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Seconde guerre mondiale - Page 66

  • Où est donc passé le cadavre de la tombe 17?

    Ce n'est pas une histoire à dormir debout, mais une histoire pour laquelle il vaut mieux rester couché... C'est d'ailleurs, ce que certains des protagonistes de cette affaire ont été forcé à faire. Ceci sans concessions mais à perpétuité, dans le silence des mauvais secrets de la résistance audoise.

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    Noël Blanc, alias Charpentier

    Tout commence par la découverte d'un cadavre à moitié carbonisé dans le fossé de la route allant de Palaja au Mas-des-cours, près d'un pont.

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     Nous sommes le 6 septembre 1944, soit quinze jours après la libération de Carcassonne. Qui est donc cet individu ? Il s'agirait d'un chef de la résistance, envoyé par Londres à Carcassonne le 28 mai 1944 comme responsable des parachutages. Son nom ? Noël Blanc dit Capitaine Charpentier. Le corps est alors amené à la morgue de Carcassonne, le soir même. Certains de ses proches compagnons le reconnaissent à ses oreilles en feuille de choux, résultant de ses activités d'ancien rugbyman. D'autres, comme le chirurgien de la clinique du Bastion refuseront de le reconnaître. Pourtant, c'est bien dans cet établissement que la veille, fut occis par balle le pauvre Charpentier.

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    La clinique du Bastion (rue Voltaire) cache à cette époque l'activité clandestine de la résistance et soigne les blessés du maquis. Hélas, depuis l'exécution à Baudrigues le 29 juillet 1944 du chef de la résistance audoise Jean Bringer (Myriel) et d'Aimé Ramond, il semblerait que les miraculés ayant échappés au convoi vers la mort ne soient pas prêts à parler. Ont-ils des choses peu avouables à cacher ? L'histoire les rattrapera en 1952, avec la mort inexpliquée par suicide de l'un de leurs complices dans la chambre 47 de cette même clinique. Encore, un mort qui ne pourra plus parler... Pour ce qui est du meurtre de Charpentier, ils sont à-priori tranquilles car protégés par la loi d'aministie. Enfin, pas tout à fait... En effet, sont amnistiés les résistants ayant tué par nécéssité dans le cadre des activités clandestines. Est-ce une exécution pour traitrise ou un assassinat pour convenances personnelles ?

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    Noël Blanc (Charpentier) sera inhumé le 7 septembre 1944 au cimetière Saint-Michel de Carcassonne

    Tombe 17 Carré 21

    Le régistre du cimetière porte la mention suivante à cette date

    Cadavre calciné inconnu/ 7 sept 44/ Autorisation du juge d'instruction

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    Peu de temps après, le corps de Charpentier a été mis dans la crypte des martyrs de Baudrigues. Une espèce de réhabilitation en quelque sorte pour celui que le groupe de résistants de la clinique désignait comme traître, ayant donné Jean Bringer à la Gestapo. La preuve sera faite au procès des résistants de la clinique du Bastion en 1952 que ces allégations sont totalement fausses. Charpentier est hors de cause dans l'arrestation de Bringer. En octobre 1948, la veuve, habitant désormais Neufchâteau dans les Vosges et remariée avec un dénommé Ancely, demande le transfert des restes de son mari dans le cimetière de cette ville.

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    Le procès en 1953 afin de faire la lumière sur "le suicide" d'un des acteurs en la clinique du Bastion, réouvrira le dossier Charpentier et son enquête. Le juge demandera l'exhumation du corps de la victime dans le but de vérifier les impacts de balles. Ceux-ci devant réveler si la thèse des accusés, est compatible avec leurs versions des faits. La police scientifique de Mirecourt (Vosges) chargée des conclusions ballistiques n'aura pas à effectuer son travail. Et pour cause... À l'intérieur du cercueil, ne se trouvait pas la dépouille de Charpentier, mais celle d'un homme plus petit et d'une femme ou d'un enfant. L'ensemble des ossements étaient entremêlés entre-eux. Il y a eu donc substitution et disparition de cadavre. Reste à savoir où, à quel moment, dans quel but et ce qu'il est advenu de celui de Charpentier.

