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Patrimoine disparu - Page 13

  • Sarah Bernhardt au théâtre municipal de Carcassonne

    Ce blog n'a d'intérêt à mes yeux que s'il apporte à la connaissance, des sujets inédits ou complémentaires, à ce qui a été déjà évoqué par nos historiens locaux. C'est peut-être là sa vraie utilité et ce qui, en quelque sorte, fait son succès. L'histoire du théâtre municipal en elle-même est connue ; il suffit de lire les anciens bulletins de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude ou de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne. En revanche, il semble que personne ne se soit attardé sur les témoins de cette époque. Or, dans de vieux articles de la presse locale, il est possible de retrouver cette mémoire. Il suffit parfois de vouloir s'en donner la peine, mais au final c'est loin d'être inintéressant.

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    La comédienne Sarah Bernhardt par Nadar

    Sous l'Ancien régime, l'emplacement de l'actuel théâtre Jean Alary était occupé par le Couvent des Jacobins. Aliéné à l'Etat après pendant la Révolution française pour la somme de 30 200 livres. Une première partie comprenant l'église, le cloître, le grand escalier, l'entrée et la sacristie fut adjugée à M. Jean Aubry, plâtrier, à la date du 13 germinal An III (2 avril 1795). Le même jour l'acquéreur céda les 3/4 de l'ancien couvent à M. Jean-François Loup, Silfrein et Philippe Marrel, François Sébastien et Antoine Fourès. Le même mois, Marrel et Fourès se désistèrent à leur tour. Ambry et Loup demeurèrent le propriétaire d'une partie des bâtiments. Le reste du couvent représentant une superficie de 950 m2 fut adjugé à Ambry le 23 juin 1796, puis revendue à Loup le 9 décembre 1795.

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    Un négociant d'Alzonne, Benoît Faral, acheta les droits de Loup et Ambry dans le but de faire de l'église, une salle de spectacle, les bâtiments extérieurs devant servir à la location. Pour réaliser ces travaux, il s'adressa à l'architecte Champagne qui dressa les plans. La salle dont le coût des travaux s'éleva à la somme de 141 946 livres 11 sols et 5 deniers, fut prête le 1er octobre 1796. Faral prit M. Hertz pour associé ; il versa 750 000 francs en assignats et 50 000 francs en numéraire. La salle fut affermée au sieur Désormaux, artiste de Toulouse, qui dut s'acquitter de 6000 francs pour le semestre représentant la saison théâtrale. Par la suite, Hertz devint l'unique propriétaire de la salle de spectacle qui fut vendue à Casimir Courtejaire le 3 novembre 1843. Il la légua en héritage à la commune de Carcassonne, par acte du 10 octobre 1874 (Me Mouton), avec cette clause testamentaire :

    "Comme il importe au donateur de laisser à sa ville natale un souvenir durable du don qui lui est fait, la ville, en acceptant cette donation, s'oblige à conserver à l'objet donné sa destination de salle de spectacle. En conséquence, la ville devra s'assurer contre l'incendie, l'entretenir convenablement, même l'embellir, autant que le lui permettra sa situation financière. Elle ne pourra pas utiliser les décors ou tout autre partie du matériel pour une autre salle de spectacle. Toutes ces clauses ne sont pas purement comminatoires, mais de rigueur, de telle sorte que leur inexécution entraînerait la révocation de la donation."

    Les artistes de passage

    L'art lyrique vit passer des artistes aux voix merveilleuses : Martin, Lafeuillade, Sireau, Duluc, Serda, les dames Boulanger, Prévost, Pothier, Vizentinin Bardou, etc. On y entendu l'opéra du Bizet "Les pêcheurs de perles" en 1890. La première de Lohengrin de Richard Wagner se déroula en 1904. Des créations comme Messaline de Isidor de Lara en 1905, Hannibal de Joseph Baichère - compositeur et organiste de l'église St-Vincent - sur un livret de Victor Gastilleur, autre Carcassonnais. On entendit Sapho de Massenet en 1921 et Gismonda d'Henri Ferrier en 1924. La vie de Bohème de Puccini en 1901.

