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Musique classique

  • Suzanne Sarroca : Une grande dame de l'opéra s'est éteinte

    Le 15 septembre dernier, Suzanne Sarraoca nous quittait. Discrètement, cette immense artiste Carcassonnaise qui avait connu les plus grandes et belles scènes lyriques du monde se retirait après un dernier salut. Il n'y eut cette fois pas de rappel du public. C'est chez elle à Carcassonne qu'elle choisit de vivre les derniers instants de sa vie, au milieu des pensionnaires de la maison de retraite des Berges du Canal. Là-bas, elle se plaisait à conter ses souvenirs du temps où elle était Floria Tosca, Carmen, Octavian, Aida... Seulement à qui la sollicitait pour cela, car Suzanne n'exposait jamais sa vie professionnelle. Elle voulait demeurer simple, abordable et finalement une vieille dame comme les autres. C'est d'ailleurs ce qui fut sa ligne de conduite durant toute sa vie. Elle, la fille de l'épicière de la Trivalle, partie de rien et propulsée si haut par l'enchantement d'une voix stellaire.

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    Née le 21 avril 1927 à Carcassonne, 32 rue de la Gaffe, Suzanne passe sa jeunesse dans le quartier populaire de la Trivalle, au pied de la Cité médiévale. Elle est la fille de Paul (1901-1977) cheminot de son état, et de Françoise (Paquita) Turet (1905-1995), épicière et couturière. Ses grands-parents, originaire d'Espagne, ont émigré à Carcassonne à la fin du XIXe siècle. Le caractère de Suzanne s'affirme par le mélange du sang Aragonais de son père et Catalan de sa mère.

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    La petite Suzanne fréquente l'École communale de la Cité, puis le lycée des jeunes filles. En 1942, elle décroche dans l'établissement avec quelques camarades, le portrait du maréchal Pétain. Ceci lui vaut d'être blâmée par la directrice qui convoque ses parents. A la Libération, on retrouve Suzanne juchée sur une table du café "Chez Félix", place Carnot, entrain de chanter la Marseillaise. Le film "La Malibran" de Sacha Guitry lui donne envie de chanter. Sa voix est remarquée par l'un de ses professeurs qui lui conseille de s'inscrire au conservatoire de musique de Toulouse. En 1946, c'est chose faite. Encouragée par sa mère, elle entre dans la classe de chant de Claude Jean et de solfège de Guy Lhomme, à Toulouse.

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    Suzanne Sarroca dans Carmen, photographiée par Paul Laprune à Carcassonne

    Dans la ville rose, la jeune Carcassonnaise fait ses gammes et rencontre son futur époux : Louis Nègre.  Fils de mineur, ce coiffeur remarqué pour sa voix entre au conservatoire de Toulouse en 1920, puis à celui de Paris en 1926. Un premier prix lui ouvre les portes du Palais Garnier et de l'Opéra Comique. Il y joue les grands rôles du répertoire avant que la maladie ne le fixe en tant que professeur au conservatoire de Toulouse de 1937 à 1953. 

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    Premier rôle d'importance : Charlotte dans Werther de Jules Massenet. A Carcassonne, puis au Théâtre du Capitole de Toulouse en 1949. Suzanne n'a alors que 22 ans. Son ascension comme mezzo-soprano est fulgurante ; les engagements s'enchaînent. Mademoiselle Sarroca du Capitole de Toulouse, comme on disait à l'époque, fait merveille dans Carmen à Avignon, Bruxelles.

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    Les lauriers de la critique

    Hérodiade de Massenet, au Théatre du Capitole

    "Nous croyons qu'il faut particulièrement insister sur les très belle interprétation de Madame Suzanne Sarroca. Cette artiste a heureusement le physique du rôle et présente son personnage avec beaucoup de vérité, unissant justement cette sensualité à ce mysticisme que Massenet a remarquablement exaltés. Elle chante surtout magnifiquement. La voix est pleine, large, rigoureuse et riche de timbre et de couleur. Elle s'épanouit admirablement dans l'aigu. La diction est toujours impeccable et le style musical épique nous a paru parfaitement au point. C'est une grande artiste."

