Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 5

  • Guillaume Peyrusse, baron de l'Empire et maire, accusé de fraude électorale !

    La recherche historique nous apprend dans bien des cas, qu’il ne faut pas s’en tenir aux jugements hâtifs, portés par une unique voix surtout quand celle-ci peut être jugée comme partisane. Jean Amiel, érudit de notre ville en son temps, publia en 1929 dans un livre la biographie de six Carcassonnais célèbres. Parmi eux, le baron Guillaume Peyrusse (1776-1860) qui avait été trésorier de Napoléon 1er pendant les Cent jours, semblait devoir profiter de toutes les considérations honorifiques de la part de l’auteur. Il est vrai pourtant que ce proche de l’Empereur dans ses derniers jours de l’exil à Saint-Hélène, avait été accusé prétendument à tort de s’être enrichi sur la caisse de Sa Majesté Impériale. Le maître déchu n’avait pas laissé, il faut en convenir, un bon souvenir à Peyrusse dans le troisième codicille de son testament ainsi retranscrit : « J’avais chez le banquier Tortonia, de Rome, deux à trois cent mille francs en lettres de change produit de mes revenus de l’île d’Elbe ; depuis 1815, le sieur de la Peyrusse, quoiqu’il ne fut plus mon trésorier et n’eût pas de caractère, a tiré à lui cette œuvre, on la lui fera restituer. » Cette affaire, comme un cailloux dans la chaussure, embarrassa longtemps le baron Peyrusse ; il dut s’en défendre, prouver sa bonne foi et renouveler son argumentaire après chaque attaque dont il fut l’objet au cours de sa vie politique : « Je me suis empressé dès l’arrivée en France des exécuteurs testamentaires (Bertrand, Montholon et Marchand, NDLR) de l’Empereur, de remettre l’état des fonds chef M. Tortonia (banquier) et ceux qui n’avaient pas été employés pour le service de Napoléon, dit-il. » Afin de compléter la justification, Guillaume Peyrusse publia les comptes dans un mémoire qui fut inséré dans le n°122 de « La France méridionale ». Les dépôts des pièces comptables furent, d’après lui, déposés chez un notaire. Ceci tendit à prouver que les fonds de Napoléon réalisés à la caisse du banquier, n’en étaient jamais sortis et que les lettres de change n’avaient pas été acquittées. Quant au codicille, l’Empereur a sans doute été mal informé ; on ne lui a pas annoncé que ces valeurs étaient mortes. Voilà donc pour l’explication de M. Peyrusse. A cela s’ajoutent les trois lettres des exécuteurs testamentaires attestant de la probité du trésorier, dont celle de Bertrand le 24 avril 1829 :

    « Sur la demande de M. le baron Peyrusse, ancien trésorier de l’Empereur Napoléon dans l’île d’Elbe, je déclare qu’il résulte des faits à ma connaissance, des renseignements qui m’ont été donnés, ainsi que des comptes de M. Tortonia, duc de Bracciano. Que les sommes provenant des lettres de change envoyées à Rome en 1814 et 1815 pour le service de l’île d’Elbe, et dont la valeur a pu être réalisée, ont été dépensées par M. Tortonia, conformément aux dispositions qu’il a reçues à cet effet, et qu’aucune partie n’en a été remise à M. Peyrusse. Que les autres lettres de change ayant été protestées, et ce banquier n’ayant pu par la suite des évènements de 1815 en faire effectuer le paiement, il les renvoya à M. Peyrusse qui s’empressa de les faire mettre à la disposition des exécuteurs testamentaires à leur arrivée en France. Que le deuxième paragraphe du troisième codicille au testament de l’Empereur, a été rédigé par Sa Majesté dans une supposition qui s’est trouvée sans fondement et qui tenait à la difficulté où s’est trouvé le testateur d’avoir des nouvelles exactes de ses affaires. »

    peyrusse guillaume

    © Alain Pignon

    Guillaume Peyrusse

    La Gazette du Languedoc aima très souvent se rappeler au bons souvenirs de M. Peyrusse en ce qui concerne l’affaire du testament. Particulièrement, à partir de l’instant où il fut nommé maire de Carcassonne par Louis-Philippe, le 12 décembre 1832. « Ma carrière politique n’a eu qu’un acte. J’ai été de la dernière volonté de l’Empereur, alors que 300 exemplaires du n°122 de la France méridionale et 500 exemplaires du Moniteur et le dépôt de toutes les pièces chez le notaire ont fait connaître à ma ville l’erreur de Sa Majesté à mon égard […] La loi me protège, mais votre loyauté me rassure. » En janvier 1833, « La Tribune des départements » manifeste dans des termes peu élogieux sa désapprobation : « Il faut qu’un pouvoir soit tombé bien bas pour être obligé de livrer les emplois publics à des hommes comme ceux-là, car nous aimons mieux croire à son impuissance à éviter le vice, qu’aux sympathies qu’il pourrait inspirer. »

    Malgré les démentis de toutes sortes, le testament manuscrit de Napoléon menait la vie dure à son ancien trésorier. Ainsi, « L’histoire de France » de l’abbé de Montgaillard (Tome 3, p.158), dont le frère avait été en indélicatesse avec Peyrusse au moment de la chute de l’Empire, rappela ce que ce dernier s’évertuait à vouloir faire disparaître. 

