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Bâtiments privés - Page 4

  • L'Usine Sainte-Marie, oubliée dans le quartier du Palais

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    La résidence Paul Sabatier

    Au milieu du XIXe les terrains situés à l’Est de la Bastide St-Louis ne sont encore occupés que par des parcelles incultes ou des jardins potagers. Les habitants de la ville qui vivent principalement à l’intérieur de la Bastide St-Louis n’ont pas d’autre choix pour s’y rendre que d’emprunter le chemin des tripiers. C’est également l’unique voie d’accès vers le bord de l’Aude et vers l’Usine Sainte-Marie, depuis que Jules Cazanave a décidé d’installer à cet endroit une nouvelle filature de laine. Situés un peu en retrait par rapport au fleuve, les bâtiments avec ses terrains servant au séchage des laines s’étendent sur une surface de 8000 m2.

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    Le chemin des tripiers (noir), le Palais de justice (vert), l'usine Ste-Marie (rouge)

    Au mois de septembre 1857, le fils de Pierre Cazanave, ancien négociant et patron de la filature de la Galaube à Lacombe (Aude), et de Jeanne Vié - la fille de Sébastien Vié, bien connu des historiens locaux, fonde la Société lainière du midi à Carcassonne. Il s’agit d’une entreprise pour l’achat et la vente des laines propres au peignage et l’exploitation d’établissements à vapeur, de peignage à la mécanique et de filature de laine cardée. Le fonds social est fixé à 750 000 francs et divisé en 1500 actions de 500 francs dont 500 sont destinées au public. Jules Cazanave fils et Cie invite les particuliers à placer leurs capitaux dans le placement sûr et avantageux que procure cette affaire. Il appuie ses arguments en faisant valoir le passé jadis prospère de l’industrie lainière de cette ville : « Cette prospérité que le temps a déjà consacrée et qui ne s’est pas un instant démentie est encore susceptible de nouveaux développements. Il est en effet certain que Carcassonne est admirablement placée pour le commerce des laines, et que chez nous l’industrie lainière n’a pas atteint la somme de bénéfices à laquelle elle peut légitimement prétendre. » Cazanave donne des garanties de confiance à tous les capitalistes du pays appelés à prendre des parts dans sa société « puisqu’elle aura un Conseil de surveillance composé d’hommes honorables, expérimentés, connus de tous et que le suffrage de chacun y aura appelés. » En vérité, la Compagnie Lainière du Midi se financera essentiellement grâce au prêt de huit banquiers répartis à Carcassonne, Béziers, Toulouse, Reims, Paris, etc. Ce sont autant de créanciers qui le moment venu se rappelleront au bon souvenir de Jules Cazanave et de Marie Sabatier, son épouse.

    Le bâtiment ne forme qu’un seul et même corps, composé de deux ailes jointes aux extrémités par une galerie ; dans plusieurs parties il y a un étage. A l’intérieur se trouvent l’habitation du maître et du concierge, les salles de la filature, les magasins. Au milieu de la cour se trouve le bâtiment  des chaudières et du gaz, ainsi que la salle pour le lavage des laines. A l’extrémité de l’étendoir se trouve le jardin d’agrément, fermé par une grille et porte de fer et entouré d’un mur de clôture. 

    Dès 1858, l’usine à vapeur Sainte-Marie emploie 300 à 350 ouvriers, tant pour le peignage des laines que pour la filature des laines cardées. Le lavage et le peignage se font à la mécanique car l’établissement qui possède son usine à gaz pour son éclairage, est mue par des machines à vapeur de 40 chevaux. D’emblée, la filature se fait remarquer par ses clients pour la qualité de ses laines peignées de premier choix, dont la matière première provient des contrées méridionales et d’Afrique. La laine cardée est plus spécialement employée à la fabrication des châles brochés et des tapis, le peigné à la fabrication des étoffes rases. A l’exposition industrielle de Carcassonne de 1859, l’usine Sainte-Marie obtient une médaille 1ère classe : « Les produits de J. Cazanave sont irréprochables sous tous rapports. Ses cardés atteignent un degré de ténuité qui constate des procédés excellents. »

