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Seconde guerre mondiale - Page 25

  • Non ! Non ! Ne tuez pas maman.

    Ce 23 juillet 1944, la famille Martinez recevait des amis chez elle, près des ruines du château de Durfort dans les Corbières. C'était également le jour qu'avaient choisi les Allemands pour attaquer le maquis de Villebazy, replié à la maison forestières de Coumevigne. Au bruit des canons, toute la famille s'enfuit... La mère s'apercevant que le fils aîné et son père ne sont pas avec eux, décide de revenir en direction du château. Elle tombe alors sur les Allemands avec le fils cadet et Marcelle, la benjamine de la fratrie. Regroupés sous les marronniers et les mains sur la tête, ils attendent leur sort. Que sont devenus le père et le fils aîné ? C'est ce récit poignant que Marcelle Ripoll née Martinez, raconte dans son livre publié en 1979 : "L'adolescence audoise et la guerre de 39-45" aux éditions MV Graphic de Verzeille dans l'Aude.

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    © Un village français / Tretra Media

    Nous étions prisonniers depuis un bon moment, mon père et mon frère n’étaient pas revenus. Qu’ils ne reviennent pas ! pensait chacun de nous sans le dire. Les Allemands allaient, venaient, nous regardaient avec des yeux mauvais et des sourires chargés d’ironie qui en disaient long sur ce qu’ils préparaient.

    Ma mère donnait des signes de fatigue. Ses mains, aux doigts rivés les uns aux autres étaient couleur de cire. Pauvre maman ! je la plaignais de tout mon cœur. Mon frère résistait mieux. Jeune et vigoureux, il se fatiguait moins. Une dizaine d’Allemands venaient d’arriver. Ils venaient de loin, ou peut-être, le combat les avaient secoués plus que les autres, car ils pouvaient tout juste marcher. Ils se laissèrent tomber sur le sol humide, cherchant un appui. Ceux qui n’en trouvèrent pas se couchèrent, rejetant au loin leur prétention et leu vanité. Ils avaient soif. Le soldat qui nous surveillait demanda à ma mère d’aller chercher à boire à la maison. Le canon de la mitraillette braqué contre son dos, il la poussait vers la porte d’entrée. Quand je vis partir ma mère sous la menace de cette arme monstrueuse, je m’élançai vers elle et je criai :
    - Non ! Non ! Ne tuez pas maman. 

    martinez

    Le château de Durfort à Vignevieille

    Ce cri se répercuta dans la montagne. Mon frère m’avait suivie, il dut reprendre sa place, plusieurs canons l’avaient entouré. Mon cri ou, pour mieux m’exprimer, mon hurlement, nous sauva. Nous avons appris plus tard que les maquisards, qui surveillaient les Allemands, l’avaient entendu. Ils avaient compris qu’ils se préparaient à nous tuer et s’étaient mis d’accord pour nous sauver en employant la ruse. Ils se dispersèrent çà et là, attendant le moment opportun.

    Le plateau dans les mains, ma mère revint suivie du jeune soldat Allemand. Je marchais à ses côtés. Arrivée auprès de mon frère, je repris ma place sur le trait qu’avait tracé l’allemand quand il nous avait accompagnés. Avant de faire face, je regardai en direction de la rivière. Je vis une branche bouger. Il ne faisait pas de vent, cette branche n’avait bougé que parce qu’un main invisible avait agité son rameau ; mon père et mon frère nous signalaient leur présence.
    Je tournais le dos ; de la main, je leur demandai de repartir. Mon geste ne passa pas inaperçu, ils avaient également vu ma mère avancer sous la menace de la mitraillette. Cette scène était trop tragique pour qu’ils restent cachés sans intervenir. Cette vision insupportable les poussa à sortir de leur cachette, et à se joindre à nous.
    Stupéfaits, les Allemands regardaient venir cet homme et ce jeune homme sans réaliser qu’ils se constituaient prisonniers. Avant qu’ils ne soient revenus de leur surprise, ma mère demanda à mon père :
    - Pourquoi êtes-vous venus ? 
    - Pour vivre ou pour mourir, nous avons choisi d’être ensemble, laissa tomber mon père, la gorge nouée par l’émotion

    Sur le plateau, les verres arrivés à destination par miracle faisaient entendre une musique cristalline. Le tremblement qui avait gagné ma mère était la cause de ce curieux concert. Dans les carafes l’eau était trouble, ce qui inquiéta les Allemands. Les pluies de l’avant veille avaient grossi le ruisseau qui alimentait le bassin, l’eau n’était plus incolore mais d’une couleur ocre ; ils pensèrent qu’elle était empoisonnée. Ils firent boire mes frères et continuèrent. Pendant que nous la voyions aller et venir, nous étions rassurés sur le sort de ma mère. Les Allemands ne la tueraient pas tant qu’ils n’avaient pas terminé de boire. Pendant ce temps, elle reposait ses bras. Mes deux frères et mon père avaient les mains posées sur leur tête. Eugène donnait des signes de fatigue. Ses traits étaient tirés, il semblait prêt à s’écrouler.