    A l’instar des anciens bonapartistes, Peyrusse avait choisi de se ranger derrière la personne de Louis-Philippe après les évènements de juillet. A ce propos, il ne tarissait pas d’éloges sur le descendant de la branche des Orléans et s’était fait, semble t-il, un grand nombre d’adversaires du côté des légitimistes et des républicains. Pour exemple, citons les louanges à son roi au moment des fêtes organisées le 1er mai pour la Saint-Philippe : « Carcassonnais, nous célébrons le 1er mai la fête de Louis-Philippe. La France ne pouvait confier en de plus dignes mains, le soin de veiller sur son repos, sur sa gloire, sur ses institutions. La noble tâche que le vœu national lui a imposé s’accomplit. » La messe qui s’ensuivit à la cathédrale Saint-Michel fut présidée par le préfet en habit avec l’ensemble des budgétivores, d’après la chronique. Pour autant, l’action municipale de Peyrusse dans les deux premières années de son mandat se passa sans problèmes notables. Là, où les événements se bousculèrent c’est au moment des élections municipales de novembre 1834. A cette époque, un collège électoral élisait le maire et les conseillers municipaux.

    peyrusse guillaume

    Louis-Philippe 1er, roi des Français

    Le 27 novembre 1834, les votes avaient débuté dans la salle de hôtel de ville par la 1ère Section selon le découpage électoral de Carcassonne. Deux candidats favorables au maire avait été élus, mais il fallait attendre le lendemain pour se prononcer sur le troisième siège. Le 28 novembre, les électeurs se rendirent aux urnes avec l’idée de surveiller le maire, soupçonné d’être capable de fraude pour éviter l’opposition démocratique des légitimistes et des Républicains. Plusieurs bulletins avaient déjà été remis au président du bureau de vote qui les avait successivement déposés dans l’urne, lorsqu’un membre du bureau crut s’apercevoir que Peyrusse substituait des bulletins cachés dans sa main gauche à ceux, que sa main droite recevait des votants. L’opération répétée trois ou quatre fois, suscita l’émoi chez le secrétaire qui en fit reproche au maire. 

     - Monsieur, répliqua Peyrusse, vous ne soutiendrez pas votre accusation.

    - Je la soutiens sur l’honneur, et j’invoque le témoignage des scrutateurs qui vous assistent.

    Sur leur réponse, le maire suspendit la séance et se retira dans son cabinet.

    - Il faut l’arrêter, disent les uns, puisque nous le prenons en flagrant délit. Il faut le fouiller et faire vider ses poches.

    Dans la foulée, une protestation fut rédigée et adressée au préfet de l’Aude et au procureur du roi. En voici la teneur :

    Nous, membres et scrutateurs du bureau désigné par la loi pour procéder aux opérations de l’assemblée communale de la 1ère section.

    Considérant que, pendant que l’on procédait aux votes, M. le maire, président du bureau, après avoir exigé que MM. les électeurs lui remissent leurs bulletins, y substituait des bulletins étrangers, et les introduisait dans l’urne à la place des bulletins véritables.

    Considérant qu’une pareille fraude a été pratiquée notamment, à l’égard des bulletins remis par MM. Projet Bernard, Saïsset, commandant en retraite.

    Considérant que déjà, dans la journée du 27, les sous-signés avaient cru s’apercevoir de ce qu’il y avait d’équivoque dans la conduite de ce même fonctionnaire, président les élections de cette journée, mais qu’ils avaient dû garder le silence parce qu’ils n’avaient acquis aucune preuve certaine de fraude.

    Considérant qu’à l’appui de cette constatation, les soussignés ont remarqué que M. le maire s’est retiré de l’assemblée et s’est empressé de quitter le fauteuil de la présidence pour passer dans un cabinet particulier, quand il a vu que la fraude était reconnue et signalée aux électeurs votants, par l’un des membres du bureau.

    Considérant qu’un pareil fait porte atteinte grave à la validité des élections de la première section, en même temps qu’il est de nature à livrer au mépris public et à la vindicte des lois, ceux des membres du bureau qui pourraient être soupçonnés de s’en être rendus les complices.

    Considérant qu’il est dès lors de l’honneur et de la dignité du bureau de ne pas continuer de présider à des opérations viciées par un acte frauduleux, quelque extraordinaire qu’il puisse paraître.

    Les soussignés protestent contre la partie de ces opérations, déjà faites, et déclarent se retirer du bureau, afin de ne pas voir leur responsabilité et dignité d’homme et de citoyen compromise.

    En se retirant, les soussignés, formant la majorité du bureau, émettent le voeu que les bulletins déjà reçus, soient mis entre les mains d’un notaire ou autre officier public, afin qu’ils puissent plus tard servir à la justification des faits avancés dans le présent acte.

    En même temps, il demandent l’insertion de la présente protestation au procès-verbal. En foi de quoi, les présentes ont été rédigées et remises, après signature, entre les mains de M. le maire, le tout avant le dépouillement du scrutin. Signé, Boulac, Journet père et Germain père.

