Depuis les comblement des fossés ceinturant la Bastide au XVIIIe siècle, l’espace compris entre le Bastion des moulins et la Porte de Toulouse prit successivement les noms de Promenade Ouest, de boulevard du Calvaire, de boulevard du lycée (1883) et de boulevard Marcou (1898). Au milieu du XIXe siècle, on apercevait encore les vestiges des anciens remparts sur le côté droit en remontant vers l’actuelle place Davilla, tandis qu’à gauche s’étendaient les terrains encore vierges de l’enclos Gaubert. A l’instar du boulevard Saint-Michel (Barbès), le plan d’alignement de 1869 allait ordonner la construction des nouveaux immeubles parallèlement aux vieux murs médiévaux. Les très belles maisons de maître édifiées par les familles enrichies dans le négoce du vin et qui jalonnent le boulevard Marcou, témoignent encore de ce passé exceptionnel. Il s’agit d’une histoire méconnue, oubliée. Nous vous proposons donc de parcourir le boulevard Marcou à partir du côté gauche en descendant vers la place Davilla, puis de remonter par le côté droit vers le Calvaire.
Au mois de décembre 1871, Auguste Théodore Lauth (né à Strasbourg en 1843) qui vient d’acquérir une parcelle à l’enclos Gaubert, écrit à la mairie afin que celle-ci lui cède la partie du terrain communal qui borde la route n°119. Il se propose d’édifier une maison avec remises, écuries et magasins sur l’ensemble de sa future propriété. Cousin du banquier et maire de Strasbourg Ernest Lauth, Auguste Théodore avait émigré dans l’Aude avant l’annexion de l’Alsace-Lorraine à la Prusse comme son parent, le brasseur Frédéric Philippe Lauth. Avec son épouse Mélanie Gœtelmann († 1916), il avait acquis le domaine de Lacanade à Fontiès-Cabardès et avait placé sa fortune dans le négoce du vin. Fervent républicain proche des idées de Marcou, Auguste Lauth n’a aucun mal à obtenir la cession du terrain, mais à la condition que le plan d’élévation de la maison soit dessiné par l’architecte municipal (Léopold Petit), tout comme la grille délimitant le terrain. A l’instar des familles alsaciennes ayant émigré dans l’Aude comme les Lauer (brasseurs) ou Scheurer (organistes), les Lauth optent pour la nationalité française en 1872. Un lien relie Auguste Lauth à notre Cité médiévale ; il était cousin avec Emile Boeswillwald, l’architecte qui reprit les restaurations après la mort de Viollet-le-duc.
Le balcon de la villa avec son blason
A l’angle du boulevard Barbès s’élève donc à partir de 1873 une villa de maître, dont la façade n’a rien à envier à celles construites sur la côte d’azur à la même époque. Nous ignorons pour quelles raisons mais Lauth, devenu conseiller municipal et conseiller d’arrondissement, ne s’acquitte toujours pas de sa dette envers la mairie après douze ans. Après avoir fait construire à côté un nouvel immeuble de style Hausmannienn dans lequel il va loger, Auguste Lauth décide de louer sa villa à Amédée Labeaute en 1889 (Cf, Claude Marquié, La dépêche, 2001 d’après les souvenirs de Paul Detours). Permettez-nous de nous interroger. Le sieur Labeaute, propriétaire à Cailhau, s’était marié avec Cécile Thérèse Guillermine Guillard d’Arcy ; une jeune femme dont la généalogie nobiliaire remonte au moins au XVIe siècle. Comment donc un fervent républicain aurait-il pu orner la grille de sa ville de fleur de lys ?
Pourquoi donc le balcon est-il décoré avec les armes d’une famille aristocratique dont le symbole comme le heaume représente le titre de marquis ? Comment expliquer l’on ait donné le nom de « Villa Sainte-Gracieuse » à une maison construite par un protestant, eux qui ne reconnaissent aucun saint ? Sans compter que c’est le baron Detours (chrétien fervent et royaliste), héritier des Labeaute, qui s’installera ensuite dans cette villa jusqu’à sa vente à Joachim Estrade.
