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Bâtiments privés - Page 2

  • La famille Bourbon, une famille Carcassonnaise richissime et oubliée

    L’acte de mariage de Jean Bourbon (1695-1785) avec Françoise Viguier à Carcassonne le 19 octobre 1728, nous apprend que le futur marié, originaire d’Aurillac, est venu s’établir dans la paroisse Saint-Michel avec son père Géraud et sa mère en 1721. On suppose que cette famille bourgeoise de marchands merciers et quincaillers fit ensuite l’acquisition au sieur Jean Lamarque (1693-1743), marchand drapier, de l’immeuble situé à l’angle de la rue de Verdun et de la rue Chartrand. C’est là que Jean Bourbon tient son commerce et représente la maison Joubert et Couderc de Narbonne, connue au XVIIIe siècle pour ses activités dans la région.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Antoine Bourbon par Gamelin père

    Nous avons recensé six enfants au sein du couple dont seulement un seul arriva à l’âge adulte. Il s’agit d’Antoine Bourbon (1732-1826), négociant de son état, qui convolera en justes noces le 9 mai 1769 avec Anne Grandier, la fille d’un bourgeois de Narbonne.

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Anne Grandier par Gamelin père

    De cette union naîtront huit enfants, dont trois arriveront à l’âge adulte : Marie Anne (1773-1831), Sébastien Honoré (1774-1837) et Marie (1770-1859). Aucun d’entre-eux n’aura de descendance et seule Marie Bourbon se mariera le 31 août 1795 avec François Barrallier (1765-1831), manufacturier de draps originaire de Toulon. En 1793, il se distingua dans cette ville à la tête des contre-révolutionnaires avant de fuir le Var pour regagner Carcassonne. 

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    Château de Pech Redon, près de Pezens

    Sébastien Honoré Bourbon, propriétaire et banquier, possède une grande fortune héritée de son père, qu’il fait fructifier dans l’acquisition et dans la construction de biens immobiliers. En 1832, il achète le château de Pech Redon et ses terres près de Pezens, au général Dieudonné de Montcalm pour 160 000 francs or. Quatre jours avant son décès survenu le 25 mars 1837, il rédige dans son lit un testament dans lequel il institue sa sœur Marie comme légataire universel de ses biens. Il n’oublie pas non plus de gratifier les deux enfants adoptifs de celle-ci - Aphrodise et Rose Ferrand - d’une rente annuelle de 2000 francs. Aphrodise (1812-1862) travaille à cette époque comme commis négociant à Lyon chez Victor Garbin Noally ; Rose vit au pensionnat de Madame Cardes à Toulouse.

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    La métairie de Bouriac à Carcassonne

    Marie Bourbon profite désormais de ses rentes. Elle fait construire le domaine de Bouriac à Carcassonne à partir de 1849 et tire partie de l’exploitation de nombreuses propriétés comme celle de Bonétis à Montréal. Fervente catholique, la veuve Barrallier ne compte pas les dons qu’elle effectue en faveur des œuvres de charité au bénéfice des pauvres de la ville. Lors de son décès le 6 janvier 1859, son testament stipule qu’Aphrodise, qu’elle choisit comme légataire universel, devra régler un certain nombre de rentes perpétuelles. L’hospice civil bénéficie de 6000 francs, le bureau de bienfaisance de 200 francs. Sans oublier le curé de Saint-Michel et le Supérieur du Séminaire à hauteur de 500 francs. Si Aphrodise Ferrand hérite des biens mobiliers et immobiliers, les enfants de sa soeur auront néanmoins 1000 francs à leur majorité.

    Cet enfant, né de père et de mère inconnus, que les pères de Saint-Aphrodise avaient recueilli et dont ils avaient confié l’éducation à la famille Bourbon, ne profitera pas longtemps de son immense fortune. Il s’éteindra à Paris dans son appartement de la rue de Rivoli le 9 octobre 1862, non sans avoir fait démolir puis rebâtir le château de Pech-Redon.

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    © Bruno de Lambert des Granges

    Plans initiaux de Guiraud Cals

    Les plans, dessinés dans un premier temps par l’architecte diocésain Guiraud Cals, ne trouveront pas grâce aux yeux d’Aphrodise. Connu pour avoir exécuté les travaux de restauration de la Cité selon les désirs de Viollet-le-duc, la maîtrise de Cals ne saurait être remise en cause. Pour quelle raison Aphrodise Ferrand-Bourbon s’est-il donc détourné de lui ? A quel autre architecte a-t-on confié l’exécution du château de Pech-Redon ?