    Le 29 novembre 1834, lendemain de l’élection, quatorze électeurs sollicitèrent l’annulation su scrutin des 27 et 28 novembre. Les motifs furent exposés. On constata que le dépouillement de la veille ne donnait que 22 suffrages à M. Marti-Roux - opposant à Peyrusse - alors qu’une enquête réalisée postérieurement au scrutin lui en accordait 40. M. Rouby, électeur de la section, protesta contre le fait que l’urne avait été abandonnée et que trois membres n’étaient plus présents dans le bureau où se tenait le vote. M. Mossel ajouta n’avoir pas pu voter car le bureau avait été abandonné le 28 ; une affirmation complétée par M. Bernard attestant que le bureau était effectivement déserté et que seuls Peyrusse et Germain se trouvaient près de la cheminée.

    Le Conseil de préfecture, présidé par le préfet et MM. Sicard-Blancard, David-Barrière er Renard, fut chargé dans un premier temps d’examiner la requête des plaignants. Dans son délibéré du 9 décembre 1834, il valida l’élection du 27 novembre de MM. Cazanave et Coumes, mais déclara nulle celle du 28 novembre remportée par M. Jaffus. Estimant que l’arrêté « n’examina pas le fond de la question de validité ; c’est-à-dire la fraude coupable qui avait amené un résultat inattendu, le conseil de préfecture cassa uniquement le scrutin du 28 novembre pour irrégularité de forme », l’avocat des parties civiles M. Crémieux, porta l’affaire devant le Conseil d’état. Une réponse à la défense de M. Peyrusse fut même rédigée sur douze pages par les plaignants et signée de MM. Fages (avocat et bâtonnier), Rouby (Propriétaire) et Trinchan (avocat, capitaine de la Garde Nationale et conseiller municipal).

    peyrusse guillaume

    Désormais, les soupçons de fraude électorale mettaient Guillaume Peyrusse sous la menace des sanctions prévues par les articles 111,112 et 114 du Code pénal. A Carcassonne, en faisant jouer ses relations, il avait pu obtenir la mansuétude du conseil de préfecture. Qu’en serait-il à Paris ? Poursuivant malgré cela ses fonctions de maire, l’ancien trésorier de l’Empereur articula sa défense autour de la menace. Quiconque osera (journalistes ou scrutateurs) après « toutefois qu’il aura obtenu l’autorisation nécessaire du Conseil d’état », l’accuser de fraude sera immédiatement poursuivi devant la justice pour calomnie. Loin d’avoir été impressionnés, les signataires de la protestation se saisirent de l’occasion pour sommer le maire de venir s’expliquer avant les tribunaux. Quant au préfet, le doute sur sa neutralité n’était plus permis depuis qu’il avait annoncé en janvier 1835 en envoyant au ministre la liste pour nomination du maire et des adjoints : 

    Je ne fais pas de présentation du maire ; il est probable que l’instruction commencée contre M. Peyrusse devant la Cour Royale de Montpellier aura le résultat que nous espérions ; dans ce cas, c’’est M. Peyrusse que je proposerai. » Si fait, qu’en attendant, le gouvernement de Louis-Philippe le nomma Sous-intendant militaire à La Rochelle malgré l’affaire en cours. Guillaume Peyrusse bénéficiait de sérieux appuis auprès du roi et pour l’attaquer devant le Conseil d’état, fallait-il encore obtenir une autorisation royale. Le garde des sceaux présenta une requête afin de savoir si le Conseil d’état devait délibérer pour autoriser le ministère public à poursuivre le maire sur les délits de fraude électorale. Or, le rapporteur n’avait pas encore rendu ses conclusions et Carcassonne s’administrait sans maire. Les adjoints proposés sans être consultés, refusèrent. Les sortants durent cesser leurs fonctions à l’expiration de celles-ci, au commencement de 1835. Peyrusse restait le premier magistrat de la commune, lorsqu’arriva la séance houleuse du conseil municipal du 7 mai exhortant Monsieur le baron à quitter ses fonctions. Le 10 juin, le conseiller municipal Sarrand qui lui succédera déclare : « Quand bien même M. Peyrusse aurait qualité légale pour rester en fonction, les mêmes considérations morales qui l’avaient fait s’abstenir de présider le conseil après l’invitation expresse qui en fut faite dans la séance du 7 mai, lui faisait devoir de ne plus participer à aucun acte d’administration, jusqu’à ce qu’il eût victorieusement repoussé devant les tribunaux et l’opinion publique, l’accusation de faux portée contre lui ! » Le maire sera absent des séances jusqu’au mois d’août et remplacé par Plauzoles et Sarrand.

    Après que le Conseil d’état a déclaré finalement ne pas avoir de motifs suffisants pour « poursuivre M. Peyrusse à raison des fraudes électorales qu’on lui impute », le maire fit une timide réapparition à la fin septembre 1835. On ne reviendra pas sur la chose jugée, on ne s’en tiendra donc qu’aux conditions dans lesquelles elle le fut. Par ordonnance du 12 septembre 1835, le roi Louis-Philippe sur proposition d’Adolphe Thiers, nomma à nouveau Peyrusse au poste du maire de Carcassonne. Dans le mois qui suivit, le baron Peyrusse dut se résoudre à démissionner en raison de la fronde menée contre lui au sein du conseil municipal par ses collègues. Il sera remplacé le 23 novembre 1834 par Louis Sarrand - un ancien des campagnes napoléoniennes, boiteux en raison d’une mauvaise blessure de guerre, qui accepta malgré l’avis défavorable de son conseil de famille.