La maison d'Auguste Lauth, n°3. Sur le fronton, les initiales du maître des lieux "A.L"
À la suite de la maison d’Auguste Lauth (n°3), Jules Bastide (époux d’Irma Paraire) vendit sa demeure à M. Rieux en 1892. Au numéros 7 et 9, la maison Carayol. Elle fait l’angle avec la rue de la mairie prolongée percée en 1881 et qui prend le nom du philosophe Jean-Jacques Rousseau en 1883. Au cours de la décennie la municipalité carcassonnaise, profondément anti-cléricale, décide de modifier les noms de rues. Les saints disparaissent au profit des philosophes des lumières (Voltaire, Rousseau) ou des illustres républicains comme Barbès.
Sur le prolongement du boulevard Marcou jusqu’au couvent des sœurs Marie Auxillaitrice (actuel immeuble Jaur), on trouve d’autres maisons de négociants : MM. Sigé (propriétaire de la métairie du Viguier), Victor Boyer et Léon Parlange (originaire du Cantal). Elles communiquent avec leurs magasins situés sur l’allée l’Iéna.
La clôture sur l'ancien rempart médiéval avec ses balustres
Plaçons-nous désormais à l’angle de la rue de Verdun. Au n°97, vivait le médecin Emile Guillard D’Arcy, né en 1802 à Castelnaudary ; Il y mourra en 1866. L’une de ses filles, l’autre s’étant mariée avec Amédée Labeaute, épousa le lieutenant-colonel Ancenay en 1877. Cet officier nommé à Carcassonne pour prendre le commandement du 17e régiment de Dragons, y rencontra Marguerite Guillemine Félicité Guillard d’Arcy. Il vécurent jusqu’à leur décès dans la belle demeure du beau-père. Benoît Fernand Ancenay (Pouilly Saint-Genis 1837- Carcassonne 1904) décide en 1887 de solliciter l’alignement de sa maison le long du boulevard. Sur les vestiges des anciens remparts, il se propose d’embellir l’endroit avec une clôture surmontée de balustres. Elles sont l’œuvre de Léopold Petit. La ville de son côté, s’engage à faire enlever les lieux d’aisance et à accorder une ligne d’eau à M. Ancenay. Si à cette époque, on voyait encore les ruines de la tour de la porte de Toulouse et les remparts, les travaux les ont fait disparaître.
Le Café de l'Aude avec sa façade ornée de mascarons
A l’angle de la rue Aimé Ramond (n°115) et du boulevard Marcou (n°6) se trouvait le Café de l’Aude tenu par Joseph Bendine (1822-1883). Originaire de Roquefeuil, ce tailleur de pierre avait fondé cet établissement au début des années 1870 avec son épouse Jeanne Rouzaud. Dans le nouveau quartier, ce lieu attirait les sympathisants du Cercle Barbès qui y tenaient leurs réunions. On y dansait et faisait la fête sous les lampions à la belle saison. En 1890, le fils Bendine emprunte 9000 francs au Crédit foncier pour moderniser et agrandir le café. Cinq and plus tard, il est vendu à Firmin Cuxac (originaire de Nébias), dont un membre de la famille possédait la Villa Roy. Après la Première guerre mondiale, l’établissement disparut au profit de Jean Ganet, marchand de machines agricoles.
Très bel immeuble modernisé et réhabilité par le Groupe Marcou
Au n°8, ce bel immeuble a été construit sur le chemin de ronde du rempart médiéval sur demande de M. Protais puis des héritiers Bonnafous et Bérail vers 1880. Il fait l’angle avec la ruelle des Pénitents noirs, devenue la rue Arago.
Merci à Jacques Blanco pour être allé me prendre quelques clichés sur le terrain
Sources
Délibérations des conseils municipaux
Etat-Civil / ADA 11
Le courrier de l'Aude, La fraternité
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