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    © Bruno de Lambert des Granges

    Plans du château dont le nom de l'architecte est inconnu

    Voici des questions auxquelles il nous est bien difficile de répondre aujourd’hui, sans que pour autant nous n’ayons pas quelques hypothèses à avancer. Dans une lettre d’Isidore Nelli à Gaston Jourdanne datée de 1900, le statuaire indique qu'il avait été envoyé par l’architecte Bancé afin de réaliser les sculptures de la façade du château et de l’immeuble de la rue Chartrand.

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    Mascaron de la façade de Pech Redon sculpté par Nelli

    Or, il n’existe point d’architecte à ce nom, mais un éditeur parisien d’ouvrages d’architecture qui collaborait avec Adolphe Lance. La mémoire de Nelli lui a-t-elle fait défaut quarante ans après, ou bien est-ce une erreur de transcription ? Lance à la place de Bancé peut être une hypothèse sérieuse si l’on considère que ce dernier s’arrêta à Carcassonne à son retour d’Italie, qu’il fut un ami de Viollet-le-duc et que la façade de Pech-Redon ressemble à la Villa de Côme. De tout évidence, la construction de ce château n’a pu être confiée qu’à un architecte diocésain car les Bourbon étaient de fervents catholiques. Si ce n’est pas Cals, ni Lance, cela pourrait-être Charles Emile Saulnier ? Le mystère demeure…

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    Arrêtons-nous maintenant sur l’immeuble de la rue Chartrand, dont les sculptures de la façade ont été réalisées par Isidore Nelli au moment de la construction de Pech-Redon. Toujours ce Bancé dans la lettre de Nelli, qui n’existe pas… La façade est contemporaine du Palais de Justice construit par l’architecte Sargines Champagne en 1861 et dont Nelli sculpta le fronton. A l’angle de l’immeuble donnant sur la rue de Verdun, on remarque une niche de style Neo-gothique dans laquelle se trouve une Vierge en marbre blanc. Louis Cros, sans toutefois donner de référence à ce qu’il avance, prétend que la statue serait l’œuvre de Barata fils, sculpteur italien du XVIIIe siècle. C’est cet artiste qui réalisa la fontaine de Neptune sur la place Carnot.

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    Sébastien Honoré Bourbon aurait acquis la Vierge après la destruction de Notre-Dame de l’Officialité, dont les bâtiments se situaient à l’emplacement des Halles. Elle aurait été ensuite placée dans la façade de son immeuble par le propriétaire au XIXe siècle. Jean-Louis Bonnet (Carcassonne, d’hier à aujourd’hui) et Marie-Chantal Ferriol (La dépêche / 24 avril 2018), toujours sans démonstration étayée par des preuves, disent qu’il s’agit de l’œuvre de Nelli. Ils se basent uniquement sur le fait qu’il ait sculpté la façade ; cela ne fait pas forcément de lui le statuaire. 

    Dans son testament olographe du 20 août 1862, Aphrodise Ferrand-Bourbon donne sa fortune aux deux enfants de sa soeur, Rose Ferrand épouse Joseph François Prosper Cardes. Les biens restent pendant quatorze ans en indivision entre Marie Geneviève Germaine Honorine Cardes épouse Riscle et Louis Marie Auguste Aphrodise Cardes dit Alma. Ces deux familles résident au premier étage de l’immeuble de la rue Chartrand, tandis que les magasins sont loués au rez-de-chaussée à plusieurs commerçants dont Louis Froumen associé à Léon Mis. Ces derniers y vendront des draperies, des robes et des toiles jusqu’en 1866 avant d’être repris par Gastilleur frères.

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    Caveau de la famille Bourbon, cimetière Saint-Michel

    Le 21 février 1876 devant Me Bausil, notaire à Carcassonne, un tirage au sort en deux lots est effectué par les héritiers d’Aphrodise Ferrand-Bourbon pour rompre l’indivision. La famille Riscle obtient : le domaine de Bonétis à Montréal d’Aude, le domaine de La Planète à Montréal et le domaine de Bouriac à Carcassonne. Ces derniers passeront par héritage entre les mains d’Auguste Satgé, le beau-fils de la nièce d’Aphrodise Ferrand-Bourbon. Bouriac appartient actuellement à Laurent Cros-Mayrevieille, petit-fils de Georges Satgé ; Bonétis à sa cousine, la fille de François de Veyrinas, ancienne secrétaire d’état du gouvernement Juppé.