    peyrusse guillaume

    © Alain Pignon

    Louis Sarrand

    Guillaume Peyrusse avait-il réellement faussé les élections communales de la 1ère section de Carcassonne ? Y a t-il eu une kabbale montée contre lui par certains de ses collègues, comme le laisse supposer Jean Amiel dans sa biographie « Six Ataciens célèbres » ? Les conclusions d’Amiel tendant à exonérer l’ancien maire, ne s’appuient que sur ce qu’en dit Mahul dans son Cartulaire. C’est-à-dire seulement quelques lignes : « Des écrits contradictoires sur ces débats furent publiés de part et d’autre, à Carcassonne, par la voie de la presse locale durant le cours de l’année 1835. Les écrits publiés pour l’inculpation sont signés par les chefs habituels de l’opposition politique de l’époque. » Jean Amiel, à son corps défendant, ajoute : « C’est tout. Nous avons fait des recherches personnelles qui ne nous ont rien donné de plus. C’est peu. L’on en conviendra. »

    Et pour cause… Jacques Alphonse Mahul était le cousin germain de Guillaume Peyrusse. Ancien doctrinaire, haï de la population pour ses positions antisociales et contre la liberté de la presse lors de son mandat de député, il dut abandonner la politique et se faire oublier avec son Cartulaire. Que Guillaume Peyrusse ait été attaqué par les légitimistes Bourbons et les Républicains semble acquis, mais le conseil municipal Orléaniste lui était favorable. A moins que quelques anciens bonapartistes comme Sarrand, passés comme lui à Louis-Philippe, n’aient eu une quelconque rancune à son endroit. L’histoire le révèlera t-elle un jour ? La réhabilitation de Guillaume Peyrusse interviendra lors du passage de Napoléon III à Carcassonne avec la remise de la Légion d’honneur en 1852, après avoir chanté les louanges de Louis-Philippe. Les hommes sont ce qu’ils sont, le temps ne les changera pas.

    peyrusse guillaume

    Le baron Peyrusse est inhumé dans le cimetière Saint-Vincent. Sa tombe a été restaurée et une plaque apposée par les soins de l'Association des Amis de la ville et de la Cité.

    Sources

    La tribune des départements, La tribune littéraire et politique, La quotidienne, La gazette du Languedoc, Le moniteur universel, Le figaro / 1832 à 1835

    Six Ataciens célèbres / Jean Amiel / 1929

    Délibérations du Conseil municipal de Carcassonne

    Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

    ______________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019

  • La Cité de Carcassonne par Antoine Guillemet (1841-1918)

    Elève de Corot et plus tard proche de Manet, Monet et Courbet, Jean Baptiste Antoine Guillemet est considéré comme l'un des maître du paysage de la fin du XIXe siècle. Il naît à Chantilly en 1841 de Louise Durosoy dont il porte pour un temps le nom, en l'absence de père connu. Ce n'est que deux ans plus tard qu'Arsace Guillemet consentira à le reconnaître. Au mois de février 1911, le journal "L'excelsior" nous apprend que le peintre "achève à l'atelier un tableau d'imposantes dimensions, où la Cité dresse ses nobles murs et ses tours sarrasines au-dessus du vieux pont romain et des campagnes aux lignes fermes, dans joie du soleil." Il est probable que Guillemet ait posé son chevalet durant l'année 1910 sur les bords de l'Aude en contrebas du Pont vieux. La couleur du feuillage nous laisse penser que ce fut à l'automne, par l'une de ces après-midi où le soleil n'a pas encore quitté sa belle exposition. La barque près de la rive du fleuve témoigne de la présence d'une sablière à cet endroit. En effet, les ouvriers procédaient à l'extraction du sable et l'importaient sur leurs embarcations ; ceci se retrouve sur des cartes postales de cette époque. Ceci pourrait également expliquer le choix de l'endroit que Guillemet aurait pu repérer grâce à une photographie. Autre détail... Nous avons trouvé des Guillemet natifs de plusieurs villages de l'Aude au XVIIIe et XIXe siècle, notamment à Saint-Hilaire. Au XVIe siècle, un curé du chapitre cathédral de Carcassonne s'appelait Guillemet. Est-ce à dire qu'il avait de la famille dans l'Aude ?

    Capture d’écran 2019-11-13 à 15.14.55.png

    En 2019, le lieu où Guillemet posa son chevalet à la même époque. 

    Cette toile, Guillemet la présenta au Salon des Artistes Français en avril 1911 avec un autre tableau tiré de son pinceau, "La plage de Villiers". Si "La Cité de Carcassonne" remporta le premier tour de scrutin, elle fut battue au second tour par une toile de Renard. Les gazettes de l'époque rapportent : "Il nous découvre un quadrilatère ensoleillé, solidement bâti sur sa hauteur, avec, dans le bas, une vaste vallée, dont la fraîcheur n'a rien à envier ni à Equien, ni à Moret, paysages favoris du grand paysagiste." (Le soleil / 29 avril 1911). "La Cité de Carcassonne, bellement peinte par Guillemet, est un petit paysage, simple esquisse, mais du plus vigoureux accent et enlevée comme par jeu." (La Gazette de France). On apprend que cette toile était destinée au Musée du Luxembourg. Elle sera acquise par l'Etat suite à l'exposition de l'Ecole des Beaux-arts et viendra ensuite enrichir les collections du Musée des Beaux-arts de Carcassonne.

