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Seconde guerre mondiale - Page 7

  • Quand Joë Bousquet était surveillé par la police de Vichy.

    Grâce à des documents conservés aux Archives départementales de l’Aude, nous avons pu nous assurer que la demeure du poète Joë Bousquet avait été mise sous surveillance par les renseignements généraux de Vichy. Une note n°3159 en date du 21 juillet 1943 a été adressée à l’Intendant régional de police à Montpellier, le sieur Armand Louis Mayade (1893-1944). Ceci quelques mois seulement avant la prise de fonctions de son successeur, le sinistre Pierre Marty (1900-1949). Dans ce rapport circonstancié, le commissaire principal des renseignements généraux de Carcassonne, M. Richard, déclare « qu’il a été possible d’identifier les personnes suivantes se rendant fréquemment chez l’écrivain : les frères Jammes de l’Action Française, la famille Satgé, Jean Lebreau (chef de la censure) et Madame et Monsieur Mistler, ancien député. Monsieur Bousquet reçoit également de nombreux artistes ». Il ajoute: « Il a la réputation d’avoir très bon coeur et c’est pourquoi sa porte est ouverte à tous, même, et surtout, à ceux qui sont dans la misère. C’est ainsi qu’on explique les nombreuses relations qu’il entretient avec des intellectuels juifs ; on cite particulièrement les écrivains Benda et André Lang, qui était rédacteur à Gringoire ».

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    Je suis partout / 31 mars 1944

    Dans un article du 31 mars 1944, l’hebdomadaire antisémite « Je suis partout » donne les noms de ceux qui fréquentent la chambre de Joë Bousquet. Son titre ? « Le dernier ghetto où l’on cause ». Quasi instantanément, cette parution motive l’ouverture d’une enquête de la part des services de police. Un nouveau rapport dressé cette fois par l’inspecteur Wiliam Leleu est envoyé aux autorités à Vichy. Nous nous sommes procurés ce document.

    Bousquet Georges dit Joe, né le 19 mars 1897 à Narbonne, est célibataire et habite 50, rue de Verdun à Carcassonne. Fils du docteur Bousquet (médecin commandant en 1914) décédé, c’est un esprit des plus brillants qui semblait promis à un bel avenir. Mobilisé pendant la guerre de 14-18 il a reçu, au moment où il venait d’atteindre sa vingtième année une grave blessure : une balle dans la moelle épinière. Le projectile n’a jamais pu être extrait. M. Bousquet vit depuis cette époque, constamment allongé, totalement paralysé des membres inférieurs.

    Ecrivain de grand talent, spécialisé dans le genre surréaliste, il possède une plume très féconde et ses écrits ne se comptent plus. Il a été et reste le centre d’un cénacle composé de personnes diverses. On y rencontre des amis apitoyés, des écrivains, beaucoup snobs, des femmes jeunes et jolies dont la réputation n’est pas inattaquable. On, discute littérature, poésie, surréalisme, mais peu ou pas de politique semble t-il. 

    M. Bousquet a reçu la visite de personnalités éminentes, comme Henry Bordeaux, André Gide, Colette, Louis Bertrand, Paul Valéry. Sur le plan local, M. et Madame Mistler, Jammes de l’Action française, la famille Satgé, Lang-Benda.

    La maison Bousquet est ouverte à tous, et il n’est pas douteux que certains aient abusé de son hospitalité. Il a réagi en fermant la porte à la plupart des éléments suspects, mais les femmes sont toujours admises. Il semble que leur présence console l’écrivain qui trouve, à leur vue, une compensation à sa vie de malade. Bousquet a la réputation d’un « dilettante un peu perverti » et à un moment donné, ont beaucoup parlé de la débauche qui régnait chez lui, actuellement la société qu’il reçoit montre plus de discrétion et de réserve. 