    L'art dramatique permit aux spectateurs d'apprécier MM. Talma et Ligier, Mmes Georges, Duchenois, Rochel, etc. Dans ses mémoires, Edmond Got, de la Comédie française, parle du théâtre en ces termes :

    "1er juillet 1966... Quant au théâtre de Carcassonne, impayable ; dans une vieille église démantelée, pire qu'à Tours, je m'habille, pour l'exemple, dans les anciennes latrines de la sacristie. Mais avant Marseille et Montpellier, j'ai tenu à jouer dans ce trou..."

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    Au cours de la saison de 1889, Sarah Bernhardt vint jouer "Hernani" de Victor Hugo. Afin de ne pas salir la longue robe de satin blanc qu'elle portait au cinquième acte, la grande comédienne fit mettre un tapis partant de sa loge jusque dans les coulisses. La salle de spectacle était dans un état déplorable et les artistes ne considéraient comme un honneur de jouer à Carcassonne.

    "Lors de son passage, cette tragédienne crut devoir nous traiter de sauvages ;parce que les loges n'étaient pas à sa convenance ; parce qu'il y avait des courants d'air dans les coulisses ; parce que le public ne lui avait pas fait un triomphe dans Hernani, cette pièce ayant été choisi pour son caractère politique plutôt que la Dame aux camélias qu'avait proposé l'imprésario ; parce que les musiciens de l'orchestre ne voulurent pas céder leurs fauteuils pour qu'elle puisse louer une cinquantaine de chaises à 10 francs." (L'éclair / 22 septembre 1895)

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    © H. Alaux

    A gauche, l'entrée de l'ancien théâtre en 1905

    Notons que cette clause n'a pas empêché la ville de Carcassonne du temps de la municipalité Chésa, d'envoyer à la benne à ordures l'ensemble des toiles et des décors. Elle aurait pu acheter l'immeuble mitoyen pour en faire un magasin à décors, mais préféra le laisser à la Banque de France. Elle y réalisa un parking privé. Les glaces des loges furent vendues par des employés de mairie à une brocante de la zone de la Bourriette. Les chaises et autres objets, pris par d'autres employés pour chez eux...

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    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne

    Casimir Courtejaire en 1843 par J-P Montseret

    Le 9 juillet 1929, le Conseil municipal prit une délibération relative à la reconstruction du bâtiment, à cause de sa vétusté. Les héritiers de Courtejaire donnèrent leur consentement le 2 décembre 1931. On démolit l'ensemble de l'ancien couvent des Jacobins avec son cloître en 1933. 

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    Le cloître lors de sa démolition

    Deux architectes, MM. Raymond Esparseil (1876-1966) et Marcel Oudin (1884-1936), établirent les plans des travaux qui furent effectués par M. Fioriom. Commencés le 19 juillet 1933, ils ne furent achevés que le 27 décembre 1935. Entre-temps, une partie de l'immeuble Peyronnet fut acheté suivant l'acte du 8 janvier 1935. 

    Raymond Esparseil évoque le souvenir du théâtre

    L'ancien théâtre était constitué par l'église du couvent des Jacobins. Ce couvent en 1229, fut tout d'abord installé à la Cité. Il fut transféré à la Barbacane, en 1247, dans la rue Longue : détruit par l'inondation de 1255, on l'installa sur la rive gauche de l'Aude, sur la carrière du quartier de cavalerie (Caserne Laperrine, NDLR) en 1347. Nous avons retrouvé ses fondations lors de la dernière guerre en faisant des tranchées. Il fut détruit en 1355 par le Prince noir et reconstruit dans la ville, à l'emplacement du théâtre actuel.  