    Malgré l’excellence du travail, on ressent dès 1862 les premiers signaux d’une trésorerie défaillante. L’usine commence à mettre en vente un certain nombre de ces outils de production et ce déclin se confirme cinq ans plus tard par la saisie de l’usine au nom de MM. André-Thomas Aïn-Bessou et Gustave de la Croix, syndics définitifs de la faillite Bellotiny et Cie, banquiers à Béziers. C’est la banqueroute de l’un des principaux financiers de Jules Cazanave fils et Cie qui entraîne dans sa chute l’Usine Sainte-Marie. L’adjudication de la vente sur surenchère est fixée au 21 octobre 1872, date à laquelle elle revient à François Sabatier (le beau-père de Jules Cazanave), Ernest Sabatier et Gustave Fraissé pour la somme de 75200 francs. Cette surenchère est dénoncée le 29 octobre pour 87735 francs par la ville de Carcassonne qui finit par acquérir l’ensemble des locaux et des terrains, mettant ainsi fin à l’exploitation lainière.

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    Le quartier en 1893. L'usine au bout de la rue d'Alsace

    Voici donc la ville détentrice d’une vaste usine désaffectée située à l’extrémité de la rue Neuve St-Vincent, comme une verrue dans un nouveau quartier résidentiel en construction : Le faubourg du Palais. Le maire Théophile Marcou qui avait voté en conseil municipal contre l’acquisition des locaux, n’avait pas pu convaincre sa majorité de le suivre. Il avait donc donné mandat à son troisième adjoint pour agir au nom de la commune. 80 000 francs… pour quoi faire ? Les partisans du projet évoquent l’inexorable extension du quartier vers l’Aude qui obligera la ville a percer la rue Neuve St-Vincent, actuellement obstruée par l’usine. La vente des terrains afférents devrait compenser cette dépense, mais pour le moment tout reste à faire. Les atermoiements avec les propriétaires dont il faut acheter les parcelles pour l’établissement des rues qui doivent traverser l’usine Sainte-Marie ne vont rien arranger.

    Si Marcou n’avait surtout pas voulu se résoudre à transformer l’usine en caserne, préférant affecter les crédits municipaux à la construction d’une école, son successeur Dougados voit les choses d’un autre oeil. Le 27 juin 1874, les bâtiments sont mis à la disposition du ministre de la guerre pour y loger provisoirement les hommes du 100e régiment de ligne. Le mois suivant, la ville vote l’appropriation aux frais de l’état de l’usine Sainte-Marie pour le casernement des troupes. Malgré les graves inondations de juin 1875 au cours desquelles les bâtiments se retrouvent sous plus d’un mètre d’eau, les soldats demeurent casernés. Il manque tellement de place qu’au moment de l’entrée des réservistes le 10 octobre 1876, ni le quartier de cavalerie, ni l’usine ne suffisent à les loger. On installe donc des tentes sur toute la longueur du boulevard du calvaire, actuel boulevard Marcou. Finalement pressée de partir, l’administration municipale souhaitant récupérer les locaux pour la vente des terrains, l’armée libère l’usine devenue caserne pendant quelques années. Au mois de novembre 1879, il est procédé à la vente au plus offrant des terrains dépendant de l’usine Sainte-Marie, divisés en cinq lots.

    Après sept années, la ville commence enfin à récupérer de la trésorerie sur une partie de son investissement ; il lui reste néanmoins l’imposante usine sur les bras. Qu’en faire ? On propose en 1880 sa transformation en abattoir, car les plans de celui-ci dressés par Léopold Petit sont jugés comme trop coûteux. M. Milhau pense qu’il serait souhaitable de céder l’usine au Conseil général pour y déplacer la prison et la gendarmerie, jugés trop proches du square Gambetta. Finalement, les locaux désaffectés servent à l’entrepôt des moellons provenant de la destruction du Bastion médiéval de la Figuère. Ils devaient être affectés à la construction d’une digue, dont l’ingénieur Bouffet avait dressé les plans pour protéger le faubourg du Palais des caprice du fleuve. La plupart seront volés à l’intérieur du bâtiment de l’usine en proie au pillage et au vandalisme ; les autres vendus pour 10 000 francs. Un lecteur du Courrier de l’Aude s’insurge : « On a fini par tout détruire dans cette usine ; on a volé les chambranles  en marbre et tout ce qui pouvait avoir une valeur, jusqu’aux arbres. On a mangé les poissons, comblé les bassins et finalement on a démoli les cloisons et emporté les briques. » 