    Je me suis rendu au service des cimetières de Carcassonne afin de vérifier. La tombe 17 Carré 21 de Saint-Michel renferme les dépouilles de madame Gayraud et d'Yves Marty, inhumés en 1953. Bien sûr, Charpentier ne s'y trouvait officiellement plus, depuis son transfert à la crypte des martyrs de Baudrigues. Toutefois, les deux nouveaux inhumés sur cet emplacement l'ont été, l'année du procès des accusés de la clinique du Bastion. Étrange coïncidence...

     Qui a tué Charpentier ?

    À postériori, l'infirmière de la clinique s'est accusée du meurtre lors du procès en 1953. Elle reviendra par trois fois sur ses déclarations, pour finalement avouer que c'est le "suicidé" qui a fait ce travail. Ce médecin Carcassonnais proche du directeur de la clinique, alors habitant d'Antibes depuis la libération, viendra mourrir de son plein gré dans cet établissement, dans la nuit suivant son arrivée par le train en provenance de la Côte d'Azur. Avait-il fait le voyage jusqu'à Carcassonne pour avouer sa faute et livrer ses complices ; en conséquence de quoi, on l'a purement et simplement suicidé pour qu'il garde le silence? Il aurait très bien pu se suicider à Antibes...

    Quel mobile ?

    Les accusés diront que Charpentier était un traître et qu'il fallait l'éliminer. Une partie des résistants en témoigne, l'autre partie au contraire s'en défend. Comme le directeur de la clinique (accusé au procès) est condamné pour subordination de témoins, difficile de croire la version de la défense. Si la victime avait été un traître, pourquoi donc avoir attendu le 6 septembre pour l'exécuter ? Il suffisait de la faire traduire devant les tribunaux mis en place à la libération de Carcassonne. Pourquoi avoir calciné son corps sur une route si retirée, après Palaja ? Pourquoi avoir coupé ses oreilles en feuille de choux au moment de la mise en bière? Pourquoi avoir substitué son cadavre dans le cercueil ?

    Charpentier aurait été envoyé par Londres, pour enquêter sur la disparition d'une grosse somme d'argent parachutée pour les maquis de la région. Aurait-il découvert les auteurs du vol ? Qui ne pouvait être mieux renseigné sur le lieux du parachutage, que certains intéressés eux-mêmes ? Ceci donnerait un mobile à son assassinat, à toutes les manoeuvres pour faire disparaître son identification et finalement, son corps. Les spéculations sur l'enrichissement soudain de certains Carcassonnais après la guerre, acquéreurs de belles demeures dans le coin, sont allées bon train. Vérités ou Jalousies ?

    Où est passé le corps ?

    À cette question d'importance, qui pourrait répondre aujourd'hui ?

    Dans cette histoire, il a fallu des complicités et sûrement en haut lieu. On ne substitue pas un cadavre au moment de poser les scellés sur le cercueil, à moins... On ne substitue pas un cadavre à la morgue, à moins... On ne fait pas disparaître des rapports de police, à moins... À moins... À moins...

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    Autre hypothèse farfelue : celle de la femme du directeur de la clinique. Charpentier n'a jamais été tué ; c'est ce qu'il a voulu laisser croire en s'enfuyant vers l'Argentine avec le magot des parachutages. Elle le raconte dans ce roman publié en 1959 sous un pseudonyme, dont le but est de défendre la mémoire de son mari, injustement incriminé selon elle.

    L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn

    (Victor Hugo)

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  • Une lettre de René Nelli, adjoint au maire nommé par Vichy

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    Nous ignorons à qui est adressé ce courrier daté d'août 1942, alors que René Nelli est adjoint au maire de Jules Jourdanne, nommé par Vichy. Dans cette lettre, Nelli fait référence à la manifestation du 14 juillet 1942 en faveur de la République, à laquelle il se défend d'avoir participé.