    IMG_34201.jpg

    Aujourd'hui, elle se trouve dans le bureau du secrétariat du maire à Hôtel de ville de Carcassonne. Elle y jouit d'une belle lumière et d'un bel emplacement, remarqué par tous ceux qui ont ensuite rendez-vous dans le bureau du premier magistrat de la ville. 

    _______________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019

  • Un soldat du 17e régiment de ligne raconte le mutinerie de juin 1907

    L’année 1907 fut marquée dans notre midi languedocien par une révolte vigneronne sans précédent. Dans toutes les villes de la région des manifestations de plusieurs milliers de viticulteurs et de leurs familles, étranglées par la crise de la surproduction vinicole, appelaient à l’aide le gouvernement de la République. L’entêtement de Georges Clémenceau à ne pas vouloir entendre les revendications de ces pauvres hères, fit enfler la rébellion avec le soutien des maires.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.02.45.png

    Narbonne, juin 1907

    A Narbonne, le 20 juin 1907 des échauffourées éclatèrent et Clémenceau ordonna à la troupe de tirer sur les manifestants. Bilan : 5 morts et 33 blessés. Ce massacre créa un choc au sein de la population, mais aussi à l’intérieur du 17e régiment d’infanterie récemment muté de Béziers à Agde. Composé de réservistes et de conscrits, les 600 hommes qui le composaient refusèrent de tirer sur leurs familles, voisins et amis.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.04.46.png

    Cécile Bourrel, victime de Clémenceau

    Le 17e régiment d’infanterie de ligne entrait dans la légende en refusant d’obéir aux ordres. Clémenceau était désavoué… Nous avons retrouvé chez le descendant de l’un des mutins de ce régiment, un manuscrit inédit. Dans celui-ci Monsieur Batut raconte avec précision les faits qu’il a vécus, depuis la mutinerie jusqu’à l’exil en Tunisie. C’est la sanction disciplinaire que subit l’ensemble des hommes du 17e. Contrairement à ce qui a été raconté, aucun d’entre-eux n’est passé devant un cour militaire. Disons qu’en 1914, ils furent parmi les premiers à être envoyés à l’assaut des tranchées allemandes. Est-il besoin d’en dire davantage ? Ce document que nous avons retranscrit après être allé le chercher dans la Haute-Garonne, doit servir pour l’histoire. Nous remercions vivement Olivier Batut, son petit-fils.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 09.23.48.png

    Compte-rendu de la mutinerie du 17e régiment d’Infanterie. 18 juin 1907

    Pendant les manifestations qui eurent lieu dans le midi pour améliorer l’état de la crise viticole, le 17e de ligne fut consigné au quartier jusqu’au départ pour Agde pour aller faire les tirs ou du moins, pour nous faire quitter Béziers. Le départ fut donné à minuit dans la nuit du mardi 18 juin 1907, mais il dut être retardé à cause de la population biterroise qui se pressait aux abords du quartier Saint-Jacques ne voulant pas accepter notre départ et ce n’est que deux heures plus tard, alors qu’il est arrivé quelques centaines de gens d’armes ayant en tête le commandant du 13e chasseurs de Raskas qui, chargeant sur la foule fit évacuer les avenues et facilita ainsi notre départ qui se passa avec calme sous quelques huées de la foule, tandis que bon nombre de la police secrète venue de Paris faisait en grande hâte la traversée du pont et se dirigeait sur Narbonne. Le trajet de Béziers à Agde se passa avec calme et sans incident, sans éviter d’entendre malgré cela quelques conversations interessantes vis-à-vis de notre départ précipité et imprévu qui n’avait pour objet que d’éviter les troubles qui se passaient à Narbonne déjà ; nous arrivâmes ainsi à Agde dans le même ordre.

    Arrivée à Agde. 19 juin 1907

    Notre rentrée en ville fut triomphale avec le concours de la musique et les clairons et tambours en tête et en réjouissant les habitants qui applaudissaient notre arrivée. Nous nous dirigeâmes à la caserne du 1er bataillon et là, le régiment fut divisé en plusieurs parties pour nous cantonner ; le 2e bataillon, c’est-à-dire la 5e, 6e, 7e et 8e compagnie furent médiocrement placées et tandis que le 3e bataillon (9e, 10e, 11e et 12e compagnies) fut cantonné aux anciennes casernes. La journée se termina ainsi au nettoyage et à l’installation de notre fourbi car il y eut revue des commandants de compagnie, après quoi nous fumes libres pour sortir en ville jusqu’à neuf heures au moment de l’appel. Le lendemain, réveil à quatre heures et départ à quatre et demi pour l’exercice des tirs sur la plage. Nous rentrâmes à huit heures et demi, puis nettoyage des armes et travaux de propreté, comme d’habitude avec calme. La soupe de cinq heures servie, c’est alors que commença le mouvement qui se préparait déjà . Dans le courant de la journée on aperçut à certains cafés, des troupes de civils accompagnés de soldats qui discutaient et s’exaltaient. Les troubles s’envenimaient jusqu’au plus haut point en attendant les neuf heures arrivent.