    En 1888, la municipalité Jourdanne vend l’usine Sainte-Marie et ses 3210 m2 à Jacques Roumens pour 40 000 francs, sans qu’elle ait toujours réalisé le percement de la rue d’Alsace. Comble d’ironie, elle finit par louer les bâtiments sous la municipalité Durand deux ans plus tard pour y entreposer les tinettes et autres ordures de la ville ramassées par le service de salubrité Sarda. L’odeur pestilentielle se répand dans la rue d’Alsace, espèce de cul-de-sac où l’air ne peut circuler, bloqué par le mur de la vieille usine. Il faudra donc attendre la dernière décennie du siècle pour qu’enfin l’artère soit définitivement percée.

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    Vue aérienne de 1958. L'usine a été partagée en deux pour permettre le percement de la rue d'Alsace vers l'Aude

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    La résidence Paul Sabatier sur l'emprise de l'usine Sainte-Marie

    On partage les bâtiments de l’usine en deux : la partie de gauche est acquise par Antoine Baichère, conducteur de chevaux ; la partie de droite devient une distillerie.

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    Au mois d’octobre 1916, J.M Bruguière dépose une demande en préfecture pour l’établissement d’une distillerie dans les locaux désaffectés de l’usine Sainte-Marie. L’entrepreneur possède également une affaire à Limoux, avenue du pont de France.

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    En 1925, Georges Grossetête rachète à Bruguière les 4800 m2 de locaux et installe la Distillerie Sainte-Marie. Celle-ci distille les marcs, les lies de vins, rectifie les alcools. Peu soucieuse de l’environnement à cette époque, elle déverse dans le fleuve les eaux résiduelles et la vinasse.

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    © J. Blanco

    Ce qu'il reste de l'usine Sainte-Marie, ancien affenage Baichère

    L’usine Sainte-Marie finira par être complètement rasée en 1960 lorsque l’entreprise Jaur construira sur son emplacement l’actuelle résidence Paul Sabatier. En face, de l’autre côté de la rue d’Alsace, subsiste la partie acquise par Antoine Baichère. Les anciens se souviennent que le boulevard P. Sabatier avec sa double rangée de platanes n’était qu’encore qu’un vaste boulodrome avec des bancs de pierre. Depuis la rive, la barque de Victorine Vidalhac dite Titine, faisait la navette car le pont de l’avenir n’existait pas.

    Voici donc l’histoire de cette Usine Sainte-Marie, absolument oubliée de notre mémoire et sur laquelle nous n’avions que trop peu d’éléments. A la lecture de ce travail, chacun pourra désormais se faire une idée sur ce qu’était ce quartier.

    Sources

    Le courrier de l'Aude, la Fraternité, le Bon sens

    Délibérations des conseils municipaux

    Etat-Cvil et recensement de la population

    Annuaires 

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  • Le Théâtre des Nouveautés : la plus belle salle de cinéma de France !

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    Lorsqu’en 1912 l’architecte Florentin Belin dresse les plans du futur Grand Hôtel Terminus, la société Terminus-Cité souhaite que l’on inclus à l’intérieur de l’établissement, une salle des fêtes. Idéalement située au-dessus du garage de l’hôtel sur une longueur de 25 mètres, le public peut depuis ses larges fenêtres profiter du point de vue sur le boulevard Omer Sarraut. Pendant huit années elle accueille les nombreuses manifestations culturelles de la ville, comme les fêtes carnavalesques, mais son usage ponctuel ne semble pas satisfaire la direction du Terminus. Aussi, lorsqu’après la guerre le banquier Auguste Beauquier, administrateur de la Société des Grandes hôtelleries de France, se retrouve seul aux commandes de l’établissement, celui-ci décide de transformer la salle des fêtes en théâtre. Le directeur de la banque Pragma de Carcassonne, né à Conques-sur-Orbiel en 1884, avait financé avec Raoul Motte la construction du Terminus en 1914.