    La damnation de Faust, 19 décembre 1957

    "Madame Sarroca dont la grâce et le charme ne cèdent en rien à une voix magnifique fut une sculpturale Marguerite. Elle détaille avec un art infini sa chanson gothique et sa romance d'amour "L'ardente flamme" fut une merveille de sonorité."

    Le chevalier à la rose de R. Strauss. Paris, 1957

    "Sarroca est dans le rôle d'Octavian d'une élégance surprenante. Sa féminité voilée dans les rôles de grand éclat, a pu dans cette comédie musicale transparaître et s'affirmer par un charme qui a ravi même la créatrice. En plus d'une belle cantatrice, c'est une jolie femme aux traits purs, comme un antique avec un corps de Diane qui semble dans Le chevalier s'évader de l'embarquement pour Cythère. Elle a conquis un Paris difficile et l'éloge unanime de la critique est le plus bel hommage qu'une artiste peut recevoir."

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    Avec Régine Crespin, dans Le Chevalier à la rose.

    En janvier 1958, la critique écrit : Maria Callas n'est plus seule. Alors que Suzanne Sarraoca assiste dans le public à une représentation d'Aïda de Guiseppe Verdi, la titulaire du rôle s'évanouit à la fin du 1er acte. Une danseuse remarque la présence de la cantatrice Carcassonnaise dans la salle. On l'habille, on la maquille en vitesse. Voilà notre artiste sur scène pour assurer la fin du spectacle. Plus tard, elle reprendra le rôle d'Aïda aux côtés de Jose Lucionni au Palais Garnier devant Soraya, l'Impératrice d'Iran. Elle remplacera même Renata Tébaldi dans ce rôle.

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    Suzanne Sarroca dans le rôle d'Aïda

    Son interprétation emblématique reste celle de Floria Tosca dans l'opéra de Puccini. La première fois, ce fut à l'Opéra comique en octobre 1952 avec Libero de Luca dans le rôle de Cavadarossi, dirigé par Albert Wolff.

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    "Suzanne Sarroca a présenté une Floria Tosca réellement superbe. Sa voix étendue exceptionnelle et d'un mental solide est rare. Elle la conduit avec une science consommée, réalisant même au dernier acte des demi-teintes exquises. Le récit de la prière et le grand duo avec Scarpia furent des leçons d'art lyrique au sens le plus complet".

    (Théâtre de la Monnaie de Bruxelles). 

    Tosca (Version française) avec Suzanne Sarroca et Guy Chauvet 

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    Les amours de sa vie... Louis Négre et ses deux neveux, Jean et Paul Héritier. C'était pendant les représentations de Faust (Charles Gounod) au Théâtre municipal de Carcassonne le 1er mai 1962. Ce jour-là un grand malheur la frappa. Au cours du troisième acte, au moment où Suzanne Sarroca (Marguerite) chantait "Anges purs, anges radieux", son mari qui avait été pris d'un malaise dans la journée, succombait à une embolie pulmonaire. On la tint à l'écart de la nouvelle jusqu'au moment où dans la voiture, elle effectuait le trajet du retour vers sa maison natale, rue Camille Saint-Saëns. C'est là qu'elle apprit le décès brutal de Louis Nègre à l'âge de 59 ans. Ce grand chanteur et professeur de chant au conservatoire de Toulouse fut inhumé à Carmaux dans le Tarn.

    En 1969, un autre amour entre dans sa vie. Il s'agit de Cécile, sa fille adoptive. Elle est aujourd'hui costumière à l'opéra de Genève en Suisse.

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    Valses de Vienne, Opéra de Marseille (1984)

    Parmi ses collègues de travail : Luciano Pavarotti, Placido Domingo, Rita Gorr, Régine Crespin, Andréa Guiot, Paul Finel, Franco Corelli, Albert Lance, Alain Vanzo, René Bianco, Jose Luccioni, etc. A la Scala de Milan, Suzanne est dirigée par Visconti dans Don Carlos de Verdi. Sans compter, l'ensemble des lieux prestigieux qu'elle a fréquenté : Opéra de Paris, Royal Albert Hall, Opéra de Buenos Aires, Sacala de Milan, Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles, Opéra de Marseille, Théâtre du Capitole de Toulouse, etc

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    Comment pourrais-je oublier cette dame qui, alors que je n'étais qu'un débutant, accepta de venir chez moi me donner un cours de chant gratuitement. Suzanne Sarroca c'était cela, l'humilité et la simplicité d'une personne qui n'oubliait pas d'où elle venait. Une artiste issue d'une famille étrangère qui chanta la Marseillaise le jour de la libération de la France.