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    André Lang

    Lang André, d’origine israélite, homme de lettres, journaliste, directeur des Editions de France, ancien collaborateur de l’hebdomadaire « Gringoire », s’est réfugié à la suite des évènements de 1940 à Carcassonne où il a habité à l’Hôtel Bernard, rue de Verdun, où il était accompagné de sa femme.

    L’intéressé n’a jamais reçu personne dans son appartement de l’Hôtel Bernard. Il menait une existence paisible et ne cherchait pas à se faire remarquer. Il ne se livrait à aucune activité politique. Sa présence était connue des autorités de Carcassonne, il s’en rendait bien compte et conservait une attitude correcte et circonspecte. Il sortait cependant assez souvent le soir pour aller au spectacle. On a pu établir qu’il a fréquenté assez assidument le salon de M. Bousquet. 

    Il est passé récemment à Carcassonne où il a séjourné une semaine à l’hôtel Bernard, il en est reparti le 10 février (1944) dernier sans indication sur sa destination. 

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    Julien Benda

    Benda Julien, né à Paris le 26 novembre 1867, célibataire, homme de lettres de race israélite, commandant de la légion d’honneur, habite 15, rue Montpellier à Carcassonne, auteur de nombreux écrits et articles de fond dans les journaux de gauche et d’extrême-gauche de Toulouse et a plusieurs journaux étrangers. Il a fréquemment exprimé ses sympathies pour le Front populaire dans des articles en général empreints d’une philosophie matérialiste.

    Durant les hostilités, Benda s’est réfugié à Carcassonne où il est arrivé le 17 juillet 1940 venant de Paris et Dijon. Depuis cette date, il occupe un logement très simple où l’on peut assurer qu’il ne reçoit personne. Il a fréquenté jusqu’à sa fermeture en janvier dernier le restaurant d’entr’aide légionnaire (hôtel Vitrac).

    Ne se livrant a aucun travail rémunéré, paraissant assez démuni d’argent. On a de fortes raisons de supposer que la Dépêche de Toulouse lui fait parvenir des subsides à titres d’ancien collaborateur. Benda qui fréquente assidument la bibliothèque a une activité littéraire, il aurait à l’heure actuelle, terminé les manuscrits de 4 ouvrages d’histoire et de critique ; il attend une aide matérielle et la stabilisation de la situation actuelle pour les faire éditer.

    Au moment de la promulgation des décrets visants les juifs, Benda a demandé un visa de sortie pour les USA et ne l’a pas obtenu. Il a été en relations suivies avec Mlle Colette de Jouvenel (château de Curemonte) (Corrèze) et a collaboré, sous l’anonymat, à la rédaction de revues (Cahiers du sud, Qualité) où il a pu dire, prudemment, ce qu’il pensait de l’antisémitisme. A l’heure actuelle Benda est très tranquille et ne se livre à aucune activité subversive bien qu’il doive éprouver une certaine rancune contre les responsables de la situation actuelle. Il a fréquenté assez souvent M. Bousquet.

    Nelli René, né le 20.2.1906 à Carcassonne, professeur de 2e au lycée de cette ville, célibataire, adjoint au maire, habite 22, rue du Palais à Carcassonne, homme de lettres, licencié es-lettres et philosophie. M. Nelli est un personnage très intelligent mais ambitieux. Infatué de sa personne, il n’a que de la rancune contre ceux qui n’ont pas apprécié encore sa valeur. A 20 ans, il était militant d’Action Française. Quelques années après, il était sympathisant du Parti communiste. A la suite de la découverte de tracts antinationaux, une perquisition a été effectuée à son domicile en 1941, il a été suspecté pendant un certain temps, mais aucun fait précis n’a pas être relaté contre lui. Son attitude actuelle est correcte. Nelli a pu faire quelques visites chez M. Bousquet où tous ceux qui avaient une activité littéraire notoire, étaient admis.