    La famille Cardes obtient : le château de Pech-Redon près de Pezens, le domaine de la Poutonne et l’immeuble de la rue Chartrand. Elle conservera Pech-Redon jusqu’en 1882, année où le domaine sera vendu à Léon Caussat, ancien maire de Tourouzelle. Quant à l’immeuble  de la rue Chartrand, elle s’en séparera en 1913 après l’avoir cédé aux frères Gastilleur. Leur société devient ainsi « A la vierge , Gastilleur frères », marchands de toiles.

    Sources

    Un grand merci à M. Lambert des Granges pour sa coopération

    Merci à Charles Peytavie pour la lettre d'Isidore Nelli

    Merci à Laurent Cros-Mayrevieille

    Archives Aude, Var, Haute-Garonne et Cantal

    Courrier de l'Aude

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  • Inédit ! Carcassonne en 1880, comme vous ne l'avez jamais vue !

    Lorsque Léopold Petit, tout fraîchement sorti de l’Ecole des Beaux-arts de Paris, arrive à Carcassonne en 1868, il nourrit l’ambition de redessiner cette ville à l’image de ce que Napoléon III a entrepris dans la capitale. Le nouvel architecte de la ville, à qui l’on reprochera - pour justifier son discrédit - de n’être pas né  ici, a la ferme intention de tout démolir pour reconstruire. Toutes ces maisons lui paraissent affreuses ;  ces rues étroites, étriquées et sans caractère enfermées  à l’intérieur des vestiges des remparts médiévaux, nuisent à l’embellissement et au développement économique. Tout au long de son exercice municipal, c’est-à-dire jusqu’en 1875 et même au-delà puisque l’architecte sera adjoint au maire, Léopold Petit se heurta aux conservatismes . En 1897, il déclara lors qu’il souhaite élargir la rue de la gare : « Si on y va timidement, que l’on se contente de dire nous sommes pauvres, la ville de Carcassonne sera toujours dans sa vieille routine, on y vivra comme des escargots. Notre chance est absolument nulle et rien ne se fera à Carcassonne étant donné l’état des esprits, ne se contentant qu’à des demies mesures et jamais à des travaux franchement élaborés. »

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    La promenade Saint-Michel (Bd Barbès)

    Le plan d’alignement, ancêtre du Plan Local d’Urbanisme actuel, est dessiné en 1869 par le voyer-municipal Cayrol. Il définit pour la première fois et pour les décennies à venir, une vision urbanistique de la ville. Toutefois, Léopold Petit regrette qu’aucune disposition n’ait été prévue pour élargissement de la rue de la gare. Les alignements de 2 ou 4 mètres sont ridicules, quand il faudrait faire de cette artère une vaste avenue telle qu’on la voit à Toulouse, par exemple. Tout son projet urbain s’articule autour de cette rue, appelée de ses voeux à devenir les Champs-Elysées de Carcassonne. 

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    Le Jardin des plantes (actuel square Chénier) fut d’abord un terrain vague n’appartenant à presque personne mis à part ceux qui y aillaient cueillir les fèves nécessaires à l’Artichaut. Ce dernier étant autrefois un quartier autour de l’église Saint-Vincent. Cette pratique disparut après l’édification de l’école laïque du Bastion ; elle était si enracinée qu’elle donna le nom à la porte qui fermait encore la rue Tomey en 1820, voisine du quartier de l’Artichaut. On l’appelait alors « lé pourtal dé pano fabos ». C’était un quartier infect, sordide, mal famé, dangereux même malgré le voisinage de la gendarmerie casernée dans l’immeuble de l’actuel ancien café continental de Pavanetto. Ce quartier n’était peuplé la nuit que de gens de mauvaise vie qui disparurent lorsqu’on installa le réverbère municipal en 1825. Les édiles d’alors acquirent le champ aux fèves, alignèrent les allées, érigèrent des vasques et portèrent en triomphe sur un piédestal de granit, la colonne de marbre incarnat oubliée chez un carrier de Caunes-Minervois, pour le Trianon du château de Versailles.