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    Selon ses dernières volontés, Suzanne Sarroca fut inhumée dans la terre dans la plus grande simplicité. Une cérémonie civile, quelques amis et membres de la famille, un texte émouvant lu par son neveu devant sa dépouille. Elle repose dans le cimetière La conte de Carcassonne. 

    Merci à son neveu, Jean Héritier, pour les photos d'archives.

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2023

  • Aimé Tournier, ancien titulaire de l'orgue de la cathédrale Saint-Michel

    Aimé Tournier fut pendant presqu'un demi siècle, le titulaire incontesté et respecté du Grand orgue de la cathédrale Saint-Michel. Né à Teyssode dans le Tarn, le jeune garçon avait été atteint vers l'âge de huit ans par une maladie des yeux. Elle lui fit perdre définitivement la vue. Son seul secours fut d'être admis à l'Institut des jeunes aveugles à Paris. Son unique salut fut d'y apprendre la musique et, plus particulièrement, l'orgue avec un grand maître qui y professait. André Marchal (1894-1980), élève de Gigout au Conservatoire de Paris, lui enseigna toutes les virtuosités de cet instrument. Épargnés par les révolutionnaires de 1789, parce qu'ils permettaient de jouer la Marseillaise, les orgues de France imposent par leurs majestueuses factures. Après un passage par Castelnaudary, Aimé Tournier trouva à Saint-Michel un Cavaillé-Coll tout à fait à sa mesure. Hélas, l'orgue de 1687, fabriqué par Jean de Joyeuse, avait été remplacé depuis belle lurette. Confié pour réparation à Cavaillé-Coll à Paris, le facteur avait répondu le 3 mai 1852 : "Cet orgue, en l'état de dégradation et de vétusté des parties essentielles, exigerait une restauration équivalente à une complète reconstruction. Dans ces conditions, nous avons pensé qu'il serait préférable d'établir un nouvel orgue dans les proportions voulues pour l'église." Quelque temps après, le ministre de l'instruction publique et des Cultes écrivit à l'évêque : "Monseigneur, le buffet d'orgue destiné par l'Empereur à votre cathédrale sera prochainement envoyé à Carcassonne. Aussitôt que l'architecte, qui en a dirigé les travaux, sera de retour à Paris, il se concertera avec M. Ohnet, pour le transport de ce petit monument." Dommage que l'on ait pas divisé le buffet en deux parties pour laisser voir la rosace. 

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    Après 102 ans de bons et loyaux services, on envisagea de restaurer le Cavaillé-Coll. Le travail d'Edmond Costa consista en une remise à neuf des soufflets et de toute la mécanique, ainsi qu'en un nettoyage de la forêt de tuyaux de toutes tailles qui se cachaient derrière le buffet. Les claviers qui ne montaient qu'au fa, montent maintenant au sol. Le pédalier n'était que de 27 notes ; il en a 30 désormais. Cinq jeux supplémentaires, soit 47. On mit des jeux nouveaux pour augmenter à la fois la puissance et la clarté de l'instrument. C'est ainsi que deux cymbales sont venues apporter, avec une tonalité aigue, beaucoup plus de mordant. Un quintaton de 16 pieds, donne la tonique à la quinte. 

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    L'inauguration de l'instrument entièrement révisé, se concrétisa par un concert du Maître André Marchal. Son ancien élève, comme le veut la coutume, débuta par un morceau d'introduction. Après quoi, le vieux musicien prit possession des claviers en interprétant Purcell, Frescobaldi, Buxtehude, Marchand, Clérambault, Bach, Vierné et César Franck. Savez-vous que ce dernier avait déjà joué sur cet instrument avant sa livraison en 1852 ? 