    Alquié Ferdinand Jean-Baptiste, né le 18.12.1906 à Carcassonne, professeur de philosophie, esprit remarquable (agrégé à 22 ans), a quitté Carcassonne avant la guerre en 1937… pour effectuer un voyage en Grèce. Il serait actuellement professeur dans un grand lycée de Paris (St-Louis ou Louis le Grand). C’est un ancien communiste qui a exercé sur la jeunesse Carcassonnaise une influence des plus néfastes.

    S’il a fréquenté les salons de M. Bousquet, ce n’est certainement pas d’hier et les informations de « Je suis partout », semblent n’être pas de la première fraîcheur.

    Morelli André, né le 5 juin 1875 à Bastia (Corse), ex-rocureur de la République à Carcassonne, président honoraire du Tribunal de Commerce, décoté de la Croix de guerre 1914-18, de la légion d’honneur (Chevalier), aurait vraisemblablement fait partie d’une loge maçonnique. A Carcassonne, il n’avait pas la réputation d’un sujet dangereux. Au contraire, on considérait plutôt qu’il manquait de finesse et avait une crainte presque maladive des compromissions. A l’évènement du Front populaire en 1936, sa femme, personne très ambitieuse, voyant son époux arriver à la retraite, a tout tenté pour lui faire obtenir in-extremis, un avancement qui lui procurerait une retraite plus substantielle. Elle a entrepris de faire l’éloge de Blum et du gouvernement Front populaire.

    Le mari, sans doute consentant, n’a rien fait pour mettre une sourdine à la propagande intempestive de son épouse. En 1942, à la nuit d’une manifestation à laquelle il a pris part, au monument Barbès à Carcassonne, il a été arrêté et assigné à résidence forcée, à Tuchan, Axat et Belcaire. Libéré au début de 1943, il a été arrêté le 8.9.43 par les autorités allemandes après une perquisition à son domicile.

    Actuellement, il serait interné dans un camp de concentration à Compiègne où il occuperait les fonctions de vaguemestre. On pense à Carcassonne que, s’il est allé chez Bousquet, c’est uniquement pour y opérer une perquisition en 1941.

    Nogué Maurice, né le 23.1.1904 à Carcassonne, fils d’un avocat ayant épousé Mlle Sarraut (soeur de Maurice et Albert sarraut), avoué à Carcassonne, habite 24, rue du 4 septembre, dans cette ville. Il est notoire que M. Nogué n’a jamais exercé aucune activité politique et, d’après des renseignements sûrs, sa ligne de conduite était la suivante : demeurer indépendant, et surtout ne rien devoir à ses oncles. Il a d’ailleurs, épousé une fille dont la famille au moment du Front populaire était considérée comme absolument réactionnaire. 

    Très honorablement connu et estimé, il est inexact que M. Nogué ait fréquenté les réunions où se trouvaient les juifs Benda et Lang. Il est inexact également qu’il ait fréquenté les salons de M. Bousquet avec assiduité. Sans doute, ses relations mondaines lui ont elles fait une obligation de se trouver à une réunion littéraire à laquelle il était de bon ton d’avoir été remarqué.

    Madame Grizou, épouse de M. Grizou, pharmacien à Carcassonne, 93 rue de Verdun, est une personne très snob, ayant des goûts ultra-modernes, très connue en ville pour sa liberté d’allure est son absence de préjugés. Il est exact que Mme Grizou a fréquenté le salon de M. Bousquet. Depuis 1942, on peut assurer qu’elle n’y a jamais reparu. Au moment où le poète entreprit d’épurer le cénacle de ses admirateurs, il lui fit comprendre que sa présence était devenue indésirable, ce dont Mme Grizou lui garde une sourde rancune. 