    Le jeune Allemand qui nous surveillait, s’arrêta devant mon père. Il parfait français correctement : - Comment vous êtes-vous débrouillé pour cacher vos deux garçons ? car, si ne me trompe, vous êtes le père, le mari ? dit-il en regardant mes frères et ma mère.
    Mon père ne répondit pas.
    - Répondez, dit l’Allemand, son arme contre la poitrine de mon père.
    - Vous l’aurez voulu, je vais vous dire ce qui m’étouffe depuis des années. Je suis le mari et le père de ceux que vous avez faits prisonniers, grâce à une ruse qui n’est guère flatteuse pour vous et les vôtres. Vous n’avez jamais vu mes deux garçons parce qu’ils se cachaient pour défendre leurs vies que vous auriez brisées comme vous le faites avec tous ceux que vous rencontrez sur votre passage.
    - Ces paroles vont vous coûter cher, dit l’Allemand.

    - Peu m’importe. Elles ne changeront pas notre destin. Elles m’auront donné la satisfaction de vous apprendre ce que je pense de vous.

    L’Allemand leva son arme, prêt à tirer sur mon père. Un commandement sec interrompit son geste. Le chef se dirigea vers lui, la discussion s’anima, le ton monta ; ils parlaient dans leur langue. Après avoir reçu des ordres nous concernant, le jeune Allemand fixa mon père de son regard d’acier :
    Demandez des excuses, pour vos paroles de tout à l’heure;
    Des excuses jamais ! Jamais.
    Vous préférez mourir ?
    Si je savais qu’en demandant des excuses, je sauverais la France et vous anéantirais tous, ce serait déjà fait. Rien ne vous rendra meilleurs. Je souhaite seulement que la France soit victorieuse et je pourrai mourir.
    L’Allemand avait le visage défait. Son orgueil avait reçu un rude coup.
    Vous allez mourir, la France subira une défaite, dit-il d’un ton mordant.
    Nous sommes prêts, répondit mon père.
    Se tournant vers moi, le jeune Allemand dit :
    Allons qu’attends tu pour répondre ? Pourquoi ne veux-tu pas avouer que tu as peur ? Ton visage est blême.
    Mes nerfs étaient trop tenu pour garder le silence. Une grande colère s’était emparée de tout mon être. Je crois que si je n’avais pas parlé, je serais tombée étouffée par les mots.
    Réponds, j’attends !
    Je regardais et homme, droit dans le yeux.
    Oui ! je vais répondre : oui ! Je vais vous dire ce que je ressens, mais n’aurez cependant pas le plaisir de rire de ma frayeur : j’aurais peur d’être à votre place et non à la mienne.
    Pourquoi dis-tu cela ?
    Parce que, moi, je vais mourir proprement. Mes mains seront nettes et propres. Je vais mourir pour mon pays. Ma conscience ne sera pas troublée comme la vôtre. Je ne suis pas une criminelle, moi.
    Un soldat ne commet pas de crime, il fait ce qu’il a à faire, c’est la loi de la guerre.
    J’étais hors de moi : « Un soldat ! Vous avez di un soldat ? »
    Oui, c’est ce que j’ai dit, je maintiens toujours ce que je dis.
    Vous prenez-vous pour un soldat ?
    Pourquoi pas, petite vipère ?
    Parce que vous n’êtes qu’un vulgaire assassin.
    Quoi ? Répète ce que tu viens de dire, dit-il, en me donnant un coup de pied dans les jambes.
    La douleur me donnait des nausées, je continuai :
    Je n’ai pas besoin de répéter. Vous avez bien compris, votre comportement vient de prouver que j’ai raison ! Vous êtes un monstre !
    Espèce d’ordure tu vas me payer ça.
    Se tournant vers le chef :
    On peut y aller ?