    En 1932, la ville institua entre les architectes de France, pour la construction du théâtre, un concours auquel j'ai pris part. A ma grande surprise, j'ai eu le prix et l'exécution. J'avais en effet, dessiné le projet par plaisir, et sans arrière-pensée, pendant le chômage, dans un moment de crise de nos exploitations minières (Raymond Esparseil était le fils de Marius, inventeur de la mine de Salsigne, NDLR). Depuis mon entrée en loge pour le concours des Beaux-arts, en 1900, j'avais complètement abandonné l'architecture, pour me consacrer à mon métier de mineur, au cours duquel, cependant, j'avais eu l'occasion de construire des usines, des logements et des cités ouvrières, de telle sorte que je n'avais pas perdu l'habitude de la construction. C'est ainsi que le nouveau théâtre fut construit sous ma direction, malgré une mauvaise Kabbale, tellement bien montée au bénéfice de mon associé de Paris, que mon nom avait été effacé des constructeurs du théâtre.

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    © Martial Andrieu

    J'avais donc complètement perdu de vue à Paris, les relations artistiques d'autrefois et je n'avais aucun moyen de chercher seul les nombreux sous-traitants qu'une construction de cet ordre exige, tant dans le domaine artistique que de l'embellissement et de la construction. C'est pourquoi je me suis associé à Paris, avec un architecte qui s'occuperait de tout cela dans la capitale, pendant que je surveillerais les travaux de la construction sur place. Ce qui fut fait. Nous avions pris cependant à frais communs, pour les dessins d'exécution d'après mon plan à l'échelle exigée, un jeune architecte qui s'est révélé dans la suite architecte de valeur, ce qui nous a permis de transformer la façade originale que j'avais dessinée, parce que le prix en était hors de question. C'était avec cet architecte que je discutais sur place, ce qu'il y avait à faire et qu'il mettait en ordre en rentrant à Paris avec mon associé.

    Celui-ci venait rarement à Carcassonne et s'est tellement mal conduit avec moi et notre employé que celui-ci nous a quittés, rompant avec lui, tout en conservant d'excellentes relations avec moi. Mon associé est mort peu après (Marcel Oudin, NDLR), me laissant la responsabilité des erreurs qu'il avait faites en dehors de moi et de la terminaison de la construction dont je n'ai pas voulu signer la réception des travaux, mon associé, malgré moi, ayant accepté de la part d'un sous-traitant, et en dehors bien entendu de l'entrepreneur général, qui n'y était pour rien, une malfaçon.

    Les vestiges

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    © Google

    Un domaine situé sur la commune de Palaja fut la propriété de Casimir Courtejaire. Après la mort du mécène et lors de la destruction de l'ancien couvent servant de théâtre, les héritiers ont récupéré un très grand nombre de vestiges. Presque l'ensemble des colonnes en marbre de Caunes-Minervois qui devaient constituer le cloître sont dans ce domaine, mais pas seulement... D'autres objets sont visibles dans le musée lapidaire Pierre Embry à la Cité.

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    Dans le coulisses du nouveau théâtre, on aperçoit dans le mur une ancienne voûte ogivale. Sous la scène, il y a encore l'emplacement du chœur de l'église du couvent.

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    © Martial Andrieu

    La destruction de la maison attenante dans les années 1990 a mis au jour les vestiges de l'ancien couvent. C'est ce dont je me suis aperçu, lorsque par hasard, le parking de la Banque de France étant ouvert, j'ai pu prendre cette photo.

    Sources

    Midi-Libre / 1960

    L'éclair / 1895 

    Notes et synthèse / Martial Andrieu

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  • Le maire Omer Sarraut (1844-1887) et l'histoire chaotique de son buste...

    Nous allons dans cet article révéler pour la première fois des éléments méconnus concernant la vie et l'œuvre d'Omer Sarraut, ancien maire de Carcassonne. On n'a pas tout écrit sur l'histoire de son monument dressé en 1905 au square André Chénier ; ce sera l'objet de quelques révélations totalement inédites.

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    Omer Sarraut est né le 3 septembre 1844, à Castelsarrasin, d'une modeste famille de paysans. Après une jeunesse particulièrement studieuse, et l'on sait combien il était méritant de s'élever dans la société lorsqu'on appartient aux classes laborieuses de cette époque, il entre à 19 ans à la sous-préfecture de Castelsarrasin. De là, ayant été classé soutien de famille, il passe dans l'enregistrement. En 1867, il travaille dans les bureaux de la Compagnie des chemins de fer du Midi à Bordeaux. C'est dans cette ville que naîtront ses deux fils, Maurice et Albert qui se distingueront plus tard dans le journalisme et au sein du parti Radical-Socialiste.

