L'ancien Palais de la Micheline érigé à la fin du XIXe siècle dans le pur style Art-nouveau en bordure de la route de Narbonne, n'a pas encore révélé tous ses secrets. Nous savons qu'il a été construit pour accueillir les bureaux de la distillerie Sabatier et les fêtes données par son propriétaire dans la salle du premier étage. La structure métallique supportant le toit sur le devant de la bâtisse, est constituée par des centaines de rivets tout comme les constructions de Gustave Eiffel.
Le Palais de la Micheline au début du XXe siècle
Le nouveau propriétaire, sur les conseils de l'Architecte des Bâtiments de France, a entrepris de renover à l'identique cette partie. L'anciennne toiture a été déposée; l'artisan qui est en charge de la remise en état semble convaincu qu'elle n'était pas d'origine. Depuis de nombreuses années, la terre et les fientes de pigeons s'étaient accumulées dans les gouttières rendant impossible l'évacuation des eaux pluviales. Il est prévu de la remplacer par une structure en acier, harmonieuse et dans le style de l'époque 1900. Contrairement à ce que j'ai pu entendre comme potins, le propriétaire veut redonner l'éclat d'autrefois à cet ensemble unique de l'Art-nouveau dans Carcassonne.
La salle des fêtes du Palais de la Micheline
Absolument unique à Carcassonne, la salle des fêtes est une merveille des arts décoratifs de la fin du XIXe siècle. Ce qui m'a tout de suite interpellé c'est de connaître le nom du décorateur. Là, tout de suite, Alfons Mucha m'est venu à l'esprit en observant les peintures et le style des statues. Je ne me permettrais pas de l'affirmer, mais il faudrait dépêcher un expert sur place pour authentifier. Il me semble totalement illusoire d'effectuer une recherche aux archives du département.
Pourquoi Alfons Mucha?
Alfons Maria Mucha (1860-1939), est un affichiste et peintre Tchèque. Dès 1887, il s'établit à Paris et participe à l'Exposition Universelle de 1889. Son style est reconnaissable entre tous. Il réalise vers 1894 des affiches de théâtre pour Sarah Bernhardt, à partir de modèles qu'il croque dans son atelier.
Alfons Mucha a décoré en 1901, la bijouterie Fouquet. Démontée, elle est actuellement visible au musée Carnavalet à Paris.
Quels liens avec Michel Sabatier?
Le fondateur de la distillerie était aussi un mécène à l'avant-garde de l'art. Il l'a utilisé pour vanter ses produits sous toutes ses formes: Harmonie de la Micheline, affiches, éventails, partitions de musique, disques en cire... Sabatier a participé aux Expositions universelles et ses liqueurs y ont été plusieurs fois primées. Nous savons également à travers les collections qu'il a fait appel aux meilleurs publicitaires pour réaliser les affiches de ses breuvages. La distillerie de l'Or-Kina était connue jusqu'à Paris et l'on retrouvait ses productions à la terrasse des cafés. Sabatier aurait très bien pu faire appel à Mucha entre 1889 et 1900 pour décorer son palais. Au delà de toutes ses suppositions, c'est la comparaison du style de Mucha avec la décoration de la salle qui doit nous éveiller.
Comparaisons de styles
Mucha dessinait ses affiches à partir de modèles dont il nous a légué des photographies.
Affiche Mucha
Statue dans la salle des fêtes de l'Or-Kina
L'orientalisme était à la mode à la fin du XIXe siècle. On le retrouve également en musiquedans divers opéras français comme Les pêcheurs de perles (G. Bizet) ou Lakmé (Léo Delibes), dont l'action se situe à Ceylan. On distingue chez Mucha ces femmes aux positions lassives vêtues de grands drapés, entourées de fleurs plus ou moins exotiques.
Eléments décoratifs du style Mucha, ces courbes bien pleines symbolisant les mèches des cheveux de ses modèles.
Si ce n'est pas Mucha, le décorateur s'en est fortement inspiré à Carcassonne
La comparaison mise à mal
La comparaison s'arrête là car pour le reste de la salle, il n'y a rien d'autre qui puisse nous ramener à Mucha.
Le buste de Michel Sabatier. La lyre symbolise sa passion pour la musique à travers l'harmonie qu'il avait créée avec son frère Jacques au sein de son établissement. Ce dernier jouait du violoncelle dans l'orchestre des Concerts symphoniques, dirigés par Michel Mir. Un autre industriel en était le président; il s'agissait de Philippe Lauth, patron d'une brasserie sur le boulevard Omer Sarraut.
Sur le piédestal... Ici, la date de la sculpture avec le nom du patron représenté en lion prêt à tout dévorer.
Dans un cadre une angelot disperse des pétales de fleurs sous le regard de Michel Sabatier, représenté d'une manière théâtrale. Ceci évoque sûrement les nombreuses oeuvres de mécénat du patron en direction des fêtes culturelles de Carcassonne.
Au plafond, 1885 avec les initiales entrelacées de Michel Sabatier pourraient commémorer l'année de fondation de l'entreprise.
Dans le recoin d'une pièce annexe, on aperçoit deux angelots tenant Euterpe avec sa lyre. Il s'agit de la muse de la musique. Sur la partie supérieure, Michel Sabatier apparaît sous les traîts d'un masque de la comedia dell'arte.
Dans cette salle des fêtes, c'est toute la vie industrielle de Michel Sabatier qui est symbolisée. Une ode à l'art sous toutes ses formes. Un endroit unique qui vaut de l'or et que l'on devrait faire expertiser par des historiens de l'art en vue de son classement à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Enfin, si Carcassonne s'y interesse... car je crains qu'une Bodega n'y soit installée pendant la prochaine Féria. Ce ne serait vraiment pas en adéquation avec un tel lieu !
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