    Le chef répondit en allemand mais la réponse dut être affirmative car, la mitraillette levée, l’homme nous regardait, faisant semblant de viser. Avec des gestes lents, il allait l’un à l’autre. Ma mère pleurait.
    Ne pleurez pas, vous allez mourir pour votre patrie. Je ne sais plus par lequel je vais commencer.
    Nous étions étions toujours alignés sur le trait au sol qu’avait tracé l’Allemand. Moi, je n’écoutais ni regardais plus ce monstre. Je priais avec ferveur.
    Mon Dieu ! Aide-nous à franchir le pas qui va nous emporter vers ton royaume, d’une manière digne.

    Comprenant que l’instant fatal ne tarderait pas, mes parents, défiant Allemands et mitraillettes, nous enlacèrent dans une étreinte désespérée. Dans cette étreinte, ils serraient nos têtes contre leur poitrine, essayant de cacher par ce geste celui de l’Allemand pour nous tuer.
    Nous allons mourir pour la France, mes enfants, dit mon père, mouillant nos visages de larmes brûlantes. C’était l’ultime adieu…

    Un bruit épouvantable nous fit sursauter. J’avoue qu’à cet instant je pensai que les balles de ces monstrueuses armes ne nous avaient pas fait souffrir. Je ne ressentais aucune douleur physique. Mon corps était secoué d’un tremblement nerveux. Je regardais les Allemands fuir se camoufler à l’intérieur de la maison, sans comprendre ce qui se passait. Immobile, sur le trait qui devait recevoir mon corps, j’étais dans un état d’hébétude des plus complets. Mon père n’attendit pas un instant. Profitant de l’affolement des Allemands, il dit :
    Vite, fuyons, occupez-vous de Marcelle.

    martinez

    Vignevieille dans l'Aude

    Il s’adressait à mes frères. Prenant maman par la main, il courut vers la rivière. Je sentis deux bras vigoureux m’entraîner et me soulever pour franchir les obstacles. Aidée par mes frères, j’arrivai au bord de l’eau. Nous entendions le bruit des rafales de mitrailleuses. Ces bruits décuplaient nos forces. Nous avons sauté la rivière transformée en torrent, nos mains rivées les unes aux autres pour mieux lutter contre la force ds éléments. Sortis de l’eau nous avons continué dans la forêt en suivant les sentiers les plus embroussaillés et en faisant très attention de ne plus nous séparer. Un long moment encore, les coups répétés nous faisaient sursauter, puis, plus rien. Le silence nous effrayait avant que le combat lui-même.

    Nous avons continué à fuir comme des bêtes traquées. Nous écartions les ronces qui barraient les passages avec nos mains. Quand elles résistaient, nous les coupions avec nos dents. Nos visages étaient égratignés et saignaient. Il fallait fuir loin, très loin ces maudits Allemands. Nos chaussures, déjà usées, ne résistèrent pas très longtemps : mouillées, elles se décollèrent plus facilement et quittèrent nos pieds. Aucun d’entre nous n’y fit attention. Qu’importaient les blessures si nous pouvions encore échapper à la mort. Nous avons couru pendant très longtemps, sans nous arrêter un seul instant. Du temps écoulé, nous avions perdu la notion. Notre but, notre pensée : aller loi, très loin de notre point de départ.

    L'intervention des maquisards du Corps Franc Lorraine (Villebazy) sauva la vie de la famille Martinez.

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  • 74 ans après, une nouvelle victime de l'explosion de Baudrigues identifiée

    Le 19 août 1944, les Allemands font sauter le dépôt de munitions du château de Baudrigues près de Roullens. Auparavant, ils avaient transporté sur les lieux depuis la Maison d'arrêt de Carcassonne un certain nombre de personnes et les avaient fusillées. De ses malheureuses victimes, on ne pourra identifier que la main de Jean Bringer grâce à sa chevalière et la nuque frisée d'Aimé Ramond. Jamais il n'a été possible d'établir un chiffre exact des martyrs de ce triste jour, car les morceaux de corps éparpillés sur 300 mètres n'ont jamais pu dire à qui ils appartenaient. Le registre d'écrou de la prison ayant disparu par enchantement depuis 1945, seule une liste visuelle du Dr Delteil permit d'évaluer le nombre en fonction des personnes libérées ce jour-là. Le Dr Delteil sera libéré le 19 août 1944, alors qu'il était prévu qu'il suive le même chemin que Bringer et Ramond. On sait avec certitude qu'il y avait Jean Bringer, Aimé Ramond, Pierre Roquefort, Jacques Bronson, René Avignon, André Gros, Léon Juste, Jean Hiot, André Torrent, Maurice Sévajols, Simon Battle, Gilbert Bertrand. Il y a quelques années, on a rajouté celui de Suzanne Last.