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    Les bow-windows ont été installés en 1922

    Au mois de novembre 1921, il convoque la presse et expose les grandes lignes de son projet. Beauquier a confié à d’éminents architectes parisiens, MM. Uldry et Mazouillé, le soin d’édifier une nouvelle salle de spectacle avec tout le confort moderne. Il compte bien attirer le public qui, d’ordinaire, assiste aux représentations lyriques dans une salle municipale vétuste et bien mal chauffé. Le nouveau théâtre sera édifié selon les techniques en vigueur ; le cabinet d’architecte utilise pour le gros œuvre le béton hennebique, mais les parties visibles devront conserver le style Art-Nouveau de l’hôtel. Les décorateurs envoyés depuis Paris, dont hélas nous ne connaissons pas les noms, exécuteront un travail remarquable. Mis à part peut-être la verrière au plafond, rien ne laisse penser que le théâtre est construit à l’époque de l’Art-déco des Années folles. Actuellement, la seule salle de spectacle de ce type en France reste l’Opéra de Vichy édifié en 1903. Si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que de la courbure du balcon jusqu’aux baignoires près de la scène, les architectes ont copié les dessins de Charles le Coeur.

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    Le balcon et les baignoires

    Le Théâtre des Nouveautés - en référence à l’illustre salle parisienne du même nom reconstruite en 1921 - comprendra au parterre des fauteuils et trois baignoires de chaque côtés, au premier étage des gradins afin de bien voir la scène et dans l’encorbellement 18 loges de quatre fauteuils. Pour les spectateurs on a prévu deux jolis promenoirs pourvus de trois bow-windows donnant sur l’extérieur. Une entrée sur le boulevard, trois sorties dont une par le Café Terminus, où il sera permis de consommer, comme dans le bar contigu au théâtre. Les spectacles comporteront des opérettes, des revues, des pièces de théâtres, ainsi que la projection de films cinématographiques.

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    Deux mois de travaux suffiront à donner au nouveau théâtre, décoré dans le style Art-nouveau de l’hôtel, tout l’éclat de son luxe et de sa beauté. La direction artistique du Théâtre des Nouveautés est confiée au compositeur carcassonnais François Fargues. Au mois de mars déjà, on y donne les premiers concerts symphoniques. L’inauguration a lieu le 1er avril 1922 avec l’opérette La fille de Madame Angot de Charles Lecocq, interprétée par des artistes du Grand Théâtre de Bordeaux sous la direction du chef Bioulès. Bien que les bénéficies aillent à une œuvre caritative de la ville, la presse regrette que l’ouvrage n’ait pas attiré un public nombreux. Toutefois, « le gratin était là » note t-elle. Les jours suivants, Les dragons de Villars d’Aimé Maillart partage l’affiche avec des spectacles plus populaires. Le spectateur préfère se divertir avec le célèbre Félix Mayol le 23 avril 1922. Ainsi programme t-on opérettes, revues, projections cinématographiques et pièces théâtrales jusqu’en 1932. Cette année-là, le Théâtre des Nouveautés a vécu… Les affaires financières d’Auguste Beauquier avaient été rattrapé par la justice. Après huit mois de prison préventive, le directeur de la banque Pragma était condamné en février 1926 à deux ans de prison et 5000 francs d’amende pour détournement au préjudice de 57 clients.

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    La verrière au plafond

    Le cinéma Le Colisée, équipé en Idéal sonore, s’installe en août 1932 dans la grande salle du Terminus avec Marcel Fargues (1899-1983) pour succéder à son père. Ayant échoué à obtenir le Grand prix de Rome de composition en 1925, le jeune Fargues s’est lancé dans l’administration des théâtres. Pendant plusieurs années, il a dirigé l’Alhambra et le théâtre municipal d’Orléans. A Carcassonne, il rachète avec son père les parts des trois actionnaires du Colisée en juin 1932. Les grands films du cinéma parlant figurent à l’affiche, comme Sans famille de Marc Allégret qui avait été tourné à Carcassonne en 1935. Dans la vitrine de M. Artozoul, le marchand d’articles de pêche de la rue de la gare, on peut lire les programmes des cinémas de la ville.