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    La villa du Tivoli, bd Omer Sarraut

    Entraînée par l’essor de la viticulture audoise, la ville de Carcassonne entreprend sa mue architecturale à partir de la fin des années 1870. Une grande compagnie financière attirée par sa prospérité se propose d’étudier les projets de réfection de la rue des Carmes (actuelle piétonne). Elle a semble t-il compris, dit-on, que cette rue avait plus d’avenir encore que la rue Alsace-Lorraine à Toulouse. Pour se faire, la compagnie en visite à Carcassonne a posé les premiers jalons d’une voie large et grandiose, commençant à la gare et finissant au Portail des Jacobins. Au Jardin des plantes (square Chénier), elle souhaite acquérir les deux premières allées pour y construire un magnifique boulevard en vis-à-vis de la nouvelle école du Bastion. Imaginez donc, une espèce de boulevard de Rivoli sur l’actuel Tivoli (Bd Omer Sarraut) s’étendant jusqu’à la rue Antoine Marty avec à son extrémité un quai d’embarquement sur l’Aude, à l’endroit de l’actuel Pont de l’Avenir. Tout ceci décoré de beaux et riches immeubles de style hausmannien.

    La rue de la gare élargie autant qu'une avenue, aurait en perspective d’un bout à l’autre, la gare et les Jacobins. Léopold Petit souhaite que la statue de Barbès qui est en cours de réalisation avec son piédestal de granit, soit posée face au Portal des Jacobins ; là, où se trouve actuellement la fontaine. Sur la manutention militaire où l’on érigera l’Hôtel des Postes en 1906, l’architecte municipal a dessiné le projet d’une place de la Bourse avec une galerie s’étendant depuis la place Carnot jusqu’à boulevard Jean Jaurès. Sur l’actuelle école J. Jaurès, un nouveau théâtre municipal. Ainsi, en sortant du spectacle on aurait en perspective la fontaine de Neptune, place Carnot. Hélas ou tant mieux, selon que vous en jugerez, il n’y eut point d’élargissement de la rue des Carmes. La compagnie financière se désintéressa de Carcassonne, échaudée par le manque de volonté à voir ses projets aboutir et l’état d’esprit général.

    Malgré tout, l’initiative privée viendra au secours d’une ville exsangue, mal gérée par des conseils municipaux passant leur temps à se déchirer plutôt qu’à œuvrer. Cet article de 1881 paru dans un journal local et que nous retranscrivons, met en avant les transformations de Carcassonne obtenues grâce l’eldorado viticole. 

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    Immeuble Fabre, réalisé par l'architecte Bertrand

    "Je vois partout des magasins somptueux, d’élégantes vitrines, des trottoirs commodes, l’architecture court les rues. Les masures deviennent des maisons, les maisons des palais et les anciennes demeures aristocratiques, la propriété cardinalesque des tailleurs et des marchands de grains. Les habitants eux-mêmes ont fait peau neuve et ne jouissent plus de cet air piteux et pauvre qui donnait froid dans le dos ; les hommes sont très bien et les femmes encore mieux ; on va se faire coiffer chez Mignot et tailler des vestes par Belloc.

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    Immeuble Bastide, conçu en 1877 par Marius Esparseil

    Sur les boulevards quantité de millionnaires ou à peu près ; autant de promeneuses cherchant à le devenir ; on compte cinquante cafés, un Alhambra, deux casernes, l’Alcazar et Sainte-Cécile, les Folies-Carcassonnaises, un casino et water-closets.

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    Façade avec ses cariatides réalisée par L. Petit, Bd Jean Jaurès

    Dans l’intérieur de la ville, l’affreuse boutique a disparu, vous rencontrez des jalousies, des balcons, des rotondes, des voltes et des archivoltes, le chapiteau grec et la colonne corinthienne ; puis des objets d’art et de consommation inconnus jusqu’alors, des vases, des statues, des tableaux, des lithographies, des médailles et monnaies antiques, la porcelaine de Chine, le santal du Japon, du pain d’épice et des huitres.

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    Immeuble Combéléran (1885) par l'architecte Marius Esparseil

    Les hôtels regorgent, la monnaie ruisselle, les primeurs s’enlèvent, les pâtissiers ne dorment plus et les bouchers sont sur les dents. Ah ! Bourgeois de 1830, toi qui n’avait que le couvert pour tout potage et le gloria chez Polycarpe pour distraction, que dis-tu des bazars, des caravansérails, des maisons éventrées, des remparts démolis, des rues ouvertes, des halles construites, des journaux, des kiosques et de la portion en plein vent ? L’âge d’or n’est plus un mythe, tu l’as, il a pris naissance sous une feuille de vigne et domicile au Comptoir d’Escompte. 