    En résumé, l’article paru dans l’hebdomadaire « Je suis partout », bien que basé sur des faits qui étaient à-peu-près exacts, il y a quelques années, ne correspond plus à la réalité. Actuellement et aréopage s’est disloqué, en raison du départ de quelques uns de ses membres et de la surveillance exercée sur les autres…

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    Dans cette liste de suspects, un seul sera déporté et ne reviendra pas des camps de la mort. Il s'agit du procureur André Morelli, pourchassé par le préfet Freund-Valade. Pour les autres, il semblerait que Joë Bousquet ait bénéficié de protections, notamment venant d'amis proche de la collaboration. Sinon, comment expliquer que des israélites connus des R.G aient pu ne pas être inquiétés. On notera également la précision de ce rapport. Il nous laisse penser qu'il n'a pu être documenté que par une personne ayant fréquenté Bousquet de près. Sa conclusion n'invite pas l'administration à procéder à des arrestations. 

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  • Inédit ! Les méthodes d'interrogatoire de la Gestapo pendant l'Occupation

    Ancienne villa de la Gestapo, 67 av Roosevelt, rasée en 2016

    Au cours de mes recherches sur les activités liées à l'Occupation allemande à Carcassonne, je suis tombé par hasard sur une archive déclassifiée depuis 2017. Ce document précieux pour la compréhension des méthodes d'interrogatoire du S.D (Gestapo), ne se trouve pas aux Archives de l'Aude. A sa lecture, nous observons que l'instrument de répression nazi n'improvisait pas. Tout était rigoureusement codifié sous le contrôle des autorités supérieures du Reich : Intimidation, mensonge, cynisme puis la manière la plus brutale afin d'obtenir des aveux ou des renseignements. Tout ceci doit couper court à toutes les légendes selon lesquelles, ceux qui sont sortis des griffes de la Gestapo ont bénéficié de la mansuétude des agents de ce service. Par conséquent, nous laissons les lecteurs se faire une idée sur les circonstances de la libération des prisonniers le 19 août 1944 de la Maison d'arrêt de Carcassonne. Ils pourront, qui sait, trouver des réponses aux raisons pour lesquelles Bringer, Ramond, Roquefort, Hiot, Gros, Bertrand et les autres ont été assassinés à Baudrigue. Surtout, ils sauront raconter l'inexplicable libération de Delteil, Arnal, Haguenauer, Plana, Chiavacci, Co, Chiocca, Munaretto, Raynaud, Marès, Pons. Tout aussi impliqués que ceux qui subirent le châtiment cruel, leurs dépositions transpirent les arrangements sur une version commune et le mensonge.

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    La Maison d'arrêt de Carcassonne

    Méthode d’interrogatoire et de détention de la Gestapo

    1. Bureau principal de la sécurité du Reich
    2. Ordres secrets du SD révélant les mesures d’interrogatoires du 3e degré.

    Reichssicherheitshaulpamt (Bureau principal de la Sécurité du Reich)

    A/ A tous les services de police d’état

    B/ A la police secrète

    Information

    A/ A tous les inspecteurs de la sûreté (SIPO) et SD

    B/ A l’inspecteur général de la SS. Totenkopfstandarten renforcée

    Détention préventive 

    Sur l’ordre du Reichsfûhrer SS et chef de la police allemande, tous les détenus dirigés en temps de guerre vers un camp de concentration sont dirigés sur une section pénitentiaire spéciale. Sont à excepter les suspects internés pour des raisons préventives (spécialement « Kartel » - gens fichés- qui ont été envoyés dans un camp, ou ceux faisant l’objet d’une note spéciale.

    Pour augmenter l’effet de la terreur, dans chaque cas les points suivants sont à observer.

    — En aucun cas, même si la période d’internement a été indiquée par le Reichsfûhrer SS et chef de la police allemande, la durée de cette période ne doit être communiquée.

    — Indiquer toujours la durée de l’internement par « Jusque’à nouvel ordre ».

    — Ne pas hésiter à augmenter la terreur dans les cas difficiles, par une habile propagande d’oreille à oreille, qu’on a entendu dire que le détenu, en raison de la gravité de son affaire ne peut être libéré que dans deux ou trois ans.