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    Pendant la seconde guerre, le Colisée sert de lieu de conférences pour les propagandistes nazis. En 1980, deux nouvelles salles sont crées puis cinq, formant un complexe. La salle de l’ancien Théâtre des nouveautés sera entièrement restaurée en 2001, mais fermée au public en 2012. Le Colisée racheté récemment à CGR par la ville de Carcassonne est actuellement en train d'être restauré et va réouvrir au public. C’est l’une des quatre plus belles salles de cinéma d’Europe ! Après l’Opéra de Vichy, on peut lui décerner le titre d’unique théâtre Art-nouveau de France. 

    Sources

    Cet article totalement inédit a été réalisé avec de nombreuses recherches dans la presse locale de l'époque. Tout ceci grâce à des abonnements payants mensuels aux sites Filae, Généanet, Retronews. A un travail de fourni dans les listes de recensement militaire, d'état-civil et des délibérations des conseils municipaux. A l'appui pour la partie cinéma, des connaissances d'Isabelle Debien. Tout ceci représente des heures au service de l'histoire de notre ville. Toutes ces informations ne sauraient être reprises sans citer le contributeur.

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  • Les secrets révélés d'un bel immeuble, 44 rue de la République

    La Bastide Saint-Louis recèle de véritables trésors architecturaux du XVIIIe siècle. Nous le savons, ils sont le fruit de l’opulente réussite des marchands drapiers. Ce qui demeure encore méconnu et non étudié, ce sont les immeubles Art-nouveau non encore inventoriés. Au détour d’une rue, le touriste curieux ou l’autochtone errant peut être arrêté par la beauté de l’une de ces façades richement ornementées. Qui pour le renseigner sur leur histoire ? Si aucun érudit n’a entrepris de recherche, les professionnels du tourisme sont incapables de relayer une seule documentation sur le sujet. C’est bien regrettable… Dans notre quête permanente de ce Carcassonne oublié, nous nous mettons régulièrement dans la peau de ce touriste curieux, frustré par tant de silence.

    En arpentant le haut de la rue de la République, une maison attire notre regard. Le numéro 42, buriné sur la façade comme gravé pour l’histoire, rappelle le souvenir jadis florissant de cet immeuble. En 1729, le marchand drapier Jean Faucher possédait là une parcelle sur le Carron de Montlaur ; bien avant que Anne Laforgue (1774-1861), veuve du bourrelier Vincent Isaac Rech (1763-1831), ne vienne habiter à cet endroit. Au n°8 de la rue du marché, leur fils Antoine Vincent (1808-1876) exerçait la profession de vitrier avec son épouse Pauline Bosviel, la fille d’un fabricant de la manufacture de Montolieu. C’est ici que naquirent Marie Pauline en 1836 et Marc Antoine Justin en 1842. Le couple déménagea après le décès d’Anne Laforgue dans la maison qu’elle occupait 42, rue Sainte-Lucie ; cette rue qui porte depuis 1883 le nom de la République.

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    Antoine Rech y installa son atelier de miroiterie. Aidé dans sa tâche par son fils Justin, il effectuait des travaux d’encadrement, de dorure et de peinture. La Maison Rech, ainsi dénommée, avait construit sa réputation sur le sérieux et la qualité de ses produits. Artisan reconnu, Antoine Rech n’en était pas moins un fervent républicain qui n’hésita pas à louer une partie de ses locaux à la franc-maçonnerie. Lui ou son fils en étaient-ils membres ? Nous le soupçonnons sans toutefois en avoir la certitude. Le 26 octobre 1862, la loge « Les vrais amis réunis » du Grand Orient de France est inaugurée à l’intérieur de la Maison Rech. Quatre ans plus tard, elle sera priée de trouver un autre local avant une mise en sommeil de plusieurs années ; Antoine Rech souhaite passer la main à son fils avec lequel il va v aller vivre, rue Sainte-Lucie. Il commence à liquider son stock puis à vendre le n°8 de la rue du marché à M. Camboulive en 1873.