    Avant cette date, un grand nombre des anciens combattants de 14-18 adhérents à la Légion et d'autres soutiens de l'illustre vainqueur de Verdun, ont démissionné notamment à cause des lois anti-juives en zone occupée. Loin de nous l'idée d'instruire un procès contre l'attitude de René Nelli en 1942 et des soutiens dont il a dû bénéficier après la guerre pour taire son penchant maréchaliste. Simplement, il y a des personnes dont le courage fut remarquable dès 1940 et dont on parle beaucoup moins... Nous avons conscience de fragiliser un mythe, celui d'un érudit et d'un formidable défenseur du catharisme. Tant et si bien, que les recherches de Déodat Roché et son laboratoire au milieu de la forêt de Puivert, sont passées en pertes et profits.  Ce courrier de l'été 1942 est tout de même étrange, car le Post-Scriptum parle implicitement — nous le supposons— de la Section locale de la Légion française des combattants et de son directoire central.

    Carcassonne, 8 août 1942 

    Monsieur,

    J'avais, ce me semble, autant le droit, en tant qu'adjoint au maire, nommé par le Ministre de l'intérieur, d'observer les réactions du peuple carcassonnais à l'occasion d'une fête qui demeure nationale, que les membres de la légion de surveiller leurs magistrats municipaux. Et ma présence à cette manifestation est au moins aussi explicable par celle de ces messieurs qui m'y ont entr'aperçu.

    Quant aux misérables délateurs qui sont allés raconter à mes chefs hiérarchiques que j'avais défilé, chanté, porté l'insigne "républicain" - mensonges qui n'on eu guère d'effet - on m'a dit qu'ils étaient de la légion. Je n'en crois rien: les légionnaires sont des gens d'honneur qui ont retenu la noble parole de M. le Maréchal Pétain, à la population de Carcassonne: "Tâchez de dégoûter les français de la délation !"

    Cependant si vous les connaissez, je vous serais très obligé de me donner les noms. Je les prierai de répéter devant les tribunaux les griefs qu'ils ont contre moi. Et en attendant, vous pourrez les assumer de mon plus profond mépris.

    Salutations,

    René Nelli.

    PS: Bien entendu, pour ne pas que cette lettre puisse être interprétée abusivement, je renouvelle ici mon serment de fidélité à M. le Maréchal Pétain - valable même pour le cas où je démissionnerais de la section locale et adresse copie de cette lettre au directeur central.

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    Biographie de Miquèl Ruquet

    (Association Maitron Languedoc-Roussillon)

