Légitimée par le IIIe Reich depuis 1938, l'aryanisation ou la spoliation des biens appartenant à des personnes de confession juive, s'inscrit en France par la loi du 22 juillet 1942 promulguée par le régime de Vichy. Les biens des personnes envoyées dans les camps de la mort sont saisis puis vendus ; le produit de cette spoliation allant enrichir les caisses des nazis et de leurs alliés. Cette aryanisation s'exerce également sur les entreprises et commerces tenus par des israélites qui sont saisis et repris par des gérants non juifs. L'ensemble des affaires est d'abord traité par le Commissariat aux Questions Juives qui désignera un liquidateur chargé de l'inventaire et de la vente des biens. Nous allons voir ci-dessous comment Carcassonne n'a pas échappé à la loi appliquée avec célérité, force et intérêt par la préfecture de l'Aude, la Milice et la police.
La spoliation par l'exemple
D'une manière générale nous savons que les juifs de l'Aude furent mis en résidence forcée à Rennes-les-bains. Après la rafle opérée par les GMR vers le camp de concentration de Rivesaltes, leurs biens ont été dispersés. Le ravitaillement qui leur était destiné a été distribué à la population de Limoux. Le reste, c'est-à-dire les draps, fourrure, argenterie, habits, vaisselle, cuisinière...etc, a été evndu aux enchères publiques à Limoux par un huissier du coin. [Archives de l'Aude]
Si l'on prend un exemple en particulier, nous pouvons évoquer le cas de Monsieur R. Raphael, né à Constantinople (Turquie). Il tient depuis bien avant la guerre un magasin de nouveauté dans la rue du marché. Par arrêté du 31 mai 1942, Monsieur Jacques P, (Agent d'assurances à Carcassonne) est désigné par le Commissariat Aux Questions Juives, administrateur du fond de commerce. L'inventaire est effectué par Maître T, huissier à Carcassonne. Le fonds de commerce a été vendu aux enchères pardevant Maître Albert A, notaire à Carcassonne, le 8 avril 1943 ; il fut adjugé pour la somme de 36.000 francs et les marchandises pour la sommes de 72.013 francs à M. Charles C, d'Alet-les-bains. Ce dernier a payé l'ensemble de cette vente avec les liquidités de Monsieur Raphael R. Autant dire que cela ne lui a rien coûté... Quant à Monsieur Raphael R, il sera raflé par la Milice de Carcassonne le 10 juillet 1944. [Archives de l'Aude]
Entre les mois de juin et de juillet 1944, Robert Pincemin, chef départemantal de la Milice de l'Ariège en mission dans l'Aude, organisa le pillage de tous les magasins israélites de Carcassonne. Cinq millions de francs de marchandises furent dérobés. [La Résistance audoise/ Lucien Maury/ p.154]
Qui est Robert Pincemin ?
À travers le parcours de Robert Pincemin, nous souhaitons mettre en évidence que les responsables ont échappé à l'épuration. Ceci avec bien des complicités. Nous avons tiré le fil d'une enquête qui nous a amené très loin de Carcassonne...
Robert Pincemin est sûrement né vers 1915, puisque cet industriel de Foix dans l'Ariège est sorti de l'École centrale en 1939. Il fut chef départemental de la Milice de l'Ariège et chef de la Milice de Toulouse. À Carcassonne, il s'illustra comme nous l'avons indiqué plus haut, mais également dans le récit que nous livre Philippe Bourdrel dans "La grande débâcle de la collaboration" (Editions Le cherche Midi) :
"En mai 1944, Pincemin, chef départemental de la Milice de l'Aude, dont le siège est place Carnot à Carcassonne, n'hésite pas à partir à la tête de ses hommes pour combattre le maquis dans l'Isère. [Massif du Vercors ? NDLR]"
Robert Pincemin commandera ensuite le "camp des clochards" de la Milice au camp d'Heuberg, près de Sigmarigen. Dans lequel, on peut supposer que certains Carcassonnais qui l'avaient suivi, se sont retrouvés... Ce qui expliquerait que ce ne sont pas les plus endoctrinés qui ont été fusillés en septembre 1944 à Carcassonne. Aux archives de l'Aude, les documents de la libération les notent comme étant en fuite... Que sont-ils devenus ensuite ?
Le 4 novembre 1944, 2500 miliciens jugés en fonction des critères sélectifs très sévères de la SS, aptes pour servir à la division Charlemagne (en cours de constitution) quittent Ulm pour le camp de Wildflecken. Ceux qui n'ont pas voulu revêtir l'uniforme allemand et prêter serment à Hitler, les inaptes sont regroupés au camp d'Heuberg, appelé le camp des clochards. 800 miliciens sont placés sous le commandement du chef Pincemin, qui se désintéresse de leur sort. Son adjoint, le capitaine Georges Carus, ancien marin, se charge de la réorganisation de ce qu'il reste de la Milice. Il manque de tout, l'équipement est hétéroclite, il faudra attendre que soient rapatriés les uniformes des miliciens passés à la Waffen-SS pour équiper les hommes." [Alexandre Sanguedolce. Italie 39-1945.com] et [Histoire de la Milice / Fayard / p.602]
Depuis le 16 janvier 1945, Hitler s'est réfugié dans son bunker. Robert Pincemin fait partie de ceux chargés de le défendre, ce qui suppose qu'il a revêtu l'uniforme de la Charlemagne.