    Dans les cas particuliers, en plus des mesures à prendre dans les camps de concentration, le Reichsfûhrer SS et chef de la police allemande, ordonnera des bastonnades. Ces instructions seront à l’avenir communiquées également à la Staatspolizei. Dans ce cas aussi on ne doit pas hésiter à renforcer le paragraphe 3, si on le juge utile pour augmenter l’effet de terreur.

    Pour répandre de telles communications il faut naturellement choisir des personnes appropriées et de toute confiance.

    Pour obtenir des aveux sur l’acte reproché, on ne doit pas employer l’interrogatoire renforcé. Non plus, ce moyen ne doit pas être employé envers des personnes encore utiles à la justice. Les cas spéciaux doivent également être soumis à son approbation. 

    Le système renforcé peut être appliqué même après les bastonnades. Il peut comprendre :

    — Nourriture élémentaire (eau et pain)

    — Couche dure

    — Cellule obscure

    — Manque de sommeil

    — Exercices exténuants et aussi par distribution de coups de bâton

    (pour plus de 20 coups de bâton on doit faire venir un médecin).

    Les interrogatoires renforcés ne doivent être appliqués, que si l’on constate qu’au cours d’interrogatoires précédents le détenu a eu connaissance de renseignements importants concernant l’ennemi ; ou concernant des liaisons ou plans et qu’il se refuse à les communiquer. 

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  • La grande évasion de Jean Cahen Salvador

    Jean Cahen Salvador naît le 25 décembre 1908 à Paris (VIIIe) et exerce avant la Seconde guerre mondiale de hautes fonctions au sein du Conseil d’État. Dès la constitution du gouvernement Pétain, il est suspendu et mis à la retraite d’office en 1940, en raison de ses origines juives. La promulgation des lois sur le statut des juifs l’amène à fuir Paris, situé en zone occupée par les nazis. Il trouve refuge à Carcassonne, certainement aidé dans sa démarche par son ancien confrère au Conseil d’État, Paul Henri Mouton (1873-1962), lui-même suspendu par Vichy. Il y épouse, Simone, la fille de ce dernier le 6 août 1940. De cette union naissent respectivement à Carcassonne, les 4 octobre 1941 et 19 août 1943, Gilles et Anne-Marie Cahen Salvador. Le beau-père, Paul Henri Mouton, inventeur de la loterie nationale, fait partie d’un réseau de résistance qui tient des réunions clandestines au domaine de la Jasso, près du bord de l’Aude. Le couple Cahen Salvador et ses enfants, vivent au n°13 de la rue de la République.

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    Le lieu de résidence des époux Cahen Salvador à Carcassonne 

    Arrêté à Carcassonne le 2 septembre 1943 en raison de sa religion juive, Jean Cahen Salvador est envoyé au camp de Drancy. Son beau-père, malgré ses réseaux, n'a rien pu faire. A partir du 15 septembre, une poignée d'internés va organiser le creusement d'un tunnel clandestin à partir des caves de Drancy. Jean Cahen Salvador participe à cette périlleuse aventure pour recouvrir la liberté. Aidés dans leur tâche par le colonel Blum, chargé d'administrer le camp par les SS, les prisonniers font des prouesses avec une simple pioche. Deux mois plus tard, le tunnel fait 35 mètres de long, soit deux mètres avant les limites du camp. L'évasion est prévue pour le 11 novembre 1943, jour où l'appel doit se faire une heure plus tard. Hélas, le 9 novembre, cette entreprise a été dénoncée aux allemands. Les SS fouillent les caves et finissent par découvrir le tunnel. Henri Swarz est passé à tabac et finit par donner le noms de quelques complices parmi les plus gaillards à ne rien avouer. 

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    Camp de Drancy en 1943 gardés par la police française

    La gestapo de la rue Lauriston doit venir sur place pour faire sauter le tunnel avec des grenades, mais celui-ci résiste.  Les internés vont être obligés de boucher l'entrée avec des briques et du mortier. "Pour des juifs vous avez très bien travaillé. On a besoin de gens comme vous en Allemagne", leur dit Aloïs Brunner. Ils vont être déportés vers Auschwitz par le convoi n°62, non sans avoir réussi à dissimuler des outils.

