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Seconde guerre mondiale - Page 19

  • Alet-les-Bains, le 26 août 1942...

    Le 26 août 1942, l'adjudant de gendarmerie de la brigade de Limoux se rendit à Alet-les-Bains afin de savoir si aucun israélite habitant le village ne l'avait quitté. Depuis l'armistice, le gouvernement de Vichy avait rassemblé les réfugiés étrangers au sein de groupements de travail, appelés G.T.E. Ces familles étaient employées aux mines, à l'entretien des routes pour le compte de l'Etat-Français. Le lendemain, 26 août 1942, une quinzaine de gendarmes missionnés par la préfecture investit Alet-les-Bains pour arrêter les femmes et les enfants juifs. Ils devaient être transférés au camp de concentration de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales).

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    © Un village français

    Photographie d'illustration

    Une jeune fille du nom de Sophie Wolff s'étant enfuie et cachée dans la montagne, Madame R et son frère, industriels dans une usine de la ville, crurent bon d'effectuer eux-mêmes des recherches afin de la retrouver. Chez Madame Zimmermann, ils entrèrent et demandèrent avec virulence si elle ne cachait pas la fugitive. Madame R la menaça du camp de concentration si elle ne la livrait pas, car la nationalité roumaine de Madame Zimermann la protégeait pour le moment de la déportation. "On vous mettra en camp de concentration si vous cachez Mlle Zophie et que vous ne le déclarez pas !", lui dit-elle. Toujours de son propre chef, la présidente de la Croix-Rouge locale, fit mobiliser tous les jeunes gens du village avec leurs vélos pour faire ces recherches restées infructueuses.

    Mlle Sophie, ignorant tout cela, sachant les gendarmes partis d'Alet et n'ayant pas à manger, revint dans le village. Elle demanda à Madame Zimmermann de la cacher chez elle. Cette dernière ne put accepter en raison des menaces proférées par Madame R. Mais pas seulement... Sa maison était surveillée par des habitants d'Alet-les-Bains. La jeune fille  se rendit alors chez Madame R pour lui demander secours, mais au lieu de l'aider, elle téléphona à la gendarmerie de Limoux pour la dénoncer. La brigade répondant qu'elle considérait l'affaire comme classée, la délatrice enleva tous les papiers et la fit coucher chez une voisine. Le lendemain, Madame R la fit garder à vue et son fils donna des instructions à une ouvrière de l'usine pour qu'elle ne sorte pas.

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    © Un village français

    Emmanuelle Bach alias Jeanine Schwartz

    La Présidente de la Croix-Rouge téléphona à nouveau à la gendarmerie et les hommes ayant "ramassé" les israélites de Carcassonne, passèrent à Alet sur le chemin vers Rivesaltes. L'usine se trouvant sur la Nationale, ils s'y arrêtèrent et prirent la jeune fille avec eux. La Poste d'Alet avait reçu des instructions la veille et certaines personnes étaient au courant d'une prochaine opération policière, mais rien n'a été fait pour éviter la déportation de ces malheureux. Ils furent internés à Rivesaltes et plus tard, vers un lieu où plus de 5 millions des leurs ne revinrent jamais...

    Source

    Archives de l'Aude / 123J124

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  • Ce jeune Polonais mort pour notre liberté le 20 juillet 1944

    Le 20 juillet 1944 à 6h45, huit avions allemands J.U 88 et six mouchards survolent La Galaude, dans la Montagne noire. Dans peu de temps, ils vont lâcher leurs engins de mort sur le camp du maquis du Corps Franc de la Montagne noire dont il ne restera presque rien. On découvre près d'un arbre le corps décapité du Commandant Henri Sévenet (29 ans). Plus loin, au milieu d'une allée, le corps du cavalier Marius Barnes (20 ans). Enfin, dans les décombres encore fumants, ceux des cavaliers Marcel Maurel (30 ans) et Simon Gembarowski (21 ans). Ce dernier avait choisi de venir combattre les nazis chez nous, au milieu de ce maquis composé de résistants issus de différentes nationalités. Que reste t-il de ce jeune polonais né le 25 février 1923 à Lask ? Trop peu de choses, comme cette photo que nous avons extraite d'un journal local du 7 décembre 1944.