L'exfiltration
Lors de notre enquête nous avons découvert que Robert Pincemin —condamné à mort par contumace — va se soustraire à son jugement et mourra tranquillement dans son lit en 2001.
Les criminels de guerre ou collaborateurs français tels que Marcel Boucher, Fernand de Menou, Robert Pincemin ou Émile Dewoitine reçoivent sur l'ordre sur l'ordre du cardinal Antonio Caggiano un visa spécial pour entrer en Argentine. Tous quatre disposent de passeports avec numérotation consécutive expédiés par la Croix-Rouge de Rome, ainsi que d'un certificat de recommandation du Vatican. Tous les quatre ont trouvé refuge à l'église de San Girolamo. [...] L'ambassade d'Argentine à Rome est assaillie de demandes de visas pour des citoyens français. [lessakele.over.blog.fr]
Il y a eu des prêtres remarquables dans l'Aude comme l'abbé Gau, reconnu "Juste parmi les nations" pour avoir sauvé des juifs. Il n'a pas un seul nom de rue dans Carcassonne, ni dans son village de Conques-sur-Orbiel. Citons également, le chanoine Auguste-Pierre Pont de la Basilique Saint-Nazaire de Carcassonne pour son action résistante.
L'abbé Gau
Il y a eu de nombreux prêtes qui sont morts dans les camps nazis.
On pourra lire :
"La barraque des prêtres. Dachau 1938-1945 / Guillaume Zeller/ Tallandier éditions."
Ces exfiltrations ont été menées conjointement avec les États-Unis afin d'établir un groupe d'experts "nazis" anticommunistes en Amérique du sud, qui pourraient être utilisés au cas où éclaterait une guerre contre les Soviétiques. À la fin de la guerre, il y a deux blocs en puissance qui s'opposent. Chacun tentera de récupérer des "cerveaux" et de les utiliser. L'ancien constructeur des V1 Nazis n'a t-il pas envoyé l'homme dans la lune ? Le général Aussaresse de l'OAS n'a t-il pas conseillé Pinochet pour l'usage de la torture des opposants à son régime ?
Le départ en bâteau
Robert Pincemin est parti de Barcelone avec l'assentiment du régime franquiste aidé par l'Opus Déi, sur le Bâteau "Cabo de Buena Esperanza" (Cap de Bonne espérance) en direction de l'Argentine. Il sera accueilli à bras ouvert par Juan Peron, militaire et président de la Nation Argentine de 1946 et 1955 et de 1973 à 1974. Un fervent admirateur de Mussolini et de Franco, dit-on...
"Là-bas, il fonde en 1959 à l'intiative de Georges Grasset, prêtre coopérateur, la Ciutad catolica argentina (CCA), organisation sœur de la Cité catholique créée par Jean Ousset en 1949 en France. La filiale argentine va rassembler d'anciens collaborationnistes et de nouveaux arrivants en provenance d'Algérie". [Geneviève Verdo / Les français d'Afrique du nord en Argentine : bilan provisoire d'une migration (1964-1988), mémoire de maîtrise, Université Paris I, 1989, p.34-39]
"La CCA publie en outre la revue Verbo, l'une des entreprises éditoriales les plus durables du catholicisme intransigeant argentin, aue l'on pouvait trouver très facilement dans les bibliothèques militaires comme celles de l'École supérieure de guerre ou du Cercle militaire."
Robert Pincemin est associé dans cette organisation avec Juan Carlos Goyeneche, Roberto Gorostiaga et le colonel Juan Francisco Guevara. Ce dernier, catholique rigoriste, participa au coup d'état contre le président Juan Peron en 1955, comme lieutenant de Lonardi.
La vie en Argentine
Nous avons retrouvé la trace del señor Roberto Jorge Pincemin à Buenos-Aires (Argentina) installé dans l'agglomération huppée de Vincente Lopez jusqu'à sa mort le 6 août 2001. Il a fait toute sa carrière industrielle en Argentine comme chef d'entreprise et ingénieur conseil. Il quitte ses affaires en 1974 pour créer la Fondation Forum. Elle publiera ses ouvrages économiques.
Le penseur économique
Roberto Pincemin a écrit plusieurs ouvrages sur sa pensée économique, que l'on peut trouver dans les libraires et bibliothèques en Argentine. Mais pas seulement... En france, ils sont en vente sur la librairie catholique traditionnaliste en ligne Chire.fr
On les trouve aussi en ligne sur Google ou les librairies universitaires américaines. Bref, voilà autant d'occasions pour faire passer cette pensée rédigée par un ancien milicien, condamné à mort par contumace pour ses crimes.
Tout un programme...
________________________
© Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015