    Nuit du 20 au 21 juin. Détail de la mutinerie

    Tout le monde rentre au cantonnement sauf quelques-uns parmi le nombre qui ne s’était pas rendu. On se couche, mais au bout d’une heure environ, la scène commence. On entend des clairons se rapprocher en bas, ensuite des coups de crosse de fusils brisant portes et fenêtres, ensuite on aperçut une foule de civils ayant forcé le poste, passant dans les chambres pour pousser les retardataires et mètre le feu à la paille.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.07.11.png

    La caserne Mirabel après la mutinerie

    C’était un fracas épouvantable et au même moment, il s’en passait autant aux casernes Mirabel. La porte de la poudrière fut enfoncée et en se munissant de cartouches à volonté, malgré l’intervention de quelques officiers, qui après ça jugèrent utile de se tirer des pieds car la situation était assez critique, alors les trois bataillons se réunirent, firent le tour de ville clairons et tambours en tête et prirent la route pour Béziers, accompagnés des habitants de la ville qui était sur pied. C’était un brouhaha impossible à décrire. Le général Lacroisade averti en toute hâte, partit à la tête du 81e de ligne qui nous avait remplacé. Il vint à notre rencontre croyant réussir d’arrêter le régiment qui s’atteignirent tous les deux aux environs de Villeneuve, mais ce fut chose inutile et nous arrivâmes ainsi à Béziers crosse en l’air où les habitants ne pouvaient revenir de leur stupéfaction en voyant une pareille anarchie. 

    Journée du 21 juin. Arrivée du général Baillaud.

    Les mutins firent le tour de ville en bon ordre et se rendirent ensuite sur les allées Paul Riquet où fut aménagé un emplacement pour les réconforter. La nouvelle fut répandue en ville et dans les villages environnants comme une traînée de poudre et aussitôt, on voit venir dans les rangs, parents et amis pour nous retirer et nous faire rentrer. Ce n’est qu’après l’arrivée du général Baillaud qui ne put nous embarquer à la gare. Malgré tous ses efforts, il dut renoncer et nous faire rentrer au quartier Saint-Jacques après avoir été contraint par le Comité d’Argelès, et avoir signé qu’il n’y aurait pas de punitions individuelles. Alors le calme se rétablit, tous les magasins réouvrirent et chacun se retira pour rentrer le lendemain avant dix heures aux casernes Mirabel à Agde et attendre paisiblement notre cantonnement qu’on ait pris une décision en réintégrant notre cantonnement de jadis. La journée du 21 fut une fatalité effrayante qui restera longtemps gravée dans nos souvenirs.

    Dimanche 23 juin. Détails

    Le lendemain, après que nous eûmes repris notre place précédente, la journée se passa en promenades et distractions sans aucune permission. On fut à la mer se divertir mais tout en se demandant quand même le sort qui nous était destiné le lendemain.

    Dépôt d’aide. Destination inconnue 23-24 juin 1907

    L’appel de neuf heures sonne. Les commandants de la compagnie font l’appel nominatif de leur compagnie et après avoir rassemblé les hommes, recommandent de faire le sac et de préparer la tenue de campagne pour quitter Agde à une heure encore inconnue, mais pas pour longtemps. A onze heures le réveil sonne, on descend dans la cour, nous formons les faisceaux. Sacs à terre, dans un silence parfait vers une heure du matin, le garde-à-vous est sur les rangs. On défile avec le régiment complet vers la gare. Quelle ne fut pas notre surprise à peine avoir quitté la caserne, nous nous vîmes escortés et encadrés de régiments étrangers. Toutes les rues débouchant au pont étaient barrées par la cavalerie ou gendarmerie pour éviter que les habitants ne viennent troubler notre départ nocturne, et nous sommes arrivés à la gare gardés comme des bêtes fauves. Là, après avoir procédé à l’embarquement et pris place dans le matériel qui était destiné pour nous exiler. Lorsque tout fut terminé, c’était deux heures du matin. Le signal fut donné et le train s’ébranla se dirigeant sur Villefranche-sur-Mer, en attendant de prendre place sur deux cuirassés qui mouillaient au large. C’était environ sept heures du matin, quand on vint nous prendre avec des petites chaloupes sur le quai ou nous étions encore escortés par deux régiments de chasseurs alpins. Nous étions à nous demander où nous allions.

    Détail des cuirassés. Voyage sur la route d’Azur.

    L’embarquement se passa sans tumulte, mais nous étions tous anxieux. On s’interrogeait les uns les autres mais impossible de savoir, car les officiers même ignoraient le lieu de destination. L’émotion était grande en général et une fois que nous eûmes tout arrangé et installé, nos bateaux furent d’abord les curiosités du moment, car la plupart d’entre-nous n’en avaient jamais vus. Ce furent le Desaix et le Du Chayla qui nous transportèrent.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.10.15.png

    Cuirassé Le Desaix

    Le premier sur lequel j’étais, mesurait une longueur de 112 mètres sur 32 de large, muni de quatre tourelles avec chacune sa pièce de campagne et marchant à une vitesse de 40 kilomètres à l’heure. Après avoir stationné une demi-heure environ pour transmettre des ordres par télégraphie sans fil, nous reprîmes notre route jusqu’à Sifra que nous atteignîmes après 56 heures de traversée qui ne fut longue car l’équipage qui se composait de 528 hommes, nous tint compagnie durant le trajet. Il n’y a pas eu de malades. La mer fut très calme, ce qui évita des désagréments. Les heures de repas étaient sonnées avec le clairon comme si nous étions dans le quartier ; l’ordinaire était à peu près convenable et nous avions un quart de vin à chaque repas comme les matelots.