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    Les secouristes après l'explosion

    Avec le travail de recherche que je mène partout en France afin de comprendre les raisons, les causes et les conséquences de cette tragédie, j'ai pu dernièrement identifier une nouvelle victime. Elle n'était pas sur la liste du Dr Delteil et sans l'exhumation de dossiers sensibles, elle serait encore aujourd'hui inconnue. Oh ! Certes, on a retrouvé que peu de choses d'elle mais des détails vestimentaires, prouvent sa présence à Baudrigues. 

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    Martin Marcel Weil

    (1900-1944)

    Martin Weil était né à Dettwiller le 28 septembre 1900 à une époque où l'Alsace faisait partie de l'Allemagne depuis la guerre de 1870. Sur son acte de naissance figure sa religion : Israelitischer. Marié dans un premier temps à Marie Marguerite Meyer, il divorce et se remarie avec Marie Hélène Hortense Mulberg le 29.04.1933. De cette union naîtront trois enfants : Jean-Pierre, Joseph et Hortense. Lorsque les Allemands annexèrent Mulhouse au Reich après la défaite de juin 1940, Martin Weil fut expulsé le 23 juillet 1942 et gagna le sud de la France. Son fils aîné sera déporté dans un camp proche de la Russie et mourra de mauvais traitements. Martin Weil prend alors le pseudonyme de Marcel Martin et s'établit à Béziers en relation avec un réseau de résistance. Le 10 août 1944 lors d'un rafle - nous pensons avec Suzanne Last - il est arrêté par la Gestapo à Béziers. A cette époque, la Maison d'arrêt de Carcassonne sert de Centrale régionale à l'Occupant Allemand depuis le mois de juillet. Il n'est donc pas extraordinaire d'y retrouver des personnes interpellées en dehors du département de l'Aude. Par exemple, des résistants venant de la citadelle de Perpignan. Cratère.jpg

    Ce cratère matérialise l'ampleur de l'explosion

    En 1945, Madame Weil signala la disparition de son mari. Madame Guiraud, monitrice chef des équipes de la Croix-Rouge, fut avisée par les équipes d'urgence de Carcassonne d'un corps présumé de Béziers. Seul vestige, un pantalon dans la poche révolver duquel on a trouvé un ticket de boulangerie Biterroise. Un jeune homme qui avait été détenu dans la prison de Carcassonne au moment des faits s'est souvenu avoir connu un Martin, fusillé à cette époque. Madame Guiraud se rendit chez le boulanger en question qui lui indiqua que Martin Weil mettait toujours son ticket dans sa poche révolver. Le tissu retrouvé à Baudrigues correspondant au pantalon que portait Martin Weil a été envoyé à la mairie de Mulhouse, mais son épouse ne le reçut jamais. 

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    Le maire de Carcassonne à Baudrigues le 19 août 2018

    Aujourd'hui, je possède toutes les preuves d'archives des enquêteurs. Elles ne sont pas conservées à Carcassonne... Grâce à un travail de généalogie, j'ai réussi à entrer en contact avec les descendants de Martin Weil. J'ai eu le privilège d'apprendre à sa petite-fille qui était son papi et surtout, de lui adresser sa photo. Enfin a t-elle pu mettre un visage sur cet homme que le fanatisme a enlevé à l'amour de sa famille. Avec l'accord de Pascale, je vais entreprendre des démarches auprès des autorités afin que son nom figure désormais sur la plaque des martyrs de Baudrigues.

    "Vous ne pouvez pas imaginer l'émotion qui me submerge en voyant la photo de mon grand père,  je ne l'avais jamais vu, mon papa a toujours été silencieux sur cette période,  je pense très traumatisé et triste d'avoir vu sa maman souffrir et se battre pour son mari. Mon papa a également été militaire et à participé à la guerre d'Indochine. Son frère s'appelait Joseph et parait il a été déportés dans un camp en URSS ou il a trouvé la mort  et ma tante à ma connaissance à toujours été avec sa maman aussi elle s'est occupée de mon père."

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  • L'abbé Albert Gau, la belle âme d'un envoyé de Dieu au service de l'humanité (1)

    C'est le 10 juillet 1910 que naît à Conques-sur-Orbiel, Albert Louis Joseph Gau, fils d'Armand et de Marie Guiraud. Juste à peine le temps de chérir son papa que celui était tué à l'ennemi en 1915 lors de la bataille des Dardanelles, durant la Grande guerre. Le pupille de la Nation n'oubliera pas ; il se battra toute sa vie contre la haine et la guerre. Après le conflit, sa mère fait la connaissance de Mademoiselle Suzanne Laisné.