    A peine âgé de 23 ans, il se mêle activement à la politique et s'oppose à Napoléon III. Malgré l'engagement qu'il contracte dans le corps des Franc-tireurs, sa situation de soutien de famille et sa situation à la Compagnie des chemins de fer ne lui permettent pas de participer à la défense du pays en 1870. Il fonde le journal "La Tribune" et un groupe de républicains-girondins pour la défense des valeurs démocratiques. Forcé de prendre ses distances avec la Compagnie des chemins de fer, sa famille connaît alors une situation financière délicate. En juin 1872, il est nommé secrétaire archiviste de la Commission départementale de la Gironde. Le 28 août 1874, le prix du Conseil général lui est décerné pour son travail sur l'histoire des enfants assistés ou abandonnés. On comprend pour quelles raisons il sera plus tard ordonnateur à la Commission des Hospices de Carcassonne de 1880 à 1881.

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    La majorité du Conseil général de la Gironde passant aux mains des bonapartistes aux élections de 1874, Sarraut est révoqué. Malgré les appels du pieds afin qu'il rejoigne la rédaction d'un journal républicain de Dijon, Omer Sarraut choisit d'entrer à "La fraternité" grâce à Théophile Marcou, un an plus tard. Sans relâche, il fera de cet organe de presse une machine contre les adversaires de la République - quatre journaux de l'Aude sont la propriété de bonapartistes ou de monarchistes. Grâce à son activité inlassable,  le parti républicain triomphe. Le 23 novembre 1879, après une campagne électorale extrêmement violente, Sarraut entre au Conseil municipal de Carcassonne à la suite d'une élection complémentaire.

    Le 11 août 1882, Omer Sarraut quitte "La fraternité" après son conflit avec Marcou. Huit jours après, il fait paraître "Le réveil de l'Aude".  Il collabore avec des écrivains connus tels qu'Auguste Fourès et Prosper Estieu. Le 3 septembre 1882, les républicains gagnent les élections mais Sarraut n'est pas sur la liste, en raison de ses désaccords avec Marcou. Le 16 novembre 1882, un nouveau journal paraît "Le Radical de l'Aude" et Sarraut en est le rédacteur en chef. Le conseil municipal perdant chaque jour quelques-uns de ses membres par démissions successives, des élections partielles ont lieu, et les cinq candidats soutenus par Omer Sarraut sont élus. 

    C'est à l'occasion d'élections complémentaires que Sarraut est élu conseiller municipal de Carcassonne, le 6 décembre 1885. Deux ans plus tard, il est élu maire de la ville après deux tours de scrutin. C'est aux acclamations d'une immense foule que le 24 mars 1887, la municipalité de Carcassonne est constituée. Sarraut devient maire, Gaston Jourdanne et Léopold Petit sont adjoints. Ses premiers mots : "Nous inaugurons une nouvelle méthode d'administration." Il se consacre à sa tâche, levé de bon matin, il arrive à la mairie à l'ouverture des bureaux comme le plus modeste des employés. Il exige de ses collaborateurs un effort à l'échelle de celui qu'il fournit ; impitoyable pour les fautes et les irrégularités, il est accueillant pour tout le monde écoutant avec patience les réclamations, s'efforçant d'apporter une solution avec une impartialité reconnue de tous.

    Son programme est ambitieux : il veut faire de sa ville une cité moderne bénéficiant d'un urbanisme qui prévoit : la mise en place du tout-à-l'égout, l'élargissement de la rue de la gare, le prolongement de la rue Antoine Marty par la construction d'une passerelle sur l'Aude, l'ouverture de la rue Jules Sauzède sur le jardin des plantes, la création d'une cité ouvrière à la Gravette. Il souhaite moderniser les services hospitaliers, considérant que l'Hospice (ancien Hôtel Dieu, aujourd'hui parking du Dôme) n'est plus adapté aux besoins il prévoit de le raser et d'en construire un à la sortie de la ville. Ce projet sera mené par Antoine Gayraud, soit 110 ans plus tard. A la place de l'Hospice, il construirait le nouveau théâtre municipal de la ville.