    René Nelli naquit le 20 février 1906 à Carcassonne. Son père, Léon Nelli (1864-1934), architecte et peintre, avait de lointaines origines italiennes. Sa mère, Louise Constance Beurienne, était parisienne. Elle mourut alors que René n’avait que dix ans. Son père se remaria avec Marguerite Descard. À la fin de ses études au Lycée de Carcassonne, son professeur de philosophie, Claude-Louis Estève, le mit en contact avec Joë Bousquet, le poète grabataire. En janvier 1928, il fonda avec ce dernier la revue Chantiers. À l’hypokhâgne du lycée Louis-le-Grand, entre 1924 et 1927, il côtoya Roger Vailland et, par la suite, fit la connaissance des écrivains surréalistes André Breton et Paul Éluard au moment où ils adhérèrent au Parti communiste.
    Il effectua son service militaire en 1930-1931, à Hyères (Var), puis à Toulouse où il découvrit la revue Oc et la Société d’études occitanes. Louis Alibert, linguiste qui précisa la norme classique de l’occitan, le fit adhérer en 1935 à la SEO et au Félibrige. Pendant l’été 1931, il enseigna la littérature française à l’Institut français de Zagreb en Yougoslavie. Le 30 octobre 1931, il obtint un poste de professeur à Maubeuge (Nord). Dès 1933, il collaborait aux Cahiers du Sud tout en continuant à écrire pour Oc. À la rentrée 1934, il fut nommé professeur de collège à Castelnaudary. Lié à Maurice Sarraut, fils de l’ancien maire radical-socialiste de Carcassonne Omer Sarraut, il devint correspondant local du journal La Dépêche. À la demande de Jean Mistler, ministre et député radical socialiste de l’Aude, il fut candidat aux municipales en 1935. Au second tour, une liste d'union fut constituée, sur laquelle on raya neuf radicaux, dont Nelli, au profit de neuf socialistes. En juillet 1936, il fut nommé professeur de grammaire au lycée de garçons de Carcassonne. En 1938, il fonda la revue Folklore qu’il dirigea jusqu’en 1977. Le 4 septembre 1939, mobilisé au 343e RI en tant que sergent, il rejoignit le front des Alpes et fut démobilisé le 27 juillet 1940.
    Il reprit son poste au lycée de Carcassonne. L’année 1941, il fonda la revue Pyrénées et fut nommé conseiller municipal de Carcassonne et adjoint au maire. Nelli était un notable carcassonnais très proche des occitanistes maurassiens Louis Alibert et Ismaël Girard, ainsi que du Félibrige, et il connaissait les frères Sarraut et Jean Mistler, trois parlementaires qui avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain. Il n’est pas exclu d’envisager un penchant maréchaliste de Nelli au début de la guerre, penchant fréquent dans le mouvement occitan, mais très vite il prit ses distances avec le régime, ne serait-ce que par sa proximité avec Joe Bousquet dont la maison fut un lieu de la résistance intellectuelle. Nelli, lui-même, accusé d’être sympathisant gaulliste, fut inquiété par la police de Vichy en juillet 1941. À la fin de l’année 1941, il fut convoqué à la préfecture de Toulouse, dénoncé pour menées séparatistes par certains occitanistes maurassiens. La presse collaboratrice le cita même parmi les intellectuels résistants de Carcassonne en mars 1944. En 1943, Nelli prit la présidence de la SEO. Il fut, la même année, le maître d’œuvre du numéro spécial des Cahiers du Sud, Le Génie d’Oc et l’homme méditerranéen. Ce numéro, préparé depuis 1935, fut un véritable affront à l’idéologie de l’occupant et des collaborateurs. Le Midi Libre du samedi 14 octobre 1944 le considérait comme un des résistants du lycée.
    À la libération de Carcassonne, le 21 août 1944, il fut rédacteur au Patriote du Sud-Ouest, l’organe des groupes de résistants communistes FTFP. Nelli fut aussi le secrétaire du comité des intellectuels audois, présidé par Joe Bousquet. Le 10 novembre 1944, Nelli fut délégué pour enseigner la philosophie au lycée de Carcassonne. L’année suivante, il se reconnaissait philosophiquement marxiste. Le 25 janvier 1945, il participa à la création de l’Institut d’Estudis Occitans avec Jean Cassou, Tristan Tzara, Ismaël Girard et Max Roqueta. L’IEO était proche du PCF, même si certains des fondateurs de l’IEO, liés au mouvement « Libérer et fédérer », reprenaient les idées fédéralistes de C. Camproux, idées qui se retrouvaient dans le journal auquel collaborait Nelli, l’Ase negre créé en août 1946. Nelli avait en charge Les Annales de l’Institut – revue semestrielle - et la revue trimestrielle Oc. Nelli se maria le 30 octobre 1945 avec Marcelle Suzette Ramon, professeure née le 20 avril 1918 à Castelnaudary. En 1946, il fut chargé d’un cours d’ethnographie à l’Université de Toulouse, cours qu’il assura jusqu’en 1974. De 1947 à 1963, il fut aussi conservateur du musée des Beaux-arts de Carcassonne.