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    Les deux femmes vivent ensemble et élèvent le jeune garçon au sein d'un sérail féminin très dévot. Albert commence sa scolarité à l'école primaire de Conques, avant de poursuivre ses études secondaires au Petit séminaire de Castelnaudary, puis au Grand séminaire Saint-Sulpice de Paris sous la haute autorité du cardinal Verdier. Il s'agit d'un choix de sa part, car il se méfie de l'étroitesse de l'enseignement en province : "Là, je trouvais une atmosphère internationale, une grande qualité de pensée et de très grands professeurs."

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     Petit séminaire de Castelnaudary (1924-1925)

    Le 29 juin 1934, il est ordonné par Mgr Pays en la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne. Il dira sa première messe le lendemain, mais n'exercera pas de fonctions paroissiales. Directeur des Œuvres, de la jeunesse J.O.C et J.A.C, il s'occupe des Mouvements Populaires des Familles qui, deviendra ensuite l'Action Catholique Ouvrière. En 1937, le père Gau fonde un journal mensuel "Le midi social" qui sera supprimé par Vichy. Envoyé au collège Beauséjour à Narbonne, il enseigne et dirige l'équipe de rugby de l'établissement jusqu'au mois de septembre 1939. La France vient de déclarer la guerre à l'Allemagne nazie et le prêtre se retrouve mobilisé comme tous les hommes de sa génération. Ceux-là même qui avaient vus leurs pères se faire tuer en 1914-1918.

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    L'abbé Gau à l'extrême gauche sur cette photographie

    De retour à Carcassonne après l'armistice en ayant échappé à la capture, il s'oppose d'emblée au nazisme et à la politique de collaboration du maréchal Pétain. 

    "Mon entrée dans la vie publique est due à la Résistance. J'étais dans la Résistance dès 1940. A ce moment-là, il fallait marcher à contre-courant. Je faisais des sessions de formation sur le nazisme. Par la suite, nous avons été très aidés par "Témoignage Chrétien" qui, avec ses cahiers "France, prends garde de perdre ton âme", nous a passé des études sur la perversité du nazisme. Nous n'étions pas nombreux en France à apprendre le devoir de désobéissance. trop de dignitaires, prêchaient la soumission au devoir établi. Je n'ai appartenu à aucun mouvement de résistance."

    Il s'implique avec l'accord de l'évêché au sein des aumôneries, des jeunes et des ouvriers et réside à la Maison des Œuvres. C'est l'actuel Lycée Saint-François, rue des Amidonniers.

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    Maison de l'Œuvre. Lycée St-François

    Il utilise le bâtiment mis à sa disposition pour fabriquer des faux papiers et obtenir l'équipement nécessaire. Avec des tampons volés à la Gestapo, le voilà bien équipé. Il délivre également de faux certificats de baptêmes, à condition uniquement que les juifs ne se convertissent pas. Dans les locaux mitoyens de son appartement, il cache des juifs pendant un certain temps qui sont envoyés avec l'aide de deux amis, juifs eux-mêmes : Nicole Bloch et Klein. Il ouvre un restaurant, supposé être tenu par quelque femme qu'il connaissait, comme lieu de planque, et le couvent des Carmélites dans la banlieue de la ville où il était aumônier, coopère volontiers quand il a besoin d'aide. A la demande du père Gau, la mère supérieure admit dans le cloître un juif poursuivit par la Gestapo. Elle le déguisa en none carmélite et le sauva de l'arrestation.

    Voici comment a commencé mon action clandestine. Un jour arrive chez moi une responsable nationale du mouvement juif. Elle voit qu'il y a pas mal de place dans la Maison des Œuvres et me demande si j'accepterais de recevoir des juifs cherchant un refuge en attendant de les caser dans des familles ou de les faire passer en Espagne. Je dis oui. C'est alors qu'une nouvelle période de ma vie débutait. Je pourrais écrire un livre pour en raconter les péripéties, mais je ne m'en tiendra qu'aux évènements essentiels. Chaque jour ou presque je recevais des juifs, surtout des jeunes. J'ai dû monter un restaurant pour les faire manger. Heureusement, les militaires de l'aviation qui travaillaient à Salvaza acceptèrent d'y prendre leur repas, ce qui couvrait pas mal de choses. De plus au Secours National, j'ai eu la collaboration des deux principaux dirigeants, M. Roty et Mlle Bancilhon qui alimentaient le restaurant. J'ai dû fabriquer en grande quantité de fausses cartes d'identité et de ravitaillement. Je donnais même à chaque juif un certificat de baptême, à la seule condition qu'il ne se fasse pas baptiser. J'avais l'occasion de prendre dans les sacristies les cachets paroissiaux, ceux de Conques me furent donnés par le curé lui-même. J'avais créé plusieurs centres notamment celui de Millegrand dont le Directeur et la Directrice étaient deux juifs camouflés sous un faux nom, ils m'aidaient. 