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    Zigmond Gembarowski

    Après avoir été inhumé près de Laprade, le corps du cavalier Gembarowski "Mort pour la France" le 20 juillet 1944 fut exhumé. Sa dépouille mortelle rejoint le petit cimetière du Mas-Cabardès, le 5 décembre 1944. C'est là que ce trouvait sa famille d'émigrés polonais et où il passa sa courte existence. Sa citation à l'ordre de l'armée au sein du 2e bataillon de Lanciers, ne souffre d'aucune discussion : 

    "Cavalier courageux à l'extrême. Lors de l'attaque du 20 juillet 1944 à La Galaube (Aude), sous un violent bombardement, a été tué par un éclat de bombe et des balles de mitrailleuses en se portant à son poste de combat."

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    Stèle au camp de La Galaube

    Sur sa tombe se sont inclinés tous les habitants du Mas-Cabardès et de nombreux étrangers. Une garde d'honneur, composée par des anciens camarades de combat, veillait sur le cercueil que recouvrait le drapeau français. Un de ses compagnons prit la parole au cimetière pour un dernier adieu.

    "Tu nous as quitté par un clair matin de juillet, à l'heure où le soleil, blond comme tes cheveux, inondait la lumière de notre forêt de Laprade. La mort t'a frappé aussi sournoisement, aussi injustement qu'elle peut le faire lorsqu'elle vient des mains allemandes. Et tu es tombé à 21 ans, au printemps de ta vie, pour la France, contre l'oppresseur. Nous, tes camarades, nous avions vécu près de toi, qui avions pu apprécier ton courage, ta droiture, ta serviabilité, nous savons quel soldat la France perd et quel ami nous perdons. Tu avais choisi la cause d'un pays que tu aimais chèrement. Aujourd'hui, tu dors dans les plis de son étendard et la France te compte parmi ses héros. Il ne t'aurait pas plus, nous le savons tous, d'avoir pour dernier asile la terre qui vit le triomphe de ceux contre lesquels tu t'étais dressé. En revenant au Mas, tu retrouves ta famille, ton village, tes innombrables amis, tes camarades de jeunesse."

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    Le monument aux morts du Mas-Cabardès

    Le maire du Mas-Cabardès au nom du Comité de Libération exprima sa fierté que la France ait pu susciter un pareil dévouement et pareils sacrifices : " La république française et la République polonaise, qui tant de fois au cours de l'histoire ont mêlé le sang de leurs fils pour les mêmes causes sacrées, saluent le corps de ce jeune héros." N'oublions pas, en effet, que la France déclara la guerre à l'Allemagne nazie parce que cette dernière avait agressé la Pologne. Combien de reines la Pologne a t-elle données à la France ? Combien de Polonais ont intégré les armées de Napoléon ? Si vous passez au Mas-Cabardès, inclinez-vous sur la tombe de Simon Gembarowski.

    Sources 

    Midi-Libre / 7 décembre 1944

    Le Corps Franc de la Montagne noire / Journal de marche

    Archives de la défense / Vincennes

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  • Carcassonne et l'apatride d'un poète inconsolable...