    En 1950, Nelli demanda son inscription comme Citoyen du monde. Il s’agissait d’un acte qui montrait son éloignement du PCF. Dans ses lettres à Robert Lafont, il indiquait son opposition à la mainmise du PCF sur l’IEO et s’affirmait de plus en plus fédéraliste. Selon André Hérault, il adhéra à l’Union progressiste, puis à la Nouvelle Gauche lors de sa formation à Carcassonne en novembre 1955 et, fin 1957, à l’Union de la Gauche socialiste. L’UGS s’allia au cartel électoral de l’Union des forces démocratiques lors des législatives de 1958. René Nelli se présenta aux élections municipales de Carcassonne des 8 et 15 mars 1959 sur une liste UFD. La liste socialiste arriva en tête. Pour le second tour, grâce à la fusion des listes SFIO, UFD et communiste, deux UFD furent élus, dont René Nelli. Pour André Melliet, ancien responsable du PSU dans l’Aude, il rejoignit le PSU bien après la création du parti le 3 avril 1960 et le quitta bien avant 1970. Nelli fut candidat du PSU au poste de conseiller général du canton de Mouthoumet (Aude), le 3 décembre 1961, à la suite du décès du conseiller général socialiste. René Nelli, conseiller municipal de Carcassonne sous Vichy, fut taxé de collaborateur par Joseph Baro, candidat socialiste, maire de Termes. Baro fut élu au premier tour avec 594 voix, Nelli n’ayant que 185 suffrages. Cet engagement dans la deuxième gauche était lié à son opposition au colonialisme et à la guerre d’Algérie en particulier. En avril 1956, dans sa préface du livre de Georges-Henri Guiraud, Aux Frontières de l’Enfer, il dénonça en Algérie la « barbarie colonialiste », « le sadisme abominable » et « les méthodes impitoyables ». La section SNES du lycée, à laquelle appartenait Nelli, prit une position très ferme en octobre 1961 « contre les attentats perpétrés par les organisations fascistes », après que l’OAS eut visé le secrétaire académique du SNES, Pierre Antonini. Le 4 juillet 1962, Nelli l’anticolonialiste avait atteint un de ces buts. Le 27 avril 1963, ayant soutenu une thèse sur l’érotique des troubadours, il devient Docteur ès Lettres.
    Son évolution fut identique pour l’occitanisme. À la Libération, l’IEO était un mouvement culturel dans un cadre étatique français, ce que défendront toujours Félix Castan et la revue Oc. Lafont situait la rupture entre les « culturalistes » et les « politiques » à la fin 1954. Nelli ne signa pas la déclaration de Nérac, celle des culturalistes, en novembre 1956 et approuva un manifeste nationaliste lancé par Pierre Bec et François Fontan, fondateur, en 1959, du Parti Nationaliste Occitan. L’évolution de l’IEO vers une prise en charge des combats économiques s’effectua à la suite des grèves des mineurs de Decazeville-La Sala. En 1962, Robert Lafont et une partie de l’IEO créèrent le Comité occitan d’études et d’action (COEA). Nelli était alors perçu comme proche du COEA. Robert Lafont, bien longtemps après sa mort, a regretté qu’il « manqua le rendez-vous que son siècle lui tendait en mai 1968. » La rupture avec Robert Lafont s’accentua dans les années soixante-dix et leur correspondance devint de plus en plus agressive. Dès 1972, en préface d’un de ses ouvrages, Nelli plaida pour l’action culturelle. Dans L’Histoire du Languedoc, en 1974, Nelli critiqua la pensée de Lafont. Il critiqua aussi la tentative de candidature de Lafont aux élections présidentielles de 1974 : « Un occitaniste [...] eut le courage de braver le ridicule et de présenter sa candidature. » Nelli s’inquiétait des attentats occitanistes et des incendies de résidences secondaires appartenant à des Parisiens : « Cette explosion de racisme haineux [...] étonne au pays des troubadours et de la tolérance. »
    Joan Larzac a défini ce qui a animé la pensée de Nelli la dernière décennie de sa vie : « [Chez lui] perce un nationalisme qui n’est pas utopique et nostalgique. [...] Flirtant avec le Parti Communiste d’un côté, avec le Parti Nationaliste Occitan de l’autre, il verrait bien une fédération occitane à l’intérieur de la France. » Nelli n’a jamais renié sa fascination pour Fontan dans les années cinquante et il semblait très proche du PNO, du moins entre 1967 et 1970. En 1974, dans L’Histoire du Languedoc, il louait le PNO d’avoir « clarifié une fois pour toutes [...] le concept de nation ». Dans les années 70, Nelli se rapprocha du PCF. Cet appui à la gauche fut critique et il n’hésita pas à reprocher le centralisme, prenant comme modèle la Commune de Narbonne et le socialisme fédéraliste. Le 4 juin 1978, à la fête communiste de Coursan dans l’Aude, il participa à un débat « Vivre et travailler au pays ». La même année, dans Mais, enfin qu’est-ce que l’Occitanie ? il s’affirma très proche du PCF : « La position du Parti Communiste français – assez proche de celle du parti socialiste – me paraît, cependant, [...] plus nuancée, plus prudente, plus concrète, et, aussi, plus fidèle à l’esprit du marxisme révolutionnaire. » Il rejoignit l’idée, pourtant en contradiction avec celles sur le PNO, que la libération des peuples minoritaires ne pouvait se faire qu’après la révolution socialiste.