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    Les choeurs de la cathédrale Saint-Michel

    L'abbé Escoupérié se souvient avec émotion d'Aimé Tournier : "Fidèle à son métier. Toujours présent à toutes les cérémonies, il habitait 68 rue Voltaire avec son épouse et son fils Christian. On l'accompagnait jusqu'au début de l'escalier, puis il montait seul à la tribune malgré sa cécité. Il lisait la partition en braille de la main gauche et jouait de la main droite, tout en servant du pédalier." Aimé Tournier accompagnait également les choeurs de la cathédrale, dirigés par Georges Cotte. Il enseignait la musique chez lui et accordait les pianos. Une vie toute entière vouée à l'art qui s'acheva par une terrible maladie à la fin des années 1970. Son fils, Christian, le suivit de peu à l'âge de 35 ans. Il avait épousé Carmen, la fille Soler, épicier à la Barbacane, et travaillait comme facteur d'orgue à Lodève chez Edmond Costa. Aimé Tournier est inhumé dans le cimetière de Diamatte (Tarn).

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  • Vincent Gambau (1914-1982), compositeur Audois

    Le 2 février 1982 s’éteignait à Cenne-Monestiés dans l’Aude l’un des plus prolifiques compositeurs et arrangeurs français originaires de notre département. S’il est de notoriété publique que la valorisation des acteurs culturels de premier plan n’a jamais été la préoccupation de nos édiles départementaux, que dire de l’oubli dans lequel ils les ont laissé choir. Or, Vincent Gambau possédait le talent, l’envergure et la notoriété nationale qui auraient dû éclairer la vie musicale de l’Aude avec la lumière de la passion.

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    Né le 2 janvier 1914 à Paris dans le 11e arrondissement, Vincent Gambau est issu d’une famille originaire de la catalogne émigré en France au XIXe siècle. Son père, Victor Roch qui avait vu le jour à Carcassonne le 16 août 1887 s’était uni à Jeanne Marie Costesèque, une jeune femme native de Cenne-Monestiés. Typographe de son état, il habitait 17 rue Emile Zola avant de rejoindre la capitale avec son épouse et y vivre 47, rue des Pyrénées. N’y a t-il pas de plus belle adresse pour un enfant du pays ? Sous l’Occupation, Victor Roch Gambau dirige l’économat de la Maison de Sèvres. Dans cette institution fondée par Pétain en 1941, il contribua à cacher et à sauver plusieurs dizaines d’enfants israélites de la déportation.

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    © Maison de Sèvres

    Victor Roch Gambau

    Vincent Gambau débute sa carrière en qualité de professeur d’enseignement public. Directeur honoraire d’un établissement spécialisé de l’Education Nationale, il atteint parallèlement la célébrité de compositeur, critique musical et critique de disques. En 1946, il signe la musique du film Face à la vie de René Chanas dans lequel figure Simone Signoret et Raymond Bussières. Le catalogue de Vincent Gambau s’enrichit de ses nombreuses compositions et arrangements dans tous les domaines de l’art musical : chansons, ballets, folklore, musiques de films documentaires, symphonies, etc. Il harmonisa les chants de la liberté 1789, 1830, 1848, 1870, 1944.

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    Membre de l’Académie du disque, il fut maintes fois lauréat de l’Académie des Beaux-arts pour ses œuvres musicales. Nous citerons le prix Bordin (1946), le prix Bermier (1952) pour son étude « Contribution à l’étude du folklore nééerlandais », le prix Bermier (1952) pour « Berceuse de tous les pays » ;  il avait mis dix ans pour réunir un à un 300 échantillons du folklore mondial, le prix Brémont (1959), le prix de la Société des Auteurs et Compositeurs de Musique (1952) pour une œuvre symphonique. Par ailleurs, Vincent Gambau administra depuis 1969, la Caisse allocation vieillesse des professeurs, auteurs et compositeurs de musique. Depuis 1947, il faisait partie du jury du Conservatoire Supérieur de Musique de Paris et avait été nommé expert musicien auprès du Tribunal de grande instance de Paris.

    Précisons que les disques de Vincent Gambau se vendirent à plus de 500 000 exemplaires… Cet homme à la carrière musicale si bien remplie, choisit de finir ses jours à Cenne-Monestiés. C’est dans le cimetière de cette petite commune du Lauragais que repose le compositeur. Espérons qu’à la lumière de cet article, le souvenir de Vincent Gambau jaillira à nouveau dans l’esprit de ceux qui l’ont connu.

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2020