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    Ancienne gare de Bobigny, départ pour Auschwitz

    Le 20 novembre 1943 à 5h du matin, les tunneliers de Drancy montent dans un autobus en direction de la gare de Bobigny. Jean Cahen Salvador raconte : "Au départ de l'autobus, on a chanté la Marseillaise ce jour froid de novembre". Les gardes mobiles français se sont même mis au garde-à-vous. Arrivés à Bobigny, les gens du tunnel n'ont pas été séparés et ont été mis dans le même wagon à bestiaux. Un wagon uniquement composé d'hommes. Après les recommandations d'usage d'un SS sur les tentatives d'évasion, le train s'ébranle en direction de l'Est de la France. Les hommes savent que le convoi arrivera vers 6h à Bar-le-Duc, puis à la côte de Lérouville où le train sera obligé de ralentir. C'est là qu'il faudra sauter. Au préalable, il faut faire sauter les barreaux de la lucarne du wagon pour s'échapper. Eugène Handschuk et Serge Bouder sortent leurs tourne-vis, mais rien n'y fait. Tout est bien solidement scellé et la nuit arrive. Alors, les frères Roger et Georges Gerschel se mettent à l'ouvrage. Ils tirent avec leurs deux mains sur les barreaux en s'appuyant de leur pied sur la cloison de bois. Leur force est herculéenne. Ils parviennent finalement à faire sauter les barreaux. 

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    C'est par ce trou de souris que vont s'échapper les frères Gerschel, Oscar Handschuk et ses deux fils, Serge Bouder, Maurice Kalifat, Jean Cahen Salvador. Au total, douze des quatorze tunneliers plus sept autres n'ayant pas participé au creusement. Henri Swarz et Robert Dreyfus resteront dans le convoi et n'en reviendront pas. Tout comme le colonel Blum, entassé dans un autre wagon.

    Ces hommes seront recueillis et trouveront refuge chez des agriculteurs et des cheminots de la région de Bar-le-Duc. On les change de vêtements, on leur donne à manger et même de l'argent pour prendre le train. Marcel et Odette Ménard seront reconnus "Juste parmi les nations". Les évadés atteignent la gare de Bar-le-Duc, puis repartent en direction de Paris avec de faux papiers. Jean Cahen Salvador arrivera à Gex (Ain) en provenance de Paris en passant par Lyon et Bellegarde. Sa femme Simone et ses enfants le rejoignent. De là, ils gagnent Versonnex, puis à pied les bois de Villars Dame. Grâce à Charles Pomaret, ils trouvent refuge en Suisse jusqu'à la fin de la guerre.

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    En 1980, le tunnel est redécouvert lors de la construction d'un gymnase

    C'est ainsi que Jean Cahen Salvador échappa à la mort. Deux autres juifs arrêtés à Carcassonne et faisant partie du convoi n°62 n'ont pas eu cette chance. Il s'agit de Charles Lévy qui travaillait à Saint-Denis (Aude) comme comptable et d'Albert Médioni qui résidait à Leuc chez un propriétaire.

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    © Alain Pignon

    Madame Cahen Salvador lors d'une assemblée générale de l'Association des Amis de la Ville et de la Cité en 1980

    Après la guerre, Jean Cahen Salvador retrouvera son poste au Conseil d'État et mourra en 1995. Son épouse, Simone Cahen Salvador (1913-2003) née Mouton, officiera longtemps comme présidente de l'Association des Amis de la Ville et de la Cité. Quant à leur petite fille Sidonie, c'est actuellement la directrice de la Société de films Gaumont.

    Sources

    Documentaire "Les évadés de Drancy" / Nicolas Lévy-Beff/ 2016

    Blog "Musique et patrimoine" / 2015

    "Passages clandestins des juifs en Suisse" / Ain.fr

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