    Arrivée à Sfar. Continuation du voyage. 28 juin 1907

    Le débarquement se fit avec des grandes barques conduites par des indigènes et remorquées par un vapeur pour arriver au port. Là, on commença à entendre parler le langage tunisien et on ne tarda pas à rigoler bientôt, et une fois pied à terre, nous fûmes escortés par un débarquement de tirailleurs et de Spahis qui nous portèrent la soupe du soir. On nous rangea dans le vieux port en face le quartier des Spahis. Nous mangeâmes la soupe maigre qui nous fut servie, car maigre c’est le cas de le dire, la soupe l’oignon et ensuite des pommes de terre en salade avec de l’oignon. Enfin, c’était très médiocre. Il fallut serrer la ceinture ; c’était le commencement. Nous quittâmes bientôt Sfar, petite ville commerçante et coquette où les mines de super-phosphates font travailler la compagnie d’intérêt local. Nous fûmes prévenus de faire l’échange de la monnaie et deux heures après nous suivions encore notre route pour arriver, répondant à notre destination exilée que nous avons trouvé encore plus étrange et plus sauvage après avoir parcouru 205 kilomètres de plus pour arriver à Gafsa. A 4h50, nous avions cependant terminé le voyage et c’était sans regrets car la fatigue commençait à se sentir.

    Gafsa, lieu de garnison. Installation de notre camp le 29 juin 1907

    Le 17e d’infanterie, régiment des mutins arriva à Gafsar le samedi 29 juin à 4h50 du matin sous la direction du commandant Villarcin, chef du détachement qui forme la colonne par quatre et réunissant les clairons et quelques musiciens qui restaient. Nous faisons les trois kilomètres qui séparent de la gare à la ville et qui ne furent pas long malgré la fatigue, car l’étrange paysage qui se présentait à nos yeux, cette campagne déserte par les rayons brûlants du soleil, on aperçut déjà aux environs de la ville quelques chameaux alors en masse qui venaient s’alimenter d’eau au ruisseau appelé l’Oued. Il sert d’alimentation à quelques oasis et jardins potagers qui environnent la ville. Arrivant sous les murs on fait une pose. Les clairons et la musique  se rangent et nous rentrons en ville triomphalement, mais quelle ne fut la surprise des indigènes voyant arriver un régiment inconnu.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.08.39.png

    Gafsa en 1907

    C’était vraiment curieux à voir marchant tous la tête et les pieds nus et revêtus simplement d’une toile blanche passée sur les épaules. Les maisons basses dégageant une odeur âpre et maussade, nous arrivons enfin au campement définitif, habité auparavant par la 1ère compagnie de disciplinaires que nous avions remplacée. Nous posons sac à terre, nous formons les faisceaux et nous attendons que les commandants de compagnies se soient consultés pour le casernement affecté à chaque compagnie pendant le séjour à Gafsa. 

    Existence du 17e régiment. Curiosité du paysage.

    Le voisinage ainsi que le pays furent plus agréables qu’ils ne paraissaient être tour d’abord, la ville quoique très misérable est beaucoup peuplée d’arabes et de juifs. Comme commerces, il n’y en a pas du tout, sauf quelques petites boutiques de juifs, deux cafés et enfin le Grand café et hôtel Reboul qui était le principal centre des officiers et le seul et unique. Comme police, elle était composée de la gendarmerie puis aussi la Casbah ancienne, forteresse de la ville qui est journellement gardée par un petit détachement de Spahis au nombre de quinze, y compris le maréchal-des-logis et le brigadier. Il y a ensuite deux mosquées avec chacune sont marabout derrière lesquelles se trouvent une piscine (bassin) entre quatre murs où l’eau y est conduite par canalisation. Nous y allons à la baignade trois fois par semaine qui est surnommée la Termelay-Berp, qui est à 28°. Il y en a également d’autres dont l’eau est soufreuse et à la couleur et l’odeur du soufre situées à 5 kilomètres de la ville, connues sous le nom de Djérid-Bayard, qui sert à alimenter la ville. La ville est abritée au nord et nord-ouest par deux petites chaînes de montagnes qui ne sont pas longues ni bien élevées, dont voici les noms ; le Djebel-Assala et les Djébel Ben Younès, qui dominent sur la route.

    Exercices de manœuvres de la garnison

    La route de Kairouan laisse au pied de la montagne le cimetière qui n’a pas la même aspect qu’en France. Viennent ensuite deux grandes grottes qui sont habitées par des gourbis arabes où ils enferment une grande quantité de bestiaux, tels que moutons et chèvres, vaches et chameaux. Tandis que le côté Sud de la villes bordé de quelques jardins potagers et de palmiers qui est la principale récolte du pays.Depuis que nous sommes à Gafsa, la vie est à peu près passable comme service, grâce au père de famille Vilarem qui est un homme juste et patient. Le détachement marche bien avec l'aide du lieutenant Rouanet qui fait fonction de chef de musique, on a à cette occasion reconstitué la musique et la clique. Aussi trois fois par semaine, on fait du service en campagne, les autres jours on fait le service quotidien et le samedi, exercice pour tous les employés. On rentre en défilé avec la musique, clairons et tambours en tête. Le climat a été un peu dur à cause de la chaleur qui montait jusqu’à 41° à l’ombre, et la nuit du Sirocco qui nous assaillit la première huitaine. Entr’autre, ce fut la nourriture qui nous étonna le plus car les viandes n’étaient pas bonnes. Les légumes étaient stériles et le pain était mauvais ; étant alimenté à la quinine pour éviter les fièvres. Heureusement que les siestes étaient longues quoique mal couchés sur paillasses d’Alfa.