    Les cafés pouvaient -ils rester en arrière du progrès ? Les cafés qui sont aujourd’hui, la Maison, l’Eglise et la Bourse ont dû faire du luxe par raison. Depuis Marsal qui commença la danse et que suivirent avec entrain Delpon et Bec, cinquante café se sont mis à la queue-leu-leu rivalisant de fioritures et d’ornementations. Mais pour construire convenablement ces cafés et créer des espaces, il a fallu souvent faire des tours de forces d’architecture dont seuls étaient capables l’argent et la science.

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    Le Café Rieux, actuellement La brasserie 4 temps (Portail des Jacobins)

    Le plus fort des tours est celui que vient d’exécuter à la force du poignet, Rieux successeur de Bec. Ce café, primitivement, possédait deux salles, plus un restaurant séparés par des escaliers immondes et une cour infecte. Aujourd’hui, ces trois salles sont réunies en quelque sorte, réunies par un escalier très élégant et un hardi percement du mur qui fait le plus bonheur à l’ouvrier qui l’a entrepris. C’est admirable comme perspective et comme goût ; aussi les consommateurs abondent-ils chez Rieux, et y trouvent ce qui peut plaire à une clientèle oisive, une terrasse ombragée, des glaces à se sucer les doigts et un billard dirigé par Vignaux n°2. Le restaurant, lui, n’a pas besoin d’éloges, car il a fait ses preuves depuis longtemps.

    Faire un pareil déjeuner à Carcassonne, lire quatre journaux du crû, boire de l’eau à la Cité, compter les maisons et les fortunes nouvelles, rencontrer des gens qui changent la fuchsine en vin de Bordeaux, la vieille bourre en drap de Sedan, l’amidon en lait de vache et les canards en nouvelles ; voir ma ville fringante et animée, assister à la résurrection de mon pauvre Lazare, qui fait la belle jambe, joue au bésigue, reste fidèle à son député, crée des écoles, fonde des hospices, construit des hôpitaux, et enfin s’enrichit avec l’impôt sur les alouettes, me donne le droit de restait stupéfait et de dire que Carcassonne est une ville remplie de miracles."

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    Immeuble Fafeur, square Gambetta

    Durant cette grande période de progrès technique, de prospérité économique à Carcassonne, la ville pouvait envisager de grandes transformations urbaines. Elle ne le fit qu’à la marge grâce essentiellement à l’initiative privée de quelques propriétaires fortunés, disposés à faire bâtir de beaux immeubles. On considéra avec peu de sérieux les projets, jugés grandiloquents, de l’architecte Petit taxé de parisianisme. Les municipalités républicaines qu’il ne faut pas blâmer, préférèrent dépenser l’argent communal à des œuvres sociales jugées comme plus utiles. La sauvegarde du patrimoine et l’urbanisme ne les ont pas beaucoup concernés. Ceci malgré des caisses municipales toujours en déficit, où la politique idéologique prima sur le développement économique. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les constructions nouvelles se firent à la marge sans réelle harmonisation urbaine. A la tête du client, la ville permit à l’un ce quelle défendit à l’autre…

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    Maison Olivet, place Carnot (1886)

    Afin d’élargir, il fallait forcer le propriétaire à se mettre à l’alignement et donc céder une partie du terrain à la commune. Les accords sur le prix accordé au m2 se disputèrent devant les tribunaux avec des procédures à long terme. A titre d’exemple, l’obligation de recul et l’alignement des nouvelles constructions sur le côté Est de la place Carnot mettront trente ans. Tracez donc une ligne droite depuis le bord de la Société générale jusqu’à la Rotonde et voyez tout ce qu’il fallait faire reculer pour obtenir l’élargissement de la rue. Faites la même chose à partir de la base de Monoprix.