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    Le 23 juillet 1896, le boulevard du Tivoli devient Omer Sarraut

    Hélas, tout ceci restera à l'état de projet puisqu'en surveillant les travaux d'aménagement du théâtre, Omer Sarraut contracte une pneumonie qui va l'emporter. Le 16 septembre 1887, il s'alite et malgré les soins attentifs dont il est l'objet, il s'éteint le 22 septembre à 10 heures du matin. Il dira à son fils Maurice âgé de 18 ans : "Mon pauvre Maurice, tu auras un bien triste anniversaire." Son autre frère Albert et son épouse Jeanne Laurens, arriveront trop tard de Castelsarrasin. Omer Sarraut avait seulement 43 ans. Une concession gratuite au cimetière St-Vincent lui est attribuée ; le 1er octobre 1887, une souscription est ouverte pour un monument à élever sur sa tombe. La ville vote un crédit de 500 francs.

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    Tombe d'Omer Sarraut

     En 1904, un comité décide de lancer une souscription pour l'édification d'un monument en hommage à l'ancien maire de la ville. Au mois de février, il se prononce pour sa construction au Jardin des plantes (actuellement square Chénier) ; cette décision est notifiée officiellement au mois de mai par le conseil municipal. Le monument se composera d'une fontaine surmontée d'un buste.

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    Le monument en bronze sculpté par Paul Ducuing représentait à l'origine, d'un côté, la ville de Carcassonne personnifiée par une femme protégeant un jeun élève de l'école laïque tendant une palme au maire. De l'autre, un laboureur assis, lisant le journal "Radical du Midi". Nous avons découvert que l'artiste en sculptant ce sujet allégorique avait pris pour modèle les membres de la famille d'Omer Sarraut. Jeanne Laurens épouse Sarraut, avait posé pour figurer la ville et Etienne Sarraut, fils aîné de Maurice, personnifiait l'élève de l'école laïque. C'est le tailleur de pierre Sémat habitant les Martys dans la Montagne noire, qui le 18 février 1908 sera sollicité pour réaliser la vasque de la fontaine.

    L'inauguration du monument eut lieu le 29 octobre 1905 en présence de MM. Gauthier, ministre des Travaux publics, et Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'état aux Beaux-arts. Tout ceci dans une ambiance anti-gouvernementale sur fond de crise viticole. 

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    Le monument avant la seconde-guerre mondiale

     Pendant l'Occupation, les autorités allemandes n'hésitèrent pas à détruire ce monument pour l'envoyer à la fonte.  Autre fait que nous avons découvert... Le sculpteur Ducuing intervint afin de tenter de sauver son œuvre ; les Allemands lui laissèrent emporter le buste à condition qu'il donnât l'équivalent de son poids en bronze. Les allégories, elles, furent envoyées à la fonte. Le précieux buste d'Omer Sarraut fut confié à Madame Louis Mingaud, petite-fille de l'illustre maire. Sa mère Jeanne Marie Mathilde Sarraut (1876-1963) était la fille d'Omer Sarraut et avait épousé Maître Osmin Nogué (1865-1942). Deux ans après la Libération, les Mingaud portent le buste au Musée des Beaux-arts. 

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    En 1961, soit dix-neuf ans plus tard, le buste sera replacé sur son piédestal en face de l'hôtel Terminus. Hélas, sans les allégories qui avaient été fondues par l'Occupant. Tout ceci se fit en présence de nombreuses personnalités : Omer Louis Maurice Sarraut (1902-1969) son petit-fils ; Albert Sarraut (1872-1962), son fils ; Mme Simone Bouvier, fille de Maurice Sarraut ; M. et Mme Mingaud ; Me Maurice Nogué ; François Clamens, député de l'Aude ; M. Caujolle, directeur de La dépêche ; M. Itard-Longueville, ancien maire ; M. Descadeillas, bibliothécaire de la ville ; Jules Fil, maire de Carcassonne ; M. Maurice Mordagne.