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    Dès lors, le 42 devient un lieu de réunions politiques. A la mort de son père, le fils Rech qui occupe les fonctions d’administrateur délégué de la Société démocratique puis de trésorier du Cercle républicain, accentue son œuvre en faveur de la République. Trouve t-on extraordinaire que Théophile Marcou installe les bureaux de son journal La fraternité chez Justin Rech, le 9 mars 1877 ? L’ami d’enfance de Barbès dresse ici des temples à la vertu et des cachots aux vices, il vilipende les lois du gouvernement de l’Ordre moral de Broglie et ses mesures liberticides. Ses papiers sont imprimés chez Pierre Polère, l’imprimeur 33, rue Saint-Vincent (4 septembre), malgré les menaces de censure et les amendes au-dessus de sa tête. 

    Au moment du partage de la succession d’Antoine Rech en février 1877, son fils qui a pris sa suite, garde les immeubles du 42, rue Sainte-Lucie. Pour cela, il paie une soulte de 14 000 francs à sa soeur Marie Pauline, mariée avec Jean Armand Teisseire. Délaissant petit à petit l’artisanat de son père, Justin réoriente l’affaire familiale vers le commerce des articles de fêtes. Drapeaux tricolores, feux d’artifice, ballons, etc… Ses clients sont désormais les maires républicains des communes auxquels il fait appel pour l’achat de ses produits. Le fils du vitrier ne manque d’ambition politique. Aux élections municipales du mois de mai 1888, il figure sur la liste socialiste de Jourdanne et obtient sur son nom un très bon score au premier tour. Malgré cela, il va faire les frais de circonstances électorales inédites. Les républicains partis divisés en trois listes doivent fusionner pour ne pas laisser la ville aux réactionnaires de droite, arrivés en tête au premier tour.

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    Façade de l'actuel 44, rue de la République

    C’est à cette époque que Justin Rech fait appel à l’architecte Léopold Petit, premier adjoint au maire de Jourdanne. La vieille maison du 42, rue de la République se transforme alors sous les traits du génie de Petit, en une demeure dont la façade n’a pas d’égal dans le quartier. Richement sculptée par Jean Guilhem (1822-1905), cet immeuble sur trois étages et terrasse présente toutes les caractéristiques du style Art-nouveau. Hélas bientôt, le carrosse se métamorphose en citrouille et les laqués en souris. Adieu, veaux, vaches, cochons, couvée… la faillite qui guète Justin Rech finit par le rattraper. Pris à la gorge par les traites, le 5 juin 1894 tous ses biens font l’objet d’une mesure d’expropriation à la demande de Jean Baptiste Marie Armand Larrousse, directeur de la succursale du Crédit Foncier de France. La maison avec sa cour et jardin renfermant trois corps d’habitation est vendue aux enchères publiques le 13 septembre de la même année.

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    Caveau du sculpteur et tailleur de pierre, Jean Guilhem. Cimetière Saint-Michel 

    Malgré sa ruine, Justin Rech n’a à pas attendre longtemps avant de trouver un emploi. Le 10 juin, soit cinq jours après sa saisie, la mairie de Carcassonne créé un poste spécialement pour lui. Le voilà Inspecteur de la salubrité publique. Le scandale éclate par la voix de M. Cros, pourtant élu de la majorité municipale. Comment le parent de Léopold Rousset, membre du conseil municipal, peut-il être employé à la ville ? L’affrontement entre Cros et Rech à la terrasse d’un café appelle réparation ; les hommes vont donc se battre en duel. A la chaussée de Maquens, le duel tourne à la mascarade et ne fait pas de vainqueur. 

    Justin Rech qui entre temps divorcera d’avec son épouse Rose Anne Horéty le 30 décembre 1894, sera promu Receveur principal des receveurs de place. Nous ne savons pas ce qu’il advint de lui jusqu’à sa mort le 20 novembre 1913 à l’hôpital Saint-André de Bordeaux. Il avait une fille , Baptistine Pauline Augusta, mariée en 1898 avec Joseph Mas, originaire de Quillan. En 1906, le couple vivait à Tours avec leur fils Marcel, né en 1900.

    Ce n’est certainement pas un hasard si l’ancienne rue Sainte-Lucie prit en 1883 le nom de la République. Il fallait bien que ce choix fût dicté par l’histoire d’un lieu symbolique, celui de la Maison Rech.

    Sources

    Cet article ayant demandé plusieurs heures de recherches et afin de ne pas alimenter les pilleurs qui ne citent jamais ce blog, il n'est pas fait mention des sources.

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