    L’homme politique, dans ses engagements à gauche et dans le mouvement occitan, ne fut pas exempt de contradictions, la première étant son rôle pendant le régime de Vichy. Il fut en premier ouvert au monde, refusant tout racisme d’où son inscription comme citoyen du monde, sa lutte contre le colonialisme et sa défense des travailleurs immigrés en Occitanie. C’était un homme de gauche fédéraliste, non pas seulement pour l’Occitanie mais aussi pour l’Europe et pour le monde. Il fustigea l’esprit jacobin qui, pour lui, n’avait pas de place à gauche. « Hérétique », il fut antistalinien quand les communistes étaient majoritaires à l’IEO, il s’opposa au régionalisme de Lafont quand il était isolé dans ses analyses, il parla de nationalisme quand celui-ci était décrié. Il fit preuve d’un profond humanisme que tous les hommages après sa mort soulignèrent.

    Décorations et honneurs : mestre en Gai Sabé (1943) ; officier dans l’ordre des palmes académiques (1953) ; chevalier de la légion d’honneur (1955) ; chevalier du mérite agricole (1961) ; officier des Arts et Lettres (1979).

    Quelques œuvres : Le Languedoc et le Comté de Foix, le Roussillon, Gallimard, 1958 ; Les Troubadours. Desclee de Brower, 1960-1965, (2 volumes) ; L'Érotique des troubadours, Privat, 1963 et 10/18 (2 tomes), 1974 ; Le Roman de Flamenca, un art d'aimer occitanien au XIIIe siècle, IEO, 1966 ; La Vie quotidienne des Cathares du Languedoc au XIIIe siècle, Hachette, 1969 ; La Poésie occitane, Seghers, 1972 ; Histoire du Languedoc, Hachette Littérature, 1974 ; La Philosophie du catharisme, Payot, 1975 ; Écrivains anticonformistes du moyen-âge occitan, Phébus, 1977, (2 volumes) ; Mais, enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?, Privat, 1978 ; Obra poética occitana (1940-1980), IEO, 1981 ; Écritures cathares. Recueil des textes cathares, Monaco, Éd. du Rocher, 1994.