    Tout marchait très bien, mais il évident que cette activité ne pouvait se poursuivre longtemps. A la suite d'arrestation de personnes que j'avais hébergées, je fus recherché. Un jour, je fus informé par un policier qu'une perquisition devait être effectuée à la Direction des Œuvres en vue de retrouver le matériel servant à confectionner des fausses cartes. Je précise que nous étions en zone occupée. Un juif n'avait pas droit à la vie. Je ne gardais dans les bureaux que les portraits du Maréchal Pétain, immenses affiches envoyées par Vichy qui nous servaient pour divers usages. Trois mois après, il n'y avait pas encore eu de perquisition. Je reçus la visite de trois délégués qui me dirent : "Il faut tout changer, voici de nouveaux cachets..." Je leur répondis : "Attendez-moi, je reviens ici dans une heure, je vais donner mon cours au Lycée". J'en étais l'aumônier, et mon ami, M. Sirven le Directeur. J'ajoutai : "Pendant ce temps, travaillez dans ma chambre et faites-moi un certain nombre de cartes d'identité et d'alimentation". A mon retour, la maison était cernée par des policiers en civil. On me demanda si j'étais l'abbé Gau et on présenta un ordre de réquisition : "Avouez que vous faites de fausses cartes, me dit-on et que vous abritez des juifs, ce sera plus rapide". Je niais tout mais je demeurai inquiet. Je ne savais pas ce qu'étaient devenus les occupants : juifs et responsables nationaux. Heureusement, ils avaient pu s'enfuir. Mais on m'avait laissé sous l'édredon tout l'attirail, celui-là même que l'on recherchait. La perquisition dura de 15h à 18h30. A mon bureau on ne trouva rien, toutes mes lettres furent visitées. En descendant l'escalier nous passâmes devant une porte entrouverte ; je sentais l'odeur des acides utilisés par mes visiteurs pour transformer certaines cartes. "Où couchez-vous ?", me demanda t-on. J'entrai alors dans une vive colère : "Cette chambre est réservée à l'Evêché. Vous n'avez pas le droit d'y entrer sans la permission de l'Evêque. Et puis j'en ai marre !" Je continuai à descendre entraînant un policier par la main. Alors un autre policier plus compréhensif dit à ses collègues : "Fichez-lui la paix, c'est fini". Rien ne fut découvert.

    Un soir, à 23 heures, un messager vint m'apporter un billet : "La Gestapo vient chercher un ménage juif à l'Hôtel Vitrac, chambre numéro ?". Mais ce billet me parvenait avec retard car l'arrestation devait avoir lieu à 22 heures. Il ne fallait pas hésiter, il n'y avait pas une seconde à perdre. Je pars sur le champ, je monte à l'étage. Je dis aux occupants de la chambre : "Vite suivez-moi, la Gestapo arrive". Ils me suivent. En descendant, nous avons croisé les Allemands, en retard, qui eux montaient. Je ne sais pas ce que j'ai dit en les voyant pour les tromper.

    Un jour la Gestapo vint m'arrêter, mais j'ai pu m'échapper. Puge, militant communiste, fils de la concierge qui lui servait de boîte à lettres, et quelques ennuis, mais il n'y eut pas d'arrestations. C'est alors que j'entrais dans la clandestinité. Cela dura deux ans, je me cachais le jour, je sortais la nuit comme un malfaiteur. Le plus dur était l'isolement moral. Il m'arrivait de me demander si je ne serais pas un paria toute la vie, surtout au début... Un maréchal de plus en plus en décrépitude n'entendait plus aucun appel. Il ne représentait plus la France, et beaucoup continuaient à le considérer comme un protecteur, jouant le double jeu alors qu'il n'en jouait qu'un seul. Il était devenu un fantoche, une marionnette dont les Allemands tiraient les fils.

