute intentionnelle. Elle s'aligne finalement sur celle de ses joueurs. Quelques jours avant l'entraîneur des juniors du XIII Catalan, avait cassé la gueule sur le terrain à l'arbitre de touche...
"Il n'y a pas d'agression. J'enlève le mot d'agression. C'était une phase normale, disons que peut-être les deux joueurs se sont rencontrés, certainement lancés à grande vitesse. Pour moi, Thierry Naudo n'avait aucun sens d'agressivité. Pour moi, il n'est pas coupable. C'est peut-être le sort qui a voulu ça. Un sort qui a été méchant envers nous, envers tous. Thierry Naudo est dévasté, il pense à arrêter le rugby."
Finalement, Naudo ne prendra que quelques matchs alors qu'il aurait dû être suspendu à vie. Le club remportera le championnat de France 1987 et ne sera pas sanctionné.
Construit en 1990, le stade du hameau de Grèzes-Herminis près de Carcassonne porte le nom de Jean-François Daré. Qu'évoque t-il aux visiteurs ? Nous sommes là pour rappeler ce triste 4 janvier 1987, au cours duquel un joueur de 32 ans, a perdu la vie sur un terrain de rugby à cause de la violence.
Sources
JT de FR3 Montpellier / 5 janvier 1987
Stade 2 / Antenne 2
JT Tf1 / 5 janvier 1987
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