    Sources : Archives Départementales de l’Aude. Fonds Nelli : 10 JJ 6, 10 JJ 21, 10 JJ 236, 10 JJ 237 ; ADA 10 W 30 : surveillance politique 1940-1945. Dossier Nelli 1941 ; CIRDOC. Archives R. Lafont. Courrier de R. Nelli ; DBMO ; OC, XIIIe Tièira n° 11, avril 1989, n° 20, juillet 1991 ; La Dépêche des 6 et 13 mai 1935. La Dépêche du Midi du 5 octobre 1961, du lundi 27 janvier 1975, du vendredi 12 mars 1982 ; Occitania, nòva seria, n°4, junh de 1948 ; L’Ase negre, n° 1, août 1946 ; Les Cahiers du sud, n° 381, 1965 ; Viure, n° 3 automne 1965, n° 29, automne 1972 ; Je suis partout n° 659 du 31 mars 1944 ; Le Midi Libre du 14 octobre 1944 ; Le Midi Libre, le journal de l’Aude du 12 mars 1982 ; Peuple d’Aude, mensuel édité par la fédération de l’Aude du PCF, n° 4, mai 1978 ; L’Occitan, periodic de la vida occitana, n° 38, mai-juin 1982 ; Lo Gai Saber, n° 407, juillet 1982, n° 502-503, automne 2006 ; Vent Terral n° 10, été 1983 ; ARMENGAUD, André, LAFONT, Robert, (dir.) Histoire d’Occitanie, Paris, Hachette-IEO, 1979 ; LAFONT, Robert, ANATOLE, Christian, Nouvelle Histoire de la littérature occitane, tome II, Nîmes, PUF-IEO, 1971 ; LAFONT, Robert, La Revendication occitane, Paris, Flammarion, 1974 ; ALCOUFFE, A., LAGARDE, P., LAFONT, R., Pour l’Occitanie, Toulouse, Privat, 1979 ; NELLI, René, Pierre Sire, « Pierre Sire et les intellectuels », Carcassonne, Comité des intellectuels de l’Aude en hommage à son fondateur, 1946 ; NELLI, René, La Poésie occitane, Paris, Seghers, 1972 ; NELLI, René, Histoire du Languedoc, Paris, Hachette Littérature, 1974 ; NELLI, René, Mais, enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?, Toulouse, Privat, 1978 ; Hommage à René Nelli, Carcassonne, Bibliothèque municipale et Cido, novembre 1980, brochure non paginée ; GUIRAUD, Georges-Henri, Aux Frontières de l’Enfer, Paris, La Nef, 1956 ; MAURY, Lucien, La Résistance audoise, tome I, Quillan, imprimerie nouvelle, 1980 ; LENOBLE, Jean, Le Parti socialiste dans l’Aude, de la Libération à la fin du XXe siècle, tome II, 1958-1973, Villelongue-d’Aude, Atelier du gué, 2007 ; Centre d’Études Cathares René Nelli, ChroniqueNelli n° 1, 2008, BARDOU, Franc, « Qui était Nelli ? », http://cecnelli.unblog.fr. ; Septimanie, n° 6, février 2001 ; René Nelli (1906-1982) Actes du colloque de Toulouse (6 et 7 décembre 1985) réunis par Christian Anatole, Béziers Cido, 1986 ; entrevue par téléphone avec André Melliet, ancien responsable du PSU dans l’Aude, vendredi 3 septembre 2010.

    Source de la lettre: ADA11

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  • Elle n'avait que 19 ans en 1943, mais elle a vu l'horreur...

    En cette journée de 1943, Carcassonne est toujours occupée par l'Allemagne nazie. Paulette n'a que 19 ans et depuis le début de la guerre, elle a trouvé un petit travail à la Croix-rouge. Sa fonction est de récolter et d'expédier les colis destinés aux soldats français prisonniers en Allemagne. Cette fois, la délégation départementale située avenue Arthur Mullot, lui a demandé d'aller à la gare SNCF chercher un paquet. Lorsqu'elle arrive sur le quai, il y a beaucoup de personnes qui attendent le train et un jeune milicien, la mitraillette en bandoullière.

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    Très peu de temps après, une locomotive avec à sa file des wagons à bestiaux s'arrête en gare. On ouvre un des wagons et là, Paulette doit faire face à l'horreur. Devant ces yeux, des femmes en larmes, crient et tentent de s'extraire de cet habitacle restreint afin de prendre un peu d'air. Il y a aussi des enfants, mais pas d'hommes. Les autres voyageurs sur le quai font comme si rien n'était, c'est l'indifférence générale avérée ou supposée. Le jeune milicien, lui, tient en joue ces pauvres gens destinés vraisemblablement à la déportation. Alors, voyant Paulette, une de ces femmes lui lance un bout de papier. Est-ce une adresse ou un mot? C'est sûrement un acte désespéré, une bouteille à la mer dans cet océan déchaîné et criminel. Paulette va alors pour s'en saisir, mais le milicien lui intime l'ordre avec son arme de rester à sa place. On referme les portes du wagon, le train part et la jeune Paulette gardera ce souvenir tragique de cette journée ou elle fut incapable de porter assistance et secours. Aujourd'hui, ce n'est qu'à 90 ans qu'elle m'a livré ce lourd secret et tout en respectant son anonymat, j'ai décidé de faire le relais de ce témoignage.

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