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    L'abbé Gau avait l'accord de son évêque, Mgr Pays, qui demandait tout de même à lire le texte de ses sermons à la cathédrale, avant approbation. Une accord, jusqu'à un certain point... "Là, cela devient trop dangereux, Père, la Gestapo vous à l'œil". L'évêque lui demande de stopper ses activités clandestines, mais Albert Gau ne se démonte pas. Le même jour, une femme sonne à sa porte. Elle est juive et enceinte ; après l'avoir faite entrer, il appelle son évêque : "J'ai une femme juive enceinte, ici. Vous m'avez dit d'arrêter, alors je vais l'envoyer chez vous ! Vous avez suffisamment de place." A ces mots, Mgr Pays répliqua : "Bon, d'accord. Faites ce que vous avez à faire, mais gardez-là." L'hôtel Vitrac, rue du Pont vieux, qui était pourtant requis pour servir la cantine à la Légion des Combattants servait d'hébergement pour les familles juives en transit vers l'Espagne. Malgré les relations cordiales qu'il entretenait avec sa hiérarchie, le père Gau se montrait critique envers l'attitude de l'Eglise française pendant la guerre :

    "Ce que je reproche à l'Eglise est son obéissance à l'Etat, au maréchal Pétain. Pour moi, même si Pétain avait été élu, nous devions lui désobéir parce qu'il était un outil des Allemands... Mais Vichy accordait à l'Eglise certains privilèges pour ses écoles, re-instituait des processions, etc. Aussi les Evêques supportaient le gouvernement. Même le courageux Cardinal Saliège avait trop de respect pour l'Etat... Quand l'Evêché disait aux populations qu'elles devaient obéir et partir aux travaux obligatoires en Allemagne, que c'était un devoir patriotique, je distribuais des papiers aux jeunes du pays, qui disaient : Si l'Evêque vous dis de partir au STO, il perd son autorité et vous ne devez plus lui obéir. Je ne vous dis pas de rejoindre la Résistance, mais vous devez agir selon votre conscience... Comme vous pouvez imaginer, l'Evêque ne m'aimait pas beaucoup... Jusqu'à la Libération. Puis ils étaient bien contents de pouvoir montrer mon exemple. Aider les juifs n'était pas un problème de religion pour moi, cela devait simplement être fait. Ils vivaient dans la peur, se cachaient dans des cours, chassés jour et nuit. Ils souffraient trop..."

    Albert Gau se fait dénoncer à plusieurs reprises et au cours de perquisitions le 29 mars 1943, on ne trouve rien. Ils cachait les tampons sous ses édredons. Au cours de l'une d'elle, il réussit à fuit par les toits et trouve refuge à Issel dans la famille Reynès. Sa piste est retrouvée, mais les Allemands ne le trouveront pas dans un coin de cette maison où il était caché.

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    A la Libération, le Président du Comité Départemental de Libération, Francis Vals vient le chercher pour prendre la Préfecture de l'Aude et s'y installer. Malgré un comité essentiellement communiste et pas pro-catholique, une place est offerte à l'abbé Gau en son sein. Nous évoquerons plus tard, les suites de la vie publique d'Albert Gau. Nous consacrons cet article uniquement à sa vie résistante.

    Le Juste parmi les Nations

    En 1980, René Klein et son épouse Nicole Bloch avec lesquels il avait gardé le contact, proposent de présenter Albert Gau à la commission Ad hoc chargée de délivrer le titre de "Juste parmi les Nations". Le 20 novembre 1986, comité de Yad Vashem décide d'attribuer cette distinction au père Gau. Le 17 juin 1987, l'avocat et président du CRIF Théo Klein vient à Carcassonne pout donner une conférence sur la mémoire de l'holocauste et rendre hommage à son ami, Albert Gau. Dans l'assistance se trouvent le Dr Roger Bertrand, Nicole Bertrou, Henri Sentenac (déportés de l'Aude), Madame Félix Roquefort, Joseph Vidal (député) et Mgr Pierre-Marie Puech. Cet évènement en plein procès Klaus Barbie prenait un dimension particulière. Théo Klein rappela les propos de Michel Noir, Ministre de l'économie de Jacques Chirac : "Mieux vaut perdre une élection que son âme". Il faisait référence aux sirènes de l'union avec le Front National auxquelles certains élus de droite étaient tentés de répondre. Ce 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen lançait sur les ondes de RTL que "Les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde guerre mondiale". Ce soir-là à Carcassonne Théo Klein lui répondit : "Qu'ils me les rendent (les révisionnistes) les membres de ma famille qui sont passés par là et les 6 millions de personnes exterminées".