    Revue du 14 juillet. Détails de la journée

    Le journée du 14 juillet fut cependant très agréable et se passa en promenades et distractions. Le réveil fut d’abord comme d’habitude puis il fallut se préparer pour la revue, car le colonel du 2e tirailleur De Fousse étant venu pour ouvrir une enquête au sujet de la mutinerie qui n’eut d’ailleurs aucun résultat, voulut tout de même profiter de l’occasion pour nous passer la revue. Malgré que nous fussions dépourvus de la tenue correcte, nous sommes sortis jusqu’à la Casbah et après avoir exécuté quelques mouvements d’ensemble, on nous a fait ranger sur deux rangs et là, le colonel suivi d’un officier d’ordonnance et du chef de corps, la revue eut lieu. Nous avons été félicités malgré être désignés mutins et nous sommes rentrés au quartier en défilant par sections au pas de gymnastique, avec un ordre parfait. La nourriture ce jour-là fut différente aux jours précédents. D’abord, une bonne soupe très excellente puis la viande, ensuite une variation de salade russe, un peu de fromage comme dessert et un quart de vin, puis on fit 4 heures de sieste.  Au souper, Macaroni au fromage (gratin bâtard), comme dessert un peu de confiture en boite, un quart de vin et encore un cigare. Aussi tout le monde était d’une parfaite et grande réjouissance.

    Clôture de la fête. Fin de soirée

    La soupe étant terminée, tout le monde sort en ville un peu et la nuit tombant bientôt, la musique se réunit bientôt devant le café Reboul où sont les officiers pour y jouer un petit concert choisi que l’on écouta avec satisfaction. Après ça, il y a eu la retraite, accompagnée de bombes et de fusées et un feu de joie, puis le bal commença dans la salle du café, mais il fallut rentrer car c’était l’heure de l’appel. Les officiers furent libres pour terminer leur petite soirée, car les danseurs étaient en très petit nombre encore très médiocres, vu que les français qui habitaient la ville étaient en nombre restreint. Depuis lors, la musique joua ses concerts au cercle des officiers sous la direction du citoyen Durand qui fait fonction de sous-chef et qui marche à la perfection et aussi ayant gagné l’estime des européens qui habitent la ville. Le dimanche 21 juillet, il y eut un second jour de fête à la gare et on eut de nouveau la permission de 10 heures. Le séjour du 17e mutins à Gafsa a été pour la ville, une amélioration de vie et de mœurs et ainsi qu’un plus de commerce pour ces petits boutiquiers et restaurateurs qui, grâce à nous, se munirent un peu chaque jour des denrées les plus nécessaires.

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.49.47.png

    Le camp des mutins à Gafsa

    La vie devint ainsi plus facile surtout lorsque les familles des officiers et sous-officiers furent arrivées en attendant le départ de tout le détachement complet et la dissolution des mutins du 17e d’infanterie.

    Le 17e à Gafsa par M. Batut

    (Sur l'air de La Tonkinoise)

     

    Le Ministère. En colère

    Sur notre geste hardi

    A prononcé la sentence

    Pour faire éprouver sa puissance

    Sans aucune plainte

    Et sans crainte

    Pour Gafsa nous sommes partis

    Adieu parents et amis

    Adieu notre beau pays

     

    Viens et chante sous la tente

    Et souffle le Sirocco

    Dans le jour dehors n’y a personne 

    Chacun dort, boit, en ronchonne

    Pas de fêtes 

    On s’embête

    On s’empifre du coco

    On voit passer les chameaux

    Et l’on pense à Clémenceau

     

    Mais tout passe et repasse

    En France, nous reviendrons

    Nous reverrons notre village

    Nous passerons nos bagages

    Plus de peine

    Ni de haine

    Tous en cœur nous reprendrons

    Les modestes prétentions

    Des malheureux vignerons

     

    Nous avons là-bas les berbères

    Et des mamous et des mouquères

    Des mauresques plébéiennes

    Et des juives praticiennes

    Elles ne valent pas les Agatoises

    Ni les bibi, les Bitteroises

    Sur ce point malgré Fatma

    Béziers enfonce Gafsa

     

    Tandis que dans la métropole

    Les dépu-pu, les députés se la gondolent

    Pour eux festins et ripailles

    Et pour nous, la botte de paille

    Les repus de la verdure

    Vont se gaga, se garantir la hure

    Et ces ultimes farceurs 

    Nous tiennent sous l’Equateur

     

    Nous chanterons l’air à la mode

    Guerre à la Frau… Guerre à la fraude

    A bas l’infâme sucrage

    Pour toujours sus au mouillage

    Nous ne voulons que la justice

    Il faudra bien que cela finisse

    Comme le vin naturel

    Le bon droit est immortel. (4 août 1907)

    Capture d’écran 2019-11-12 à 10.52.39.png

    Mutin de Thézan-les-Béziers à Gafsa

    _____________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019