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    Exemple inharmonieux d'alignement dans la rue Clémenceau

    Entre 1919 et 1939, la municipalité Tomey souhaita faire appliquer cet élargissement dans le cadre de son plan d’embellissement ; elle dut se résoudre à l’abandonner malgré quelques résultats. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous nous trouvons dans cette rue avec des immeubles alignés et d’autres reculés. Qui sait ce que serait aujourd’hui notre ville si l’on avait écouté un certain Léopold Petit…

    Sources

    Le bon sens, Le courrier de l'Aude, la Fraternité, Le rappel de l'Aude

    Délibérations du conseil municipal

    Photos et collection

    Martial Andrieu

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  • Inédit ! L'ancienne Banque Commerciale de l'Aude, 31 rue Victor Hugo

    Lorsque l’on se promène à l’intérieur de la Bastide Saint-Louis, on peut être saisi par le nombre de très beaux immeubles aux volets clos. Nous avons souhaité nous intéresser au n°31 de la rue Victor Hugo faisant angle avec la rue Jules Sauzède. Au-dessus de l’imposte de la porte d’entrée figurent encore en lettres gravées : Banque Commerciale de l’Aude. À partir de cet indice, nous avons tenté de redonner vie à cet lieu, aujourd’hui à l’abandon. 

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    Né à Perpignan en 1810, Prosper Montès vient enseigner au Collège de Carcassonne les mathématiques spéciales. En 1838, il se marie avec Marie Loubet qui donnera naissance trois ans plus tard à un fils ; celui-ci deviendra juge au tribunal de Céret. Prosper Montès quitte ensuite le collège et crée une Institution d’enseignement privé au 31, rue du Grand Séminaire. Il s’illustre également comme l’un des fondateurs de la Société des Arts des Sciences de Carcassonne. Cet homme, éprouvé par la perte prématurée de son fils unique, va dès lors laisser l’enseignement et se lancer dans une carrière de banquier. L’Institution Montès est cédée à M. Chosset et l’ancien professeur s’associe avec MM. Raymond Sarraute (négociant) et Charles Louche (banquier) pour former une société d’Escompte et de recouvrement des effets de commerce. Une partie des locaux du numéro 31 est partagée entre l’Institution Chosset et la nouvelle banque. Le 15 novembre 1883, les trois associés se déplacent au 77, Grand rue (rue de Verdun).

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    Le décès le 2 janvier 1890 de Raymond Sarraute oblige les Prosper Montès et Charles Louche à réorganiser la direction de la banque. Désormais la Société Montès et Charles Louche et Cie au capital d’un million 200 000 francs prend le nom de Banque Commerciale de l’Aude pour une durée de dix ans, du 1er juillet 1890 au 31 décembre 1900. Parmi les membres du conseil de surveillance on retrouve de grands négociants et hommes d’affaires Carcassonnais : MM. Louis Bertrand, Pierre Castel, Armand Cavaillès, Edouard Cuin, Léon Delpon, Philippe Magné, Henri Pullès, Charles Ramel et Emile Roumens. Les bureaux reviennent au 31, rue Victor Hugo.

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    Trois ans plus tard, c’est Charles Louche qui, le 13 mars 1893, est emporté par la maladie. Prosper Montès, l’unique fondateur, s’entoure alors de Robert Saurel et de Paul Coste, employés de banque. Un changement qui ne dure pas puisque Prosper Montès s’éteint le 4 juillet 1894 à l’âge de 84 ans. Le 17 juillet 1894, la Banque Commerciale de l’Aude devient Saurel, Coste et Cie suite à un acte de sous seing privé dressé par Maître Bausil, notaire à Carcassonne. L’immeuble de Prosper Montès affermé à la Banque Commerciale de l’Aude jusqu’en 1900 pour 4500 francs annuel est mis alors en vente par ses héritiers. Robert Saurel, son épouse Marie Salvaire et son fils Raymond s’y installent. C’est ce dernier qui reprend les affaires à la mort de son père avec un nouvel associé M. Labrousse puis avec M. Sibra. La Banque commerciale de l’Aude et Banque du Roussillon réunis possèdent des bureaux à Castelnaudary, Limoux et Sigean et deux succursales : la banque Cazaban et Cie à Carcassonne et la banque Joreau et Cie à Narbonne. Ses principes activités résident dans le prêt accordé aux viticulteurs.

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    Agence de la CACB à Orleansville (Algérie)  en 1959

    En 1959, La Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque (CACB), fondée en 1948, rachète plusieurs établissements dont la Banque Commerciale de l’Aude et Banque du Roussilon réunis. L’absorption de l’établissement Carcassonnais signe la fin de l’indépendance de la Banque Commerciale de l’Aude fondée en 1890. Il ne reste que plus que le titre sur l’immeuble du 31, rue Victor Hugo et certainement quelques souvenirs dans la mémoire de nos lecteurs.

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