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    L'abbé Gau et Théo Klein à Carcassonne

    Quand je vois l’auditoire qui vous a écouté avec beaucoup d’intérêt, je ne crois pas me tromper en disant que nous menons tous le même combat pour l’homme, tous attachés aux libertés. Notre horizon est sans frontière, sauf celle de l’odieux racisme. dont la montée nous inquiète, aujourd’hui. L’on recherche toujours des boucs émissaires pour créer la peur et l’exclusion qui aboutissent fatalement, à l’élimination. Tout a commencé par un simple tampon sur les cartes d’identité ou par une étoile jaune. Tout s’est terminé par les fours crématoires.
    Dans Mein Kampt, Hitler a écrit ce qu’il ferait, l’on était averti, il écrivait : « Le monde ne peut être gouverné que par l’exploitation de la peur ». Et ça recommence ! Comme si rien ne s’était passé. Mon grand ami Edmond Michelet, ancien de Dachau, ou notre ami Sentenac (Président des déportés de l’Aude) ici présent, l’a connu et beaucoup estimé. Michelet me répétait souvent : « Il faut se souvenir du passé pour vivre le présent ».
    Et si le procès Barbie réussit seulement à mettre en évidence la réalité de l’extermination de 6 millions de juifs, en tant que juifs, dans les chambres à gaz, ce procès n’aura pas été inutile.
    Des jeunes qui ont vu le film « Shoah » à Carcassonne, la semaine dernière, ont dit à la presse : « Nous ne voulons plus revoir cela ». Malheureusement, ils sont encore peu nombreux à le dire. Heureusement, l’information va se poursuivre en classe.
    Il faut savoir que le racisme reste la donnée centrale du nazisme. Et ce nazisme a été défini déjà en 1932 au Reichtag par le député Karl Schumacher : « Un appel au salaud qui dort dans l’homme". Cette définition reste valable aujourd’hui. Elle a valu à son auteur 12 ans de martyre. Vous ne risquez encore rien si vous l’utilisez. (Extrait du discours de l'abbé Gau)

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    L'abbé Gau plante l'arbre des Justes à Jérusalem

    Le 13 septembre 1987, Albert Gau reçoit au mémorial de Yad Vashem la médaille et le diplôme des Justes parmi les Nations. Il est accompagné d'un autre résistant qui fut déporté, Pierre Madaule. A la suite de la cérémonie, le père Gau prononce un discours dont je vous livre ci-dessous quelques extraits.

    Pardonne, mais n’oublie pas, lisons-nous sur le mur des martyrs. Ils sont de vrais martyrs. Chacun de nous doit être alerté, en permanence, sur la menace que fait peser tout propagande, même déguisée comme le faisait Hitler, en faveur du racisme, par l’exploitation systématique de toutes les déficiences de la société, afin de prendre le pouvoir.
    Le retour de ces monstrueux forfaits est toujours possible. Sachons dépister, développer des campagnes mensongères de rejet et de discrimination raciale. Nous avons vu comment cela commence et comment cela finit.
    Pratiquons cette union de la différence si chère à Théo Klein. Il faut que l’humanité soit pénétrée de cet esprit de tolérance, de respect mutuel, si nous voulons faire naître un monde vraiment nouveau.
    Si hallucinantes que furent les atrocités nazies, il faut les connaître, et demander aux jeunes de les méditer, car c’est de nous mêmes qu’il s’agit. Leur sort aurait pu devenir celui de tous les hommes libres si, finalement, Hitler n’avait pas connu une défaite retentissante. Unissons-nous donc dans nos différences, pour préparer ensemble, par la paix et la justice, l’avènement d’un monde libre et fraternel, celui dont l’espoir a soutenu l’élan de tous nos martyrs.
    Au moment où les peuples se demandent si l’humanité n’est pas à la veille de se détruire, il faut que le sens humain, le sens éthique, se développent à la mesure des forces effrayantes dont l’homme est devenu le maître.

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    La médaille des Justes de l'abbé Gau

    Toute la vie de ce prêtre hors du commun fut consacrée aux œuvres sociales et à la défense de la dignité humaine. Nous le verrons dans un prochain article consacré à son mandat de député, il instaura un lien entre les hommes d'opinions différentes. Il lutta sans cesse pour abolir les préjugés et les sectarismes. Son héritage jeté aux oubliettes devrait nous engager, nous contraindre à refuser ce qui n'est pas humainement acceptable. Cet envoyé de Dieu fidèle à la pensée d'Aragon, savait réunir ceux qui croyaient au ciel et ceux qui ne croyaient pas.

    Sources

    Fonds Abbé Gau / ADA 11

    Témoignage d'Eva Fleischner

    Mémorial de Yad Vashem

    Cet article est un peu long, à l'image du grand homme que fut l'abbé Gau. Il a nécessité plusieurs heures de recherches, de synthèse et de rédaction. Puisse t-il éveiller les consciences de ce monde afin qu'il ne retombe pas dans l'enfer d'hier.

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