    La petite couturière native de Bochum en Allemagne s’était éveillée à la vie le 17 octobre 1914, mais avait dû quitter cette ville à la suite du divorce de ses parents. Jusqu’à Pâques 1932, Paula Ruth Kronenberg poursuivait sa scolarité au sein du lycée de Cologne, tout en nourrissant l’ambition de devenir tailleur. Après quelques semaines en apprentissage, l’arrivée au pouvoir du parti d’Hitler le N.S.D.AP l’obligeait à quitter son emploi. Bientôt, les lois raciales anti-juives feraient d’elle une apatride et Ruth se réfugiait comme pigiste à la Ligue de la culture juive. L’Allemande n’ayant plus de pays et la situation politique contre les israélites menaçant sa vie, Ruth s’exila vers la patrie des Droits de l’homme et du citoyen. A Paris, pensait-elle, l’asile lui serait donné. Dans la ville lumière, elle allait faire la connaissance d’un jeune et brillant poète. Roger Gilbert-Lecomte publie ses textes dans la revue littéraire « Le Grand jeu », sans pour autant adhérer au mouvement surréaliste d’André Breton. A contre courant, Lecomte reçoit néanmoins le soutien et l’estime de Jean Paulhan. 

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    Roger Gilbert-Lecomte

    Le poète a trouvé en Ruth sa muse et le jeune couple s’installe dans un studio au 16 bis rue Bardinet, près de la porte d’Orléans. Déjà, à cette époque, Lecomte est attaqué par les démons de la drogue ; avec Ruth, ils vivent une existence assez misérable. Elle essaie de travailler comme couturière, mais le prix des fournitures l’obligent à y renoncer. Lecomte brûle d’amour ; il envisage de se marier. Un crève-cœur qu’il concèdera à son ami Arthur Adamov : « Si j’avais pu l’épouser, lui donner la nationalité française, mais vous vous souvenez des décrets-lois de M. Daladier. » Un des décrets interdisait à tout français d’épouser une apatride. La France glissait déjà vers le fascisme…

    En Allemagne, les juifs sont persécutés parce que juifs. En France, ils vont l’être dés 1940 parce qu’ils sont Allemands. Enfin, au regard de la loi de leur pays, ils sont devenus des apatrides… Après que le gouvernement Daladier sous l’égide d’Albert Sarraut - Ministre de l’intérieur Radical-socialiste encore vénéré à Carcassonne - a enfermé les républicains espagnols fuyant le franquisme au camp de Gurs (64), le tour est venu sous Pétain d’y interner les juifs étrangers. C’est là que va se retrouver Ruth Kronenberg à partir du 15 avril 1940. Au cours de trois mois de détention, elle fait la connaissance d’une compatriote. Gerda Groth, née à Magdebourg de confession juive, se trouve être l’amante du peintre biélorusse Chaïm Soutine. Avec l’accord de cessez-le-feu, le camp se vide le 22 juin 1940 et les deux femmes rentrent à Paris. Selon les écrits de Ralph Dutli, le poète Joë Bousquet et le peintre Raoul Ubac ont tenté d’obtenir leur libération. Peut-être, en raison des relations qu’ils entretenaient avec Soutine.

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    Joe Bousquet

    Très vite, la situation se dégrade à Paris avec les lois raciales promulguées par le gouvernement de Vichy contre les juifs. Roger Gilbert-Lecomte bat le rappel de ses amis afin de faire passer Ruth en zone libre, vers le midi de la France. Elle sera accueillie à Carcassonne où le poète Joë Bousquet cache déjà de nombreux artistes et écrivains en provenance de la capitale. Dans « Plaidoyer pour Roger Gilbert-Lecomte » de l’ancien avocat et ministre des affaires étrangères de Mitterrand, Monsieur Roland Dumas évoque le trajet de Ruth vers Carcassonne. Ce livre édité chez Gallimard, reprend la plaidoirie de Dumas, alors mandaté par Malraux, pour faire publier les mémoires du poète. Pour se faire, l’avocat avait fondé une association en sollicitant l’adhésion d’écrivains. Certains comme François Mauriac, refusèrent : « Il y a tout de même entre le christianisme et le surréalisme une contradiction qui a pris souvent des formes violentes. » 