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    Le buste fut remis sur son emplacement d'origine, mais la fontaine fut comblée par un massif floral. Sur le devant, une horloge donnait l'heure aux passants. Lorsqu'en 1986, le maire Raymond Chésa décida d'entreprendre la construction d'un parking souterrain sous le square Chénier, le jardin passa du floral au minéral. On remit en eau l'ancienne fontaine, mais le buste d'Omer Sarraut avec son piédestal fut remisé au fond du jardin, côté pont de la paix.

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    Aspect de la fontaine jusqu'à aujourd'hui

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    Le buste au fond du jardin

    Actuellement, la ville de Carcassonne est entrain de refaire entièrement le square André Chénier. Nous ne savons rien de ce qui sortira, mais il se pourrait bien qu'Omer Sarraut réintègre avec son piédestal, le dessus de la fontaine comme au temps de sa gloire.

    Sources

    La dépêche du midi / 1961

    La Fraternité, Le Radical du Midi

    Etat-civil / Archives de l'Aude

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  • La destruction du lycée Paul Sabatier de Carcassonne

    Dès 1668, un ancêtre des Inspecteurs généraux de l'éducation nationale, M. de Froidour, écrivait dans son rapport suite à sa visite dans les collèges de la province du Languedoc que le Collège de Carcassonne "existait d'ancienneté" dans ces mêmes locaux. En effet, le Conseil de ville fonda en 1556 une école d'enseignement secondaire appelée Collegium, qui ne comptait que des externes.

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    Tout ce qu'il reste de l'ancien lycée de Carcassonne, rue de Verdun

    Ce collège était situé dans la rue de la Pélisserie (rue A. Ramond), à l'angle avec la traverse des moulins (rue Littré). Dans cette rue se trouvaient les cuisines, le réfectoire et certaines classes du Lycée. Au XVIe siècle, ce petit collège ne possédait que trois classes ; il n'y avait même pas assez de place pour loger les professeurs. Ceux-ci, insuffisamment payés, devaient occuper d'autres fonctions en ville - n'ayant pas de rapport avec l'enseignement - afin de subvenir à leurs besoins vitaux. Les rentes étant trop faibles pour entretenir la vie du Collège, les Consuls se mirent à chercher une solution. Par chance, l'édit du mois de septembre 1603 promulgué par Henri IV rappelait les Jésuites, prompts à s'emparer des établissements d'instruction. Intriguant à la cour du roi, l'évêque de Carcassonne avec l'accord de la municipalité, tente de faire donner le Collège au Jésuites en 1605. Henri IV y consent par le brevet du 12 août 1609, ratifié par lettres patentes d'avril 1610. Les négociations avec la ville durèrent douze ans, pendant lesquels celé n'empêcha pas la Compagnie de Jesus d'enseigner à Carcassonne. Dès lors, il ne resta plus qu'à ratifier l'accord le 16 mars 1623.

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    Ad maiorem Dei gloriam.

    (Pour une plus grande gloire de Dieu)

    Aussitôt, un certain nombre d'habitants se formèrent en syndicat pour protester contre l'installation des Jésuites. Arguant un système de fraude dans l'attribution du Collège aux Jésuites, ils se pourvoient devant le Sénéchal, puis devant le Parlement de Toulouse, après avoir menacé de ne pas payer l'impôt. Cet appel étant suspensif, l'enseignement est suspendu au mois de mars 1623. De nouvelles négociations aboutiront à un accord définitif le 1er juillet 1623. La ville octroie aux Jésuites une rente de 2000 livres et le diocèse 1000. A charge pour eux de subvenir à tous les frais de réparation et d'entretien des bâtiments. Pareils à des religieux de tout ordre, la Compagnie de Jesus va agrandir le Collège. En 1625, elle reçoit une subvention extraordinaire de la ville à hauteur de 200 livres pour édifier la porte d'entrée du Collège. Cette porte qui se trouvait dans la rue des Etudes à côté de l'entrée de la chapelle (Actuel auditorium), fut rasée en 1970 sans autre forme de procès.

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    Porte d'entrée (XVIe siècle) du Collège des Jésuites en 1969

    En 1636, le sieur Louis de Malecoste leur lègue 25 465 livres pour la construction de cette chapelle, qui sert aujourd'hui d'auditorium. Elle sera inaugurée en 1667 lors d'une session des Etats du Languedoc, avec procession conduite par l'Evêque.

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     En 1668, les Jésuites avait achevé de bâtir le nouveau Collège et leur église. A savoir, quatre grands corps de logis, avec en plus une basse-cour et autres commodités. L'ensemble occupait plus de la moitié d'un carron, à l'intérieur de la Bastide Saint-Louis.

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    Plan de 1729

    Le Collège compta 200 élèves, puis l'effectif diminua de façon constante en raison de l'implantation d'autres établissements à Limoux, Castelnaudary, Rieux et Mirepoix. En réalité, les Jésuites s'occupèrent moins du Collège qu'ils ne furent attachés aux prédications, visites des malades et autres fonctions spirituelles. Malgré tout, il purent conserver leur Collège et même annexer en 1727 le Séminaire diocésain, face à l'actuelle MJC (autrefois, Couvent des Pénitents noirs). Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, commençait à souffler un esprit nouveau entraînant les despotes éclairés, dans un courant de réformes. Les Jésuites n'étant plus en odeur de sainteté royale, le Collège de Carcassonne ne dut son salut qu'à leur remplacement par les Doctrinaires. Les lettres patentes du 26 septembre 1764 portent confirmation du Collège à Carcassonne.

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    Imposte au-dessus de la porte du Lycée, rue de Verdun

     Le Collège national de Carcassonne des Prêtres de la Doctrine Chrétienne sera emporté en 1792 par la Révolution française. Après cinq années d'atermoiements, le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795) institua les Ecoles centrales des départements. Le citoyen Fabre fut chargé "d'organiser avec célérité" l'Ecole centrale de Carcassonne dans les locaux de l'ancien Collège. Elle disparut dans le courant de l'an XI (1803). C'est après l'achat de terrains et de maisons permettant l'extension de l'établissement entre 1846 et 1854, que le Lycée impérial sera inauguré le 8 novembre 1854. Ce lycée, devenu Paul Sabatier après 1941, fermera en 1962 après la construction d'un nouveau, rue Alfred de Musset.

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    Destruction du lycée, rue des Études.

    Tout ce qu'il en reste aujourd'hui se trouve actuellement visible dans la rue de Verdun. Car pour le reste... A partir du début du mois de septembre 1970, les premiers coups de bulldozers de l'entreprise Combe furent donnés contre des murs du XVIe siècle. On n'épargna presque rien et tout partit dans une carrière située à l'Arnouzette. Tout cela parce que la municipalité Gayraud avait voté la destruction des bâtiments pour dégager 5000 m2 de parking. Un espace de stationnement de près de 200 places pour donner un nouvel essor au commerce du centre-ville, paraît-il. 

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    "On peut estimer que les usagers Carcassonnais pourront utiliser ledit parking pour les prochaines fêtes de fin d'année. Un beau cadeau de noël en quelque sorte, n'est-il pas vrai ?"

    (La dépêche du midi / Sept 1970)

    lycée p. sabatier

    Quarante sept ans après, le centre-ville ne va pas mieux. Pire ! Par la folie destructrice de municipalités n'ayant eu aucune conscience pour nos héritages culturels, Carcassonne a perdu une très grande partie de son patrimoine historique. En 2015, sans l'intervention de Julien Llamas alors lycéen à Paul Sabatier, l'ensemble des archives du Lycée impérial seraient parties aux ordures. Tout avait été déposé dans une benne par M. Mercardal, proviseur du lycée. Nous avons alerté les archives de l'Aude qui sont venues in-extremis sauver l'ensemble de ces documents. Ils sont aujourd'hui conservés et consultables par tous.

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    Ce qu'il reste de 400 ans d'histoire. 

    Sources

    Vieux murs et vieux papiers du Collège-Lycée de Carcassonne / J. Poux / 1907

    Notes et synthèses / Martial Andrieu

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