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    « Elle avait pris le train à la gare d’austerlitz, munie de faux papiers d’identité pour franchir la ligne de démarcation, fait des haltes interminables dans ces gares où les opérations de contrôle étaient plus faciles (…) La ligne de démarcation était située entre Orléans et Vierzon, elle s’était mise à respirer un air plus libre, plus parfumé, sans trop savoir où le passage réel s’était produit (…). Les chauffeurs de voitures à gazogène s’agitaient dans les cours des gares. A l’aide de grandes tringles, qu’ils rangeaient sur le toit de leurs véhicules, ils secouaient le charbon de bois placé à l’intérieur des fourneaux noirs qui ressemblaient à de gros chaudrons encombrants. A Carcassonne, Ruth avait découvert les remparts célèbres qui donnent à la ville son air de cité moyenâgeuse, le soleil et cet accent qui sentait si bon le large. »

    Roland Dumas ignore sans doute que Ruth voyage avec Gerda Groth, la maîtresse de Soutine. Toutes les deux seront hébergées dans les environs de Carcassonne, où elles se cachent. Certainement chez des amis du poète J. Bousquet.

    Au début de l’été 1942, toutes les deux décident avec des amis de se rendre au bord de la mer. A cette époque, l’armée allemande n’a pas encore envahi la zone sud de la France qui est administrée par l’Etat-Français de Pétain. Ruth et Gerda profitent pendant plus semaines du soleil de Collioure, la cité des peintres. A la fin du mois d’août, au moment de reprendre le train pour Carcassonne, alors que les deux jeunes femmes se trouvent dans la gare de Perpignan, on contrôle les voyageurs. « Papiers d’identité, s’il vous plaît », ordonne l’agent. Il ne peut s’agir de la Milice, car elle ne sera créée qu’en février 1943. C’est très certainement la police française… Après vérifications, elles sont internées à la prison de la ville ; leurs amis français sont relâchés. Juive, née en Allemagne ? Le pire ! Si Gerda réussit à sortir, Ruth est transférée au camp de concentration de Rivesaltes le 28 août 1942. Il faut faire rapidement libérer Ruth et Gerda sollicite ses connaissances de Carcassonne. Dans son livre « Mes années avec Soutine » publié en 1973, Gerda raconte que Ruth avait de nombreux amis français et qu’elle espérait la faire libérer par eux. Les amis comprenaient Joë Bousquet. Malgré cette débauche d’énergie, personne n’aurait osé tenter quoi que ce soit.

    Le 8 septembre 1942, elle envoie un télégramme à Max, le frère de Ruth exilé à Londres :

    « Ruth internée malheureuse. Tentez tout. Gerda Groth »

    Elle ignorait que déjà son amie d’infortune était à Drancy en instance de départ pour Auschwitz. Elle y partira le 11 septembre 1942 par le 31e transport. Jamais plus on ne la reverra…

    Aucune date ne permet de connaître le jour du décès de Paula Ruth Kronenberg, âgée de 28 ans. Officiellement, elle a disparu le 8 mai 1945… Un acte du gouvernement de la République Fédérale Allemande stipule : « Les héritiers de l’apatride Paula Ruth Kronenberg, soupçonnée d’être décédée à Rivesaltes en France à compter du 8 mai 1945, sont ces parents et son frère pour ce qui est des demandes d’indemnisations en R.F.A » Autrement dit, même après la fin du nazisme, Ruth était encore considérée comme apatride et n’était pas morte dans un camp de la mort.

    Gerda Groth retournera en 1943 à Paris à ses risques et péril et survivra à la guerre. Inondé par le chagrin, le poète Roger Gilbert-Lecomte mourra en 1943 du tétanos dans un hôpital parisien, victime des démons de la drogue. Il est inhumé dans sa ville natale de Reims.

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    L’auteur Patrick Modiano dans son ouvrage « Dora Bruder » parle du destin de Ruth Kronenberg. Son ouvrage a connu un immense succès d’édition, notamment concernant ses recherches historiques pour la petite Dora Bruder, martyr de l’ignominie humaine.

    Sources

    Mes années avec Soutine / 1973

    Plaidoyer pour Roger Gilbert-Lecomte / R. Dumas / 1985

    Dora Bruder / Patrick Modiano

    Den Kronenberg-Journal

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